2. Les risques d'une explosion sociale
a) Un potentiel économique paralysé par le bouclage des territoires
Bien que dépourvus de richesses naturelles, les
territoires palestiniens ne sont pas sans atouts.
En premier lieu,
l'agriculture dégage des excédents
appréciables
pour certains produits tels que l'olive. Les fleurs et
certains fruits comme les fraises pourraient constituer par ailleurs une source
non négligeable d'entrées de devises, s'ils pouvaient être
exportés. Toutefois l'agriculture palestinienne manque d'eau : seuls
11,5 % des surfaces cultivées bénéficient de l'irrigation
(contre 47 % en Israël).
En second lieu, quelques sites privilégiés comme Bethléem
ou même Jéricho, présentent un potentiel touristique encore
insuffisamment exploité.
Les Palestiniens n'accueillent que 7 % des 2 millions de touristes qui se
rendent chaque année en Israël.
D'autre part, l'industrie s'est développée autour d'un nombre
restreint d'activités : le secteur du marbre et de la pierre emploie
près de 8 000 personnes et assure des exportations vers les pays
arabes et l'Italie.
Mais le principal atout de l'économie palestinienne réside sans
doute dans la qualité d'une main-d'oeuvre bien formée et la
présence de responsables dynamiques. Votre délégation a pu
s'entretenir longuement avec des représentants du secteur
économique privé palestinien et prendre la mesure, à cette
occasion, à la fois du remarquable esprit d'initiative et du sens des
responsabilités des chefs d'entreprise, mais aussi des
difficultés rencontrées, redoublées par les bouclages des
territoires. L'activité économique peut se déployer dans
des domaines requérant savoir-faire et expérience tels que la
pharmacie générique comme l'a expliqué à votre
délégation M. Khoury, directeur de la principale
société opérant dans ce secteur.
Enfin,
l'existence d'une diaspora palestinienne
constitue un atout
décisif, en raison d'une part du soutien financier qu'elle apporte aux
Palestiniens de l'intérieur et d'autre part, de l'ouverture
internationale que procure cette présence à travers le monde.
Ainsi les marchés extérieurs de l'entreprise de
médicaments génériques, Pharmacare -le Proche-Orient,
certains pays membres de la Communauté des Etats indépendants,
des pays africains-, reposent sur l'action, l'entregent et le dynamisme
économique des Palestiniens de la diaspora.
L'activité industrielle reste le fait de petites entreprises dont les
effectifs dépassent rarement plus de 100 personnes.
Non dépourvue d'atouts, l'économie palestinienne apparaît
cependant aujourd'hui exsangue.
b) Une économie exsangue
Les difficultés rencontrées ne sont pas toutes
liées au bouclage des territoires. Quatre autres facteurs principaux
peuvent être mis en avant.
·
Une situation de dépendance
En premier lieu, l'économie palestinienne se trouve dans un
étroite
dépendance
à l'égard d'Israël.
La vulnérabilité de la position palestinienne se décline
sur trois modes différents :
- le poids d'Israël avec lequel se font
90 % des échanges
commerciaux
et le lourd déficit commercial supporté par les
territoires ;
- l'orientation de l'industrie vers
la sous-traitance d'entreprises
israéliennes ;
-
la maîtrise exercée par Israël sur l'emploi des
Palestiniens
à travers les permis de travail octroyés (120
000 en 1993, 35 000 aujourd'hui).
En second lieu plusieurs années d'Intifada ont entraîné
la dégradation des infrastructures publiques
. Ainsi dans une
région où l'eau constitue une ressource de prix, l'état
détérioré des conduites d'eau entraîne la perte de
60 % des volumes transportés.
Ensuite,
les incertitudes du cadre juridique
, la fragilité des
structures administratives, constituent un handicap certain pour le
développement des entreprises palestiniennes.
Enfin, à rebours de l'esprit des accords d'Oslo où la
coopération économique devait jouer un rôle décisif,
Israël n'a pas hésité à multiplier
les entraves au
développement des territoires
: restriction à l'extension des
infrastructures, lourde taxation des activités et en particulier toutes
celles dont la concurrence pourrait menacer les produits israéliens,
réduction des terres disponibles du fait de l'extension des colonies.
·
La paralysie provoquée par les bouclages
Les bouclages des territoires constituent toutefois, de l'aveu de tous les
Palestiniens rencontrés, l'entrave la plus préoccupante pour
l'économie palestinienne Cette politique, décidée par
Israël pour se prémunir des menaces terroristes à partir de
1993, et maintenue jusqu'à présent malgré des
allégements ponctuels, se traduit sur le terrain par la mise en place de
postes de contrôle sur les voies d'accès entre les territoires et
Israël, d'une part, et sur les liaisons entre les grandes villes
palestiniennes au sein même des territoires d'autre part. Elle a
entraîné un ralentissement de l'activité et un
appauvrissement de la population des territoires.
La politique de fermeture des territoires traduit un net recul par rapport aux
résultats auxquels le groupe de négociation multilatérale
sur la coopération économique -mis en place à la suite de
la conférence de Madrid- était parvenu dès
l'été 1994 à Paris. Les parties s'étaient alors
accordées sur trois sujets principaux : dans le domaine agricole, libre
circulation des marchandises et quasi-abolition des taxes et droits de douane ;
pour les produits industriels, libre exportation sans accord préalable
des autorités palestiniennes ; dans le secteur bancaire, droit de
créer une institution qui corresponde, sans en porter le nom, à
une " banque centrale ".
L'activité économique s'est trouvée paralysée par
les bouclages consécutifs qui entravent tout à la fois
l'importation des produits nécessaires à l'industrie des
territoires et l'exportation des productions palestiniennes. Les entreprises
palestiniennes demeurent très dépendantes d'Israël pour
leurs approvisionnements.
Quant à la commercialisation des productions, qu'il s'agisse des
exportations ou de la vente dans les territoires, elle doit supporter
surcoûts (liés aux transbordements sur les camions
israéliens) et délais de toute sorte. Or dans la mesure où
les ventes se concentrent sur des produits périssables -fruits ou
fleurs- ces retards peuvent se traduire par des dommages irréparables
sur les marchandises.
D'après des sources palestiniennes,
les pertes directes
journalières
pour la seule bande de Gaza s'élèvent
à un million de dollars. S'ajoute en outre la baisse du prix des fruits
et légumes de l'ordre de 50 %.
Aux obstacles apportés à la circulation des marchandises, se sont
ajoutées
les entraves à la circulation des hommes
. Le
nombre de Palestiniens employés en Israël a chuté de 120 000
en 1993 à environ 35 000 aujourd'hui (17 500 pour Gaza, 17 500 pour la
Cisjordanie).
Bien que régulièrement annoncée depuis septembre,
l'augmentation de 50 000 autorisations de travail supplémentaires ne
s'est pas concrétisée.
Ainsi
le chômage
touche-t-il aujourd'hui, d'après
l'autorité palestinienne, 60 % de la population active à Gaza et
40 % en Cisjordanie. Le pouvoir d'achat s'est profondément
dégradé depuis le début de l'année 1996 : moins 10
% pour les Palestiniens qui continuent de travailler en Israël, moins 16 %
à Gaza et moins 23 % en Cisjordanie. Singulièrement,
malgré la disparité du revenu par habitant entre Gaza (600
dollars) et la Cisjordanie (800 dollars), la rive occidentale du Jourdain a
pâti plus fortement du bouclage qui interdit l'accès à
Jérusalem où se concentrent l'emploi et l'activité, tandis
que Gaza, du fait notamment de la présence des instances de
l'Autorité palestinienne et de son président,
bénéficie prioritairement de l'aide internationale.
Les entraves à la circulation des biens et des personnes ont
provoqué
une baisse de 25 % du produit national brut palestinien
depuis l'entrée en vigueur des accords d'Oslo
. Les effets de cette
récession ont été d'autant plus douloureux que dans le
même temps la population est passée de 2 à 2,6 millions
d'habitants. Le revenu par habitant s'est donc contracté de 40 % (de 2
425 dollars à 1 480 dollars).
La population a dû s'adapter à ces nouvelles conditions
d'existence. Les enfants travaillent ainsi de plus en plus tôt pour
tenter de compléter les revenus du foyer. Cette évolution est
lourde de conséquences pour l'avenir. Ne risque-t-elle pas en effet de
favoriser l'analphabétisme et de remettre en cause la position
avantageuse dont les Palestiniens peuvent êre fiers dans le domaine de
l'éducation ?
Bien que placés dans une position très précaire, les
Palestiniens ne sont pas réduits à la misère. L'aide
internationale représente en effet une ressource indispensable pour les
territoires autonomes.
·
Le concours indispensable de la communauté internationale
La communauté internationale s'était engagée sur un
montant de 1,4 milliard de dollars sur la période 1994-1995, mais
seulement 542 millions de dollars ont été effectivement
décaissés. En 1996, l'aide multilatérale s'est
élevée à 551,9 millions de dollars et à ce jour 49
% de cette somme ont été versés. En novembre dernier
à Paris, les donateurs ont confirmé leur engagement pour un
montant de 845 millions de dollars pour 1997 afin de financer principalement
les infrastructures (42 %) et les secteurs sociaux (32 %).
L'aide provient principalement de l'Union européenne (31 %),
des pays du Golfe (23 %) et des Etats-Unis (16 %).
Le budget de l'Autorité palestinienne, arrêté par la
Conférence de Paris pour 1996, avec l'accord des bailleurs de fonds,
s'élevait à 554 millions de dollars. Le déficit pourrait
dépasser 127 millions de dollars à la fin de cette année
(au lieu de 100 millions de dollars en 1995).
Si les recettes restent en deçà des espérances du fait
notamment des manquements israéliens aux engagements souscrits, par
exemple la
rétrocession promise des recettes ficales,
les
dépenses publiques
,
bien qu'elles ne représentent qu'une
part encore limitée du PNB (15 %), se sont accrues de 50 % depuis la
mise en oeuvre des accords d'Oslo. Cette tendance pourrait encore s'accuser
sous l'effet conjugué de la dégradation de la situation
économique liée aux bouclages et de la baisse de la dotation
destinée à l'UNWRA.
La communauté internationale et l'Europe en particulier, s'efforcent
de donner aux Palestiniens les moyens d'un développement
économique autonome. Aussi favorisent-elles les liens directs entre les
territoires palestiniens et le monde extérieur. La signature, à
la fin de l'année 1996, d'un
accord intérimaire d'association
entre l'Union européenne et l'Autorité palestinienne,
s'inscrit tout à fait dans cette perspective. Revu au terme d'un
délai de deux ans, il pose les bases d'une
libération
progressive
des échanges entre les deux partenaires pour les
produits agricoles et industriels. En outre, il prévoit le renforcement
de la coopération, en particulier dans le domaine de l'éducation.
La mise en place d'infrastructures donnant à l'économie
palestinienne l'assise nécessaire constitue une autre priorité.
Le port et l'aéroport de Gaza -construit mais empêché de
fonctionner faute des autorisations israéliennes- représentent
à cet égard les deux projets décisifs.
Le port
desservira, dans un premier temps, la seule bande de Gaza (300 000 tonnes) ; sa
profondeur devrait lui permettre à terme d'accueillir les gros navires
céréaliers. Le financement du port apparaît d'ores et
déjà assuré grâce aux concours de la France (20
millions de dollars), des Pays-Bas (25 millions de dollars) et de la Banque
Européenne d'Investissement (28 millions de dollars). Toutefois, le
décaissement de ces fonds demeure subordonné à la
conclusion d'un accord israélo-palestinien sur la construction.
Aujourd'hui, en effet, seules les études ont fait l'objet d'un accord
avec l'Etat hébreu. Bien que le Président Arafat et le Premier
ministre néerlandais aient posé la première pierre du port
le 18 janvier 1996, les négociations sur la construction ont dû
être suspendues après que le gouvernement israélien eut
décidé de différer l'application des dispositions de
l'accord intérimaire restant à mettre en oeuvre. Enfin, un
troisième accord sera nécessaire pour l'exploitation du port.
L'accord sur Hébron devrait permettre de relancer les discussions sur
ces différents points.
La France est appelée à jouer un rôle déterminant
auprès des deux parties pour que ce dossier essentiel pour le
développement économique des territoires puisse trouver une issue
favorable.