B. LES TERRITOIRES PALESTINIENS : L'INCONNUE DE LA RÉACTION DE L'OPINION FACE À L'ÉVOLUTION DU PROCESSUS DE PAIX
Depuis 1993, les Palestiniens vivent une situation paradoxale : au moment même où ils obtenaient les moyens, certes limités, de retrouver prise sur leur destin, ils devaient subir une grave crise économique liée principalement à la politique de fermeture des territoires mise en oeuvre par Israël. Dans quelle mesure cette situation pourra-t-elle se perpétuer ? Tout dépendra des réactions de la population à la dégradation de leurs conditions de vie et de l'ascendant, aujourd'hui indiscutable, dont dispose M. Arafat sur son opinion publique.
1. L'émergence des structures institutionnelles malgré une autonomie limitée
a) Une autonomie limitée
L'autonomie des territoires palestiniens se trouve
bornée dans son principe : relations et sécurité
extérieures échappent à l'Autorité palestinienne.
Cette limitation n'empêche toutefois pas les responsables palestiniens de
déployer une intense activité internationale. Votre
délégation a d'ailleurs pu rencontrer l'un des plus
éminents acteurs de cette politique d'ouverture sur l'étranger,
M. Nabil Shaath, ministre de la planification et de la coopération
internationale. Toutefois, dans la zone B, la sécurité
intérieure elle-même ne relève pas de l'autorité
palestinienne mais dépend entièrement d'Israël.
En outre, aux termes de la déclaration de principe, l'Autorité
palestinienne ne peut prendre aucune décision sur les questions
abordées dans le cadre de la négociation sur le statut
définitif (Jérusalem, implantations, réfugiés).
Borné dans son principe, le régime d'autonomie, il convient de le
rappeler, l'est encore dans son champ géographique. Et cette restriction
vient comme redoubler la limitation des attributions de l'Autorité
palestinienne. En effet la zone A où les responsabilités
s'exercent en principe à leur plus haut degré ne couvre
guère que 5 % de la superficie de Gaza et de la Cisjordanie. La zone B
représente quant à elle 25 % de ces territoires. Au total,
le
tiers seulement des territoires palestiniens destinés, aux termes des
accords d'Oslo, à bénéficier du statut d'autonomie,
relèvent aujourd'hui effectivement de l'Autorité
palestinienne.
Encore les zones A et B constituent-elles un ensemble morcelé à
l'extrême, comme le montre très clairement la carte des
territoires palestiniens. Seule la bande de Gaza présente une certaine
continuité territoriale.
En Cisjordanie, les sept principales villes de la zone A et la multitude des
" confettis " territoriaux formés par les villages
palestiniens de la zone C, constituent autant d'enclaves dans un territoire
encore largement placé sous l'emprise d'Israël. Le retrait
militaire de certaines parties de la zone C à partir du 7 septembre 1996
aurait sans doute permis de dessiner une carte plus homogène. On le
sait, la mise en oeuvre du redéploiement a été
différée à septembre 1997.
b) La naissance d'une organisation démocratique, enjeu de la mise en place des institutions palestiniennes
Malgré ce morcellement, les territoires palestiniens
ont su se doter, depuis la mise en oeuvre des accords d'Oslo, d'une
réelle identité. Ce fait, surprenant si l'on devait s'en tenir
aux acquis, limités, en matière d'autonomie, s'explique sans
doute par un double facteur : la personnalité du président
Arafat, l'enracinement des institutions de l'Autorité palestinienne.
M. Arafat s'est imposé aujourd'hui comme seul interlocuteur capable
de parler au nom des Palestiniens sur la scène internationale. Cette
position, le président de l'Autorité palestinienne la doit
à la conjugaison de deux facteurs.
En premier lieu, le président Arafat peut se prévaloir
aujourd'hui
d'une double légitimité
, historique d'abord,
liée à son rôle dans l'Organisation de libération de
la Palestine, dont le comité exécutif est placé sous sa
présidence, démocratique ensuite, depuis son élection au
suffrage universel avec 88 % des suffrages le 20 janvier 1996, à la
tête de l'Autorité exécutive palestinienne.
En outre malgré les vicissitudes du processus de paix,
Yasser Arafat
a su conserver la confiance des Palestiniens.
Ainsi, les émeutes de septembre dernier provoquées par
l'ouverture du tunnel dans la vieille ville de Jérusalem paraissent, en
définitive, avoir renforcé l'autorité de M. Arafat aux
yeux des Palestiniens qui lui sont reconnaissants d'avoir pris le risque
d'ordonner aux forces de sécurité d'affronter Israël.
Doté d'une légitimité incontestable, investi de la
confiance de la population palestinienne, Yasser Arafat pourrait-il
céder à une tentation autoritaire ?
Un tel risque peut être conjuré par
la montée en
puissance de l'institution démocratique
dont se sont dotés
les territoires : le Conseil de l'autonomie, élu le 20 janvier 1996.
Cette institution réunit 88 représentants des résidents
palestiniens des territoires occupés et autonomes. Le dispositif
institutionnel présente aujourd'hui une certaine complexité
liée aux relations entre le Conseil et l'autorité
exécutive d'une part, les institutions de l'autonomie et l'OLP d'autre
part.
Les membres de l'Autorité exécutive sont choisis par son
président au sein du Conseil ou hors de cette instance (à
condition que le nombre des personnalités extérieures
n'excéde pas 20 % des effectifs de l'Autorité exécutive).
Le Président partage, avec le Conseil, le droit d'initiative
législative. Il promulgue les lois et prend les décrets
d'application des lois adoptées par le Conseil.
S'il n'existe pas de réelle coupure organique entre le Conseil
législatif et l'Autorité exécutive, les parlementaires
-votre délégation en a eu des témoignages- s'estiment
chargés d'un pouvoir de contrôle vis-à-vis de
l'exécutif.
En effet, bien que le Fatah, le mouvement politique de M. Arafat, dispose de 64
des 88 sièges du Conseil législatif, les parlementaires
paraissent se prononcer davantage en fonction de leurs convictions personnelles
que de consignes politiques. En outre, les élus indépendants ont
su faire entendre leurs voix ; quatre d'entre eux président d'ailleurs
des commissions.
La définition des procédures a déjà donné
lieu à quelques escarmouches : le Conseil législatif s'est
refusé à prêter serment au Raïs et a voté en
faveur de l'investiture individuelle des ministres. En outre, il a
rejeté en avril 1996 la tentative présidentielle de remettre en
cause l'immunité de certains des membres qui auraient critiqué
l'Autorité exécutive.
Bien qu'il n'ait adopté pour l'instant aucun texte législatif, le
Conseil palestinien s'est engagé dans deux chantiers d'importance :
l'élaboration de la constitution
d'une part, la rédaction
d'un texte relatif aux associations
d'autre part. Ce dernier projet, en
particulier, constitue un enjeu décisif : le tissu associatif a servi de
support aux aspirations palestiniennes, il offre encore un réseau et des
structures qui pallient les insuffisances d'un Etat en gestation. Le
régime réservé aux associations constituera le premier
témoignage décisif de la volonté de l'Autorité
palestinienne de s'engager dans la construction d'un Etat de droit.
D'après les informations que votre délégation a pu
recueillir, des discussions assez vives opposent sur ce sujet certains
élus du Conseil de l'autonomie, tenants d'une ouverture libérale,
et les représentants de l'exécutif, même si l'institution
parlementaire soucieuse de présenter un front uni laisse filtrer peu de
choses de la vigueur des débats.
Pour s'affirmer, le Conseil devra sans doute également marquer sa
distance avec les institutions de l'Organisation de libération de la
Palestine. L'OLP a assuré, depuis sa création en 1964, la
représentation de facto de 6 millions de Palestiniens des territoires
occupés comme de la diaspora. Ses institutions comprennent une
commission exécutive et le Conseil national palestinien qui tient lieu
d'organe législatif. Le risque de confusion avec l'Autorité
palestinienne paraît double. La présidence de l'Autorité
exécutive, comme celle de la commission exécutive de l'OLP,
revient à M. Arafat. De plus, aux termes de la loi électorale,
les membres du conseil législatif de l'Autorité palestinienne
siègent automatiquement au Conseil national palestinien.
Les membres du Conseil législatif se sont opposés au souhait de
M. Arafat de les intégrer au sein du conseil national palestinien
et de les lier ainsi aux décisions prises par cet organe.
L'OLP continuera de jouer un rôle décisif dans l'avenir, dans
la mesure où l'Autorité palestinienne ne dispose pas d'une
personnalité juridique internationale
. Il appartiendra donc à
l'OLP de négocier avec Israël sur le statut permanent prévu
par l'accord intérimaire.
L'émergence d'un pôle de vie démocratique constitue un
signal encourageant mais encore fragile. L'Autorité palestinienne
s'incarne encore pour une large part dans la personne de M. Arafat. Il y a
là pour les territoires un facteur de force mais aussi de
vulnérabilité dans un contexte politique et économique
très difficile.
L'audience des groupes extrémistes, et surtout du Hamas, le mouvement de
la résistance islamiste, n'a pas faibli. Ce mouvement, apparu au
début des années 1990, dénie aux juifs le droit de
disposer d'un Etat et considère toute négociation avec
Israël comme une trahison de la cause palestinienne. Il n'hésite
pas à recourir au terrorisme pour ruiner les chances de paix.
Près de 10 % des Palestiniens se reconnaissent dans ce parti,
responsable pourtant des attentats perpétrés contre Israël
dans les premiers mois de l'année 1996 et ainsi, du bouclage des
territoires par lequel Israël entend défendre sa
sécurité.
Les passions peuvent-elles s'apaiser au moment où la situation
désastreuse de l'économie palestinienne fait le jeu de tous ceux
qui sont décidés à rompre avec un processus de paix dont
ils n'ont jamais accepté les promesses ?