CARTES
Mesdames, Messieurs,
Le processus de paix entre Israéliens et Palestiniens reste l'une des
clefs de la sécurité et de la stabilité au Proche-Orient.
Le blocage des négociations, la montée des tensions dont les
événements de septembre 1996 ont été les
révélateurs, risquaient de peser sur les relations entre
Israël et ses voisins. La reconnaissance du fait israélien par une
majorité d'Etats arabes, les promesses de développement
économique à l'échelle d'une région : toutes ces
évolutions liées au grand ébranlement consécutif
aux négociations d'Oslo et au-delà, sans doute, aux nouveaux
équilibres issus de l'après-guerre froide, sont, aujourd'hui, en
jeu.
La signature d'un accord sur Hébron le 15 janvier 1997 manifeste la
force de la logique de paix. Cependant de nombreuses incertitudes
demeurent : conditions du redéploiement militaire,
négociation sur le statut permanent. Le maintien du bouclage des
territoires constitue en outre un ferment d'explosion sociale dans les
territoires palestiniens.
L'Europe et la France, grande puissance méditerranéenne, ne
peuvent rester indifférentes aux risques présentés par la
situation actuelle.
D'une part, notre sécurité apparaît directement
concernée par les menaces d'une déstabilisation en
Méditerranée orientale qui, pour s'en tenir à ce seul
exemple, ferait le jeu des mouvements intégristes dont les ramifications
s'étendent bien au-delà du Proche-Orient.
D'autre part, et à supposer même que les risques puissent rester
circonscrits à la région, trois facteurs décisifs
justifient l'intérêt européen et français :
- la densité des relations humaines et économiques qui nous lient
à Israël ;
- le soutien apporté par les Européens aux aspirations des
Palestiniens et l'appui donné aujourd'hui à l'émergence
d'institutions et d'une économie palestiniennes ;
- les intérêts diplomatiques traditionnels (le Liban, notamment
pour la France).
La Conférence de Barcelone de 1995 a permis d'ailleurs de traduire ces
préoccupations sous la forme du partenariat
euro-méditerranéen. Elle n'a pas voulu séparer, et ce fut
d'ailleurs là son originalité, les enjeux économiques de
leur dimension politique. Nos partenaires ont souscrit à cette double
approche. Les accords d'association déjà signés (avec la
Tunisie, Israël, le Maroc) ou en passe de l'être en apportent
d'ailleurs le témoignage.
La perspective de l'examen par le Parlement de l'accord
euro-méditerranéen entre l'Union européenne et Israël
donne encore plus d'acuité à l'intérêt que
présente pour notre pays l'évolution préoccupante du
processus de paix entre Israéliens et Palestiniens. Le souci d'informer
la Haute Assemblée sur une situation complexe a ainsi guidé une
délégation de votre commission des Affaires
étrangères, de la défense et des forces armées lors
d'une mission en Israël et dans les territoires palestiniens du 25 au 29
novembre dernier.
A cette occasion, votre délégation a pu rencontrer, en
Israël, le Président de la Knesset, M. Dan Tichon, l'ancien premier
ministre et président du parti travailliste, M. Shimon
Pérès, plusieurs ministres, des parlementaires
représentant l'ensemble de l'éventail politique, et enfin des
hauts fonctionnaires. Dans les territoires palestiniens, votre
délégation a été reçue par M. Yasser Arafat,
président de l'Autorité palestinienne, ainsi que par certains de
ses ministres. Par ailleurs, des rencontres ont pu être
ménagées avec des acteurs de la vie économique et des
parlementaires.
M.Jean-Noël de Bouillane de Lacoste, ambassadeur de France à Tel
Aviv, MM. Stanislas de Laboulaye, Consul général de France
à Jerusalem et Christian Jouret, consul général adjoint
ont apporté un soutien constant à la délégation et
contribué de façon décisive au succès de cette
mission. Qu'ils en soient ici très vivement remerciés.
Votre délégation se félicite également de
l'initiative prise par l'Ambassade de France d'associer un diplomate allemand
au déroulement de la partie israélienne de cette mission et
souhaite que de telles expériences puissent être
renouvelées pour concrétiser le souci de rapprocher les
diplomaties européennes.
*
Afin de mieux évaluer les perspectives de paix, votre délégation, après avoir pris la mesure des acquis comme des risques qui pèsent aujourd'hui sur le processus lancé à Oslo, s'interrogera sur le rôle joué par l'évolution des situations intérieures en Israël comme dans les territoires palestiniens puis sur l'influence que peut exercer la communauté internationale et la France en particulier.
*
I. LE PROCESSUS DE PAIX : LA CONFIANCE ÉBRANLÉE
Bien que l'évolution du processus ouvert à Oslo continue de susciter aujourd'hui de profondes inquiétudes malgré l'accord sur Hébron signé en janvier 1997, il importe de prendre la mesure des progrès considérables accomplis depuis 1993.
A. TROIS ANNÉES MARQUÉES PAR DE PROFONDES AVANCÉES
Reconnaissance mutuelle des deux ennemis israélien et palestinien, autonomie, certes partielle, des territoires, mise en place d'institutions à Gaza et Jéricho : il paraît difficile de revenir aujourd'hui sur ces acquis, même si le processus n'est aujourd'hui qu'à mi-chemin du terme fixé par les accords d'Oslo.
1. Les accords d'Oslo : le principe d'une reconnaissance mutuelle entre Israéliens et Palestiniens
Au cours de la guerre des Six jours (juin 1967), Israël
s'était rendu maître d'un ensemble de territoires qui ont
porté ses limites bien au-delà des frontières de la
Palestine au moment du mandat britannique :
- les terres destinées, au terme du plan de partage de l'ONU de 1947,
à former un Etat arabe palestinien :
la bande de Gaza
sous
administration militaire égyptienne depuis 1949 (934 000 Palestiniens et
près de 5 000 colons répartis dans une vingtaine d'implantations
en 1995) et la
Cisjordanie
annexée par la Jordanie en 1950 (1,33
million de Palestiniens et 300 000 Israéliens installés dans 156
implantations en 1995).
- le
Golan syrien
, annexé le 14 décembre 1981 et
peuplé de 16 000 Syriens (principalement des Druzes) et de quelque 14
000 Israéliens installés dans 36 colonies ;
- la
péninsule du Sinaï
rendue à l'Egypte dans le
cadre du traité de paix du 26 mars 1979 signé à la suite
des accords de Camp David.
Au Proche-Orient, historiquement, deux conflits sont imbriqués, qu'il
faut prendre garde d'assimiler complètement.
Le premier oppose Israël et ses voisins arabes, le second met aux prises
Israéliens et Palestiniens. Certes, ces deux contentieux
présentent de multiples interactions. Cependant, ils ont, chacun, une
dynamique propre ; ils ne posent pas en effet des problèmes de nature
comparable : Arabes et Israéliens s'affrontent notamment sur des
frontières, Palestiniens et Israéliens s'opposent pour une
même terre.
Si le processus de paix ne soulève pas des enjeux identiques pour les
pays arabes et les Palestiniens, il a paru, à ses débuts,
animé d'un même élan et obéir aux mêmes
ressorts.
a) Une " nouvelle équation stratégique "
Bien que la visite historique d'Anouar el Sadate à
Jérusalem, le 19 novembre 1977, ait rompu avec le principe
même du rejet d'Israël, ouvert la voie et annoncé le grand
ébranlement des années 90, l'initiative égyptienne
était demeurée isolée. Le processus de paix n'a pu
s'instaurer, à l'échelle de la région dans son ensemble,
quinze ans plus tard, que dans un contexte international bouleversé.
Quels furent les éléments de cette nouvelle
" équation stratégique " (Thierry de Montbrial) ?
Trois facteurs principaux de changement sont sans doute intervenus. En premier
lieu, la
rivalité Est-Ouest
a tout à coup perdu son
acuité au Proche-Orient, à la suite de l'effondrement de l'URSS.
Dès lors, pour les pays arabes, l'immobilisme ne pouvait plus tenir lieu
de seule diplomatie possible vis-à-vis d'Israël. De son
côté, l'Etat hébreu se trouvait confronté depuis
1987 à
la révolte quotidienne des jeunes Palestiniens
(l'Intifada),
et commençait à se résigner à une
solution politique. Cette évolution levait une des hypothèques
les plus sérieuses à l'ouverture d'un dialogue entre Israël
et les Etats arabes attachés à la défense de la cause
palestinienne. Enfin
les Etats-Unis désormais maîtres du
jeu
dans la région pouvaient faire pression sur les
différents acteurs pour promouvoir un règlement
négocié et illustrer ainsi les vertus de la diplomatie
américaine dans le " nouvel ordre mondial ".
·
La Conférence de Madrid (30 octobre 1991)
La conférence de paix de Madrid fut le fruit de cette nouvelle donne
stratégique. Elle s'est ouverte le 30 octobre 1991 sous le coparrainage
des Etats-Unis et de la Russie, et a réuni autour d'une même table
Israël, la Syrie, le Liban, l'Egypte et une délégation
jordano-palestinienne. Les Européens se voyaient cantonnés
à un rôle d'observateur. Deux acquis se dégagèrent
des travaux de Madrid. D'une part,
les parties reconnaissaient pour base de
leurs discussions les deux résolutions du Conseil de
sécurité des Nations Unies
:
-
la résolution 242
(1967) demandant le retrait des forces
israéliennes des territoires occupés et la reconnaissance
d'Israël par ses voisins arabes ;
-
la résolution 338
(1973) préconisant l'ouverture de
négociations permettant de mettre en oeuvre la résolution
précédente.
D'autre part, la conférence de Madrid a permis de mettre en place un
cadre durable pour des négociations bilatérales
(israélo-jordaniennes, israélo-libanaises,
israélo-syriennes et israélo-palestiniennes) et
multilatérales sur
cinq questions fondamentales : coopération
et développement économique, environnement, ressources en eau,
réfugiés, contrôle des armements et sécurité
régionale.
Cependant les négociations se sont enlisées. L'exclusion de l'OLP
(Organisation de Libération de la Palestine) du cadre des
négociations, à la demande des Israéliens, ne permettait
pas d'avancer sur la question palestinienne. Dès lors, les discussions
sur les autres sujets marquaient le pas. Il fallut la conjonction de trois
nouveaux facteurs d'évolution pour aboutir au processus d'Oslo.
·
Les négociations d'Oslo (été 1993)
Le pas décisif accompli par les négociations d'Oslo -la
discussion directe entre Israël et l'OLP de Yasser Arafat- consacra
l'évolution progressive des positions de chacune des deux parties. Du
côté palestinien, l'appui donné par M. Yasser Arafat
à Saddam Hussein, au moment de la guerre du Golfe, avait
singulièrement entamé son crédit auprès de la
communauté internationale et des Etats arabes en particulier. Une
nouvelle initiative dans le processus de paix pouvait rendre au chef de l'OLP
son rôle clé dans la région. Elle paraissait
également indispensable pour lever un coin d'espoir pour les
Palestiniens de l'intérieur que l'absence de toute solution politique
pouvait conduire vers des tendances extrémistes comme celles
incarnées par le Hamas (mouvement de résistance islamiste).
Du côté israélien, la montée de ces mouvements
à base politico-religieuse, d'abord considérés sans
défaveur comme un élément de division au sein de l'opinion
palestinienne, paraissait désormais menaçante pour la
sécurité d'Israël. Ce nouvel état d'esprit devait
trouver une traduction concrète à la faveur du nouveau contexte
politique instauré par la victoire du parti travailliste aux
élections de 1992 sur un mandat posant clairement la paix comme le moyen
d'assurer la sécurité. L'organisation de réunions
secrètes à Oslo en 1993 aboutit le 13 septembre à la
déclaration de principe.
Quelle que soit l'importance des facteurs dont l'influence vient d'être
rappelée, rien n'aurait été possible sans la
détermination de personnalités d'exception : Itzhak Rabin, Shimon
Pérès et Yasser Arafat. Du côté israélien,
" il fallait combiner l'imagination de Shimon Pérès et la
crédibilité d'Itzhak Rabin. Sans Shimon Pérès, il
ne se serait peut-être rien passé, sans Itzhak Rabin, ce qui s'est
passé n'aurait pas abouti " (Dominique Moïsi)
1(
*
)
.
b) La déclaration de principe de 1993 : la naissance d'un climat de confiance
Qu'elle soit invoquée pour en stigmatiser le
caractère vague ou pour en dénoncer les violations, la
déclaration de principe Israël-OLP signée à
Washington le 13 septembre 1993 demeure la référence centrale
dans les relations entre Israéliens et Palestiniens.
Certes le texte
vaut sans doute moins par son contenu que par ce qu'il consacre et ce qu'il
annonce. D'une part en effet il scelle le principe, essentiel,
d'un dialogue
direct
entre les deux acteurs principaux. D'autre part, s'il prend soin de
n'arrêter aucune option définitive sur l'avenir, il ouvre
cependant
un processus de négociation
et en fixe le cadre.
A cet égard, il consacre avant tout la reconnaissance mutuelle des deux
partenaires, mais il présente deux autres acquis incontestables.
En premier lieu,
il prévoit, à l'issue d'une période
transitoire n'excédant pas cinq ans, un accord permanent
reposant
sur les résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité de
l'ONU.
En second lieu, il prépare pendant cette période transitoire,
la mise en place d'une autonomie progressive d'une partie des territoires
palestiniens occupés en 1967
. A ce titre il fixe cinq étapes
principales :
-
le retrait des forces militaires israéliennes de la bande de Gaza
et de la zone de Jéricho
dans des conditions
déterminées par un accord signé dans les deux mois suivant
l'entrée en vigueur de cette déclaration de principe ;
-
le transfert d'autorité,
dès le redéploiement
militaire, du gouvernement militaire israélien et de son administration
civile aux Palestiniens désignés par l'OLP dans des domaines
précisément délimités (éducation et culture,
santé, affaires sociales, taxation directe et tourisme) ;
-
la signature d'un accord sur la période intérimaire
précisant notamment la structure d'un conseil élu pour les
Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza ;
-
l'élection du conseil
de l'autonomie dans les neuf mois suivant
l'entrée en vigueur de la déclaration de principe ; cette
institution chargée de l'ensemble des pouvoirs transférés
aux Palestiniens pourra en outre mettre en place les structures
nécessaires au développement économique et d'autre part
établir une " puissante force de police ", Israël
conservant une double responsabilité dans le domaine de la
défense et de la " sécurité globale " des
Israéliens ;
-
les négociations sur le statut permanent
prévues, au
plus tard, au début de la troisième année de la
période intérimaire ; elles doivent couvrir l'ensemble des
questions en suspens, en particulier
Jérusalem
,
les
réfugiés
,
les implantations
,
les arrangements de
sécurité, les frontières, les relations et la
coopération avec les autres Etats voisins.
En outre la déclaration de principe institue deux instances de
coopération commune : un
comité conjoint de liaison
pour
traiter de l'ensemble des questions d'intérêt commun et un
comité de coopération
économique
pour
développer des
programmes de développement commun.
Ce
dernier volet revêt une importance particulière comme en
témoignent les deux annexes qui lui sont consacrées.
Les deux parties s'engagent notamment à coopérer dans le cadre
des négociations multilatérales pour promouvoir un programme de
développement à l'échelle de la région.
L'économie constitue de la sorte le terrain privilégié
d'une oeuvre commune à concrétiser.
En un mot, la déclaration de principe ne contient aucun engagement sur
le devenir futur de l'entité palestinienne mais traduit une
volonté politique forte
. A cet égard le préambule
de la déclaration mérite sans doute d'être
cité : " (les parties conviennent)
de mettre fin à
des décennies de confrontation et de conflit, de reconnaître leurs
droits légitimes et politiques mutuels, de s'efforcer de vivre dans la
coexistence pacifique, la dignité et la sécurité, et
d'aboutir à un accord de paix juste, total et durable ainsi qu'à
une réconciliation historique ".
Le texte présente ainsi les forces et les faiblesses d'un
contrat de
confiance.
Les parties n'ont accepté de s'engager dans ce processus que parce qu'il
ne fermait aucune voie. "
Les accords obtenus durant la période
intérimaire ne doivent pas porter préjudice au résultat
des négociations sur le statut permanent, ou l'anticiper
(article
5) ". Mais cette indétermination, condition indispensable pour
qu'une dynamique de dialogue s'enclenche, ne permet pas d'opposer de garde-fou
quand le processus s'enraie faute d'une réelle volonté.