Section V - La troisième partie de la session ordinaire (STRASBOURG - du 26 au 30 juin 1995)
A. - Introduction.
L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe s'est réunie à Strasbourg, du 26 au 30 juin 1995 pour la troisième partie de sa session ordinaire.
Au cours de cette session, l'Assemblée a entendu des allocutions des personnalités suivantes :
- M. Geir HAARDE, président du Conseil Nordique ;
- M. Maris GAILIS, Premier ministre de la Lettonie ;
- M. Ingvar CARLSSON, Premier ministre de Suède ;
- M. Frank SWAELEN, Président du Sénat de Belgique et Président de l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) ;
- M. Ahmed FATHY SOROUR, Président de l'Assemblée du peuple de l'Egypte et président du Conseil interparlementaire de l'UIP ;
- M. Adam STRUZIK, Président du Sénat de Pologne ;
- M. Erling OLSEN, Président du Parlement danois ;
- M. Mario FRUCK, chef du gouvernement de la Principauté du Liechtenstein ;
- M. Muhamed SACIRBEY, ministre des affaires étrangères de la République de Bosnie-Herzégovine ;
- Lord Mackay of CLASHFERN, Lord chancelier du Royaume Uni et président de la Chambre des Lords.
Le rapport d'activité du Bureau et de la Commission Permanente (Rapport 7335 et addenda I et II) a été présenté par Mme ANTTILA (Finlande, parti du centre).
La communication du comité des ministres a été présentée par M. Josef ZIELENIEC, ministre des affaires étrangères de la République tchèque, président en exercice du Comité des ministres, qui a répondu à une question de M. Jean VALLEIX, député (RPR).
Les délibérations de l'Assemblée ont successivement porté sur les points suivants :
- Fonds de développement social du Conseil de l'Europe : Rapport 7321 et Avis 7323 - Recommandation n° 1273 - Intervention de M. Jean VALLEIX, député (RPR) ;
- Activités de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement en 1994 : Rapport 7319 et Résolution n° 1064 ; interventions de MM. Claude BIRRAUX, député (UDF) et Jean VALLEIX, député (RPR) ;
- Projet de charte européenne des régions de montagne : Rapport 7319 de M. Jean BRIANE, député (UDF) et interventions de M. Claude BIRRAUX, député (UDF) et de Mme Josette DURRIEU, sénateur (S.) - Recommandation n° 1275 ;
- Lutte contre le racisme , la xénophobie , l'antisémitisme et l'intolérance : contribution de l'Assemblée à la campagne du Conseil de l'Europe : Rapport 7318, Avis 7337 et interventions de MM. Jean VALLEIX, député (RPR) et Louis JUNG, sénateur (UC) - Directive n° 511 et Recommandation n° 1275 ;
- Situation en Bosnie-Herzégovine : Rapport 7336, Avis 7342 Interventions de MM. Jean SEITLINGER, député (UDF) et Jacques BAUMEL, député (RPR). Lord FINSBERG ayant déposé un amendement proposant une nouvelle rédaction du projet de résolution de la commission des questions politiques, l'Assemblée est appelée à se prononcer par appel nominal, sur demande de M. Jacques BAUMEL, député (RPR). Faute de quorum, le vote a été reporté ;
- Pouvoir de l'image : Rapport 7314 - Recommandation n° 1276 ;
- Migrants , minorités ethniques et médias : Rapport 7322 Recommandation n° 1277. Intervention de M. Bernard SCHREINER, député (RPR).
L'Assemblée a, par ailleurs, donné un avis favorable à l'adhésion au Conseil de l'Europe de deux nouveaux membres pléniers, jusqu'à Présent seulement représentés à titre d'invité spécial :
- la Moldova (Rapport 7278 et Avis 7325). Mme Josette DURRIEU, sénateur (S.) a présenté l'Avis 7331, au nom de la commission des pays non membres, l'Assemblée adoptant finalement l'Avis n° 188 ; intervention de M. Gabriel KASPEREIT, député (RPR) ;
- l'Albanie - Rapport 7304 et Avis 7339 de M. Jean SEITLINGER, député (UDF), l'Assemblée adoptant l'Avis n° 189.
À la suite de ces deux avis favorables adressés au Comité des ministres, la Moldova et l'Albanie sont appelées à devenir, après les cérémonies de signature du Traité, les 35 e et 36 e États membres pléniers du Conseil de l'Europe, tandis que leurs Parlements enverront à l'Assemblée de l'Organisation respectivement cinq et quatre délégués titulaires et autant de suppléants.
En marge de cette partie de session s'est déroulée, le 29 juin 1995, la cérémonie d'inauguration du nouveau Palais des Droits de l'Homme, bâtiment dû à l'architecte britannique Richard Rogers, qui abritera désormais la Commission et la Cour européenne des Droits de l'Homme, organes de contrôle de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales de 1950, dite « Convention européenne des Droits de l'Homme ».
C'est M. Vaclav HAVEL, Président de la République Tchèque, État exerçant alors la Présidence du Comité des ministres du Conseil de l'Europe, qui a prononcé la principale allocution tandis que la France était représentée par M. Jacques TOUBON, Garde des Sceaux. M. Miguel Angel MARTINEZ, Président de l'Assemblée parlementaire et M. Daniel TARSCHYS, Secrétaire général du Conseil de l'Europe, ont également prononcé des allocutions, ainsi que MM. Adama DIENG, Secrétaire général de la Commission internationale des juristes, Carl Aage NORGAARD, Président de la Commission européenne des Droits de l'Homme, Rolv RYSSDAL, Président de la Cour européenne des Droits de l'Homme, et Mme Catherine TRAUTMANN, Maire de Strasbourg.
B. - Le rapport d'activité du Bureau et de la Commission permanente. ( Lundi 26 juin 1995. )
L'Assemblée, après avoir entendu la récapitulation des décisions prises, en son nom, par le Bureau et la Commission permanente depuis la dernière partie de session, a donné acte du Rapport 7335 et ad I et II).
C. - Le Fonds de développement social du Conseil de l'Europe. Intervention de M. Jean VALLEIX, Député (RPR). ( Lundi 26 juin 1995. )
Le Rapport 7321 qui retrace l'activité du Fonds en 1994-1995 complété par l'Avis 7321, expose que :
l'Assemblée a tenu son dernier débat sur le Fonds le 26 janvier 1994 et adopté à l'issue de ce débat la Recommandation 1230 qui préconise un certain nombre de mesures concernant le fonctionnement du Fonds et demande que des informations aussi complètes que possible lui soient transmises pour lui permettre de formuler des recommandations appropriées.
Elle a également adopté la Directive n° 494 par laquelle elle charge la commission des migrations, des réfugiés et de la démographie de suivre de près, en coopération avec d'autres commissions compétentes, les activités du Fonds, et de lui faire régulièrement rapport. Le présent document vise à informer l'Assemblée de l'évolution du Fonds, une attention particulière étant accordée au suivi de la Recommandation 1230.
Le rapporteur souligne que, conformément à l'esprit et à la lettre de la recommandation, M. Dalla Chiesa, président du Comité de direction du Fonds, a tout mis en oeuvre pour engager le dialogue avec les rapporteurs des trois commissions concernées. Les organes du Fonds ont, selon M. Dalla Chiesa, progressivement mis en oeuvre toutes les nouvelles dispositions d'ordre pratique et opérationnel du statut révisé qui ne sont pas en contradiction avec le texte en vigueur. Il n'en reste pas moins que bien des points ne pourront être clarifiés que lorsque le statut amendé entrera en vigueur. Il est donc regrettable que trois États membres n'aient pas encore achevé la procédure de ratification du nouveau statut.
Outre les irrégularités détectées par les rapports d'audits internes de 1992, de nouvelles pertes, s'élevant à plusieurs millions d'ECU, ont dû être constatées. Aussi un audit général des prêts globaux octroyés pendant la période 1985-1993 est-il en cours. De plus, de strictes règles de contrôle ont été mises en place, qui resteront en vigueur aussi longtemps que des déboursements globaux demeureront possibles.
Le rapporteur rappelle que l'Assemblée avait recommandé aux pays qui ne l'ont pas encore fait de contribuer à la quatrième augmentation du capital du Fonds, décidée en 1990. Il est fort décevant de constater que, parmi les pays d'Europe centrale et orientale, seules la Slovénie et la Bulgarie soient devenues membres du Fonds en 1994. Quant au compte d'urgence ouvert en 1993, il n'a reçu que deux contributions. Dans ce contexte, le Fonds s'est fixé l'objectif d'ouvrir un « compte fiduciaire » pour remplacer le compte social et le compte d'urgence par un seul système unifié de financement.
Par ailleurs, des dispositions ont été prises pour relancer le Fonds. Il va sans dire que cette relance suppose le renforcement de sa base financière. Une véritable volonté de solidarité doit se manifester. Or, le capital souscrit à la fin de 1994 a atteint 1,2 milliard d'ECU, dont 142,5 millions sont libérés. Mais 21,6 millions d'ECU, soit 1,8 % du capital souscrit, ont effectivement été virés par les États membres. Le reste a été transféré des réserves du capital. D'une manière générale, le rapporteur partage entièrement l'opinion exprimée par M. Davis qui observe, dans son avis, qu'il serait paradoxal qu'après autant d'efforts déployés pour assainir la situation du Fonds, celui-ci se voie empêché de remplir sa mission.
Sur le plan international, les liens ont été notablement renforcés entre le Fonds et l'Union européenne, la BERD et la BEI. Cette politique de coordination qui a déjà eu des effets pratiques doit être poursuivie.
De toute évidence, 1994 et 1995 seront, pour le Fonds, des années de transition.
Le rapporteur a constaté avec une certaine surprise que 14,9 % seulement du total des prêts approuvés en 1994 correspondent apparemment à l'objectif prioritaire du Fonds et qu'en outre aucune demande de prêt n'a été approuvée dans le domaine de l'aide aux réfugiés et migrants.
Au cours de la discussion qui s'instaure après la présentation du Rapport et de l'Avis 7323, M. Jean VALLEIX, Député (RPR) a formulé les observations suivantes :
« L'importance de ce débat est éclatante, surtout après les discours de nos deux collègues de Pologne et de Hongrie, qui nous ont rappelé leurs difficultés et ce qu'ils sont en droit d'attendre du Fonds de développement social.
« C'est une raison de plus pour sacrifier à la tradition et adresser nos compliments à M. Brito, lesquels ne sont pas de pure forme, car son excellent rapport fait le point avec précision et objectivité sur l'évolution très positive qu'a connue le Fonds de développement social, après une remise en ordre, il y a deux ans, laquelle s'imposait, ô combien.
« Je profite également de cette occasion pour Saluer M. le Président Dalla Chiesa et féliciter le gouverneur et le directeur général de leurs actions.
« Je ne reviendrai pas sur le passé, préférant me borner à souligner le sérieux qui a présidé à la relance du Fonds, que nous devons aujourd'hui concrétiser, dans l'intérêt même du Conseil de l'Europe, organisation en quelque sorte tutélaire du Fonds de développement social, organisme financier tout à fait original, puisqu'il s'agit, en fait, d'une banque à vocation sociale.
« Dans le rapport qu'il a présenté au mois d'avril dernier au Gouvernement français, notre collègue M. Mignon a particulièrement insisté sur la notion de partenariat qu'il conviendrait de développer dans les relations entre le Conseil de l'Europe et les autres institutions européennes, en particulier l'Union européenne, mais aussi la BERD et 1'OCDE.
« Dans cet esprit, le Fonds de développement social a un rôle de premier plan à jouer. Il est indispensable de renforcer ses moyens d'action. Pour répondre aux besoins urgents de nombreux pays européens confrontés à des situations inédites de crise, le Fonds doit disposer de l'assise financière nécessaire. Je lance donc un appel aux gouvernements - cette demande a déjà été très largement développée - en ce qui concerne aussi bien les signatures que requiert encore la convention que leur participation au Fonds, notamment par la mise en oeuvre et l'approvisionnement du compte fiduciaire.
« Comme le souligne le rapporteur, le Fonds de développement social est le seul instrument financier européen dans le domaine social. Cela lui confère une place de premier plan dans les stratégies d'intervention, notamment dans les régions en crise où les populations doivent affronter d'immenses difficultés.
« Le Fonds de développement social joue aussi un rôle dans d'autres domaines, comme celui de l'environnement - pourquoi ne pas le rappeler ?
« Le Fonds est, par ailleurs, l'instrument performant d'actions concrètes à portée humaine et sociale. L'Assemblée parlementaire doit donc lui apporter un ferme soutien et l'encourager dans ses efforts, comme l'a préconisé M. le rapporteur, afin que l'on puisse mener à bien la phase nouvelle dans laquelle il est entré et diversifier ses actions.
« À ce point de mon exposé, je voudrais appeler l'attention du rapporteur sur la deuxième partie de l'alinéa c du paragraphe 7.iv du projet de recommandation, qui indique : « et que toute disposition particulière décidée par le Conseil d'administration respecte l'esprit de ce statut ; ». Je ne vois pas très bien quel est le problème posé.
« En revanche, il me semble très important que l'esprit de partenariat se manifeste par une collaboration et une concertation accrues, notamment avec la BERD, la BEI, et la Banque mondiale. C'est pourquoi j'ai déposé un amendement tendant à mettre en place un mécanisme de coordination, qui me paraît indispensable si l'on veut éviter les doubles emplois et optimiser les ressources.
« Ainsi, la question cruciale demeure d'assurer au Fonds de développement social les moyens indispensables et de le faire entrer dans ce partenariat avec ses structures existantes.
« Le Conseil de l'Europe dispose, avec le Fonds de développement social d'un instrument d'action privilégié et d'une expérience irremplaçable sur le terrain. Donnons-lui les moyens de remplir la mission originale qui est la sienne, quitte à la moderniser et à l'actualiser.
« Quoi qu'il en soit, il est de notre compétence, et de l'intérêt de tous pour l'Europe, qu'une impulsion politique soit donnée sous forme d'assistance économique et financière. Tout ce qui permettra une meilleure synergie entre les principaux acteurs du développement sera de bon augure pour la démocratie, dont les composantes économique et sociale ne doivent jamais être dissociées. »
À l'issue du débat qui porte sur le Rapport 7321 et l'Avis 7323, l'Assemblée a adopté la Recommandation 1273, modifiée par un amendement de MM. Jean VALLEIX, Député (RPR) et Bernard SCHREINER, Député (RPR) ayant pour but « de bien rappeler la vocation sociale du Fonds de développement social, par rapport à toutes les autres structures européennes en matière de banque ou de financement, mais aussi de souligner le rôle de coordination que joue cet organisme, afin d'éviter les doubles emplois et d'accroître l'efficacité de nos interventions. »
L'amendement de MM. Jean VALLEIX et Bernard SCHREINER, ainsi libellé : « Dans le projet de recommandation paragraphe 7, insérer un nouvel alinéa rédigé comme suit :
« de favoriser la mise en place d'un mécanisme de coordination entre les activités de l'Union européenne (y compris la Banque européenne d'investissement), la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, la Banque mondiale et le Fonds de développement social du Conseil de l'Europe, en vue d'une plus grande efficacité et d'une meilleure prise en compte de la spécificité du Fonds, seul instrument financier, à vocation européenne, dans le domaine social ». « a en effet été adopté à l'unanimité.
D. - La demande d'adhésion, au Conseil de l'Europe de la Moldavie. Avis de Mme Josette DURRIEU, Sénateur (S.) et intervention de M. Gabriel KASPEREIT, Député (RPR) - Discours de M LUCINSCHI, Président du Parlement de la Moldavie. ( Mardi 27 juin 1995. )
Après la présentation du Rapport 7278 et de l'Avis 7325, Mme Josette DURRIEU, Sénateur (S.) a présenté l'Avis 7331 au nom de la Commission des relations avec les pays européens non membres en formulant les observations orales suivantes :
« - Monsieur le Président, je fais mienne la déclaration du Rapporteur qui se réjouissait d'accepter un nouveau pays au sein du Conseil de l'Europe, lequel sera donc le trente-cinquième.
« J'ai le plaisir de vous indiquer que la commission des relations avec les pays européens non membres a émis un avis favorable au rapport présenté par Lord Finsberg et à l'adhésion de la Moldova au Conseil de l'Europe.
« Je me suis rendue à deux reprises dans ce pays avec les trois rapporteurs et les membres de la commission une première fois en février 1994, en qualité d'observateur, la seconde en janvier 1995. En un an, j'ai pu constater les efforts et les progrès réalisés par ce pays et ses dirigeants, notamment après les élections de février 1994. Je salue à ce titre le président du Parlement moldave, M. Lucinschi.
« Les efforts, pour bâtir un État de droit, ont été spectaculaires et les fondements de cet État de droit sont solides. En matière juridique et politique, le travail a été réalisé dans des conditions certainement bien plus difficiles que pour les autres pays sur lesquels nous nous sommes penchés.
« La Moldova est un petit pays qui a de petits moyens et qui doit supporter des forces contraires : tendance unioniste en direction de la Roumanie, tendance séparatiste - Gagaouze, Transnistrie - et cela en présence d'une armée étrangère, la quatorzième armée russe. La tâche, pourtant très difficile, a été bien menée.
« En effet, cela a été fait avec intelligence et avec un sens démocratique et stratégique que nous devons saluer. Les résultats sont donc positifs.
« Toutefois, comme vient de le souligner le Rapporteur, il y aura toujours des améliorations à apporter. Puisque l'orateur précédent a fait référence à la Révolution française, je rappelle que, depuis 1791, date de la première Constitution en France, nous en sommes aujourd'hui à la quinzième, à la seizième, voire à la dix-huitième. C'est une réalité dont il convient de se souvenir. Par conséquent ; quel que soit le pays, des améliorations sont toujours nécessaires. La République moldave en connaîtra, mais nous la félicitons pour ce qu'elle a déjà accompli en un minimum de temps.
« Je souhaiterais insister sur l'aspect économique de ce pays, dont le redressement a été spectaculaire. Le mot n'est pas trop fort puisque, au sein de l'OCDE, la Moldova est considérée comme l'un des meilleurs "élèves de la classe".
« L'inflation y est aujourd'hui de 0,7 % ; la monnaie est stable et les taux d'intérêt sont passés, en 1995, de 367 % à 27 %. Ils seront peut-être de 15 % ou de 10 % d'ici à la fin de l'année. De plus, les privatisations sont bien engagées. Tout cela est très positif. Cependant il existe d'énormes problèmes dans le domaine industriel.
« Je veux aussi souligner l'attachement profond de la Moldavie aux institutions européennes, sa volonté de les intégrer et de devenir membre du Conseil de l'Europe.
« Ce pays a été confronté à trois problèmes difficiles à gérer : celui de l'indépendance, celui de l'intégrité territoriale et celui de la souveraineté.
« Le problème de l'indépendance a été réglé par un verdict populaire. Les Moldaves veulent être indépendants et ne souhaitent pas l'union avec la Roumanie.
« La question de l'intégrité du territoire est liée à la Gagaouzie et à la Transnistrie.
« En ce qui concerne la Gagaouzie, la question est réglée. Il s'agit d'une entité autonome au plan territorial dans la République de Moldavie. Le problème était essentiellement ethnique et il a été réglé d'une façon assez surprenante en termes de démocratie et de stratégie. Il peut avoir une valeur d'exemple pour d'autres pays, comme la Tchétchénie ou la Croatie.
« Pour ce qui est de la Transnistrie, la situation est plus complexe, mais elle évolue. Une rencontre prochaine serait prévue au mois de juillet et les négociations semblent avancer. Le statut futur de la Transnistrie sera fondé sur une large autonomie, mais les autorités moldaves ne transigeront pas en ce qui concerne ces trois points : la frontière unique, la monnaie unique et une politique extérieure et une armée unique. Tout le reste est négociable : trois langues officielles possibles - le moldave, le russe et l'ukrainien - un ministre et un Vice-Premier ministre de Transnistrie dans le Gouvernement moldave, ainsi qu'un représentant dans les ambassades, un drapeau et une mention " Transnistrie " sur le passeport.
« La discussion avance. Le problème du statut peut être réglé d'ici à la fin de l'année, au plus tard en 1996.
« Quant au problème de la souveraineté et de la présence de la quatorzième armée russe, la Moldavie a proclamé, dans l'article 11 de sa Constitution, sa neutralité permanente et le refus de la présence de troupes militaires étrangères sur son territoire. Cette armée doit donc quitter le territoire moldave. Un accord a été signé en ce sens en octobre 1994, mais il n'est pas encore ratifié. MM. Eltsine et Snegur se rencontrent demain. Les choses avancent donc.
« Adhérer au Conseil de l'Europe est le voeu de la Moldavie. L'accepter doit être notre volonté, afin de soutenir et de consolider cet État contre ceux qui menaceraient un État de droit reconnu par l'ensemble des pays qui siègent au Conseil de l'Europe. »
Dans le débat qui suit la présentation de l'Avis de Mme Josette DURRIEU, Sénateur (S.) et des autres rapports, M. Gabriel KASPEREIT, Député (RPR) a pris la parole dans les termes suivants :
« Avec la demande d'adhésion de la Moldova au Conseil de l'Europe, le processus d'élargissement engagé dans les années 1989-1990 se poursuit. Je m'en réjouis, car cette évolution fait du Conseil de l'Europe une organisation véritablement paneuropéenne, un forum de dialogue politique à l'échelle du continent tout entier, et c'est bien ce qui le distingue de l'Union européenne.
« Dans son excellent rapport. Lord Finsberg a fort bien rappelé le contexte extérieur dans lequel se situe cette demande d'adhésion.
« Il faut, en effet, souligner les efforts considérables entrepris par les autorités de Moldova pour que cette candidature soit crédible. La Moldova s'est résolument engagée dans un processus de transition démocratique et parlementaire que les élections législatives du 27 janvier de l'année dernière ont consacré. Une nouvelle Constitution a été adoptée en juillet 1994 et un statut juridique spécial a été octroyé à la Gagaouzie.
« D'autres mesures significatives sont à l'étude en collaboration avec le Conseil de l'Europe, qui a remarquablement joué son rôle d'assistance et d'expertise.
« Certes, la Moldova connaît des difficultés spécifiques. Le retrait de la quatorzième armée russe, dont nous avons parlé, n'est pas le plus mince des problèmes. Nous nous réjouissons de l'accord de retrait signé en octobre dernier, mais nous demandons à nos collègues russes de faire en sorte que la Douma ratifie au plus vite cet accord.
« Quant à la Transnistrie, elle ne doit pas être un frein à l'adhésion de la Moldova. Lors du référendum du 6 mars 1994, 95 % de la population se sont prononcés pour une république indépendante. En outre, il est clair, et je rejoins sur ce point l'analyse de notre rapporteur, que l'adhésion de la Moldova au Conseil de l'Europe ne peut que renforcer la démocratie, l'État de droit et la stabilité politique dans la région.
« Certes, le Conseil de l'Europe, en s'élargissant, se trouve confronté au problème du maintien à haut niveau de ces critères et de ces standards. S'il adoptait une attitude restrictive, bien des pays ne pourraient adhérer avant longtemps. Il est donc préférable de mener de front les adhésions et la consolidation de la démocratie. Les deux démarches sont liées. L'essentiel est d'éviter que ne se créent des « doubles standards », c'est-à-dire une Europe des droits de l'homme à deux vitesses. Nous avons beaucoup d'efforts à accomplir pour parvenir à un vaste espace juridique et démocratique en Europe.
« À ce propos, une question se pose sur laquelle, Monsieur le Président, j'appelle votre attention. Je viens d'apprendre que la Moldova vient de signer la Convention des droits de l'homme élaborée Par la Russie pour la CEI. Cette convention est-elle compatible avec celle qui est notre loi fondamentale ? C'est une question qu'il faut éclaircir sans tarder car une incompatibilité rendrait inapplicable 1'adhésion sur laquelle nous allons nous prononcer.
« N'oublions pas que la sécurité n'est pas seulement une affaire militaire. Elle repose aussi largement sur la stabilité que créent les structures démocratiques et le respect des droits de l'homme et des minorités.
« Des efforts restent à accomplir en Moldova. Mais ce pays s'est engagé à poursuivre et à renforcer sa marche vers un État moderne et démocratique.
« C'est pourquoi je souhaite que notre Assemblée émette un avis favorable à la demande d'adhésion de la Moldova. »
Répondant aux orateurs, Mme Josette DURRIEU, Sénateur (S.) a déclaré avoir noté avec satisfaction que toutes les interventions étaient favorables à l'adhésion de la Moldova et que, à propos des quelques problèmes évoqués, les orateurs ont partagés les observations du Rapporteur pour avis.
« Il importe, en conclusion de cette discussion, de dire que cet État a besoin de tout notre soutien pour affirmer son droit à l'indépendance, à l'intégrité territoriale et à la souveraineté. Même si des problèmes restent en suspens, le Conseil de l'Europe ayant exprimé sa volonté d'aider la Moldova, de l'accompagner dans sa démarche vers une amélioration de la situation qu'elle connaît, je continue à affirmer la nécessité de nous prononcer immédiatement en faveur de l'adhésion de ce pays. »
Ainsi, à l'issue du débat qui a porté sur le Rapport 7278 et les Avis 7325 et 7331, l'Assemblée a adopté, à l'intention du Comité des ministres, un Avis 188, favorable à l'adhésion de la Moldavie au Conseil de l'Europe.
Aussitôt acquis ce vote favorable, le Président du Parlement de la Moldavie, M. LUCINSCHI a pris la parole devant l'Assemblée en ces termes :
« Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, c'est un grand honneur pour moi d'être invité à prendre la parole devant vous. Je le fais avec un plaisir encore plus particulier maintenant que l'Assemblée parlementaire a exprimé un avis favorable à l'adhésion de la République de Moldova au Conseil de l'Europe.
« Honorable assistance, je suis fier de représenter devant vous un peuple patient et laborieux. L'histoire de la Moldova n'est pas récente, puisque ses racines remontent au XIV e siècle ; malheureusement, le développement et la sécurité de notre pays n'ont pas toujours été favorables ni avantageux pour le peuple moldave.
« Notre joie et notre reconnaissance sont encore plus profondes aujourd'hui que nous nous trouvons tout près d'adhérer, en tant que membre à part entière, à une famille unie et démocratique.
« Je vous prie d'agréer l'expression de toute notre gratitude et l'assurance que le peuple de la République de Moldova fera tous ses efforts pour perpétuer des valeurs démocratiques et édifier une Europe libre et prospère.
« Permettez-moi d'exprimer notre reconnaissance à M. Miguel Angel Martinez et à M. Daniel Tarschys qui ont pris connaissance, sur place, des réalités existantes dans la République de Moldova et qui nous ont encouragés à promouvoir les réformes, en appréciant les efforts accomplis pour la démocratisation de la société moldave. D'une manière particulière, je tiens à remercier les rapporteurs de l'Assemblée, Mme Durrieu, Lord Finsberg, MM. Columberg et Jeszenszky, et tous ceux qui ont plaidé en faveur de l'adhésion de la Moldova à la famille des démocraties européennes.
« Depuis quatre ans, nous avons opté pour un État indépendant et nous avons plaidé pour la démocratie et l'intégration de notre pays dans les structures européennes.
« À l'évidence, cette transformation n'aurait pas pu se faire sans un consensus national et une coopération prodigieuse entre la Moldova et les États membres du Conseil de l'Europe, ce prestigieux forum européen.
« Nous savons que certains d'entre vous émettent des réserves en ce qui concerne la situation dans la région de l'est de la République. Je vous assure que nous ferons tous nos efforts pour solutionner également par la voie politique le problème de la Transnistrie. Malgré les nombreuses difficultés, le processus de négociation continue, avec la participation des autorités de Chisinau, de Tiraspol et des représentants de l'OSCE et du Président de la Russie.
« Nous sommes conscients du fait que certains processus démocratiques se développent beaucoup plus lentement que nous le voudrions, l'une des causes étant le manque de traditions démocratiques.
« L'adhésion de la République de Moldova au Conseil de l'Europe constitue un progrès par le fait que les nouveaux États indépendants, les petits et les moyens pays retrouvent leur respiration naturelle dans le circuit des valeurs universelles. Un tel ordre est très important pour notre pays, qui doit encore résister aux graves conséquences d'une politique édifiée sur la détermination arbitraire des zones d'influence, sur le totalitarisme et l'intolérance.
« Avant de conclure, je tiens à vous assurer que la République de Moldova contribuera, dans la mesure de ses possibilités, à la consolidation du code moral universel, réfractaire à la menace de la force, à l'arrogance dans le domaine des relations entre les grands États et les petits États, en rejetant les vestiges de tout principe discriminatoire et en stimulant les authentiques valeurs juridiques, politiques et morales.
« Je tiens à exprimer ma conviction que les représentants du Parlement de notre pays au Conseil de l'Europe contribueront d'une manière active à l'élaboration de la législation européenne et que la Moldova deviendra un partenaire constructif, disposé à respecter et à promouvoir les principes et les valeurs du Conseil de l'Europe. »
E. - Le rapport d'activité de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement BERD pour 1994 - Interventions de MM. Claude BIRRAUX, Député (UDF) et Jean VALLEIX, Député (RPR) - et exposé de M. LE BLANC, Vice président de la BERD. ( Mardi 27 juin. )
Le Rapport 7319 sur les activités de la BERD en 1994.
BERD est le fruit de l'accord de coopération conclu en 1992 entre l'Assemblée parlementaire et la Banque. Cette dernière présente une particularité intéressante : l'existence d'un lien dans les pays qu'elle aide entre le rôle de promotion économique sur le terrain et le contrôle des droits de l'homme. Ce double mandat est défini statutairement.
La BERD aide certains pays en vue de permettre la transition vers une économie de marché. Ce rôle de transition s'accompagne d'un rôle de catalyseur des investissements en provenance de l'étranger.
En 1994, la BERD a procédé à une restructuration interne rendue nécessaire par les excès survenus au cours de ses deux premières années d'existence. Le redressement effectué par le nouveau président doit être salué.
Des progrès sont encore réalisables. Ainsi, la BERD aide un nombre trop limité de pays parmi les plus pauvres d'Europe centrale et orientale. Pour élargir son champ d'activités, elle doit suivre de près l'évaluation interne de tous les pays et leurs besoins en investissements étrangers.
Des critères précis seront à redéfinir pour trouver un bon équilibre entre le soutien à la transition économique et le contrôle des droits de l'homme.
Une politique plus volontariste doit être menée en matière d'environnement, particulièrement dans le domaine des économies d'énergie.
Les moyens de la Banque sont limités. Des priorités devront dès lors être définies et des actions devront être coordonnées avec d'autres banques. Il sera peut-être nécessaire d'envisager une augmentation du capital.
Les réalisations de la BERD prennent place de manière satisfaisante parmi celles des autres opérateurs financiers dans les pays de l'Est. Le débat d'aujourd'hui devra envisager un développement de son activité et tenter d'améliorer encore le rôle de la Banque.
Dans le débat qui suit la présentation de ce Rapport, M. Claude BIRRAUX, Député (UDF) a pris la parole en ces termes :
« - Monsieur le Président, mes chers collègues, je tiens d'abord à remercier M. Leers pour la qualité et la densité de son rapport oral.
« Le devenir des pays d'Europe centrale et orientale, l'importance géopolitique et stratégique de la transition économique de ces pays, les moyens mis en oeuvre pour les aider dans cette transition occupent bien sur le devant de la scène dans ce débat sur les activités de la BERD.
« Je comprends parfaitement qu'il faille chercher avec attention les dix lignes consacrées au compte pour la sûreté nucléaire, objet de l'intérêt constant de la commission de la science et de la technologie.
« Pour une bonne compréhension du sujet et des actions engagées, il me paraît utile de rappeler les principes fondateurs.
« En juillet 1992, au Sommet de Munich, le G7 s'est prononcé en faveur de la fermeture des centrales les plus dangereuses et a adopté le principe d'un fonds multilatéral d'urgence.
« En février 1993 est créé le Fonds multilatéral du G7 destiné à financer les besoins immédiats d'amélioration des centrales, exclusivement sous forme de prestation de services et d'équipements.
« Immédiatement après le Sommet de Munich, la BERD a épaulé le G7 dans la mise au point juridique de ce fonds qui doit répondre à des objectifs précis de rapidité et de souplesse quant à sa mise en oeuvre, d'autonomie des processus de décision, - placés entre les mains des contributeurs - et de coordination des efforts bilatéraux avec le G24. En mars 1993, cette formule, dans son principe et ses applications, a été approuvée par le conseil d'administration de la Banque.
« Au Sommet de Tokyo, en juillet 1993, le G7 a réaffirmé l'urgence de mesures de sécurité et de la fermeture de Tchernobyl.
« Dans le rapport de la Banque pour 1994, il est signalé qu'un projet a été signé avec la Lituanie concernant la centrale d'Ijnalina et que deux projets sont prévus en Russie.
« Pour ne pas lasser l'Assemblée, je ne rappellerai pas, en langage technocratique, les dispositions qui définissent les relations entre le G7, la BERD, le G24 et l'Union européenne - c'est une langue étrangère, même pour leurs auteurs - mais je vous dirai ma très grande perplexité sur la signification du mot « urgence » et sa compréhension à travers le monde.
« Notre rapporteur parle du projet de Mochovce en Slovaquie, qui est un projet pour 1995. Je crois utile, pour éclairer le débat, d'apporter quelques informations complémentaires.
« S'agissant de la justification économique, les tranches 1 et 2 de Mochovce sont achevées respectivement à 90 % et 75 % . La construction commencée à la fin des années 80 a été arrêtée en 1991. Elle repose sur la base des modèles les plus évolués, des VVER 213. Quelle autorité pourrait imposer un autre choix à la Slovaquie ?
« Le projet consiste, à partir d'une analyse de sûreté conduite par un organisme franco-allemand, à préconiser des mesures correctives pour les points faibles, les défauts identifiés, afin que le niveau de sûreté soit comparable à celui des réacteurs occidentaux.
« La BERD pose des conditions à l'octroi de son concours financier : l'achèvement des deux réacteurs de Mochovce doit entraîner obligatoirement l'arrêt définitif de l'ancienne centrale nucléaire de Bohunice, dont la sûreté est loin d'être suffisante ; le relèvement de 25 % du prix de l'électricité, favorisera aussi les économies d'énergie.
« Si la Slovaquie accepte ce marché, ce sera le signal fort que l'inertie devant le manque de sûreté nucléaire peut être vaincue. Ce pourrait être la voie à suivre pour arrêter Tchernobyl et cela permettrait aussi l'achèvement, à des normes proches des normes occidentales, des réacteurs de Rovno, Khmeitsky et Zaporozhe.
« Enfin, il me faut rappeler les carences et les insuffisances endémiques qui demeurent dans notre approche de la sûreté nucléaire à l'Est. La forte volonté occidentale n'est pas suivie d'effet immédiat et la multiplicité des interventions et des procédures nuit à leur efficacité. Ne vaut-il pas mieux un partage bien conçu qu'une concurrence non maîtrisée ? L'approche psychologique et politique a suscité des réticences, voire des rejets.
« Le projet slovaque consomme-t-il trop des fonds de la BERD ?
« En conclusion, je livre à votre réflexion ces quelques données supplémentaires.
« La fermeture de Tchernobyl, réclamée longtemps comme prioritaire, n'a pas encore eu lieu. C'est pourtant le symbole fort. L'Ukraine réclame des fonds pour la fermeture du site et pour la conversion du personnel. Un consortium européen autour d'ABB estime le coût de la fermeture à 3,7 milliards de dollars, auxquels il faut ajouter le coût de la construction d'une centrale à gaz. Qui acceptera de payer à l'Ukraine ?
« D'ici à l'an 2010, les autorités russes envisagent de retirer 8,4 gigawatts nucléaires et de mettre en service 27,8 gigawatts. Avec quel niveau de sûreté et avec quels financements ? »
Dans le même débat, M. Jean VALLEIX, Député (RPR) a formulé les observations suivantes :
« M. le Président, mes chers collègues, ce débat est le troisième du genre à traiter de la question du dialogue avec la BERD. J'y vois la preuve que se consolide une pratique particulièrement positive, tant pour l'Assemblée parlementaire que pour la Banque.
« L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe est en effet devenue l'instance parlementaire de dialogue avec les principales organisations économiques et financières, qu'il s'agisse de l'OCDE, de la Commission économique pour l'Europe des Nations unies ou, tout récemment, du FMI et de la Banque mondiale.
« Cet échange de points de vue ne peut être que constructif pour des organismes qui, sans cette dimension parlementaire, auraient peut-être tendance, de par leur vocation, à raisonner en termes trop techniques, pour ne pas dire technocratiques.
« L'Assemblée parlementaire trouve là un rôle essentiel, d'autant qu'elle entretient déjà dans son champ d'activités privilégié des relations avec le Fonds de développement social du Conseil de l'Europe, comme nous l'évoquions hier dans cette enceinte.
« Ce débat est donc très important car il marque également la volonté de soutenir, tant en Russie que dans les autres pays d'Europe centrale et orientale, la transition vers une économie de marché, la BERD étant l'un des outils les plus adaptés pour ce faire.
« Il est clair que le développement des libertés et celui de la démocratie sont liés. N'oublions jamais, mes chers collègues, qu'il existe un rapport entre la démocratie et la libéralisation de l'économie.
« A travers toutes les difficultés que traversent les pays d'Europe centrale et orientale, il est évident que nous retrouvons, dans ce dialogue, un rappel de la vocation de la BERD.
« L'aspect politique la concerne, à l'instar des institutions parlementaires, puisqu'il est inscrit dans ses statuts qu'elle doit conduire et Prendre en compte non seulement le développement économique, mais aussi le développement politique des pays qu'elle soutient.
« N'oublions pas que la BERD est le seul outil véritablement adapté aux besoins européens, notamment en direction de la Russie et de l'Europe centrale. Je me réjouis, à cet égard, qu'elle développe une présence locale et qu'elle s'applique à soutenir davantage la création de petites et moyennes entreprises. Cet objectif devrait devenir prioritaire pour elle.
« Dans son excellent rapport, M. Leers nous fournit une analyse détaillée des activités et des priorités de la Banque, sur laquelle je ne reviendrai pas.
« Je tiens aussi à saluer M. Bart Le Blanc qui, par sa présence, montre qu'il veut maintenir le dialogue avec nous, même si nous déplorons que le gouverneur, M. de Larosière, n'ait pu, pour les raisons que l'on sait, être des nôtres. Je voudrais que ce soit l'exception qui confirme la règle. On dit : « Jamais deux sans trois » ; pour cette troisième occasion, M. de Larosière n'a pas pu nous rejoindre. Qu'il nous soit permis d'espérer qu'il en aille différemment l'année prochaine. Merci, M. Bart Le Blanc, d'être à cette fin, notre ambassadeur auprès de lui.
« Les pratiques qui se perpétuent dans les activités de la BERD apparaissent dans des décisions récentes. Les objectifs de la Banque sont beaucoup plus clairs, la discipline budgétaire plus rigoureuse, mais la question du coût du conseil d'administration reste un sujet ouvert, M. le vice-président. Éviter les doubles emplois doit, par conséquent, être l'un des buts de cette coordination que nous aussi, Assemblée parlementaire, souhaitons entre les différentes structures que j'évoquais tout à l'heure.
« Nous l'avons rappelé hier, et je le confirme dans le débat de cet après-midi.
« J'en viens à une observation de portée générale.
« Il ne faut pas oublier que la réussite de la transition dépend, avant tout, des acteurs directement concernés, c'est-à-dire des pays d'intervention. Or j'ai entendu l'un de mes collègues, représentant d'un pays d'Europe centrale, poser ce problème majeur. Le fait que la Banque privilégie l'impact et la spécificité des aides plutôt que leur volume me paraît très encourageant. Toutefois le succès des efforts entrepris suppose la constance, la régularité ainsi que la coordination des différentes politiques - sociale, fiscale, etc.
« Je termine, mes chers collègues, en soulignant que ce débat nous permet de nous rendre compte que, sous l'impulsion de son gouverneur, la BERD, après les difficultés d'un récent passé, devient un instrument performant, indispensable au développement des pays de l'Est européen.
« Le bien-être des populations et la démocratie en général ne peuvent qu'y gagner. »
À l'issue du débat, M. LEBLANC, Vice-président de la BERD a déclaré qu'il ne pouvait que se féliciter des liens étroits qui se sont noués entre son institution et le Conseil de l'Europe. Il fera tout pour les resserrer encore.
L'orateur transmet à l'Assemblée les excuses de M. de Larosière, retenu par la convocation imprévue à un forum sur l'investissement international, qui doit se tenir en Russie sous la présidence de M. Tchernomyrdine, mais le président de la BERD compte bien participer au prochain débat.
Le rapport ne portant que sur l'année passée, M. Le Blanc entend donner un aperçu de l'activité de la Banque au cours du premier semestre de 1995.
De nouvelles orientations ont été définies au début de 1994, que l'Assemblée générale qui vient de se tenir a confirmées. La confiance est de retour et la banque s'attache maintenant à privilégier toutes les actions qui tendent à accélérer la transition vers l'économie de marché. Elle s'emploie à dynamiser l'économie locale de tous les pays dans lesquels elle intervient et plus particulièrement les petites et moyennes entreprises et les intermédiaires financiers. Elle investit par ailleurs davantage que dans le passé en capital-risque. Rien ne se fait, naturellement, sans respecter le mandat politique qui a été confié à la BERD. Cela étant, la banque doit opérer dans un contexte économique et financier dominé par les règles de saine gestion d'une économie de marché.
La banque s'est efforcée d'accroître sa productivité. Elle a taillé dans ses dépenses de fonctionnement et elle s'attache à une gestion prudente. Le bilan des dix-huit mois écoulés montre une amélioration sensible tant dans le fonctionnement de l'institution que sur le plan opérationnel. Actuellement, 80 % des projets acceptés concernent directement le secteur privé. C'est dire que les objectifs fixés sont largement atteints et même dépassés. Cela ne signifie en rien qu'il n'y a plus matière à intervenir dans des pays proches tels que la Pologne ou la Hongrie. Mais un redéploiement a eu lieu vers des pays situés plus à l'est de l'Europe, conformément aux voeux des actionnaires. Dans ces pays aussi, la Banque travaille avec des établissements financiers locaux, ce qui lui paraît être la meilleure façon d'atteindre les petites et les moyennes entreprises. Quant aux prises de participation, elles représentaient, fin mai 1995, 27 % des ressources. Pour autant, M. Uczkiewicz peut dormir tranquille : la BERD continuera de financer des infrastructures publiques, dont le financement représente à ce jour 35 % de son encours total.
Les résultats financiers ont été bons au cours des dix-huit derniers mois, au point que les recettes ainsi obtenues représentent un quart des recettes brutes de la Banque. Le compte de liquidités est géré avec une prudence extrême, prudence que l'on retrouve dans les engagements de dépenses de fonctionnement. On notera à cet égard que les frais de fonctionnement de la BERD n'ont pas augmenté alors même que ses activités se sont multipliées. Des provisions conséquentes ont été constituées pour tenir compte du caractère risqué de certaines opérations engagées. Ces provisions diminuent d'autant le montant des bénéfices mais chacun voudra bien admettre que la prise de risque est dans la nature même des activités de la Banque.
M. Bart Le Blanc rappelle que, lors de la réunion d'Halifax, les représentants du G7 se sont inquiétés de mesurer l'efficacité des institutions financières internationales. Il leur a été demandé d'adopter des techniques de gestion transparentes et prudentes, d'aider le secteur privé, de se faire le moteur du développement et de tenir compte des impératifs écologiques, tout en collaborant entre elles.
M. Le Blanc a souhaité apporter un éclairage complémentaire au rapport de M. Leers car il estime que la Banque a su trouver sa place et sa voie. Il doit répondre à certaines observations. La Banque a voulu favoriser la transition par des actions sur mesure, déterminées selon des critères propres à chaque pays. Sans doute les besoins globaux en investissements dépassent-ils de loin les capacités financières de l'organisation. Mais il est possible d'agir efficacement si l'on choisit avec discernement les projets, et il est encourageant de constater que les services de la Banque sont de plus en plus sollicités. Celle-ci a engagé une diversification géographique et adapte sans cesse ses interventions. Les intervenants hongrois et de l'Europe centrale peuvent être rassurés. Si, initialement, la demande en provenance du secteur privé a été limitée, le financement des infrastructures a permis à ce secteur de s'animer et la part qui lui est consacrée ne peut que s'accroître. Au stade avancé de la transition, le marché privé des capitaux doit pouvoir prendre le relais et la BERD doit être en mesure de déplacer ses activités dans des domaines plus risqués comme la restructuration industrielle. C'est en particulier le cas en Pologne.
M. Le Blanc fait observer à M. Gross que chaque projet est examiné dans toutes ses dimensions, y compris sociales, et que les filières industrielles ne sont pas négligées même si, comme il est naturel, le secteur financier demeure essentiel. La Banque n'a pas vocation - cela dit pour M. Novak - de financer l'agriculture. D'autres organisations sont mieux à même de le faire. Pour atteindre les PME, la Banque passe par des intermédiaires locaux et a mis au point des instruments financiers pour favoriser les échanges, entre l'Est et l'Ouest sans doute, mais aussi entre les pays en transition eux-mêmes, notamment ceux de l'ancien Comecon.
La Banque est également parfaitement consciente de son mandat écologique et vient de créer un service ad hoc pour l'efficacité énergétique. Plusieurs projets financés depuis le début de l'année dernière ont une dimension écologique et la Banque vient pour la première fois d'accorder un crédit spécifique à ce titre à la Moldova, pour l'aider à améliorer l'efficacité de son chauffage urbain. Les travaux de sécurité nucléaire, auxquels M. Birraux a fait référence, font également partie des programmes de protection de l'environnement que la Banque est amenée à financer. Mais M. Le Blanc, qui a bien entendu l'orateur slovaque, ne peut faire de remarques sur la négociation actuellement en cours sur le projet nucléaire de son pays.
Le président de la Banque a créé, à l'instigation du Gouvernement danois, un groupe de travail chargé de la mise en place d'investissements financiers dans le cadre de l'environnement. A cette fin, la BERD a prévu un système de crédits et de capitaux « verts ». Ce programme sera présenté à Sofia aux ministres de l'Environnement.
Le développement des réseaux locaux préoccupe également la BERD. Elle noue des contacts, met en place des systèmes d'investissement et des fonds spéciaux dans les localités.
Le rapport et le débat actuel ont soulevé la question de la coordination des activités de la BERD avec d'autres organismes. Il est vrai que cette coordination doit être impérativement améliorée pour éviter les doubles emplois. La BERD coopère, en particulier, avec la Banque mondiale et la Banque européenne d'investissement. Au niveau politique, elle a établi un dialogue permanent avec les institutions de Washington et l'Union européenne.
Parallèlement à son action économique, la BERD a pour rôle de favoriser les démocraties pluralistes. Ses statuts prévoient explicitement ce type d'action. Aussi la direction a-t-elle le sentiment de devoir incorporer ce volet politique à toutes les activités qui sont développées sur le terrain. Elle travaille en liaison étroite avec le Conseil de l'Europe et avec les ministères des Affaires étrangères des États membres. Le conseil d'administration de la Banque est tenu de présenter un bilan annuel des différentes opérations en cours. A cet effet, il évalue toujours prioritairement les situations politiques dans les pays concernés. La Banque a bien entendu établi des liens avec les partis d'opposition et avec les ONG, afin de collecter un maximum de renseignements qui seront exploités par la direction. Les stratégies futures sont établies à partir de ces informations. Récemment, la BERD s'est occupée des droits de l'homme en Ouzbékistan. Il n'est pas inutile de souligner que les revendications de la Banque sont toujours prises au sérieux.
Douze pour cent des coûts de la Banque sont constitués par les activités de gestion. Ces activités relèvent essentiellement de la responsabilité des actionnaires, mais toute suggestion sera bienvenue. Quelle que soit la structure du conseil d'administration, son principal souci réside en une gestion efficace.
À M. Vasilj, M. Le Blanc répond que la BERD espère compter très rapidement la Bosnie-Herzégovine parmi ses membres et qu'en tout état de cause elle s'emploiera à reconstruire le pays, ne serait-ce que pour justifier son intitulé.
La Banque est en train de définir sa stratégie à moyen terme. Il conviendra probablement de revoir à la hausse sa dotation en capital mais il faudra aussi réexaminer les modalités d'action et les priorités arrêtées en 1994, dans la mesure où elle va être de plus en plus sollicitée, en particulier par des pays comme la Russie et l'Ukraine, qui en sont à mi-transition. De nouveaux scénarios de croissance seront nécessaires et la Banque aura à s'enraciner dans les pays concernés en décentralisant davantage ses activités. Elle devra aussi accroître sa productivité. Le souci de la rentabilité ne l'a d'ailleurs jamais quittée et M. Le Blanc espère qu'elle atteindra très rapidement un point d'équilibre.
En ce qui concerne le niveau des ressources, une étude est en cours pour déterminer ce qui serait souhaitable. Très bientôt, la Banque aura engagé la totalité de ses capitaux disponibles et il sera alors nécessaire de faire appel aux actionnaires tout en adoptant un train de mesures propre à renforcer l'efficacité de l'institution. L'échéance se situera sans doute en 1996, à Sofia, mais M. Le Blanc, en conclusion de son propos, s'est déclaré confiant dans le soutien financier et politique de tous les membres de la BERD.
F. - Le projet de Charte européenne des régions de montagnes. Rapport de M. Jean BRIANE, Député (UDF) - Interventions de M. Claude BIRRAUX, Député (UDF), et de Mme Josette DURRIEU, Sénateur (Soc.). ( Mardi 27 juin 1995. )
Présentant son Rapport écrit (7319), M. Jean BRIANE, Député (UDF), a formulé les observations suivantes :
« L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe est appelée à se prononcer sur le projet de recommandation concernant la Charte européenne des régions de montagne, adopté par les deux chambres du Congrès des pouvoirs locaux du Conseil de l'Europe lors de la session de mai-juin 1995.
« Cette charte a pour but de jeter les bases d'une politique spécifique européenne des régions de montagne par la mise en place de lignes directrices permettant à toute région de montagne d'Europe un développement économique, social, culturel approprié et compatible avec la gestion attentive de l'environnement, particulièrement fragile dans ces régions.
« Partageant les préoccupations du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe, notre rapport appuie l'initiative et recommande au Comité des ministres d'examiner la charte et de l'adopter dans les meilleurs délais.
« Cela fait près de trente ans que l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe est sensibilisée aux problèmes des régions de montagne.
« Dès 1968, la commission de l'agriculture de notre Assemblée appela l'attention des parlementaire européens sur les problèmes spécifiques des régions de montagne, plus particulièrement sur ceux de l'agriculture en région de montagne.
« Le rapport Leitner déboucha sur une recommandation selon laquelle l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe appelait les Gouvernements des pays membres du Conseil de l'Europe à définir les critères nécessaires à la délimitation des régions de montagne européennes et à mettre en oeuvre une coopération internationale en matière de politique régionale, afin d'assurer la mise en valeur de toutes les potentialités économiques et sociales des régions de montagne.
« La protection de l'environnement a été introduite dans la problématique des régions de montagne en 1974, à l'occasion d'un rapport soumis à l'Assemblée sur les conditions de vie et la protection de l'environnement dans les régions de montagne. Ce rapport soulignait les conséquences graves, d'une part, de l'abandon progressif des exploitations rurales dans les domaines social, économique et de l'environnement et, d'autre part, d'une « urbanisation » parfois irrationnelle, incontrôlée et sauvage de certaines régions de montagne.
« Cela fait donc plus de vingt ans que l'Assemblée attire l'attention sur des questions toujours d'actualité : les intérêts légitimes et prioritaires des populations des régions de montagne et leur volonté de bénéficier d'une promotion économique et sociale ; le rôle du tourisme dans le développement économique et social des régions de montagne ; le besoin croissant des citadins à rechercher et trouver une détente dans une nature encore intacte ; le risque - car il existe -qu'un tel besoin, satisfait à grande échelle, peut faire peser sur l'environnement naturel et sur le mode de vie des régions de montagne s'il n'est pas maîtrisé par les montagnards eux-mêmes.
« C'est grâce à l'impulsion donnée par ses travaux que l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe décidait d'organiser, en coopération avec la Conférence des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe, une conférence des régions de l'arc alpin, qui se tint à Lugano en septembre 1978.
« Il est intéressant de souligner que, dès cette époque, l'Assemblée a insisté sur la nécessité d'insérer le problème spécifique des régions alpines dans un projet global d'aménagement du territoire en Europe.
« La déclaration finale de Lugano appelait la mise en place d'une coopération spécifique alpine entre Gouvernements des pays concernés et soulignait que les expériences conduites dans Tare alpin devaient servir de modèle pour les autres régions de montagne.
« C'est ainsi que, dès 1982, l'Assemblée parlementaire s'associait à la Conférence des pouvoirs locaux et régionaux et organisait une conférence des régions pyrénéennes, qui s'est tenue à Jaca en juin 1982.
« C'est à la II e Conférence des régions de montagne, organisée par la Conférence des pouvoirs locaux et régionaux à Trente en Italie, en mai 1988, qu'est née la volonté de conduire une réflexion sur une véritable politique destinée aux régions européennes de montagne.
« Les régions de montagne présentes à la Conférence de Trente ont adressé au Conseil de l'Europe la demande suivante : "formuler les principes d'une politique européenne de montagne, sous la forme d'une charte européenne des régions de montagne, ayant un caractère conventionnel (...)".
« Votre Rapporteur souhaite mettre l'accent sur le fait que les voeux exprimés par les représentants des régions à Trente et la décision d'y donner suite ont coïncidé de façon heureuse avec les bouleversements géopolitiques que vivait l'Europe et qui ont encore plus mis en lumière l'utilité d'un tel instrument.
« Un premier projet de charte a été soumis à la III e Conférence des régions de montagne tenue à Chamonix du 15 au 17 septembre 1994. Dans sa déclaration finale, adoptée à l'unanimité, la III e Conférence donna son plein appui à la finalisation du document.
« Le texte adopté à Chamonix a été rédigé par un groupe de travail ad hoc créé à l'initiative du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, et au sein duquel votre Rapporteur a eu l'honneur de représenter l'Assemblée parlementaire.
« Ce texte définit les principes, les objectifs communs et les actions qui portent sur tous les aspects de la vie des régions de montagne et propose un cadre pour une politique de développement globale applicable à l'ensemble des montagnes européennes et conçue évidemment dans un cadre où les principes d'autonomie locale et régionale et de subsidiarité, ainsi que la coopération interrégionale et transfrontalière, seraient pleinement appliqués.
« La Charte européenne des régions de montagne est complémentaire et non concurrente de la Convention alpine.
« La Convention alpine concerne exclusivement les pays de l'Arc alpin alors que la charte doit s'appliquer à toutes les régions européennes de montagne.
« Rappelons que la Charte européenne des régions de montagne entend appréhender tous les problèmes de la montagne dans le but de lui assurer les conditions nécessaires à un développement durable et équilibré.
« Il ne nous appartient pas de modifier les articles de la Charte européenne des régions de montagne, notamment son article 8 relatif à l'agriculture. Cependant, chacun sait bien qu'il y a et qu'il doit toujours y avoir place en montagne pour l'agriculture, fût-elle biologique. Les productions animales et végétales adaptées au milieu naturel montagnard participent de son économie spécifique. La montagne a toujours été le milieu naturel privilégié de production des plantes naturelles, aux propriétés médicinales reconnues, utiles à la vie et à la santé de l'homme.
« L'alinéa e de l'article 8 de la charte, relatif aux mesures à prendre concernant "les produits de qualité" en montagne, marque la volonté de promouvoir ces produits que partagent tous les montagnards, même si celle-ci n'a pas été suffisamment explicitée et affirmée dans le texte.
« La philosophie qui a présidé à la rédaction de la Charte européenne des régions de montagne est inscrite dans son article premier : "L'objet de la présente charte est de définir les principes généraux, communs aux États membres du Conseil de l'Europe, d'une politique d'aménagement, de développement et de protection des régions de montagne".
« La Charte européenne des régions de montagne est l'heureux aboutissement de près de trente années de travaux des institutions du Conseil de l'Europe, Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe et Assemblée parlementaire.
« Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux a adopté, lors de la deuxième session de mai-juin 1995, le projet de charte européenne des régions de montagne.
« J'indique également que le Comité des régions de l'Union européenne a émis un avis favorable à l'adoption de la Charte européenne des régions de montagne au cours de sa réunion du 21 avril 1995.
« Aujourd'hui, c'est notre Assemblée parlementaire qui est appelée à se prononcer sur ladite charte.
« En conclusion de son rapport, votre rapporteur propose :
« - que l'Assemblée parlementaire donne son plein appui au texte du projet de Charte européenne des régions de montagne ;
« - qu'elle adopte le projet de recommandation que j'ai l'honneur de vous présenter au nom de la commission de l'environnement, de l'aménagement du territoire et des pouvoirs locaux ;
« - qu'elle recommande au Comité des ministres : premièrement, d'examiner le projet de charte en vue de rendre possible son adoption dans des délais rapprochés après avoir, s'il l'estime utile, confié la finalisation de cet instrument à un comité d'experts, aux travaux duquel seraient associés l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe, l'Union européenne ; deuxièmement, d'inviter les États membres à signer et à ratifier la Charte européenne des régions de montagne et à en appliquer les principes dans toute décision concernant les régions de montagne ; troisièmement, d'inviter l'Union européenne à devenir partie à la Charte européenne des régions de montagne. »
Dans le débat qui s'est instauré sur ces propositions, M. Claude BIRRAUX, Député (UDF) , a pris la parole en ces termes :
« Je voudrais d'abord remercier notre collègue, M. le rapporteur Jean Briane, pour la qualité de son rapport, certes, mais aussi pour son implication personnelle dans l'aboutissement de la charte.
« Nous nous sommes retrouvés à Chamonix, présidant différentes sessions de la III e Conférence européenne des régions de montagne, en septembre dernier, lui au titre de l'Assemblée parlementaire et moi au double titre de membre de l'Assemblée parlementaire et de président en exercice d'un organisme de coopération transfrontalière.
« Je souhaiterais apporter quelques brefs commentaires.
« L'aspect positif et véritablement démocratique de cette charte est le fruit d'une large consultation. En outre, elle autorise une approche globale et cohérente de l'entité « montagne », tant par son étendue géographique que par les moyens spécifiques proposés.
« Mon commentaire particulier portera sur la place de la coopération transfrontalière dans cette charte, plus spécialement dans les articles 4, paragraphe 2, et 16, paragraphe 2. Je le ferai en tant qu'ancien président du Conseil du Léman, organisme de coopération transfrontalière franco-suisse, qui s'est exprimé alors sous ma présidence, tant sur la convention alpine que sur la charte.
« J'observe que les territoires comme les sujets concernés par la charte entrent aussi dans le champ du Conseil du Léman.
« Notre institution a examiné aussi bien la Convention alpine que la charte et a émis des réserves sur la Convention alpine, observant que le rapport entre protection et développement est trop déséquilibré.
« En revanche, la portée et la couverture plus vaste de la charte ont emporté l'adhésion unanime de notre institution, qui a apporté son soutien à la charte et à la déclaration finale de Chamonix.
« Son adoption est très importante pour l'action future de notre organisme de coopération transfrontalière, dont l'intérêt n'a pas échappé à notre Assemblée, puisque, lors de notre dernière session, un rapport spécial nous a été présenté sur la coopération transfrontalière. En effet, ses commissions couvrent de nombreux domaines d'application de la charte, ce qui permet une approche globale d'une région transfrontalière. Par ailleurs, notre institution est composée d'élus locaux, autorisant ainsi le contact permanent avec la population.
« Enfin, elle dispose de moyens financiers qui rendent possible l'action directe.
« Bien plus, la charte permet de surmonter les difficultés institutionnelles intrinsèques entre nos deux pays, la France et la Suisse, et entre régions partenaires, comme celles résultant de pratiques et de traditions locales pour - permettez-moi cette expression - « chausser les mêmes lunettes », afin de concevoir un même cadre d'action, avec des objectifs identiques. Cela devrait permettre de dynamiser l'action des organismes de coopération transfrontalière au profit des hommes qui vivent en montagne et qui la font vivre.
« Je suis heureux d'avoir pu, pour la première fois, m'exprimer en tant que représentant français, mais aussi en tant que représentant d'une région dont la montagne est le trait d'union. »
Mme Josette DURRIEU, Sénateur (Soc.), a formulé, quant à elle, les observations suivantes :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, élue d'une zone de montagne, les Pyrénées, je suis par conséquent tout à fait sensible aux problèmes évoqués dans ce débat.
« Je félicite notre rapporteur, M. Briane, du projet de recommandation qu'il nous propose et du caractère parfaitement équilibré des propositions qu'il formule.
« Bien sûr, nous connaissons les termes du débat : nécessité de maintenir la présence humaine dans nos montagnes ; nécessité d'améliorer les équipements et les infrastructures de transport, plus particulièrement les routes ; nécessité enfin de concilier tous ces impératifs avec la protection de l'environnement,
« La montagne a sa spécificité, mais l'on a beaucoup attendu pour le dire.
« Bien entendu, comme vous tous dans cette Assemblée, je suis sensible aux impératifs de la protection de l'environnement, mais, comme le remarque le rapporteur au paragraphe 5, "il est indispensable de ne pas se limiter à une politique qui donne la priorité exclusive à la conservation, mais de veiller à tenir compte des situations socio-économiques existantes qui illustrent clairement le retard de développement dont souffrent de nombreuses régions de montagne et auquel il est indispensable d'apporter les solutions".
« Et l'on retrouve le problème bien connu, inévitable, car il est schématique : l'opposition entre l'homme et la nature. C'est une évidence simple de rappeler que l'homme, face à la nature, est et sera toujours un prédateur et qu'il aura la double mission de l'exploiter et de la préserver.
« Pour ce qui nous concerne, élus de montagne ou admirateurs de ces paysages, nous ne voulons pas nous limiter à être de simples contemplatifs.
« La montagne n'est pas un écomusée et il est évident que, si l'on veut qu'y vivent des hommes, il faut y maintenir des activités ; si l'on veut y ramener des hommes, il faut y créer des emplois. Ce sont des choix économiques difficiles que, Monsieur le rapporteur, vous avez rappelés.
« Des dispositions spécifiques s'imposent en faveur de l'agriculture. Il faut affirmer le maintien des services publics.
« Le projet de charte énonce, à l'article 8, que la politique agricole doit être adaptée aux zones de montagne - c'est une évidence -pour assurer la pérennité des exploitations et prévoit même le développement - on y revient - de la filière lait, la création de normes et de labels de qualité, l'assouplissement des quotas de production ou encore la lutte contre les friches.
« Je souhaite que ces objectifs soient désormais partagés par tous, non seulement par tous les États européens, mais aussi par tous ceux qui travaillent et qui réfléchissent sur ces problèmes. En effet, tout le monde est responsable, y compris ceux qui sont un peu trop souvent éloignés du terrain, qu'on appelle les techniciens ou les technocrates et qui doivent partager avec d'autres une responsabilité sur des décisions lourdes de conséquences.
« Par ailleurs, je voudrais faire partager mon inquiétude - nous devons nous montrer très vigilants - à propos de l'offensive menée par le pays le plus puissant du monde pour imposer des standards de production toujours plus bas, au moyen d'une guerre des prix qui ne laisse à nos agriculteurs que le choix de se conformer à ces dispositions ou de disparaître.
« Ainsi, nos partenaires nord-américains ont légalisé l'usage de certaines hormones, tant pour la production de viande que pour celle de lait, et ils prétendent contraindre l'Europe, sous prétexte de protectionnisme, à démanteler sa réglementation. Le résultat serait doublement grave.
« D'une part, le gain apparent de productivité accentuera la surproduction, qui, à son tour, poussera à la concentration et au renforcement des quotas, lesquels seront fatals à l'élevage de montagne ; d'autre part, il deviendra impossible de maintenir les productions traditionnelles si on laisse détruire nos productions agro-alimentaires dans les régions montagneuses. Tel serait le cas, par exemple, en France, du fromage des Pyrénées, que je connais bien, et que je cherche toujours à promouvoir, mais aussi du roquefort d'Auvergne ou du reblochon des Alpes.
« Nous risquons non seulement de perdre l'un des principaux agréments de la table, mais aussi de tomber dans le piège de la concurrence ultraproductiviste. L'Europe ne peut espérer maintenir ses productions et ses parts de marché que si ses produits conservent leur haute qualité traditionnelle, qui en a toujours fait la réputation.
« Les normes de qualité ne sont nullement des mesures protectionnistes et la fourniture aux consommateurs de produits diversifiés fortement typés, représentatifs en particulier de nos régions de montagne, mérite d'être défendue.
« Je n'ai plus le temps de parler des services publics.
« Je pense qu'un avenir existe pour la montagne, je dirai même un avenir nouveau, à condition d'y maintenir des activités et des services et d'en créer de nouveaux.
« Merci, Monsieur le rapporteur, pour votre travail. J'espère que cette recommandation deviendra pour tous nos pays notre loi. »
À l'issue du débat, M. Jean BRIANE, Député (UDF), a repris la parole en qualité de rapporteur pour répondre aux orateurs en ces termes :
« Je commencerai par remercier M. Szakál. Bien sûr, le principe de subsidiarité doit être appliqué. Comme lui, je suis convaincu que cela doit permettre de déboucher sur un développement endogène.
« J'indique à M. Szymañski que je n'ai pas de solution toute faite. Cependant, l'article 28 donne une large liberté aux collectivités pour décider quelles sont les régions de montagne. C'est à chaque pays de délimiter ces régions en fonction des handicaps constatés. J'ajoute qu'il existe au niveau de l'Union européenne des critères pouvant donner aux responsables des pays d'Europe centrale et orientale des pistes quant à la définition des zones de montagne.
« Je ne répondrai pas à tous les intervenants, faute de temps, et je les prie de bien vouloir m'en excuser. Je les remercie globalement du soutien qu'ils ont apporté à ce rapport.
« Je félicite M. Ruffy pour son excellent plaidoyer. La solidarité entre montagnards n'est pas un vain mot. Si la montagne sépare parfois les hommes, car elle est souvent frontière, elle peut aussi les unir.
« Pour conclure, je crois que cette charte européenne représente un instrument incomparable, dont il appartiendra aux collectivités, aux pouvoirs locaux et régionaux, de savoir se servir intelligemment pour résoudre les problèmes de leurs zones de montagne. »
Puis l'Assemblée, appelée à délibérer sur le Rapport 7319 de M. Jean BRIANE, Député (UDF), a adopté la Recommandation 1275.
G. - La communication du Comité des ministres - Question de M. Jean VALLEIX, Député (RPR). ( Mercredi 28 juin 1995. )
La communication du Comité des ministres a été présentée par M. Josef ZIELENIEC, ministre des Affaires étrangères de la République tchèque, en sa qualité de Président en exercice du Comité des ministres.
M. Jean VALLEIX, Député (RPR), a interrogé M. Zieleniec pour lui demander « s'il peut apporter des précisions, dans la perspective de Maastricht II, sur l'état d'avancement de la réflexion des Gouvernements membres du Conseil de l'Europe et sur l'approche des pays d'Europe centrale et orientale à l'égard de la conférence intergouvernementale de 1996 ».
M. Zieleniec a répondu à M. Jean VALLEIX en ces termes : « Je puis informer M. Valleix que les délégués des ministres ont décidé, à leur réunion de la semaine dernière, de créer un groupe de travail ad hoc ouvert à toutes les délégations et ayant pour mandat de commencer immédiatement à travailler à un document concis et équilibre sur la place et le rôle au Conseil de l'Europe dans la construction européenne, document qui pourrait constituer un apport à la préparation de la Conférence intergouvernementale de l'Union européenne en 1996.
« Le groupe de travail a tenu sa première réunion cette semaine et a examiné son programme de travail sous la présidence du représentant permanent de l'Espagne, ce pays assurant la présidence de l'Union européenne, le 1 er juillet 1995, et la présidence du groupe de réflexion de l'Union européenne sur la Conférence intergouvernementale. Le groupe se réunira à nouveau avant que les délégués ne reprennent la discussion de la question au début de septembre.
« J'ajouterai que le groupe de travail tient compte des paragraphes pertinents de la Recommandation 1267 (1995) de l'Assemblée relative à la politique générale du Conseil de l'Europe, à laquelle les délégués donneront une réponse dans les plus brefs délais.
« En ce qui concerne la seconde partie de la question de l'honorable parlementaire, j'aimerais souligner le fait que je prends la parole devant votre assemblée en ma qualité de Président du Comité des ministres et non pas en tant que représentant d'un groupe de pays d'Europe centrale et orientale. Par conséquent, je ne pourrai pas vous informer des approches individuelles de ces pays. Je pourrais vous donner quelques détails sur l'approche tchèque à la Conférence intergouvernementale, mais je ne considère pas cela approprié pour la même raison. »
M. Jean VALLEIX, Député (RPR), a alors repris la parole pour poser la question supplémentaire suivante :
« Je tiens d'abord à remercier M. le Président du Comité des ministres car, comme tous mes collègues, j'ai été très intéressé par les informations qu'il nous a apportées, et nous souhaitons un plein succès à ce groupe de travail.
« Monsieur le Président, d'aucuns parlent actuellement d'ancrage du Conseil de l'Europe à l'Union européenne. Ce n'est pas du tout mon analyse. Le Conseil de l'Europe est à la fois le notaire des droits de l'homme et le forum paneuropéen le mieux adapté à 1 évolution de notre Europe.
« Dans cet esprit, quel est votre jugement en ce qui concerne identité du Conseil de l'Europe par rapport à l'Union européenne ? »
M. Zieleniec, en réponse à M. Jean VALLEIX, s'est déclaré persuadé à titre personnel que le Conseil de l'Europe a un rôle spécifique à jouer dans la défense des valeurs démocratiques, estimant que les différentes institutions européennes ont des fonctions complémentaires.
H. - La campagne européenne et la lutte contre le racisme, la xénophobie, l'antisémitisme et l'intolérance - Interventions de MM. Jean VALLEIX, Député (RPR), et Louis JUNG, Sénateur (UC). ( Mercredi 28 juin 1995. )
À partir du rapport 7318 et de l'Avis 7337, le débat s'engage sur l'exposé du rapporteur principal qui souligne qu'il s'agit en effet d'une question fondamentale pour le Conseil de l'Europe. La présentation de ce rapport trouve ses racines dans le Sommet de Vienne de 1993, qui s'est tenu pour le cinquantième anniversaire de la création du Conseil de l'Europe. La lutte contre le racisme, l'intolérance et la xénophobie a été la première grande décision à y être adoptée. Depuis 1993, l'Assemblée a adopté de nombreuses résolutions et recommandations en vue d'éviter toute forme de discrimination.
Il est regrettable de devoir se pencher si souvent sur cette question. Mais, à cause sans doute des contradictions propres à l'être humain depuis Caïn et Abel, il paraît parfois difficile de respecter ses semblables. La tolérance devrait pourtant être la base fondamentale des relations de société, base essentielle pour la reconnaissance des droits de l'homme et des libertés de chacun.
À la suite du Sommet de Vienne, le Conseil de l'Europe a mis en oeuvre un plan de lutte contre les différentes manifestations de racisme et de xénophobie dans les différents pays. Une Commission européenne contre le racisme et l'intolérance a été créée. Elle est composée d'experts désignés par les différents Gouvernements et est chargée d'analyser les situations nationales et de proposer les solutions qui s'imposent.
Le rapporteur rappelle qu'il a participé à un séminaire en 1994, dont les actes viennent d'être publiés. Il invite ses collègues à les lire.
Les phénomènes consécutifs au racisme et à la xénophobie relèvent du principe de la discrimination. La loi belge du 30 juillet 1981 définit celle-ci comme « toute distinction, exclusion, restriction ou préférence ayant pour but ou pour effet de détruire, de compromettre ou de limiter la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice, dans des conditions d'égalité, des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social ou culturel, ou dans tout autre domaine de la vie sociale ».
Puisqu'il semble que les tendances à la discrimination sont inhérentes aux instincts mêmes de l'être humain, il convient d'être toujours en éveil devant leur manifestation. Celles-ci ont de multiples causes. Le chômage et l'instabilité politique en sont deux. On trouve de nombreuses manifestations de sentiments xénophobes en Europe. Ceux-ci sont particulièrement bien cernés en France et en Allemagne, pays qui ont créé des mécanismes d'enregistrement des actes racistes. De nombreux Gouvernements européens ont institué des organismes chargés de sanctionner ces actes et tout un arsenal législatif a été adopté à cet effet. C'est notamment le cas en Espagne.
Le rapport qui est présenté recommande au Comité des ministres de maintenir sa vigilance à l'égard de ces questions et de veiller à l'application des résolutions et des recommandations existantes. Il demande également que les Gouvernements des pays membres du Conseil de l'Europe essaient de prendre des mesures en vue de combattre toute manifestation de racisme et de xénophobie.
Dans le débat qui s'intaure sur la présentation du rapport de l'Avis, M. Jean VALLEIX, Député (RPR) , a pris la parole pour formuler les observations suivantes :
« - Mes chers collègues, comme vous tous, et, d'abord, comme nos rapporteurs, M. López Henares et Mme Brasseur, je m'inquiète des actes et des propos qui témoignent de la persistance de sentiments xénophobes, racistes et antisémites.
« Dans mon pays, une législation a été adoptée dès 1972, et soyez assurés qu'elle est appliquée sans faiblesse par les tribunaux.
« Je voudrais cependant que les textes qui nous sont aujourd'hui proposés soient améliorés et que l'on ne mélange pas tout, parfois au risque de les affaiblir.
« Doit-on, par exemple, au nom du respect dû aux croyances religieuses, permettre la publication et la diffusion d'ouvrages directement contraires à des droits garantis par nos constitutions ? Le ministre de l'Intérieur français avait interdit un ouvrage intitulé « le Licite et l'Illicite dans l'islam ». Au nom de la tolérance, il a finalement annulé cette interdiction, bien qu'il soit mentionné dans ce livre que le mari peut battre sa femme, tout en conseillant d'éviter le visage.
« Doit-on, au nom du respect dû aux religions, accepter les fatwas qui condamnent à mort Salman Rushdie et Mme Nasreen ? Tolérance, oui, mais atteinte à l'ordre public, à la liberté d'expression et à l'égale dignité des femmes et des hommes, non ! La confusion serait insupportable.
« Je relèverai une confusion supplémentaire, si vous me permettez de citer le document qui a été distribué au cours de cette journée.
« Nous perdons tout bon sens et toute mesure quand nous tombons dans le piège de certaines provocations. Tel est le cas avec le Passeport européen contre l'intolérance édité par le Conseil de l'Europe qui proclame que l'intolérance, c'est le racisme, la xénophobie, l'antisémitisme, le sexisme et l'homophobie !
« Lors d'une manifestation récente à Paris, des slogans demandaient le droit au mariage - et ce sera bientôt celui à l'adoption d'enfants ! - pour des « couples » homosexuels, tout cela sous la bannière de la non-discrimination.
« Je crois que nous faisons fausse route, au détriment des objectifs que nous poursuivons. Cela correspond-il vraiment au droit à une vie familiale normale, que nous avions inscrit dans la Convention européenne des droits de l'homme ?
« Je souligne que ces matières sont réservées, par la Constitution française, au législateur et non pas au juge. En effet, il appartient à nos Parlements et non à une cour européenne d'en débattre.
« Je constate, heureusement, que le projet de recommandation que nous propose M. López Henares ne donne pas de base juridique à l'assimilation abusive entre la prétendue homophobie et les crimes contre l'esprit et les personnes que sont l'antisémitisme et le racisme.
« J'exprime cependant des réserves à l'égard de certaines propositions qu'il contient, en espérant que les rapporteurs voudront bien les entendre.
« Ainsi, il n'est pas bon que la Cour européenne de Strasbourg soit amenée à connaître des allégations de discrimination, ce que permettrait le renforcement de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme. En effet, la jurisprudence antérieure invite à la plus grande circonspection, par exemple lorsque le droit des États d'expulser des étrangers criminels multirécidivistes est mis en cause. Est-ce le bon sens ? Ne sommes-nous pas dans une voie erratique ?
« Par ailleurs, la reconnaissance d'une compétence de la Cour de Strasbourg aurait pour effet immédiat d'uniformiser les modalités d'intégration des étrangers dans les communautés nationales. Or nous savons bien que cela ne peut pas être actuellement le cas.
« Je souhaite le maintien de la diversité des approches en cette matière et je suis attaché, pour ma part, à la tradition française, reprise dans notre Déclaration des droits de l'homme de 1789. Je me plais à citer ce principe admirablement exprimé : "La loi est la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse."
« Telles sont les raisons pour lesquelles. Monsieur le Président, mes chers collègues, je m'autoriserai dans ce débat à ne pas émettre un vote positif. A regret, je m'abstiendrai.
« Je souhaite que, dans des débats de cette importance, nous évitions tout risque d'aventure, ce qui serait le cas si nous donnions une image de la tolérance qui serait elle-même intolérante. »
M. Louis JUNG, sénateur (UC) , a pris la parole à son tour dans ce débat en ces termes :
« Mes chers collègues,
« Je voudrais tout d'abord féliciter notre rapporteur pour le travail qu'il a accompli. Avec lui, je me félicite du mandat donné au Sommet de Vienne pour lutter au niveau de la Grande Europe contre toutes les résurgences de xénophobie.
« Né moi-même dans une région où l'antisémitisme et le racisme ont causé tant de drames, je sais aussi que la réconciliation est possible.
« Nous devons coûte que coûte maintenir, restaurer là où il est menacé, et surtout transmettre aux jeunes générations, l'idéal de l'humanisme européen.
« Depuis de longues années, je m'attache particulièrement à la lutte contre toutes les formes d'antisémitisme, cette stigmatisation odieuse d'une composante essentielle de nos nations et de notre civilisation européenne.
« Aussi, je me félicite du développement de la campagne du Conseil de l'Europe à partir du mandat de Vienne et je souhaite plein succès aux Trains de la jeunesse qui vont converger de toute la Grande Europe vers Strasbourg début juillet. Cependant, nous devons veiller à ce que cet effort indispensable ne se disperse pas à travers des structures qui se redoublent, voire se concurrencent les unes les autres.
« À cet égard, qu'il me soit permis de formuler quelques réserves à l'égard des actions dont notre rapporteur nous signale le développement dans d'autres enceintes européennes.
« Ainsi, au paragraphe 25, sont décrites les actions de l'Union européenne.
« Je m'interroge sur la pertinence du redoublement de la campagne du Conseil de l'Europe à l'échelle beaucoup plus limitée des quinze membres de l'Union européenne.
« Je m'interroge également sur les gaspillages de compétence et de deniers publics qui résulteraient des projets de la Commission des Communautés européennes, exprimés le 16 juin dernier par M. Padraig Flynn, qui voudrait affirmer la compétence de la Commission dans ce domaine aussi et lancer "un plan d'action contre le racisme" comportant notamment l'institution d'un observatoire communautaire.
« Il convient de mettre en regard de ce projet la déclaration du dernier Conseil des ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne, je cite : "L'Union européenne doit veiller notamment à éviter tout double emploi, en assurant la meilleure complémentarité avec les activités réalisées en la matière au sein du Conseil de l'Europe, et il convient de travailler pour ce faire en étroite association avec la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance."
« Comment ne pas partager cette invitation à la complémentarité ? Comment ne pas voir également que la complémentarité en ce domaine est la condition de l'efficacité ? Malheureusement, les phénomènes de xénophobie et d'antisémitisme ne s'arrêtent pas aux frontières de telle ou telle organisation.
« Il est évident que c'est le cadre de la Grande Europe qui s'impose pour lutter contre le racisme et la xénophobie. Aussi, je souhaiterais que nous assumions avec résolution, et je dirai même avec fierté, notre rôle de défenseur des droits de l'homme au premier rang desquels figure le respect de l'autre. »
À l'issue de ce débat qui portait sur le rapport 7318 et l'Avis 7337, l'Assemblée a adopté la Directive 511 et la Recommandation 1275.
I. - La demande d'adhésion de l'Albanie au Conseil de l'Europe - Avis de M. Jean SEITLINGER, Député (UDF). ( Jeudi 29 juin 1995. )
S'exprimant au nom de la commission des relations avec les pays non membres de l'Assemblée du Conseil de l'Europe, M. Jean SEITLINGER, député (UDF), a présenté, à la suite du rapport 7304 et de l'Avis 7338, l'Avis 7339, qu'il a complété des observations orales suivantes :
« À chaque fois que nous étudions la demande d'adhésion d'un nouveau pays, nous examinons, certes, cette demande en fonction de critères juridiques, mais notre décision est éminemment politique.
« Nous devons aussi, dans le cas particulier de l'Albanie, tenir compte du point de départ d'un pays sans traditions démocratiques, qui, pendant quarante-sept ans, a vécu dans un isolement total, dans l'obscurantisme le plus complet et qui, en l'espace de quatre ans, a accompli des progrès tout à fait exceptionnels et remarquables. Ce pays, qui a tant souffert, mérite de prendre sa place au sein de notre famille.
« Je tiens à remercier tout particulièrement notre rapporteur, Victor Ruffy, en associant à cet hommage notre ancien collègue, Albert Pfuhl, qui fut le premier rapporteur lors de l'obtention, par l'Albanie, en 1991, du statut d'invité spécial. Il a tenu à être présent pour assister à l'aboutissement de son travail.
« Oui ! Par un vote unanime, qu'il est maintenant possible de réaliser, nous saluerons dignement l'entrée de l'Albanie au sein de notre famille dans cette enceinte. »
À l'issue de ce débat, les propositions contenues dans le rapport 7304, l'Avis 7338 et l'Avis 7339, présenté par M. Jean SEITLINGER, Député (UDF), amendées, sont adoptées à l'unanimité, aboutissant ainsi à transmettre au Comité des ministres l'Avis 189 exprimant l'avis favorable de l'Assemblée à l'adhésion de l'Albanie au Conseil de l'Europe.
J. - La situation en Bosnie-Herzégovine - Avis de M. Jean SEITLINGER, Député (UDF), et intervention de M. Jacques BAUMEL, député (RPR). ( Jeudi 29 juin 1995. )
Au nom de la Commission des relations avec les pays européens non membres, M. Jean SEITLINGER, Député (UDF), a présenté, à la suite du rapport 7336 et de l'Avis 7342, l'Avis oral suivant :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, cette session se présente sous les meilleurs auspices : nous avons à l'unanimité voté pour l'adhésion au Conseil de l'Europe de la République de Moldova et de l'Albanie ; nous avons inauguré, il y a quelques instants, à deux pas d'ici, le nouveau Palais des droits de l'homme, symbole des valeurs que nous partageons et, en ce moment, se réalise un autre exploit : l'arrimage des deux vaisseaux spatiaux Mir et Atlantis.
« Or, dans le même temps, à 1 000 kilomètres d'ici, c'est la guerre !
« Tout à l'heure, le Président de la République tchèque nous a interpellés lorsqu'il a dit que nous ne pouvions pas assister en silence à cette guerre, dans la seule attente du résultat. Nous devons prendre des initiatives et nous avons eu raison d'organiser ce débat d'urgence, qui est une initiative positive et, je l'espère, une contribution à la recherche d'une solution.
« Je ne procéderai pas à un rappel de l'histoire des Balkans. Je ne me livrerai pas davantage à une analyse pour savoir qui sont les coupables et qui sont les victimes, car il y en a de part et d'autre.
« Nous sommes confrontés à une situation dramatique : Sarajevo assiégé, des Casques bleus pris en otage, enchaînés et placés comme des cibles, humiliés, ce qui a entraîné la création de la Force de réaction rapide.
« Pourtant, connue l'a déclaré hier le Président Eltsine, il ne saurait y avoir de solution militaire. Dans ce type de conflit, en effet, il ne peut exister d'autre solution que politique, issue d'un dialogue.
« C'est la raison pour laquelle - comme l'ont d'ailleurs déclaré les chefs d'État et de Gouvernement à Cannes - nous devons exiger que la mission confiée à M. Karl Bildt vise à la levée du siège de Sarajevo, à l'ouverture d'un couloir d'accès terrestre à la ville, à un moratoire des opérations militaires, à la reprise d'un dialogue entre toutes les parties, à la reconnaissance mutuelle entre la Bosnie-Herzégovine et la République fédérale de Yougoslavie - c'est-à-dire la Serbie et le Monténégro -, ce qui ouvrirait la voie à une levée des sanctions internationales frappant actuellement la Serbie, et au retour des réfugiés.
« Nous devons également démilitariser, désarmer, déminer et ensuite reconstruire cette terre.
« Ainsi que l'a souligné le Président de la République tchèque, le Conseil de l'Europe ne peut pas mettre fin à cette guerre. En revanche, les trente-quatre États que nous regroupons - trente-six dans deux semaines - ont le pouvoir d'y contribuer de manière active, notamment au sein du groupe de contact. Cependant, la Russie peut, me semble-t-il, apporter une contribution importante. D'ailleurs, la crise récente, au cours de laquelle des Casques bleus ont été pris en otages, a démontré que les Gouvernements ne peuvent pas se passer de l'influence de la Russie sur ses frères serbes.
« De manière plus générale, toute politique concernant le continent européen qui ignorerait la Russie serait vouée à l'échec. Pour ce faire, la Russie doit être un partenaire stable et nous devons l'aider à poursuivre ses réformes démocratiques.
« Aujourd'hui, un cessez-le-feu est en vigueur en Tchétchénie et des négociations sont ouvertes entre Moscou et les représentants tchétchènes. Cette nouvelle situation a été dûment reconnue par le Conseil européen de Cannes, qui a décidé de signer l'accord intérimaire avec la Russie, gelé depuis janvier dernier pour protester contre l'intervention militaire russe en Tchétchénie.
« Notre Assemblée devrait, de son côté, tirer également les conséquences de cette situation nouvelle, si, bien entendu, cette évolution se confirme, de manière à reprendre ultérieurement - peut-être lors de la session de septembre - l'examen de la demande d'adhésion de la Russie au Conseil de l'Europe. Nous avons plus que jamais besoin de son appui, de son soutien et de ses initiatives au sein du groupe de contact.
« La commission des relations avec les pays européens non membres se rendra, du 6 au 8 septembre, à Zagreb, et nous demanderons à rencontrer également, comme le Conseil de Cannes nous y invite, les Serbes de Krajina.
« En conclusion, nous sommes l'enceinte qui permet à nos collègues russes de siéger avec le statut d'invité spécial. Nous devons leur demander d'intervenir auprès des autorités russes pour que celles-ci, au sein du groupe de contact, apportent une contribution qui pourrait être décisive pour la recherche d'une solution politique permettant de restaurer une cohabitation pacifique dans les Balkans. »
Puis M. Jacques BAUMEL, Député (RPR), a formulé les observations suivantes :
« Madame la Présidente, qui, dans cette enceinte, à l'occasion de ce débat, n'éprouverait pas un sentiment d'impuissance et de responsabilité ? Heureusement, pour l'honneur, pour notre honneur, nous avons entendu des paroles qui restituent à cette tragédie sa véritable dimension.
« Malheureusement pour nous, ces paroles n'ont pas été prononcées dans notre hémicycle, mais dans le nouveau Palais des droits de l'homme par M. Václav Havel. Lui, chef d'État, a dit ce que nombre de parlementaires n'ont pas eu le courage de dire.
« Lorsque l'on examine objectivement le dossier, on ne peut pas mettre sur le même plan les agresseurs et les victimes. J'entends, par-ci, par-là, des personnes qui accusent les médias de favoriser le nationalisme, alors qu'il est à l'origine de ce conflit ! Pourtant, ces derniers n'ont fait que montrer les images, atroces, d'enfants et de femmes assassinés et de villes bombardées.
« Où a-t-on bombardé ces villes ? Où a-t-on tué ces enfants et ces femmes ? J'ai été de nombreuses fois en Bosnie-Herzégovine et en Serbie. J'ai donc pu constater que ce n'est pas autour de Belgrade que l'on trouve des villages brûlés. Dans cette tragédie, je n'ai pas encore vu beaucoup de citoyens serbes martyrisés. En revanche, j'ai visité, à plusieurs reprises, Vukovar, et ma ville est liée à Sarajevo par un jumelage. Je connais donc la situation tragique de ces populations.
« J'estime que le Conseil de l'Europe n'aurait pas dû se réfugier derrière un compromis.
« Comme l'a dit M. Václav Havel, "force nous est d'arrêter cette guerre. Nous ne l'arrêterons pas en cherchant désespérément des compromis entre plusieurs réalités qui confirment, par leurs conséquences, le même principe. Il n'y a qu'une seule manière d'arrêter la guerre sans la perdre, c'est d'appeler un mal un mal, un coupable un coupable, une victime une victime et d'énoncer clairement les enjeux."
« Je suis déçu, tout comme mon collègue hongrois, par ce débat. Le Conseil de l'Europe, défenseur des droits de l'homme, aurait dû prendre, dans cette affaire, une position plus courageuse et plus responsable.
« Malheureusement, je constate que de nombreux éléments pèsent sur l'attitude des parlementaires. Des arrière-pensées idéologiques ou politiques apparaissent plus ou moins clairement, ce qui est fort regrettable !
« Se réfugier derrière les décisions prises à Cannes n'est pas à l'honneur du Conseil de l'Europe. Nous n'avons pas à attendre de Cannes et de l'Union européenne ce que nous-mêmes pouvons défendre. En effet, nous sommes mieux placés que l'Union européenne pour défendre certaines valeurs imprescriptibles, comme le droit des peuples et la liberté.
« Nous ne sommes pas liés à des politiques forcément étatistes. Nous sommes des parlementaires libres de nos opinions et nous avons le droit et le devoir de critiquer la politique froide de ces "monstres froids", comme disait Nietzsche, que sont les États modernes. Nous ne le faisons qu'insuffisamment et c'est un grand reproche que nous pouvons nous adresser.
« Aujourd'hui, une belle occasion nous était donnée, et je regrette profondément que nous ne l'ayons pas saisie en voulant à tout prix maintenir le dialogue par des moyens pacifiques, et cela pour des raisons idéologiques.
« Que fait la communauté internationale depuis trois ans, sinon tenter désespérément de maintenir le dialogue avec des hommes qui n'en tiennent pas compte ?
« Que fait la communauté internationale, sinon, par tous les moyens, au prix d'humiliations scandaleuses et d'une impuissance totale, rechercher une solution politique dont une partie ne veut pas ?
« M. Karadjic et ses amis, lorsqu'ils vous écoutent et constatent l'inefficacité de nos Gouvernements, ne sont pas tentés d'adhérer à des solutions pacifiques. En effet, tout leur sert. L'impuissance que nous manifestons leur permet de continuer de bombarder, comme hier, la maison de la télévision et, il y a trois jours, de tirer sur les médiateurs de la communauté internationale, d'empêcher les convois d'arriver pour nourrir les femmes et les enfants et de ridiculiser les Casques bleus.
« Qui sont ces "soldats de la paix" incapables de maintenir la paix et d'assurer le respect des personnes ? Voilà le procès que nous aurions dû dresser aujourd'hui en prenant des positions plus courageuses.
« C'est la raison pour laquelle, en conscience, je ne voterai pas le compromis qui nous est soumis. »
Au cours de ce débat, M. Mohamed SACIRBEY, ministre des Affaires étrangères de la République de Bosnie-Herzégovine, s est adressé à l'assemblée, qu'il a remerciée de l'avoir invité à prendre la parole devant elle. C'est un honneur pour la Bosnie-Herzégovine et cela montre que l'Assemblée considère ce pays comme l'un des siens.
Le Conseil de l'Europe, qui incarne la protection des droits de l'homme, a été fondé pour garantir la libre circulation des idées. Il semble bien s'agir, pour certains, d'un idéalisme suranné. Ceux qui avaient connu le joug nazi ont laissé la place à des générations qui, depuis cinquante ans, vivent dans le bien-être, ce qui a pu leur faire oublier les principes fondateurs du Conseil de l'Europe. Or, si M Sacirbey s'adresse aujourd'hui à l'assemblée, c'est qu'il prend la place de son prédécesseur, assassiné. Il a dû lui-même ramper dans un tunnel pour quitter sa ville assiégée, une ville dont les habitants tentent, vaille que vaille, de survivre aux attaques des tireurs embusqués.
Dire que Sarajevo est la victime de conflits interethniques, c'est céder à des arguments simplistes et donc erronés. Sarajevo a toujours été le théâtre d'un grand brassage d'idées. Pendant qu'elle prospérait, les chrétiens allaient à l'église, les musulmans à la mosquée et les juifs à la synagogue, comme dans le reste du pays. Aujourd'hui, ceux qui ont si longtemps cohabité se déchirent et l'on assiste à une course quotidienne pour les aliments, pour le papier destiné à l'impression des journaux, pour les piles des radios. La guerre est due à ceux qui ont adopté une philosophie incompatible avec la liberté d'opinion et qui ont décidé d'écraser une ville qui incarnait la coexistence pacifique entre différentes communautés. Des bibliothèques sont incendiées qui dataient de plusieurs siècles et, hier encore, les assiégeants tentaient de détruire le siège de la télévision et de couper ainsi Sarajevo de toute information.
Les habitants, encerclés, tentent de survivre et de maintenir leur identité culturelle. Les autorités bosniaques, quant à elles, luttent d'une autre manière, en s'efforçant de maintenir vivant le plan de règlement pacifique du conflit. La Bosnie a toujours soutenu les initiatives du groupe de contact. M. Sacirbey saisit l'occasion qui lui est offerte de remercier les membres du groupe ainsi que le Président Chirac. Le plan n'est certes pas parfait et il est même inéquitable, puisqu'il favorise l'agresseur, mais il a le grand mérite de formuler des propositions de paix réalistes.
Que l'Assemblée ne s'y trompe pas : si les propos de M. Sacirbey ont pu lui paraître, jusqu'à présent, quelque peu généraux, qu'elle sache qu'il se veut avant tout pragmatique. Les autorités bosniaques pensent pouvoir gagner la guerre par la paix. Elles considèrent que le pays doit être reconstruit en respectant les valeurs démocratiques sur lesquelles la République a été fondée. Pendant ce temps, en face, on souhaite maintenir la tension. Pour cela, on manipule les citoyens en leur faisant croire que, si la guerre prenait fin, leur sécurité serait menacée. Les ennemis de la Bosnie ne veulent pas conquérir une plus grande partie de son territoire pour le simple plaisir d'en jouir mais pour détruire l'État bosniaque, comme ils veulent étrangler Sarajevo, qui représente à leurs yeux un brassage culturel inacceptable.
M. Sacirbey a été très ému par l'inauguration du nouveau Palais des droits de l'homme mais il est convaincu que ceux-là même qui bombardent Sarajevo n'hésiteraient pas à bombarder ce bâtiment dont la valeur symbolique dépasse largement les qualités architecturales. Cela, certains ne le comprennent pas. Se disant pragmatiques, ils vivent dans l'illusion et semblent avoir perdu le sens des valeurs sur lesquelles ont été fondées les grandes organisations internationales.
Ce faisant, ils répètent les graves erreurs commises avant la Seconde Guerre mondiale. En effet, c'est bien à Sarajevo que se décide maintenant le sort des principes que défend le Conseil de l'Europe. Aussi, il faut choisir : soit le Conseil prend Sarajevo - attaqué parce qu'il défend un héritage de tolérance - sous son aile protectrice, soit il parvient à imposer la paix. Mais en aucun cas il ne doit se laisser abuser.
Le Président Havel a bien dit, lors de l'inauguration, que cette guerre était menée «contre une âme, contre les droits de l'homme, contre la coexistence de différentes nations ou de différentes religions ». Il faut bien sûr y mettre un terme, mais cela ne doit pas signifier approuver des compromis désespérés eux-mêmes fondés sur de précédents compromis déjà inacceptables. Il n'existe qu'une manière d'arrêter la guerre : il faut dénoncer le mal, dénoncer les coupables proclamer qui sont les victimes, dire ce qu'est cette guerre.
Si le Conseil de l'Europe n'a pas, par lui-même, les moyens de mettre un terme au conflit, les États qui en sont membres en ont, eux, le pouvoir. Il revient au Conseil, qui incarne les valeurs universelles de la démocratie, de continuer à dénoncer la guerre et de proclamer qu'en Bosnie-Herzégovine ce sont les valeurs qu'il a toujours défendues qui sont foulées aux pieds, a déclaré M. SACIRBEY pour conclure son allocution.
Au terme du débat portant sur le rapport 7336 et l'Avis 7342 ainsi que sur l'Avis oral de M. Jean SEITLINGER, l'assemblée est appelée à se prononcer par appel nominal, sur la demande de M. Jacques BAUMEL, Député (RPR). Après constatation de l'absence du quorum réglementaire, le vote a été reporté.
K. - Le pouvoir de l'image . ( Vendredi 30 juin 1995. )
Le rapporteur, présentant oralement le rapport 7314, choisit d'interroger l'Assemblée :
« Qu'est-ce qui sert à informer et à éduquer ? Qu'est-ce qui peut offenser ou choquer ? Qu'est-ce qui fait vendre ? Qu'est-ce qui peut guider dans la bonne ou dans la mauvaise direction ? » Chacun aura bien évidemment compris qu'il s'agit de l'image, sous toutes ses formes. L'histoire récente abonde en exemples illustrant la puissance qu'elle peut avoir sur les esprits : qui ne se souvient de la photo de deux enfants courant en hurlant sur une route du ViêtNam ? De celle de Richard Nixon, mal rasé, au-dessus de la légende : « Achèteriez-vous une voiture d'occasion à cet homme ? » Les régimes totalitaires aussi ont su utiliser cet instrument, plus puissant que 500 discours.
Chaque jour, ce sont soixante milliards d'images qui sont produites. La vidéo, la photo, le film nourrissent la réflexion, imposent des conceptions, diffusent des stéréotypes - par exemple sur la femme idéale ou sur la virilité. Elles guident les choix du consommateur et même de l'électeur. Après des siècles où le premier souci a été d'alphabétiser, il faut donc maintenant éduquer à l'image. Beaucoup sont encore incapables d'interpréter correctement le message qu'elle transmet : il faut réagir afin que cette puissance soit mise au service du bien commun et, en particulier, d'une information authentique.
Le problème n'est pas simple : comment réagir à l'exploitation commerciale de la violence ? Que faut-il interdire et que faut-il laisser à l'initiative individuelle et à la liberté du marché ? En bref, quelle serait la législation optimale ? La difficulté est encore accrue par l'apparition de nouvelles techniques : informatisation, numérisation, multiplication des canaux de télévision... Les entreprises qui investissent dans ce secteur recherchent bien évidemment un profit et sont donc tentées d'exploiter le sensationnalisme et l'horreur.
Les notions traditionnelles de vérité et de réalité risquent également d'être sérieusement bousculées : bientôt, on pourra réaliser des films sans acteurs et manipuler des images de différentes provenances pour en créer une, purement inventée mais que le public croira vraie. On risque ainsi de perdre contact avec la réalité, jugée de moins en moins intéressante, et cela ouvre la voie à toutes sortes de manipulations.
M. Berg poursuit en disant qu'aujourd'hui les hommes politiques et les journalistes ont sans doute plus d'intérêts en commun que n'en ont les premiers et les producteurs ou diffuseurs d'images. Ils ont besoin qu'on revienne à la réalité et à la sincérité, qu'on imprime non un maximum d'images mais les meilleures images accompagnées des meilleurs textes.
Le projet de recommandation dresse la liste des principes de base dont la commission souhaite voir le Comité des ministres tenir compte lorsqu'il établira une politique de l'image ou lorsqu'il conseillera les Gouvernements des États membres à ce propos.
Le rapporteur insiste en conclusion sur la responsabilité de la société en la matière : la dislocation du cadre familial, le manque d'exemple parental, la perte du respect pour les valeurs participent des difficultés présentes.
Après un bref débat sur les propositions contenues dans le rapport 7314, l'assemblée a adopté à l'unanimité la Recommandation 1276.
L. - Les migrants, les minorités ethniques et les médias -Intervention de M. Bernard SCHREINER, Député (RPR). ( Vendredi 30 juin 1996. )
Constituant le second volet de la contribution de l'Assemblée parlementaire à la « Campagne du Conseil de l'Europe contre le racisme, la xénophobie, l'antisémitisme et l'intolérance », le rapport sur les migrants, les minorités ethniques et les médias (7322) souligne qu'il s'agit d'un thème important car les Européens vivent dans une société dominée par les médias.
Il importe de concilier deux exigences qui peuvent apparaître contradictoires : d'une part, la volonté de ne pas limiter la liberté d'expression ; de l'autre, le désir de veiller à l'impact des médias sur la situation des migrants et des minorités. Le rapport s'appuie sur la notion originale de transversalité. Les minorités ethniques et les groupes de migrants doivent disposer de moyens d'expression propres, mais il est important aussi qu'ils puissent s'exprimer au travers des différents moyens de communication, de façon à éviter que ne se constituent des ghettos.
Il est évidemment difficile de tendre vers l'intégration dans le pays d'accueil et, en même temps, de préserver l'identité culturelle d'origine. Les migrants et les minorités ethniques font pourtant partie intégrante de la Communauté européenne et ils ont le droit d'être traités de façon équilibrée par les médias.
Le projet de recommandation préconise un certain nombre de mesures, comme l'élaboration d'un code de déontologie qui rappellerait aux médias les règles qu'ils doivent respecter quand ils traitent des migrants et des minorités, la création d'un prix européen réservé aux professionnels, une application stricte des lois antiracistes et un meilleur accès à l'éducation et au marché du travail. Il demande également des programmes élaborés en participation avec les communautés concernées. Les actions qui sont suggérées concernent autant les médias privés que les médias publics et les médias locaux autant que nationaux.
Telles sont les considérations qui ont amené à la présentation de ce rapport, qui a été enrichi par les auditions organisées à Londres. Le rapporteur se déclare convaincu que, par la transversalité, il serait possible de préserver l'identité culturelle des minorités et des migrants tout en les intégrant à la construction de l'Europe.
Dans le débat qui suit la présentation de ce rapport, M. Bernard SCHREINER, Député (RPR), s'est exprimé en ces termes :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, nous arrivons à peu près au terme de nos débats sur les différentes recommandations que notre assemblée va adresser au Comité des ministres pour combattre le racisme, la xénophobie et l'antisémitisme, et promouvoir la tolérance.
« Comment ne pas partager ces objectifs ? Il est souhaitable que tous les États membres se dotent d'une législation incriminant l'expression de propos racistes.
« Il n'est pas moins nécessaire de promouvoir la tolérance. Toutefois, je voudrais que l'on m'entende bien. La tolérance n'est pas une attitude à sens unique. Si nous voulons préserver la cohésion et l'harmonie de nos sociétés, la tolérance doit, impérieusement, être mutuelle. C'est ce respect mutuel qui est au coeur de la conception laïque de la vie collective en France.
« Notre assemblée a adopté, à plusieurs reprises, des textes de soutien à M. Salman Rushdie et à Mme Nasreen, persécutés par des extrémistes se réclamant du respect dû à une religion, dont le message est dénaturé, pour en faire une arme de conquête et de domination.
« Dans un souci d'équilibre, je trouve dans la proposition de recommandation de Mme Aguiar beaucoup d'excellentes choses. D'autres, cependant, appellent de ma part quelques réserves.
« J'approuve, bien sûr, la mise en oeuvre de législations réprimant l'incitation au racisme, comme celle qui existe dans mon pays depuis 1972.
« J'approuve également la promotion de l'accès au marché du travail des "personnes appartenant aux milieux issus de l'immigration ou aux minorités ethniques", spécialement dans les métiers du journalisme. Je me plais, d'ailleurs, à inviter mes collègues à regarder la télévision française. Il ne leur sera pas difficile de constater la diversité des filiations dont pourraient se réclamer nombre de vedettes du petit écran.
« Comment ne pas approuver aussi l'invitation à ratifier la Convention européenne sur la télévision transfrontalière, qui est non pas un outil protectionniste mais le garant indispensable de la pérennité de la diversité culturelle européenne ?
« Je suis plus réservé, en revanche, vis-à-vis de tout ce qui ressemblerait à ce que les Américains appellent des "actions positives" ou "discriminations positives" à l'égard de tel ou tel groupe, aux contours d'ailleurs incertains.
« Le principe fondamental de la démocratie est et demeure l'égalité des droits.
« La déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, traduisant l'idéal des Lumières en principes constitutionnels, nous a légué cette définition de l'égalité des droits : "Tous les citoyens, étant égaux aux yeux de la loi, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs venus et de leurs talents."
« J'aimerais donc, mes chers collègues, que la vie sociale dans nos pays, tout particulièrement la liberté de pensée, se déroule dans le cadre défini, d'un côté, par la seule compétition des talents et, de l'autre, par la responsabilité des comportements et des opinions, libres sans doute, sauf à encourir la sanction des abus, au premier rang desquels l'antisémitisme et le racisme.
« Je suis donc très réservé sur tout ce qui pourrait tendre à une police de la pensée qui anéantirait la liberté de critique. Souvenons-nous des longues luttes qui ont été menées dans nos pays et, tout récemment, chez nos amis d'Europe centrale - et au prix de quelles souffrances ! - pour établir la liberté d'expression.
« Sans doute les immigrants légalement installés sur notre territoire ont-ils droit au respect. Sans doute doit-on souligner les réussites individuelles de ceux qui ont choisi non pas la haine et le repli communautaire mais l'effort et la libre compétition des talents.
« Les exemples ne manquent pas en Alsace, tel celui de ce jeune homme issu d'une famille très modeste, d'origine algérienne, reçu premier à l'École normale supérieure, celle fréquentée par Léon Blum.
« Cependant, on ne doit pas taire non plus que les immigrés ont des devoirs et que, lorsque certains enfreignent la loi, ils encourent des sanctions.
« De même, lorsque certains intégristes prônent des règles d'organisation sociale contraires à nos lois, et, plus encore, aux droits de l'homme consacrés dans nos Constitutions, nous devons affirmer clairement qu'il n'y a pas de tolérance pour ces provocations.
« Ces mêmes intégristes se réclament de prétendus droits culturels pour maintenir femmes et jeunes filles dans des statuts d'infériorité.
« Je souhaite ainsi, mes chers collègues, que nous donnions plus de cohérence à nos messages. Nous votons des motions de soutien aux martyrs de la liberté d'expression et du droit des femmes à une égale dignité, d'une part, et nous invitons à la tolérance interculturelle, d'autre part.
« Aussi voudrais-je, pour ma part, que nous rassemblions ces messages en un seul, plus équilibré, qui proclamerait qu'il n'est pas de droits sans devoirs, quelle que soit l'origine ethnique, et que les "droits culturels" connaissent des limites - celles de la tolérance mutuelle et de la laïcité qui en garantit le respect - les abus étant passibles de sanctions pénales, comme tout autre abus. »
Au terme du débat qui porte sur le rapport 7322, l'assemblée a adopté la Recommandation 1277.
M. - Inauguration du nouveau Palais des droits de l'homme - Allocutions de M. Jacques TOUBON, garde des Sceaux, et de M. Rolv RYSSDAL, Président de la Cour européenne des droits de l'homme. ( 29 juin 1995. )
Le bâtiment, qui doit désormais abriter la Cour et la Commission européennes des droits de l'homme (en attendant la fusion de ces deux organes en une Cour unique et permanente avec l'entrée en vigueur du Protocole n° 11), organes de contrôle de la Convention européenne des droits de l'homme (bâtiment dû à l'architecture britannique Richard ROGERS) , a été inauguré en présence de M. Václav HAVEL, Président de la République tchèque et alors président en exercice du Comité des ministres du Conseil de l'Europe. Ont participé également à cette cérémonie, outre les délégations nationales à l'assemblée, la délégation française étant conduite par son président, M. Jean VALLEIX, Député (RPR), M. Miguel Angel MARTINEZ, Président de l'Assemblée parlementaire, et M. Daniel TARSCHYS, Secrétaire général du Conseil de l'Europe, ainsi que MM. Adama DIENG, Secrétaire général de la Commission internationale des juristes, Carl Aage NORGAARD, Président de la Commission européenne des droits de l'homme, Rolv Ryssdal, Président de la Cour européenne des droits de l'homme, et Mme Catherine TRAUTMANN, maire de Strasbourg.
À cette occasion, M. Jacques TOUBON, garde des Sceaux, a prononcé l'allocution suivante :
« L'inauguration du Palais des droits de l'homme nous fait mesurer le chemin parcouru depuis ce jour de 1950 où treize de nos États signaient à Rome la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, instituant la première juridiction internationale de protection de ces droits. Le Conseil de l'Europe compte maintenant trente-quatre membres, tous signataires de ce texte fondateur qui s'est enrichi de nombreux protocoles renforçant les droits de l'homme et améliorant leur protection. Tous les États contractants ont accepté le droit de recours individuel et la juridiction obligatoire de la Cour européenne des droits de l'homme ; la Convention est directement applicable dans le droit interne d'un grand nombre de nos pays.
« La Convention européenne des droits de l'homme a joué un rôle déterminant dans l'adaptation de nos dispositifs internes et continue de le faire. Les arrêts de la Cour ne servent pas seulement à trancher des cas individuels mais plus largement à clarifier et développer les normes de la Convention. De ce fait, leur portée ne se limite pas à la situation de l'État défendeur mais concerne bien souvent les États tiers.
« La Convention européenne des droits de l'homme est donc l'héritage du combat lancé par la France, il y a plus de deux siècles, et que l'on pourrait résumer par cette phrase de Chamfort : "Il faut être juste avant d'être généreux."
« A travers ces progrès, un système européen de protection des droit de l'homme unique en son genre s'est affirmé et imposé à nous comme une référence incontournable. Il faut apprécier ce qu'il y a d'exceptionnel à ce que l'ensemble de nos États aient accepté de se soumettre à ce contrôle international. Nos valeurs communes, celles qu'incarne le Conseil de l'Europe, s'en trouvent renforcées et, en disant cela, je ne pense pas seulement aux droits de l'homme mais également à la prééminence du droit et à la démocratie.
« Les responsables du bon fonctionnement des systèmes judiciaires de nos États doivent se référer à ces valeurs qui peuvent les guider dans leur action.
« C'est d'ailleurs en pensant à ces valeurs que j'ai décidé deux réformes importantes dès mon arrivée au ministère de la Justice français : la création des tribunaux criminels départementaux pour moderniser la procédure de jugement des infractions les plus graves et la réforme du régime de la détention provisoire.
« Ces réformes sont fidèles à la tradition française, qui s'est toujours attachée à améliorer les rapports entre la justice et le citoyen.
« Le Conseil de l'Europe a su préserver un rôle qu'aucune autre institution ne pouvait remplir. La Convention européenne des droits de l'homme a été le point de départ d'un travail considérable d'élaboration de normes qui a permis d'en élargir la portée et donc d'améliorer sans cesse la protection de la dignité humaine en Europe.
« La France, qui a toujours été favorable à l'élargissement du Conseil de l'Europe à l'ensemble du continent européen, se réjouit de voir la quasi - totalité des États européens présents aujourd'hui dans ce nouveau bâtiment.
« Le nouveau Palais des droits de l'homme, dont nous admirons aujourd'hui l'architecture, n'est pas seulement le symbole de l'oeuvre accomplie ; il marque aussi le début d'une ère nouvelle :
« - celle d'une Cour permanente et unique, telle qu'instituée par le Protocole n° 11 à la Convention européenne des droits de l'homme. Cette réforme, qui instaure un système entièrement juridictionnel, est l'aboutissement de l'évolution que je viens de décrire, et la France, qui en a soutenu le principe et qui a entamé la procédure de ratification, souhaite qu'elle puisse être mise en place rapidement ;
« - ère nouvelle aussi, puisque le système juridictionnel de la Convention européenne des droits de l'homme est appelé à accueillir les démocraties de l'Europe tout entière. La présence du Président Václav Havel et celle de nombre d'entre vous témoignent des progrès déjà enregistrés dans ce domaine et nous ne pouvons qu'espérer que cette évolution se poursuive dans des conditions satisfaisantes.
« Dans ce contexte, je voudrais insister sur la responsabilité qui incombe aux juges nationaux dans leurs fonctions de gardiens de libertés publiques et des droits des citoyens et me réjouir du dialogue instauré entre la Cour et la Commission européenne des droits de l'homme et les présidents des plus hautes juridictions de nos pays, réunis aujourd'hui parmi nous. Je suis profondément convaincu que le juge européen ne doit constituer qu'un ultime recours et cela doit être une incitation pour tous nos États à approfondir une pratique respectueuse des droits de l'homme car, selon Albert Camus, "il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser".
« Je voudrais aussi évoquer la mémoire des pères fondateurs de la Convention européenne des droits de l'homme, et plus particulièrement celle de René Cassin, premier Président de la Cour, dont la vision nous a menés là où nous sommes maintenant. Sachons faire fructifier cet héritage en faisant preuve de la même audace que ceux qui nous ont précédés.
« Aujourd'hui, je suis heureux d'être parmi vous et d'affirmer l'importance que le Gouvernement accorde aux droits de l'homme et à cette instance normative de la démocratie qu'est le Conseil de l'Europe.
« Heureux aussi de voir que ce nouveau Palais, avec les édifices abritant les activités des autres institutions européennes, notamment les deux hémicycles et le siège de l'Observatoire européen de l'audiovisuel, est un nouveau témoignage de la vocation européenne de Strasbourg, affirmée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. »
Enfin, M. Rolv RYSSDAL, Président de la Cour européenne des droits de l'homme, a prononcé l'allocution suivante :
« Monsieur le Président de la République tchèque,
« Monsieur le Président de l'Assemblée parlementaire,
« Messieurs les Premiers ministres,
« Mesdames et Messieurs les ministres,
« Excellences,
« Mesdames et Messieurs les parlementaires,
« Madame le maire,
« Mesdames et Messieurs les secrétaires généraux,
« Mesdames et Messieurs les présidents,
« Mesdames et Messieurs,
« Cinquante ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, nous voici réunis pour inaugurer le nouveau Palais des droits de l'homme, à Strasbourg, ville qui symbolise à elle seule les drames qui ont déchiré notre continent durant plus d'un siècle. Ravagée par une machinerie de mort impitoyable, l'Europe écorchée a retrouvé, au fond de l'abîme, ce qui avait fait sa grandeur, à savoir sa conception de la dignité intrinsèque de la personne humaine. René Cassin et Eleonore Roosevelt, Pierre-Henri Teitgen et David Maxwell-Fyfe la convertirent en préceptes pour la communauté internationale, les premiers sur le plan mondial avec la Déclaration universelle des droits de l'homme, les seconds en Europe avec la Convention européenne des Droits de l'Homme. Il importe d'y insister car c'est ici que furent jetées les bases du nouvel ordre international que nous espérons voir s'imposer dans notre monde. Le message de ces femmes et hommes de la première heure, survivants de la guerre et de l'holocauste, est net : la guerre et la misère ne nous quitteront pas si la communauté internationale se désintéresse du respect des droits fondamentaux de la personne humaine.
« Les États membres du Conseil de l'Europe ont répondu à ce message en le plaçant au centre de leur action au sein du Conseil. Leur souci et leurs efforts d'y rester fidèles ont abouti à des résultats concrets qui ont souvent dépassé les attentes les plus optimistes. Rien ne le montre mieux que ce magnifique bâtiment que les autorités du Conseil de l'Europe nous remettent aujourd'hui, presque trente ans après l'ouverture solennelle du premier Palais des droits de l'homme, devenu trop exigu pour une Cour et une commission dont les responsabilités n'avaient cessé d'augmenter.
« En prenant officiellement possession de ce deuxième Palais avec nos amis de la commission, je tiens à exprimer, au nom de la Cour, mes sentiments de profonde gratitude à la ville de Strasbourg, et en particulier à son maire, Catherine Trautmann, à l'ancien Président de la République française François Mitterrand, qui a posé la première pierre il y a trois ans, à son successeur le Président Jacques Chirac, au Gouvernement français, au Comité des ministres et à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, ainsi qu'aux trois secrétaires généraux du Conseil, dont chacun a apporté son soutien à la réalisation du projet, à savoir Marcelino Oreja, Catherine Lalumière et Daniel Tarschys.
« Nos remerciements s'adressent tout particulièrement à Richard Rogers, qui, par un coup de génie, a su répondre d'emblée à nos idées et souhaits et nous a construit ce bâtiment que nous avions voulu ouvert vers l'extérieur, transparent et accueillant.
« Si ce Palais abrite désormais la Cour et la commission, il est en même temps un lieu de rencontre, un lieu commun pour les institutions de la Convention et les Cours constitutionnelles et suprêmes de nos États, qui, d'après la Convention, sont les premiers responsables du respect des droits de l'homme sur notre continent. C'est pourquoi la Cour a souhaité voir inviter à cette cérémonie les présidents des hautes juridictions nationales et je remercie les autorités du Conseil de l'Europe d'avoir bien voulu accepter notre proposition.
« Bien entendu, ce nouveau Palais est d'abord et avant tout la maison de ceux qui s'estiment lésés dans leurs droits et libertés et y cherchent refuge en fondant leurs espoirs sur une réponse européenne à leurs interrogations et difficultés.
« Grâce à une prise de conscience de plus en plus large des possibilités de protection qu'offre la Convention, la Cour et la commission ont pu développer une jurisprudence importante en la matière, dont le noyau dur consiste en plusieurs centaines d'arrêts portant sur presque toutes les garanties de la Convention. Quant au mécanisme de contrôle, sa complexité empêche trop souvent que justice soit rendue dans un délai raisonnable, et il sera remplacé, dans un proche avenir, par une Cour unique et permanente.
« Les résultats acquis dont témoigne à sa façon ce splendide Palais ne doivent cependant pas nous faire oublier que beaucoup reste encore à faire pour assurer une protection efficace des droits et libertés de l'individu dans notre communauté. Il est grand temps que les États parties à la Convention qui ne l'ont pas encore fait acceptent les protocoles ayant ajouté certains droits au catalogue de la Convention. Il est grand temps aussi que les États qui ont formulé des réserves lors de leur adhésion à la Convention ou à tel ou tel protocole adaptent leur droit interne à la règle de la Convention et retirent leurs réserves. Le traitement des personnes arrêtées ou détenues, l'égalité entre l'homme et la femme, les droits sociaux et économiques et, bien entendu, la protection des minorités nationales, voilà autant de chantiers sur lesquels travaille le Conseil de l'Europe et où nous attendons un engagement généreux et ferme de nos Gouvernements. L'adhésion des Communautés européennes à notre Convention, préconisée depuis longtemps dans l'intérêt de l'unité du droit européen des droits de l'homme par le Parlement européen, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, la commission de Bruxelles et les secrétaires généraux du Conseil de l'Europe, devra figurer à l'ordre du jour de la Conférence intergouvernementale de l'Union européenne l'an prochain.
« Mesdames et Messieurs, je conclus en reprenant, presque mot pour mot, les paroles prononcées lors de l'ouverture du premier Palais des droits de l'homme par René Cassin, le plus illustre de mes prédécesseurs : "Nous souhaitons surtout", disait-il à la fin de son discours, "que les Gouvernements des pays membres du Conseil de l'Europe, répondant aux espoirs des individus, accentuent encore la confiance (...) qu'ils font au droit pour que l'Europe soit construite (...) sur la base de principes communs, et qu'ils manifestent une confiance accrue envers les institutions créées par la Convention (...). Les juges de la Cour de Strasbourg continueront, en ce qui les concerne, à ne ménager aucun effort de justice impartiale, pour répondre à ces espoirs et justifier cette confiance." »