Section IV - Deuxième partie de la session ordinaire (STRASBOURG, 24 au 28 avril 1995)
A. - Introduction.
L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a tenu, à Strasbourg, du 24 au 28 avril 1995, la deuxième partie de sa session de 1995.
L'Assemblée a entendu des allocutions de MM. José Zych, président de la Diète polonaise, Zhan Videnov, Premier ministre de Bulgarie, qui a répondu à une question de M. Jean SEITLINGER, député (UDF) ; MM. Lennart Meri, Président de la République d'Estonie ; Claude Frey, Président du Conseil national suisse, et Gyula Horn, Premier ministre de la République de Hongrie.
La communication (Doc. 7283) du Comité des ministres a été présentée par M. Alecos P. Michaelides, ministre des Affaires étrangères de Chypre, Président en exercice du Comité des ministres, qui a répondu à une question de M. Louis JUNG, sénateur (UC). M. Daniel Tarschys, secrétaire général du Conseil de l'Europe, s'est également adressé à l'Assemblée.
Les délibérations de l'Assemblée ont successivement porté sur les points suivants :
- le projet de Convention européenne sur l'exercice des droits des enfants (Rapport 7270 et projet de Convention 7197). Intervention de M. Bernard Schreiner, député (RPR) . Avis n° 186.
- les sciences sociales et le défi de la transition (Rapport 7269). Intervention de Mme Josette DURRIEU, sénateur (Soc.) . Recommandation n° 1264.
- l'élargissement et la coopération culturelle européenne (Rapport 7272). Intervention de M. Louis JUNG, sénateur (UC) . Recommandation n° 1265.
- le respect des obligations et engagements contractés par les États membres du Conseil de l'Europe lors de leur adhésion (Rapport 7277). Avis 7292 de M. Jean SEITLINGER, député (UDF), au nom de la commission des relations avec les pays non membres qu'il préside, et Avis 7294. Directive n° 508.
- la politique générale du Conseil de l'Europe. Rapport 7280 de M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc.), au nom de la commission des questions politiques. Interventions de MM. Claude BIRRAUX, député (UDF), et Jean-Claude MIGNON, député (RPR). Recommandation n° 1267.
- les politiques de coopération au développement (Rapport 7274). Avis 7281. Intervention de M. Claude BIRRAUX, député (UDF). Résolution n° 1060.
- la sixième conférence européenne des régions frontalières ( Ljubljana , 13-15 octobre 1994 ) (Rapport 7273). Intervention de M. Claude BIRRAUX, député (UDF). Recommandation n° 1268.
- pour un progrès tangible des droits des femmes à partir de 1995 (Rapport 7271). Recommandation n° 1269 et directive n° 509.
- 1'engagement de qualité dans les soins de santé et les examens cliniques et biologiques - Rapport 7213 de M. Christian DANIEL, député (RPR), au nom de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille. Recommandation n° 1270.
- la discrimination entre les hommes et les femmes pour le choix du nom de famille et la transmission du nom des parents aux enfants. Rapport 7259 de M. Jean-Louis MASSON, député (RPR), au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme. Recommandation n° 1271.
Par ailleurs, l'Assemblée a décidé de tenir un débat d'urgence sur l'intervention militaire turque dans le nord de l'Irak et le respect par la Turquie des engagements concernant la réforme constitutionnelle et législative. A la suite de la présentation des rapports 7290 et 7295, l'Assemblée a adopté une recommandation n° 1266 demandant au Comité des ministres d'» envisager la suspension des droits de représentation de la Turquie à moins qu'il ne puisse rendre compte de progrès significatifs à la troisième partie de session de l'Assemblée (26-30 juin 1995) ». La délégation parlementaire turque à l'Assemblée du Conseil de l'Europe a fait connaître aussitôt qu'elle suspendait ses relations avec l'Assemblée, « jusqu'à ce que la position du Comité des ministres du Conseil de l'Europe face à cette décision soit déterminée ».
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Au cours de cette session, M. Jean-Claude MIGNON, député (RPR), membre de la Délégation française, a présenté à M. Miguel Angel Martinez, Président de l'Assemblée parlementaire, et à M. Daniel Tarschys, secrétaire général du Conseil de l'Europe, le rapport qu'il venait de remettre, à sa demande, à M. Édouard BALLADUR, Premier ministre, sur « les perspectives ouvertes par l'élargissement du Conseil de l'Europe à l'ensemble du continent européen ».
Sous le titre « Pour un nouvel engagement de la France au Conseil de l'Europe » , le rapport de M. Mignon analyse les conséquences de l'élargissement du Conseil de l'Europe de 23 à 34 États membres depuis la chute du mur de Berlin en 1989, processus qui se poursuit, la Russie et l'Ukraine étant, en particulier, candidates à l'adhésion. Aujourd'hui, le Conseil de l'Europe s'affirme comme un forum de dialogue politique à l'échelle du continent et son nouveau rôle justifie pleinement un effort financier accru des États membres.
En conclusion de son rapport, M. Mignon soumet au Gouvernement plusieurs propositions de nature à renforcer le rayonnement du Conseil de l'Europe et le rôle de la France au sein de l'Organisation. Ces propositions portent notamment sur :
- une initiative française en vue de la tenue d'un second sommet des chefs d'État et de Gouvernement des pays membres du Conseil de l'Europe ;
- l'association du Conseil de l'Europe à la réflexion préparant la Conférence intergouvernementale de 1996 ;
- la révision du statut du Conseil de l'Europe dans le sens d'un renforcement des attributions de l'Assemblée parlementaire et du Secrétaire général ;
- un effort accru pour le budget du Conseil de l'Europe et la recherche de concours auprès du Fonds de développement social du Conseil de l'Europe, de l'Union européenne et de la BERD ;
- la mise en place d'un nouveau partenariat avec l'Union européenne pour la réalisation de programmes d'assistance aux pays d'Europe centrale et orientale ;
- le lancement d'un plan d'action pour les droits de l'homme afin d'éviter que ne se crée une Europe des droits de l'homme à deux vitesses.
M. Mignon propose, par ailleurs, afin de développer l'information des Parlements nationaux sur les travaux du Conseil de l'Europe, que soit étudiée la possibilité de diffusion de certains débats sur les réseaux de télévision internes et sur les réseaux câblés dont disposent désormais plusieurs Parlements.
B. - Le Rapport d'activité du Bureau et de l'Assemblée permanente de l'Assemblée parlementaire. ( 24 avril 1995. )
Le Rapport (7282 et addendum ) ayant essentiellement trait aux procédures d'adhésion, notamment à la suspension de celle de la Russie, ainsi qu'aux demandes de statut d'» invité spécial » (Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie), l'Assemblée a donné acte des activités présentées dans le Rapport comme des textes adoptés par la commission permanente, dont la récapitulation figure en annexe de ce Rapport.
C. - La communication du Comité des Ministres. Question de M. Louis JUNG, sénateur (UC). ( 24 avril 1995. )
Outre la Communication reproduite dans le Document 7285, M. Alecos MICHAELIDES a prononcé une allocution dont on trouvera la teneur, ainsi que celle de la question de M. Louis JUNG, et la réponse qu'il a reçue, ci-dessous, dans le chapitre II du présent rapport.
D. - Le Projet de Convention européenne sur l'exercice des droits des enfants. Intervention de M. Bernard SCHREINER, député (RPR). ( 25 avril 1995. )
Le débat de l'Assemblée porte sur l'avis à donner au Comité des Ministres sur un projet de convention qu'il appartient à ce dernier d'arrêter avant de l'ouvrir à la signature et à la ratification des États membres.
Le Rapporteur, récapitulant les principales dispositions envisagées, rappelle que la communauté internationale - et le Conseil - se préoccupent de longue date de promouvoir les droits des enfants. Ces travaux exigent une approche nuancée dans la mesure où cette question interfère nécessairement avec la vie familiale : il est impossible de la poser sans mettre en cause les droits et les responsabilités des parents. Les différents législateurs se sont donc efforcés de trouver le juste équilibre, dans le respect des obligations incombant à l'État.
Le projet de convention a été conçu de manière à ne pas faire double emploi avec les autres textes ou instruments existant. Il porte essentiellement sur les droits procéduraux de l'enfant et sur l'exercice de ces droits, et vise à parfaire le cadre juridique international.
S'agissant donc de procédures en amont de la saisine judiciaire ou administrative, le projet insiste sur le rôle capital des parents. En cas de conflit, il apparaît éminemment souhaitable de chercher une solution au sein de la famille. Cependant, les parents peuvent être défaillants, la société peut refuser aux enfants l'exercice de leurs droits, etc. Il convient donc de prévoir une protection : le paragraphe 2 de l'article 1 dispose que les enfants devront être informés, « eux-mêmes ou par l'intermédiaire d'autres personnes ou organes », des procédures judiciaires les concernant, et autorisés à y participer.
On a prévu des conditions de ratification très souples : chaque État devra désigner au moins trois procédures familiales auxquelles la convention a vocation à s'appliquer.
Les droits procéduraux reconnus aux enfants sont le droit d'être informés et d'exprimer leur opinion, et le droit de demander la désignation d'un représentant lorsque les détenteurs de l'autorité parentale ne peuvent assumer cette fonction en raison d'un conflit d'intérêts. Mais les États sont invités à accorder des droits supplémentaires : droit d'être assistés par une personne de leur choix, droit de demander un avocat, etc.
Le mérite du projet est de créer des obligations au pouvoir judiciaire. En outre, la mise en oeuvre effective de la convention est garantie par la création d'un Comité permanent de surveillance. Enfin, le texte tient compte de la Convention des Nations unies sur les droits des enfants, de la Convention de sauvegarde des Droits de l'homme et des Libertés fondamentales, de la Charte sociale, ainsi que de diverses résolutions ou recommandations de l'Assemblée et du Comité des Ministres.
Tout en soulignant que ce projet constitue un progrès important, le rapporteur reconnaît qu'il aurait pu être plus ambitieux. Il conviendrait probablement d'en étendre quelque peu le champ d'application et, notamment, de revenir sur les questions de la résidence et du droit de relations avec l'enfant. En outre, il serait souhaitable d'établir périodiquement des rapports sur l'application de la convention. Moyennant quelques amendements, le Rapporteur demande à l'Assemblée d'adopter un instrument qui servira effectivement l'intérêt des enfants.
Dans le débat qui s'instaure, M. Bernard SCHREINER, député (RPR), intervient en ces termes :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, une fois de plus, notre Assemblée est consultée sur un projet de convention élaboré par des experts et destiné au Comité des Ministres. Je déplore, pour ma part, que la branche parlementaire de notre Organisation soit si peu associée à la définition d'orientations appelées à régir nos législations internes. Les Parlements nationaux ne prendront pas plus part à la préparation de ce texte, puisqu'ils n'en connaîtront qu'au moment des procédures de ratification, c'est-à-dire qu'il ne leur sera demandé qu'un vote unique, sans possibilité aucune de modifier les dispositions arrêtées par le Comité des Ministres.
« Il serait souhaitable que les deux branches, ministérielle et parlementaire, du Conseil de l'Europe travaillent en étroite concertation pour l'élaboration de conventions appelées à régir des pans entiers de la vie de nos concitoyens.
« Ce serait là un bon moyen de lutter contre l'image technocratique de l'unification européenne qui ne doit pas être une simple affaire d'experts, soumise à des parlements réduits trop souvent à des chambres d'enregistrement.
« Sur le fond, notre rapporteur, Mme Jaani, que je voudrais féliciter pour son excellent travail, résume parfaitement le dilemme d'une meilleure protection des droits des enfants : soit on se préoccupe d'abord de leur bien-être, soit on leur accorde des droits procéduraux autonomes, au risque de les assimiler à de petits adultes. Je me demande si la priorité, dans la situation actuelle, est bien de prévoir un ministère d'avocat entre l'enfant et ses parents ?
« L'exemple américain est là pour nous montrer qu'à trop fragiliser l'institution familiale, c'est toute la cohésion sociale qu'on fragilise. N'est-on pas allé trop loin dans la période récente, en assimilant systématiquement la famille à une structure patriarcale archaïque et nécessairement oppressive ?
« Les psychanalystes eux-mêmes ne nous rappellent-ils pas que l'enfant a besoin, pour construire sa personnalité, de repères et de rapports familiaux stables ?
« Ne vaudrait-il pas mieux renforcer la spécialisation et la formation des magistrats appelés à statuer en matière familiale ? Bien sûr, le mineur doit être entendu sur les affaires qui le concernent. Mais il me semble qu'il y a un grand risque à transférer sur lui la responsabilité des décisions, l'exposant ainsi à devenir l'objet de tous les chantages d'adultes qui se déchirent à travers lui. N'est-ce pas plutôt à un juge spécialement formé à la psychologie de l'enfant, le cas échéant assisté d'experts, d'évaluer en son âme et conscience, et en toute lucidité par rapport aux pressions des adultes, l'intérêt véritable de l'enfant ?
« En revanche, je trouve le projet de convention comme le projet d'avis qui nous sont soumis un peu déphasés par rapport à l'évolution actuelle de la situation des enfants. Je souhaiterais pour ma part qu'y soit inscrite expressément l'interdiction de certaines atteintes à la personne dont nous débattrons jeudi après-midi, avec l'examen du rapport de Mme Err. Dans nos pays d'Europe occidentale, de très nombreuses petites filles sont toujours victimes de coutumes africaines absolument intolérables. Il me semble illogique de voter jeudi une simple recommandation à ce sujet et de laisser passer l'occasion de cette convention qui devrait affirmer clairement la prohibition de tels actes.
« De même, la prohibition des mariages précoces, où le consentement doit être présumé dolosif, doit désormais être affirmée sans ambages. Ce sont là des droits concrets qui répondent à des situations malheureusement en augmentation dans nos pays. La garantie de ces droits me semble un progrès plus urgent que celui, d'ailleurs bien douteux, d'ouvrir à des conseils juridiques la possibilité de soutenir la demande d'un mineur de « divorcer » de ses parents, comme cela est possible outre-Atlantique avec toutes les manipulations psychologiques et médiatiques que cela suppose.
« Je souhaiterais donc, mes chers collègues, que notre Assemblée se préoccupe davantage de protéger les enfants contre des atteintes trop réelles à leur intégrité physique ou à leur liberté que d'en faire des plaideurs en culottes courtes. Prenons garde à ne pas faire peser sur eux une responsabilité d'adulte et faisons confiance à l'humanité et à la compétence de nos juges pour rechercher le véritable intérêt des enfants. »
Après l'adoption d'amendements, l'Assemblée, délibérant du Rapport 7270 portant sur le Projet de Convention 7197, a adopté l'Avis 186 à l'adresse du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, à qui il incombe d'arrêter le texte final de la convention.
E. - Les sciences sociales et le défi de la transition. Intervention de Mme Josette DURRIEU, sénateur (Soc.). ( Mardi 25 avril 1995. )
Le Rapporteur présente ainsi les observations qu'il a été amené à faire sur cette question :
« Il s'agit d'un rapport un peu particulier, en ce sens que c'est Probablement la première fois que la commission de la science et de la technologie élargit sa réflexion et le débat en ne se limitant pas uniquement aux sciences exactes mais en s'intéressant également aux sciences sociales et aux sciences humaines.
« Cette ouverture revêt une signification certaine par le fait que, sur le terrain tout simplement, l'homme ne se satisfait pas uniquement de biens matériels mais exige aussi, et de plus en plus, un environnement social respectueux de la personnalité humaine, de ses aspirations légitimes à une société, certes intéressée au développement économique, mais également à tous les moyens susceptibles d'apporter une amélioration de la qualité de la vie pour chacun.
« Le développement des sciences sociales représente certainement une contribution très importante pour la promotion de la démocratie et des principes fondamentaux que nous défendons ainsi que pour un soutien certain aux rapports sociaux et humains qu'il est nécessaire d'entretenir entre les différents acteurs de notre société, entre employeurs et employés, entre administrés et administrateurs, entre les différentes corporations qui forment une société.
« En reprenant l'histoire des sciences sociales, force est de constater qu'elles sont nées vers la fin du siècle passé déjà, au début du développement économique. Leur développement en fait n'a intéressé que les pays anglo-saxons et il ne s'est produit que depuis la dernière guerre dans les pays de l'Ouest européen, particulièrement en France, en Espagne, en général dans les pays démocratiques, mais pas dans les pays à régime totalitaire.
« Soulignons donc l'importance de leur développement dans les pays en transition, afin de leur permettre d'atteindre le plus rapidement possible le niveau des plus privilégiés. Mais ne nous y trompons pas. Avec l'évolution de la société, de la découverte scientifique et des pratiques nouvelles dans notre vie quotidienne, les sciences sociales doivent sans cesse s'adapter aux exigences du temps si elles veulent assurer leur mission de garantie et de respect de la liberté démocratique pour chacun.
« Le développement des sciences sociales est une contribution certaine à la stabilité des nouvelles républiques en mutation. Il assure un équilibre entre les exigences de leur économie de marché en progression et le renforcement parallèle d'un État démocratique respectueux des besoins et du bien-être de l'ensemble de sa population. Sans cet équilibre entre l'exigence économique et les besoins d'une société stabilisée, des ruptures ou des conflits surgiront.
« Par le développement des sciences sociales, nous cherchons à promouvoir, au niveau de la formation supérieure, une réflexion et un développement de l'étude du comportement de nos sociétés et de ses aspirations. Nous cherchons, parallèlement au développement, à assurer, de plus, la garantie des droits des citoyens, la protection de la démocratie et de la personnalité.
« Garantie de stabilité, oui : mais le développement des sciences sociales présente aussi ses faiblesses. Il peut être l'objet de manipulations et peut être utilisé à des fins partisanes. Face à ces préoccupations, dont, malheureusement, les exemples sont encore présents, les mesures de protection ne sont pas nombreuses. Nous en voyons pratiquement une seule : que les hautes écoles dans leur ensemble entretiennent des rapports étroits et réguliers entre elles, que la culture académique soit garante de l'indépendance de la recherche, de la diffusion de celle-ci, que la culture soit surtout animée du respect de l'indépendance, de la personnalité, de la liberté d'opinion et de formation pour chacun. Le rayonnement de la culture académique est aussi un moyen très fort pour lutter contre les dérapages idéologiques, sources de conflits et d'oppression.
« La commission de la science et de la technologie vous recommande donc, à une très large majorité, pratiquement à l'unanimité, la reconnaissance et la promotion des sciences sociales dans les pays en transition et dans les autres également car des problèmes sociaux ne se présentent pas uniquement dans ces pays. Il faut que ce soit une contribution importante à la culture démocratique.
« Votre commission recommande particulièrement de promouvoir cela par l'intermédiaire des programmes de coopération intergouvernemental et interparlementaire, notamment Démosthène et Démosthène bis , mis au point par le Conseil de l'Europe, afin non seulement de faciliter les échanges entre spécialistes mais également de les intensifier. Il s'agit aussi d'élargir et d'intensifier les réformes législatives dans l'enseignement supérieur de manière à englober toutes les institutions scientifiques qui ne font pas encore partie de cet ensemble de secteurs de la recherche.
« Approfondir la réflexion au sujet de l'exode des cerveaux est également un point que nous devons traiter en tenant compte notamment des recommandations du Comité des Ministres », conclut le Rapporteur, qui se félicite de sa collaboration avec le Directeur de l'UNESCO dans l'élaboration de ces propositions. »
Mme Josette DURRIEU, sénateur (Soc.), est intervenue dans le débat dans ces termes : « Monsieur le Président, mes chers collègues, je voudrais remercier M. Berger pour son rapport sur les sciences sociales et le défi de la transition. J'ai également lu celui de Mme Fischer sur la coopération culturelle et celui de notre collègue, M. Masseret, dont nous débattrons demain, portant sur la politique générale du Conseil de l'Europe.
« Ces trois rapports se rejoignent, se complètent. Ils tournent autour de deux problèmes essentiels : l'homme, d'une part, la démocratie, d'autre part.
« Je voudrais dire les remarques que la lecture de ces rapports a suscitées chez moi et, si vous le permettez, j'appuierai mes premiers commentaires sur ce qui s'est passé en France dimanche, je veux dire sur l'élection présidentielle.
« Je formulerai deux observations concernant cette élection afin d'étayer mon développement.
« Ma première remarque portera sur le caractère scientifique des sondages, science plus ou moins exacte. Ils ont été pris en défaut par l'homme, par le citoyen, par l'indécis, par celui qui a décidé - et autrement qu'il avait été prévu. Sondage ? Science plus ou moins exacte, objet de manipulation des chiffres et des individus - peut-être ? Ou reflet tout simplement de la turbulence d'un électorat en France ?
« Seconde remarque, toujours sur l'élection présidentielle : la montée des extrêmes, gauche et droite - plus de 30 % - mais surtout l'extrême droite - plus de 20 %. Reflet des turbulences d'une société qui a perdu ses repères ? La nature de ces problèmes est simple ; c'est toujours la même : la crise - crise économique, crise morale, crise politique. Crise tout court, crise profonde ! Au travers de cette crise de société, notons la fin ou la perte de confiance dans les idéologies, en France comme ailleurs.
« D'où un vide à cause de la perte de confiance ou la perte de l'autorité de l'État, en France comme ailleurs. D'où un vide occupé par la seule théorie libérale qui, dans tous les cas de figure, laissent l'homme plus ou moins seul face à lui-même, à ses problèmes, dans un désarroi profond et une peur souvent grande. Quand le contrat social et le lien social se rompent, la réponse, paradoxalement, chez ces individus, est de rechercher de nouveaux repères à travers des idées simples, fortes, brutales, comme Le Pen sait les développer en France : à la place de l'État fort, un homme que l'on croit fort. Ainsi s'engage progressivement, insidieusement, dans une vieille démocratie, un processus à caractère fascisant. Je dis que la démocratie, dans mon pays, est en danger.
« Quelles sont les bases, quels sont les fondements mêmes d'une démocratie ? C'est l'homme, mais l'homme citoyen, un citoyen qui sera à la hauteur du système qu'est une vraie démocratie. Dans notre France du XVIII e siècle, l'on faisait référence à l'homme à l'esprit bien fait, à celui qui, ayant assimilé une certaine science, n'avait pas pour autant perdu sa conscience. Tout simplement parce qu'il y a deux conditions essentielles pour que l'esprit de l'homme soit bien fait : d'une part, connaissance et culture ; d'autre part, sens critique.
« Cela suppose, premièrement, une formation initiale et continue permanente, une information objective, une ouverture intellectuelle maximale et pluraliste, une recherche comparative systématique. C'est l'idéal !
« Cela suppose aussi l'affirmation de quelques principes simples qui doivent toujours rester les principes de base d'une démocratie et que l'on ne répète pas suffisamment, notamment ici, parce que ces principes sont valables pour les quarante États européens se réclamant d'une même civilisation, même si elle est pluriculturelle, et surtout d'un même projet démocratique.
« Ces principes sont la tolérance et la laïcité, la responsabilité, l'universalité de l'homme, l'internationalisme de la pensée et de l'action. Parce que la finalité, ici, est tout de même et d'abord l'Europe.
« Cela suppose aussi des institutions pour cadre. Je n'aborderai pas ce que dira Jean-Pierre Masseret demain. Nous avons beaucoup d'institutions. Trop ! Il faut clarifier, arrêter cette prolifération. Il faut mieux définir les conséquences, les compétences ; il faut mieux cibler les réformes démocratiques urgentes et pertinentes, dans certains pays notamment.
« Cela suppose enfin des actions offensives et volontaires si l'on veut vraiment lancer un certain nombre de signes forts. Cela signifie renforcer la coopération dans le domaine juridique et législatif, renforcer la coopération dans le domaine de la formation, élaborer ensemble des programmes culturels, restructurer - pourquoi pas ? - les industries culturelles du livre, du disque, du cinéma, de l'audiovisuel, et élargir bien sûr - cela me semble tellement évident, peut-être parce que j'ai enseigné une science humaine pendant de nombreuses années - développer l'enseignement des sciences humaines.
« En conclusion, il faut une coopération effective autour de valeurs communes sans cesse réaffirmées, mais il faut aussi clairement mettre en évidence la valeur européenne ajoutée dans le respect des identités nationales diverses. »
Modifié par deux amendements évoquant les effets sociaux de changements économiques très rapides, le projet contenu dans le Rapport 7269 est adopté et devient la Recommandation 1264.
F. - L'élargissement et la coopération culturelle européenne. Intervention de M. Louis JUNG, sénateur (UC). ( Mardi 25 avril 1995. )
Le rapport consacré à l'élargissement et à la coopération culturelle européenne marque le quarantième anniversaire de la Convention culturelle européenne. En 1993 déjà, l'Assemblée s'était penchée sur les modalités d'application de la Convention. Mais l'extension de la coopération culturelle à l'Europe centrale et orientale imposait d'examiner à nouveau cette question importante. La commission a également jugé utile de fournir à l'Assemblée un grand nombre d'informations sur les hommes et sur les organes chargés de la coopération culturelle en Europe. Le rapport fait par ailleurs le point sur les procédures budgétaires et rend compte de l'état d'avancement des discussions en cours sur les structures des différentes instances concernées, qui ont été mises en place à une époque où les pays membres du Conseil étaient nettement moins nombreux qu'ils ne le sont aujourd'hui.
La commission souligne que le passage à la coopération culturelle est une étape politique importante dans l'évolution de pays qui viennent de sortir du totalitarisme. Elle souhaite donc que l'accès à la Convention culturelle européenne soit considéré comme préparant l'adhésion pleine et entière au Conseil de l'Europe. C'est dire que les États européens qui le souhaitent devraient pouvoir participer à la coopération culturelle sans rencontrer d'obstacle. Le projet de recommandation fait allusion, à cet égard, aux termes de la Recommandation 1239 adoptée en 1994. D'autres questions d'ordre politique sont abordées, car la coopération culturelle ne peut faire l'impasse sur les orientations politiques définies par ailleurs.
Il conviendra d'associer aussi rapidement que possible Israël et le Canada à la coopération culturelle. Il faudra aussi réfléchir au problème des langues officielles et se demander si une seule commission peut faire face à une charge de travail considérablement accrue. Il ne s'agit pas pour autant de mettre en place une nouvelle bureaucratie, une bureaucratie culturelle, mais le secrétariat de la commission a absolument besoin de ressources supplémentaires.
Par ailleurs, il faut intensifier les contacts avec les autres commissions et avec les délégations nationales, ainsi qu'avec l'échelon gouvernemental et avec les institutions européennes oeuvrant dans le même domaine. D'ores et déjà, il a été décidé d'organiser un échange de vues à Paris, en octobre, avec la commission de la culture du Parlement européen. De telles rencontres s'étaient toujours heurtées à des problèmes de calendrier, par le passé, mais la commission de la culture de l'Assemblée a finalement pu prendre langue il y a quelques semaines avec le président de la commission du Parlement européen et le principe d'un échange d'informations entre secrétariats a été arrêté. Quand chacun saura quels thèmes traite l'autre, on évitera bien des doubles emplois.
Il faut reconnaître honnêtement que les possibilités de coopération existantes n'ont pas suffisamment été exploitées jusqu'ici. Le rapporteur rappelle par exemple que la Russie a signé voici déjà quelque temps la Convention culturelle : ne serait-ce pas une incitation à travailler avec les institutions de ce pays ?
Dans le débat qui suit la présentation de ces observations, M. Louis JUNG, sénateur (UC), est intervenu en ces termes :
« Monsieur le Président, je voudrais avant tout adresser mes compliments et mes félicitations à Mme Fischer et à sa commission pour la qualité du rapport.
« Je suis persuadé de l'importance du travail que ces commissions réalisent, car la défense de la culture européenne est celle de l'avenir de notre continent, de nos pays et de nos régions. C'est important, surtout actuellement avec le développement de la technologie qui nous pose tous les jours de nouveaux problèmes. Madame Fischer, avec votre commission, vous avez donc une très grande mission.
« Si vous le permettez, Madame la présidente, je voudrais vous demander votre avis sur la coopération avec le Canada et Israël, deux pays où les langues et les cultures européennes sont très développées hier, je me suis permis de poser une question à M. le Président du Comité des Ministres concernant l'autorisation à ces pays d'être observateurs dans la coopération culturelle. J'estime effectivement qu'il n'y a aucune raison pour qu'Israël, par exemple, où toutes les langues européennes se parlent, où habitent de nombreux membres de nos pays, ne puisse pas obtenir le statut d'observateur. D'autant plus qu'Israël est déjà observateur dans toutes nos commissions, politiques ou économiques. Cette demande devrait donc obtenir une réponse favorable. Madame la présidente, vous suivrez avec intérêt, je n'en doute pas, cette question qui sera débattue prochainement en Comité des Ministres. »
Mme Leni Fischer, Rapporteur, a répondu à M. Louis JUNG, sénateur (UC), qu'elle se réjouissait de son appui à la proposition de la commission d'accorder au Canada et à Israël le statut d'observation à la Convention culturelle du Conseil de l'Europe.
Délibérant du Rapport 7272, l'Assemblée a adopté la recommandation 1265.
G. - Le respect des obligations et des engagements contractés par les États membres du Conseil de l'Europe. Avis de M. Jean SEITLINGER, député (UDF). ( Mercredi 26 avril 1995. )
Présentant oralement son Rapport écrit (7292) au nom de la commission des pays non membres, M. Jean SEITLINGER, député (UDF), s'est exprimé dans les termes suivants :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, ce débat vient à son heure. La vocation paneuropéenne du Conseil de l'Europe, l'élargissement progressif ont évidemment fait que, sans concertation, mais par une sorte d'intuition collective, la commission des questions politiques, la commission des questions juridiques, la commission des relations avec les pays européens non membres au cours des derniers mois, ainsi d'ailleurs que le Comité des Ministres et M. le Secrétaire Général, ont évoqué la nécessité du contrôle du respect des engagements.
« La commission chargée des relations avec les pays européens non membres a débattu de cette question lors de sa réunion en décembre dernier à Paris et nous avons alors adopté un document. Notre collègue, M. le Rapporteur Columberg, que je félicite pour son rapport et son exposé oral auxquels je souscris sans réserve, a participé à cette réunion de notre commission à Paris et s'est rangé à notre avis.
« Je rappellerai la procédure. Notre commission des relations avec les pays européens non membres est saisie au fond lorsqu'il s'agit d'accorder le statut d'invité spécial. C'est la commission des questions politiques qui est compétente au fond quand il s'agit de l'adhésion. Maintenant, dans la troisième phase que nous décidons, celle du suivi, je crois nécessaire que la commission des questions juridiques ainsi que celle des questions politiques, mais aussi la nôtre, qui a été en amont la première à se prononcer sur le statut d'invité spécial, soient également associées à ce processus et soient donc consultées pour émettre un avis.
« C'est dans cet esprit que nous avons déposé deux amendements. J'y reviendrai lors de la discussion. Je signale simplement qu'ils ont été adoptés par la commission des questions juridiques et que l'ordre de vote des amendements aura une très grande importance. Je ne voudrais pas maintenant discuter de ce problème. Il faut veiller à ce qu'il y ait une cohérence dans la décision qui interviendra car il faut mettre en harmonie le texte définitif en tenant compte des amendements et des sous amendements de manière à ne pas dire des choses contradictoires. Je voudrais pour l'instant apporter seulement cet éclairage ; j'y veillerai tout à l'heure quand nous voterons les amendements. »
M. Jean SEITLINGER, député (U.D.F.), lorsque la discussion s'engage sur le projet de Directive, fait adopter deux amendements associant la commission des pays européens non membres aux consultations prévues ; puis l'Assemblée délibérant sur le Rapport 7277, l'Avis 7292 et l'Avis 7294, a adopté la Directive 508.
H. - L'intervention militaire turque dans le nord de l'Irak, et le respect, par la Turquie, des engagements concernant la réforme constitutionnelle et législative.
En effet, l'Assemblée avait, à l'ouverture de la seconde partie de sa session ordinaire, décidé de tenir un débat d'urgence sur « l'intervention militaire turque dans le nord de l'Irak et le respect par la Turquie des engagements concernant la réforme constitutionnelle et législative » (Rapports 7290 et 7295). Par scrutin public, la Recommandation 1266 a été adoptée avec amendements (112 voix pour, 29 voix contre et 5 abstentions). À la suite de l'adoption ce texte recommandant notamment au Comité des ministres de l'Organisation d'» envisager la suspension des droits de représentation de la Turquie à moins qu'il [le Comité] ne puisse rendre compte de progrès significatifs [sur le retrait des forces turques du nord de l'Irak et sur les réformes institutionnelles et législatives] à la troisième partie de session de l'Assemblée ( 26-30 juin 1995 ) » , la délégation parlementaire turque à l'Assemblée du Conseil de l'Europe, en accord avec la Grande Assemblée Nationale de Turquie, a fait connaître aussitôt qu'elle suspendait ses relations avec l'Assemblée, «jusqu'à ce que la Position du Comité des ministres du Conseil de l'Europe face à cette décision [la Recommandation] soit déterminée ».
I. - La politique générale du Conseil de l'Europe. Rapport de M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc.). Interventions de MM. Claude BIRRAUX, député (UDF), et Jean-Claude MIGNON, député (RPR). ( Mercredi 26 avril 1995. )
En ouvrant le débat sur l'orientation à moyen terme du rôle du Conseil de l'Europe, M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc.), a complété les propositions contenues dans son rapport (7280) au nom de la commission des questions politiques par les observations suivantes :
« Je voudrais très rapidement faire une brève intervention, pour deux raisons. D'abord pour laisser du temps au débat parce que c'est le point le plus important, ensuite parce que le rapport écrit est suffisamment descriptif par lui-même pour que je n'entre pas dans le détail. Chacun l'aura lu.
« Il rappelle en priorité que la politique du Conseil de l'Europe a été fixée d'abord au Sommet de Vienne en octobre 1993. C'est donc le cadre dans lequel nous devons mener notre action et nos réflexions.
« Ensuite, ce rapport traite des relations du Conseil de l'Europe avec les autres organisations internationales. Chacune de ces relations fait l'objet d'un paragraphe qui rend compte de leur état. Quelques réflexions, quelques interrogations et aussi des propositions sont citées pour améliorer notre système de relations de façon que les citoyens puissent parfaitement identifier quelle est l'organisation qui fait ceci, quelle est l'organisation qui fait cela pour éviter les doubles emplois, le gaspillage financier et pour rechercher le maximum d'efficacité.
« J'en viens à quelques observations, maintenant, en guise de conclusion. Elles sont principalement consacrées à notre mission au Conseil de l'Europe et à son efficacité. Je rappelle tout de suite que j'ai été chargé d'un autre rapport qui sera consacré à la Conférence intergouvernementale de 1996 et qui précisera sur ce point notre réflexion, le cas échéant nos observations, voire nos propositions pour toujours améliorer l'efficacité des organisations européennes.
« Notre Organisation, comme l'Union européenne, est confrontée à la question de son élargissement. Nous étions vingt, vingt-cinq États membres, il y a quelques années. Nous atteindrons bientôt les quarante États membres. Il est évident que cette évolution constitue un véritable défi.
« Face à ce défi, nous avons une première obligation. Nous devons sauvegarder l'identité et la crédibilité du Conseil de l'Europe. Nous devons veiller à ce que les engagements et les obligations de tous les États membres soient régulièrement et effectivement contrôlés. C'est là notre première mission pour que cette évolution quantitative se passe dans les meilleures conditions de sorte que nous devrions améliorer la procédure décrite dans la Directive n° 488 dite "Directive Halonen", à la lumière de l'expérience que nous avons acquise au cours des derniers mois.
« Nous souhaitons inviter le Comité des ministres à suivre l'exemple de l'Assemblée pour établir une procédure plus effective de contrôle fondée sur sa propre déclaration, celle du 10 novembre 1994.
« Mais, outre ce contrôle, il faudrait développer les programmes de coopération et d'assistance du Conseil de l'Europe. Notre commission pense également que ces programmes devraient être concentrés sur les domaines définis au cours des procédures d'adhésion et de contrôle, de façon à rechercher le maximum d'efficacité.
« L'Assemblée ayant les mécanismes les plus élaborés, les plus précis à cet égard, elle est particulièrement bien placée pour identifier ces domaines de coopération. Elle devrait être en mesure de donner son avis sur les propositions relatives au programme d'assistance, et elle devrait être informée de l'évaluation de leurs résultats.
« La conférence intergouvernementale de l'Union européenne qui doit avoir lieu en 1996 aura naturellement un impact majeur sur l'organisation de l'Europe et un impact probable sur notre Organisation, de sorte que l'Assemblée et le Comité des ministres devraient, en étroite coopération, présenter dès que possible des propositions qui concernent ou qui concerneront les relations futures du Conseil de l'Europe avec l'Union.
« Notre Assemblée souhaite que soit reconnue la nécessité absolue et permanente d'être associée aux réunions de coordination régulières qui se tiendront entre le Conseil de l'Europe et les autres organisations internationales telles que l'ONU et l'OSCE. C'est ainsi que nous remplirons le mieux notre mission.
« Ce rapport d'activité générale traduit, bien sûr, toutes les activités que notre Organisation a menées au fil des dernières années. Mon rapport oral ne traduit pas tout cela, mais je crois à l'intérêt du débat ; la qualité des échanges permettra peut-être de trouver des compléments à apporter aux propositions que je viens de rappeler brièvement.
« En tout cas, j'indique à l'Assemblée que ce rapport sera suivi d'un autre que je présenterai dans quelques semaines et qui aura trait plus précisément au regard que nous portons et aux propositions que nous ferons en vue de la Conférence intergouvernementale de 1996. »
Dans le débat qui s'instaure à la suite de la présentation de M. Jean-Pierre MASSERET, Rapporteur, M. Claude BIRRAUX, député (UDF), a pris la parole en ces termes :
« - Monsieur le Président, mes chers collègues, à l'occasion de ce débat de politique générale, je souhaiterais mettre l'accent sur quelques points qui me paraissent importants, notamment dans la perspective de la Conférence intergouvernementale de 1996.
« J'entends dire, ici et là, qu'il faut renforcer nos liens avec l'Union européenne à l'occasion de cette conférence et du futur traité de révision institutionnelle.
« Certes, nous devons - et notre collègue, M. Jean-Claude Mignon, l'a fort bien rappelé - tout mettre en oeuvre pour parvenir à un véritable partenariat, non seulement avec l'Union européenne dans le cadre des programmes d'assistance mais également avec le Fonds de développement social, avec la BERD, l'OCDE, bref avec tous les organismes économiques et financiers dont notre Assemblée est devenue la base parlementaire.
« On se plaint assez du déficit démocratique dont souffre l'Europe communautaire, et qui a conduit aux débats que l'on sait lors de la ratification du Traité de Maastricht pour ne pas nous réjouir de voir notre Assemblée jouer pleinement son rôle à l'égard d'organismes dont l'action, sans ces débats annuels, ne ferait l'objet d'aucune discussion.
« Cette vigilance de l'Assemblée dans le domaine économique et financier est d'autant plus importante que les liens entre économie de marché et démocratie sont très étroits. L'expérience a montré que le passage à l'économie de marché dans les pays d'Europe centrale et orientale conditionne dans une large mesure l'avènement de la démocratie, des libertés et de l'État de droit, autant de valeurs fondamentales qui sont le symbole du Conseil de l'Europe.
« On ne rappellera jamais suffisamment que l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe est composée d'élus nationaux et porteuse à ce titre d'une incontestable légitimité démocratique.
« Renforcer le rôle des parlements nationaux dans la construction européenne a, d'ailleurs, conduit notre collègue M. Jean Seitlinger à proposer que notre Assemblée puisse se constituer en seconde chambre de l'Union européenne.
« Voilà au moins une contribution au débat qui s'ouvre dans la perspective de 1996.
« Mais ce débat, aussi important soit-il, ne doit pas occulter notre véritable priorité, qui est de donner au Conseil de l'Europe tous les moyens nécessaires pour faire valoir sa personnalité propre et réaliser ses objectifs, notamment à l'Est, conformément d'ailleurs aux décisions du Sommet de Vienne.
« Préserver notre personnalité propre, cela signifie, entre autres, ne pas nous diluer dans l'Union européenne dont les moyens financiers et humains ne sont pas comparables aux nôtres.
« Le Conseil de l'Europe, qui a toujours joué un rôle de pionnier, doit garder sa spécificité et son domaine d'action privilégié. Les domaines d'intervention de chaque institution doivent donc être clairement rappelés, évitant la confusion qui nourrit l'inefficacité.
« Si chacun est conscient des difficultés que soulève le projet d'adhésion de l'Union européenne au Conseil de l'Europe, en revanche l'idée d'une adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme semble faire son chemin. Or, cette solution, dès qu'on l'examine de près, fait apparaître de telles difficultés d'ordre juridique que l'on peut s'interroger non seulement sur son opportunité mais sur sa faisabilité même. Le rapport de la commission des questions politiques rappelle d'ailleurs ces difficultés.
« Chaque institution doit garder sa spécificité et il nous faut éviter que l'Union européenne ait la tentation de se lancer dans des missions qui sont déjà réalisées par le Conseil de l'Europe.
« Quant à l'OSCE, dépositaire du Pacte de stabilité, son rôle prioritaire est, naturellement, la prévention des conflits. Cependant, dans bien des domaines, et notamment pour ce qui concerne les minorités, des possibilités de coopération apparaissent avec le Conseil de l'Europe.
« À Copenhague, vendredi dernier, la commission permanente de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE, dans une résolution sur la Tchétchénie, présentée à l'initiative de notre collègue M. Jean de Lipkowski a souhaité la collaboration de toutes les institutions compétentes en matière de droits de l'homme et, en particulier, le Conseil de l'Europe pour dresser le bilan de la situation et préparer la restauration d'institutions viables et démocratiques en République de Tchétchénie. C'est le signe tangible d'une volonté de coopérer plus étroitement.
« C'est dans cette voie qu'il faut nous engager. Nous souhaitons que l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, qui a su jouer un rôle important dans la préparation du Sommet de Vienne d'octobre 1993, soit aujourd'hui en mesure d'élaborer des propositions pour l'avenir dans la perspective de la révision institutionnelle de 1996.
« C'est pourquoi nous suivrons attentivement la préparation du rapport de la commission des questions politiques consacré à la conférence intergouvemementale. »
M. Jean-Claude MIGNON, député (RPR), s'est à son tour exprimé dans le débat en ces termes :
« - Monsieur le Président, mes chers collègues, l'excellent rapport de M. Jean-Pierre Masseret est pour notre Assemblée l'occasion de faire le point sur les relations entre le Conseil de l'Europe et les autres institutions européennes, toutes confrontées aux conséquences de leur élargissement.
« Dans le rapport que je viens de rédiger, à sa demande, pour le Gouvernement français, la question du renforcement du dialogue et de la coopération entre le Conseil de l'Europe et les autres institutions tient une place très importante.
« Et je crois que cet aspect des choses est essentiel à considérer dans la perspective de la révision institutionnelle de 1996. Il s'agit, en effet, de bien nous situer sur l'échiquier européen et de clarifier nos objectifs pour l'avenir. Le maître mot de mon rapport, c'est le partenariat. Je suis convaincu, en effet, que l'époque de la concurrence stérile entre les institutions, notamment entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne, est révolue. Chacune de ces institutions a sa spécificité et ses objectifs propres. Elles sont en réalité complémentaires et toute la question est de les faire travailler ensemble sur des programmes communs d'assistance aux pays de l'Europe centrale et orientale, dans un souci d'efficacité.
« La qualité des expertises et des programmes du Conseil de l'Europe est unanimement reconnue, y compris au sein de l'Union européenne, qui, elle, a les moyens financiers de les mettre en oeuvre. Il faut donc, comme le propose M. Tarschys, secrétaire général, aller plus avant dans la coopération avec l'Union européenne par le biais des programmes Phare et Tacis. Je soutiens, pour ma part, l'initiative du secrétaire général visant à consacrer, sur trente mois, une enveloppe de 120 millions de francs à un ample programme d'aide en direction, notamment, de la Russie et de l'Ukraine.
« Mais, pour être vraiment efficaces, il faut rationaliser nos méthodes d'action et, pour cela, développer la concertation entre Strasbourg et Bruxelles. J'ai proposé dans ce but l'installation à Strasbourg d'un bureau de l'Union européenne, comme il en existe déjà un pour le Conseil de l'Europe à Bruxelles.
« Je me réjouis, par ailleurs, qu'à l'initiative de la présidence française de l'Union européenne, une réunion quadripartite se soit tenue à Paris le 7 avril dernier. C'est par le développement de cette concertation au plus haut niveau - que nous souhaiterions d'ailleurs voir étendue aux présidents de nos assemblées respectives - que nous parviendrons à harmoniser nos politiques d'assistance.
« Une meilleure articulation est également indispensable entre le Conseil de l'Europe et l'OSCE, principalement sur les questions concernant les minorités. Une interaction évidente est apparue avec le Pacte de stabilité, dont je salue le succès en tant qu'exercice de diplomatie préventive. Le Conseil de l'Europe se voit associé à la mise en oeuvre des dispositions de ce Pacte, et il faut nous en féliciter. Mais il faut aller plus loin dans la concertation avec l'OSCE en créant une instance de dialogue au sommet identique à celle qui existe déjà pour le Conseil de l'Europe et l'Union européenne, que nous souhaitons voir se réunir plus régulièrement.
« Le Conseil de l'Europe bénéficie des atouts considérables que sont sa capacité d'innover et de susciter des approches communes à l'échelle du continent tout entier. Il doit oeuvrer pour élaborer des standards communs, comme il le fait actuellement pour la bioéthique. De ce fait, il a une place originale en Europe et sa crédibilité doit l'inciter à développer sa coopération avec tous les partenaires, qu'ils soient institutionnels ou associatifs.
« Le Conseil de l'Europe ne doit pas non plus négliger l'évolution des autres organisations telles que l'UEO et l'OTAN, et bien sûr les Nations unies, avec lesquelles nous devons avoir des rapports étroits, notamment pour les programmes visant à développer la démocratie, l'administration et la participation en Europe centrale et orientale.
« Notre débat d'aujourd'hui préface en quelque sorte la prochaine discussion sur la préparation de la Conférence intergouvernementale de 1996. Nous devons être prêts à être associés à la réflexion préparatoire. Nous avons d'ailleurs des propositions à présenter, notamment celle de M. Jean Seitlinger, tendant à faire de notre Assemblée la seconde chambre de l'Union européenne, et cela sans perdre de vue nos objectifs essentiels dans l'immédiat que sont la poursuite de l'élargissement et le contrôle des engagements pris, le maintien de relations avec la Russie dans la perspective de sa future adhésion, le développement de nos programmes en liaison avec l'Union européenne.
« Plus le Conseil de l'Europe s'affirmera en tant que forum de dialogue politique à l'échelle du continent, plus il sera en mesure de peser sur les évolutions institutionnelles à venir. C'est pourquoi nous devons être particulièrement attentifs dans la période qui s'ouvre et qui sera probablement déterminante pour dessiner le futur paysage institutionnel de l'Europe.
« C'est dans cet esprit, Monsieur le Président, que je propose la tenue d'un second sommet des chefs d'État et de gouvernement des pays membres du Conseil de l'Europe. »
À l'issue du débat, M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc.), a repris la parole en qualité de rapporteur, pour répondre aux différentes interventions, ce qu'il a fait en ces termes :
« - Monsieur le Président, je voudrais répondre très rapidement pour remercier les collègues qui sont intervenus. Je tiendrais le plus grand compte des observations faites, des propositions avancées dans la perspective du rapport devant votre Assemblée sur la Conférence intergouvernementale de 1996 qui fait l'objet d'un texte particulier.
« Il est évident que tous les intervenants ont salué le rôle éminent du Conseil de l'Europe.
« Notre collègue, M. Mignon, nous a ouvert une perspective très large et nous a rappelé les grandes lignes du rapport qu'il a eu à soumettre à M. le Premier ministre de la République française.
« Trois intervenants ont cependant émis non pas des réserves mais quelques interrogations sur l'efficacité du travail du Conseil de l'Europe.
« Notre collègue M. Davis ne souhaite pas que nous soyons l'antichambre de l'Union européenne. En effet, cela n'est pas dans le droit-fil de ce que représente le Conseil de l'Europe. Nous devrons agir pour que la plénitude de la responsabilité des pouvoirs et de l'utilité du Conseil de l'Europe soit encore plus une réalité demain qu'elle ne l'est aujourd'hui. Il n'y a aucune raison pour que le Conseil de l'Europe soit l'antichambre de l'Union européenne parce que, avant que tous les États du continent européen soient membres de l'Union européenne, il passera "beaucoup d'eau sous les ponts", comme on dit en français. Pendant très longtemps encore, le Conseil de l'Europe aura une vraie efficacité ; pourvu qu'il ait aussi les moyens correspondant à son rôle.
« Notre collègue M. Korakas a été encore plus précis puisqu'il nous invite à être conséquents et à faire coïncider nos paroles avec nos actes. Il est vrai que notre Assemblée parlementaire et le Conseil de l'Europe ont dû accueillir les pays d'Europe centrale et orientale qui quittaient le joug de partis totalitaires pour prendre une dimension démocratique. Nous avons dû leur offrir une perspective politique puisque l'Union européenne ne pouvait pas les prendre en compte dans la construction européenne. C'est le Conseil de l'Europe qui a rempli cette mission. Il fallait impérativement offrir une perspective politique. Nous l'avons fait rapidement. Nous avons eu raison d'agir ainsi. Nous avons mis en place des conditions. Nous avons peut-être été moins contraignants à partir de 1991-1992 qu'on a pu l'être dans le passé, mais nous avons mis en place un dispositif de contrôle. Il nous appartient simplement maintenant de faire respecter ces engagements. Nous devons être vigilants. La démocratie, ça se construit, ça ne s'invente pas d'un coup de baguette magique. Les conditions dans lesquelles ces pays ont accédé à la démocratie font que le chemin à parcourir est encore important, à la fois pour la démocratie politique et la démocratie sociale. Cela ne s'improvise pas, cela se construit. Il faut à la fois que nous soyons vigilants et, quelquefois, que nous marquions un peu notre impatience.
« Notre collègue M. Muehlemann nous a rappelé le renforcement du rôle du Conseil de l'Europe. On ne peut que souscrire à ses propositions, à ses observations. Mais encore faut-il que le Conseil de l'Europe se donne lui-même les moyens de son efficacité. Il est vrai que l'Assemblée parlementaire joue un rôle important. On a parfois le sentiment que les gouvernements ne font peut-être pas tout ce qui est nécessaire pour renforcer justement les moyens de fonctionnement de notre Assemblée et du Conseil de l'Europe lui-même. De sorte que c'est à nous de faire pression.
« Monsieur le Président, nous tenons un excellent instrument avec le Conseil de l'Europe. Pourquoi ? Parce que l'objectif des hommes c'est la paix d'abord, la démocratie politique ensuite, la démocratie et le progrès social enfin. On sait très bien que la démocratie est le plus bel instrument que l'intelligence humaine ait jamais inventé pour régler pacifiquement les différends, les débats et parfois les confrontations des idées, des hommes et leurs propositions.
« Cette démocratie politique est le socle de la paix et du progrès social. Le socle de la démocratie politique se trouve finalement ici même au sein du Conseil de l'Europe. C'est à nous de savoir utiliser au mieux de son efficacité l'excellent instrument qu'est le Conseil de l'Europe.
« Monsieur le Président, je termine en remerciant encore une fois les différents intervenants, sachant que nous avons tous du pain sur la planche, que le chemin n'a pas abouti et que nous aurons à travers maints débats l'occasion de rendre plus performant, plus utile, plus efficace l'excellent instrument que nous avons à notre disposition qui s'appelle le Conseil de l'Europe. »
A l'issue du débat qui porte sur le Rapport 7280 présenté par M. Jean-Pierre MASSERET, au nom de la Commission politique, l'Assemblée a adopté à l'unanimité la Recommandation 1267.
J. - Les politiques de coopération au développement. Intervention de MM. Claude BIRRAUX, député (UDF). ( Jeudi 27 avril 1995. )
Présentant oralement son Rapport écrit, le rapporteur explique qu'il s'est refusé à reprendre sans l'examiner l'idée « politiquement correcte » selon laquelle l'aide au développement s'imposait. Il lui a paru essentiel de revenir sur certaines idées reçues, la première d'entre elles étant que tous les pays du Sud seraient pauvres, et riches tous ceux du Nord. Une autre hypothèse à réexaminer est celle qui veut que l'aide doive toujours être augmentée, quel que soit le fardeau ainsi imposé aux contribuables des pays du Nord, arbitrairement contraints de se défaire de 0,7 % du PNB de leur pays. L'aide au développement est aussi fondée sur l'opinion couramment admise que les difficultés auxquelles les pays du Sud sont confrontés seraient dues aux pays du Nord, qui auraient donc la responsabilité morale de réparer leurs erreurs passées en transférant des ressources vers le Sud, hypothèse largement remise en cause par les électeurs des pays du Nord.
D'autres questions fondamentales se posent : pourquoi certains pays d'Afrique sont-ils plus pauvres qu'il y a vingt-cinq ans cependant que certains pays du Sud-Est asiatique voient leur PNB doubler régulièrement ? Comment ne pas évoquer la corruption, les guerres civiles, les traditions culturelles et l'éthique du travail, tous éléments qui expliquent aussi les différences constatées entre les pays asiatiques pauvres et riches ?
Il convient encore de déterminer si l'on cherche à réduire la pauvreté absolue ou la pauvreté relative. Si l'on s'occupe exclusivement de la pauvreté absolue, on peut espérer résoudre le problème au fil des années, ce qui ne sera jamais le cas si c'est à la pauvreté relative que l'on songe. L'aide au développement ne serait-elle alors qu'une sorte de taxe contribuant à la redistribution des richesses, idée qui plaît aux socialistes, mais beaucoup moins aux autres ?
Ne faut-il pas dire, aussi, que l'aide est nuisible lorsqu'elle contribue à la poursuite d'une guerre, détruit l'agriculture locale, permet l'affectation de fonds à l'acquisition d'armements ou finance des régimes non démocratiques ?
Et puis n'est-il pas temps, quitte à sacrifier une partie de l'aide accordée aux pays en développement « traditionnels », de faire bénéficier d'une aide supplémentaire les pays d'Europe centrale et orientale ?
D'une manière générale, l'investissement privé et le commerce doivent être préférés à l'aide au développement. C'est dire que les pays du Nord font preuve d'une certaine hypocrisie en affirmant la nécessité de l'aide mais en refusant d'ouvrir leur marché aux produits en provenance des pays du Sud. On ajoutera que l'amélioration de la qualité de la vie dans les pays en développement passe par la modération de l'expansion démographique.
Le rapporteur se prononce en faveur de l'accroissement de l'aide privée, dont la part dans le total des ressources transférées devrait augmenter. Il souligne que l'octroi de l'aide doit être conditionné au respect des droits de l'homme et des valeurs démocratiques. Il ne s'attend pas à ce que son rapport reçoive un appui unanime mais il pense que l'Assemblée ne peut se limiter à écarter d'un revers de main ces questions difficiles. Le projet de résolution a d'ailleurs été rédigé de manière à être acceptable par tous, puisqu'il souligne la nécessité d'une aide plus efficace, portant sur les besoins fondamentaux de la population et subordonnée à l'existence d'une bonne gestion des affaires publiques dans les pays bénéficiaires, bonne gestion incluant le respect de la démocratie et des droits de l'homme. Il en appelle enfin aux États membres du Conseil de l'Europe et de l'Union européenne pour qu'ils permettent aux pays en développement d'accéder réellement aux marchés des pays industrialisés.
Dans le débat qui suit la présentation du Rapporteur, M. Claude BIRRAUX, député (UDF), a pris la parole en ces termes :
« - Monsieur le Président, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord remercier nos rapporteurs : M. Townend et Mme Aguiar.
« Nous savons que les politiques de coopération au développement mettent en jeu non seulement le progrès des peuples du tiers monde mais également la stabilité économique et politique de nos propres pays.
« Nous devons inventer des méthodes rénovées de coopération afin de permettre un développement effectif des pays du Sud, dont les performances sont de plus en plus contrastées, certains s'enfonçant dans une misère croissante malgré les aides actuelles.
« Je voudrais rappeler deux événements qui montrent l'ampleur des interrogations sur les méthodes qui ont partiellement échoué : d'une part, le 6 mars 1995, s'est ouvert à Copenhague un Sommet mondial du développement social ; d'autre part, l'Union européenne a dû, à peu près à la même date, ajourner ses délibérations sur le renouvellement du Fonds européen de développement.
« Chacun convient que le maintien de transferts financiers et technologiques au profit des pays en voie de développement est nécessaire mais beaucoup souhaitent également, non pas aider moins, mais aider mieux.
« Mon pays n'a pas à rougir de son rôle dans l'aide internationale aux pays en voie de développement. En pourcentage du PIB, la France arrive au cinquième rang mondial, derrière quatre pays européens qui siègent à nos côtés : le Danemark, la Norvège, la Suède et les Pays-Bas. En valeur absolue, la France arrive, avec huit milliards de dollars, au troisième rang, derrière le Japon - onze milliards de dollars - et les États-Unis - neuf milliards de dollars - alors que la France ne peut se comparer en termes de puissance économique à ces deux pays.
« Je ne me sens, dès lors, que plus à l'aise pour marquer une certaine réserve vis-à-vis de l'une des propositions contenues dans la résolution qui nous est soumise.
« En effet, une fois de plus, on nous propose, comme remède à tous les maux économiques, la globalisation et la libéralisation sans contrepartie des marchés européens.
« Ainsi, on nous fait dire que nous sommes "d'avis que l'accès aux marchés (...) est le facteur le plus important". Cette position, qui me paraît strictement idéologique, méconnaît les ravages qu'a causés l'orientation essentiellement exportatrice des économies et surtout des agricultures de certains pays en voie de développement. Il importe, au contraire, de développer les cultures vivrières traditionnelles, notamment en encourageant des coopérations avec transfert de savoir-faire.
« Il me semble qu'il serait préférable que la production de ces pays soit stimulée par la demande locale, ce qui revient à poser la question de l'accroissement du niveau de vie des personnes qui sont encore trop souvent privées de l'accès à des biens et services essentiels et minimum : alimentation, eau potable, etc.
« En ce sens, j'approuve tout à fait les autres propositions de notre Rapporteur, M. Townend, visant à « aider mieux ». En particulier, chacun sait que nous ne pourrons plus mobiliser la solidarité de nos pays dont l'apparente richesse recouvre bien des difficultés économiques, au profit d'» élites » locales, ou prétendues telles, qui détournent l'aide ou en monnayent l'attribution par des commissions moralement critiquables et économiquement absurdes.
« Aider mieux, cela me semble aussi au coeur du propos de Mme Aguiar et j'approuve en particulier vivement son amendement qui tend à affirmer que l'aide publique doit réserver des soutiens spécifiques aux femmes des pays du tiers monde.
« Le Sommet du Caire, à l'automne dernier, a bien mis en lumière que le seul facteur dont on soit sûr qu'il détermine le développement d'une société - l'élévation de son niveau de formation, l'élévation de son niveau de santé et, ce qui n'est pas le moins important, la maîtrise de son accroissement démographique - c'est l'investissement éducatif auprès des fillettes et des jeunes filles.
« Hélas ! trop souvent on laisse jouer le poids des structures culturelles traditionnelles. La différence des taux de scolarisation entre les filles et les garçons en Afrique ou dans certains pays d'Asie est éloquente. Il est d'environ 50 à 80 % pour les garçons tandis que, pour les filles, le taux est le plus souvent voisin de 10 %, et encore cette scolarité, si l'on peut dire, est plus courte et plus chaotique.
« Or, une jeune fille alphabétisée enseignera à lire à ses enfants, comprendra l'étiquetage des médicaments, saura donc les soigner. L'investissement éducatif est ainsi démultiplié, alors que l'effort d'instruction réservé aux seuls garçons est presque à reprendre à zéro à chaque génération.
« Il faut engager les pays bénéficiaires à rompre avec ces schémas traditionnels qui contribuent à priver d'efficacité l'aide internationale. Tout indique que l'éducation des jeunes filles est le facteur clé du développement et de la maîtrise démographique.
« Aussi, j'apporterai mon suffrage à la résolution que nous propose notre Rapporteur ; et je le ferai d'autant plus volontiers que j'espère qu'on y retrouvera les amendements proposés par Mme Aguiar au nom de la commission des migrations. »
À l'issue du débat sur les propositions du Rapport 7274, complété par l'Avis 7281, l'Assemblée a adopté, après amendements, la Résolution 1060.
K. - La sixième Conférence européenne des régions frontalières (qui s'est tenue à Ljubljana du 13 au 15 octobre 1995). Interventions de MM. Claude BIRRAUX, député (UDF), et Bernard SCHREINER, député (RPR). ( Jeudi 27 avril 1995. )
Le débat s'est ouvert sur l'allocution de M. Adolfogi, chef du département fédéral des transports, des communications et de l'énergie de la Confédération helvétique, qui s'est adressé à l'Assemblée en ces termes :
« Le rapport que vous examinez aujourd'hui intéresse particulièrement la Suisse puisqu'elle a 1881 kilomètres de frontières communes avec l'Italie, la France, l'Allemagne, l'Autriche et le Liechtenstein.
« Et puisque les infrastructures s'arrêtent moins que jamais aux frontières, je vais vous en parler.
« Vous traitez aujourd'hui le rapport sur la 6 e Conférence européenne des régions frontalières. Il s'agit d'un thème qui revêt une grande importance pour l'Europe.
« Un thème qui est également à maints égards très important pour la Suisse. J'ai donc suivi avec un vif intérêt l'exposé de votre rapporteur. Je suis particulièrement heureux de pouvoir prendre position - pour la première fois aujourd'hui - sur ces questions dans le cadre du Conseil de l'Europe, de votre Assemblée. L'élargissement à l'Europe centrale et orientale confère au Conseil de l'Europe une importance nouvelle et considérable, mais il était déjà, avant même cet élargissement, l'un des grands piliers du développement de l'Europe.
« Non seulement dans le domaine des droits de l'homme, mais aussi dans celui de l'harmonisation du droit, le Conseil de l'Europe a bien souvent été à l'origine de ce qui allait devenir ultérieurement le fondement de l'Union européenne et des États européens. Vous avez accompli un travail remarquable, dont je tiens à vous remercier chaleureusement.
« Permettez-moi de faire quelques observations générales avant de m'attacher à quelques points précis du rapport.
« Géographiquement, la Suisse est un petit pays. Elle apparaît, de fait, comme une Europe en miniature.
« C'est un pays pluriculturel, dans lequel on parle quatre langues.
« Elle ne se compose pour ainsi dire que de minorités.
« Les Suisses font, tous et toutes, partie d'une minorité linguistique, confessionnelle, culturelle, politique, etc.
« Les hommes et les femmes de mon pays ont su édifier un État démocratique, en préservant sa diversité culturelle, linguistique et confessionnelle ; ils ont appris à vivre ensemble dans la paix et la liberté.
« Ils ont su se donner et respecter des valeurs communes.
« Ils ont su, en dépit de la multiplicité et de la diversité des cultures, faire naître et entretenir un sentiment de cohésion et de solidarité.
« Peut-être aussi parce que la Suisse a eu la chance d'avoir été épargnée par les deux guerres mondiales. Le maintien de l'unité dans la diversité se fondait sur la conscience de racines et de valeurs communes. Il s'appuyait aussi sur des instruments comme le fédéralisme, le principe de subsidiarité et le respect délibéré des minorités.
« Autre fondement, la solidarité dont la mise au point d'un mécanisme sophistiqué de compensation financière Nord-Sud/Est-Ouest n'est pas la moindre des manifestations.
« Le fédéralisme, la subsidiarité vécue et la solidarité financière sont des concepts qui procèdent du voeu d'être le plus près possible des citoyens et dont l'importance ira sans aucun doute croissant en Europe.
« J'y vois précisément une chance pour la Conférence intergouvernementale de 1996 qui revêt la même importance pour les Etats membres de l'Union européenne que pour les États non membres.
« Mesdames, Messieurs, loin de moi l'idée de voir dans la Suisse une élève modèle.
« Bien au contraire, la Suisse a beaucoup à apprendre de l'évolution qui s'opère actuellement en Europe. En raison de sa démocratie directe, la Suisse est parfois aussi plutôt lente, ce qui n'est pas toujours bien compris.
« Nous autres Suisses ne passons pas pour prendre des décisions à la va-vite.
« Semblable à un alpiniste, la Suisse avance lentement, prudemment vers le sommet, pas à pas, en n'ayant de cesse de s'assurer qu'elle est bien sur la bonne voie.
« Une politique des petits pas, petits, certes, mais résolus ; cela correspond, en effet, bien mieux à notre vraie nature.
« La Suisse n'a adhéré au Conseil de l'Europe qu'en 1963, bien après d'autres États d'Europe occidentale. Mais, bien qu'elle ait adhéré tardivement, la Suisse multiculturelle s'engage activement au sein du Conseil de l'Europe et d'autres organisations internationales.
« Je dirai, en toute modestie, que l'Europe a pu - et peut - mettre à profit les expériences de la Suisse multiculturelle.
« Les acquis les plus importants de la Suisse multiculturelle comprennent :
« - une infrastructure qui fait office de ciment entre les langues, les cultures et les confessions ; entre les villes et les campagnes ; entre les montagnes et les vallées ; entre les groupes majoritaires et les minorités ;
« - une infrastructure qui représente un lien allant au-delà des frontières du pays.
« Prenons l'exemple de l'infrastructure des transports : une durée de voyage considérablement réduite entre les différentes parties du pays, grâce à une infrastructure des transports moderne, qui couvre l'ensemble du pays sans agresser l'environnement, vient favoriser la cohésion entre les régions et la compréhension mutuelle.
« Les liaisons transfrontalières aux niveaux des transports et des douanes comme, par exemple, dans la Regio basiliensis , près du lac de Constance, dans le centre du Tessin ou à Genève, favorisent la compréhension mutuelle et la tolérance.
« Je suis convaincu que ce qui est valable à cet égard pour la Suisse vaut également pour l'Europe.
« Il ne faut pas sous-estimer l'importance que peut avoir, pour l'entente entre les peuples européens, une infrastructure des transports moderne, intelligemment conçue, performante et respectueuse de l'environnement.
« Cette importance ne doit pas être négligée dans les relations Est-Ouest sur les plans économique, culturel, administratif et juridique.
« Elle ne doit pas non plus être minimisée dans le cadre de la coopération Nord-Sud.
« Enfin, il faut toujours l'avoir à l'esprit dans toute activité de collaboration transfrontalière.
« En conséquence, j'ai pris connaissance avec intérêt de votre projet de recommandation.
« Il met en évidence les points essentiels, qui sont au centre de la discussion.
« Il souligne l'importance d'avoir des infrastructures routières modernes. Il montre bien que la Suisse se veut être un partenaire pour ce qui est du marché européen des transports.
« Il renvoie à des recommandations précédentes, qui saluaient les efforts considérables accomplis par la Suisse pour rendre l'offre en matière de transport ferroviaire plus attractive.
« La Suisse est en train de mettre en place deux nouvelles voies ferroviaires qui vont traverser les Alpes - à Gothard et Lötschberg.
« C'est une grande performance, dont les automobilistes ne seront pas les derniers à profiter.
« La Suisse se prévaut d'être un pionnier pour ce qui est d'encourager le transport ferroviaire, le transport combiné, un transport qui respecte l'environnement.
« La Suisse veut oser le pari du transport combiné, entre le rail, la route, l'eau et l'air.
« La Suisse veut une nouvelle philosophie des transports pour l'Europe.
« La Suisse respecte l'accord de transit qu'elle a conclu avec l'Union européenne et attend de l'Union européenne qu'elle le respecte également.
« La Suisse s'engage à traiter les voyageurs étrangers de la même façon que ses ressortissants, dans la mise en pratique de l'initiative transalpine.
« Elle veut également une égalité entre le rail et la route, et garantir une concurrence loyale dans le domaine des transports.
« À cette fin, il est nécessaire d'imposer le principe de prise en charge des frais par celui qui les occasionne, et il faut pour cela pratiquer une politique de coûts réels.
« Nous vous remercions des encouragements que vous nous avez adressés à plusieurs reprises dans votre rapport, et de la compréhension que vous avez montrée pour la politique des transports de la Suisse.
« Nous espérons que les décideurs politiques, sur le plan européen, soutiendront cette "voie suisse", et manifesteront plus de compréhension et de patience, afin que d'autres puissent bénéficier de l'expérience suisse ; afin que d'autres ne commettent pas les mêmes erreurs que celles que nous, les Européens, avons commises dans le passé, par exemple dans notre politique des transports ; afin que nous ne soyons plus coincés dans les embouteillages et le chaos ; afin que nous arrêtions de faire de beaux discours sur le réchauffement de la planète, et que nous agissions enfin ; afin que nous puissions tous nous rencontrer en Europe par-delà les frontières ; afin de mieux nous connaître, mieux nous comprendre, mieux nous accepter, mieux nous respecter et nous estimer ; ainsi que nous le faisons déjà tous les jours dans notre petit pays, avec ses quatre langues, quatre cultures et vingt-six cantons, en essayant constamment de nous améliorer, au nom de notre identité suisse, qui s'affirme au sein de la diversité européenne. »
Dans le débat qui suit cette allocution et la présentation des observations du rapporteur, M. Claude BIRRAUX, député (UDF), s'est exprimé de la façon suivante :
« - Monsieur le Président, mes chers collègues, permettez-moi d'abord de féliciter notre collègue M. Grau pour l'excellence de son rapport.
« Je voudrais vous apporter quelques réflexions venues du vécu de la coopération transfrontalière entre la France et la Suisse, à travers un organisme de coopération frontalière, nommé "Conseil du Léman". J'ai présidé pendant deux ans cette institution et, dans le cadre de la présidence tournante, mon mandat s'est achevé le mardi 25 avril.
« Il est incontestable qu'avec la chute du mur de Berlin et l'ouverture des frontières à l'Est, la coopération transfrontalière voit s'ouvrir de nouveaux champs d'action.
« Je dirai d'abord qu'il ne faut pas être angélique et que les frontières ne disparaîtront pas d'un coup. L'espace transfrontalier n'est pas un no law's land où seules des lois spéciales et particulières, celles qui nous font plaisir et celles qui nous arrangent, s'exerceraient au mépris des lois des États ou des règles de l'Union européenne.
« Le second point que je veux souligner est que les élus locaux doivent être impliqués et jouer un rôle moteur. Par définition, la coopération transfrontalière est décentralisée et ne saurait être pilotée d'en haut. Il demeure, M. Grau l'a souligné, que la personnalité juridique des instances de coopération transfrontalière n'est pas encore suffisamment précisée.
« Ces deux points étant définis, il faut reconnaître que la marge de manoeuvre pour les institutions de coopération transfrontalière est étroite et qu'il leur faut naviguer entre deux écueils : l'élitisme, caste réservée à quelques initiés, inefficace car n'associant ni les populations ni les forces sociales et économiques, et le happening permanent, multipliant études, forums, discussions sans fin, ne débouchant sur rien de concret.
« Dans l'expérience que j'ai vécue - et qui se poursuit, car il y a une vie après ma présidence et un même nouveau président -, nous avons cherché à associer les représentants du monde économique. Ces derniers se réunissent, apprennent à se connaître, discutent de problèmes qui leur sont communs, font des propositions communes à l'instance politique qui décide de les mettre en oeuvre. Par exemple, une promotion touristique commune lors d'un salon international ou l'édition d'un guide pour les entreprises qui recense difficultés et démarches à effectuer pour travailler de l'autre côté de la frontière, ou bien encore une concertation sur les équipements structurants de l'aménagement du territoire. Ce n'est pas M. le conseiller fédéral Ogi qui me dira le contraire, il est bien au courant des démarches que nous effectuons au nom de la coopération transfrontalière.
« Le domaine dans lequel cette coopération peut s'épanouir et faire germer l'esprit transfrontalier est bien le domaine culturel, c'est-à-dire transformer les esprits.
« L'approche culturelle, c'est d'abord chercher à comprendre l'autre et parallèlement lui faire découvrir notre propre personnalité.
« Dans ce domaine, nous avons mis en place depuis de nombreuses années des échanges : scolaires, sportifs, théâtraux, musicaux. Tous les partenaires sont impliqués : enfants, enseignants, parents et responsables pédagogiques.
« Nous venons de terminer un document dit "valise pédagogique", qui recense les caractéristiques géographiques, démographiques, économiques, touristiques et culturelles de chaque entité, avec des fiches pour les enseignants qui leur permettent de rendre les cours interactifs et modulables.
« Ainsi se tisse un véritable réseau de relations transfrontalières qui irrigue tout le tissu social de la société de l'esprit transfrontalier, qui seul permet de surmonter les égoïsmes.
« C'est par le travail en commun, par le dialogue et la compréhension, par le développement des synergies de part et d'autre des frontières, qui débouche sur le partenariat, par l'implication directe des élus locaux et des forces économiques et sociales que se forgera la coopération transfrontalière. Ainsi, les germes constitutifs de l'esprit transfrontalier - compréhension, amitié et solidarité - pourront se développer, éléments essentiels de l'éducation à la paix. »
M. Bernard SCHREINER, député (RPR), s'est exprimé à son tour en ces termes :
« - Monsieur le Président, mes chers collègues, le développement de la coopération transfrontalière est un des aspects importants de la stabilité en Europe. L'excellent rapport de notre collègue M. Grau sur la 6 e Conférence européenne des régions frontalières de Ljubljana me donne l'occasion de souligner l'intérêt de cette conférence et la nécessité de donner suite à ses conclusions.
« Avec l'élargissement continu du Conseil de l'Europe, la coopération transfrontalière a pris une nouvelle dimension. Elle concerne désormais pratiquement tous les pays de l'Europe occidentale et orientale, et c'est bien un nouveau défi qui est lancé à ce type de coopération qui, autrefois, était extrêmement localisé.
« La coopération transfrontalière tend à devenir un des éléments de la politique de bon voisinage, récemment consacrée par la signature du Pacte de stabilité.
« Il faut poursuivre nos efforts en ce sens, et ce, d'autant plus que le Sommet de Vienne a reconnu, dans sa déclaration finale, l'importance de la coopération transfrontalière entre collectivités locales et régionales.
« Mais encore faut-il que ces collectivités soient réellement les acteurs de cette coopération et, de ce point de vue, le rapporteur a raison de regretter que cela ne soit pas toujours le cas en Europe centrale et orientale.
« Néanmoins, les choses avancent et nous disposons, avec la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière, déjà ratifiée par la Pologne et la Hongrie, d'un instrument juridique utile. Il serait opportun que ce texte soit ratifié par de nombreux autres pays, notamment en Europe centrale et orientale.
« Quant aux objectifs et aux modalités de la coopération transfrontalière, je voudrais faire ici quelques observations en qualité d'élu de l'Alsace, région qui a le plaisir et l'honneur de vous accueillir, particulièrement concernée par cette coopération.
« Je suis convaincu, en effet, qu'il nous faut aller plus avant dans cette voie. Je vous rappelle que l'Alsace est la première région française pour les travailleurs frontaliers, qui sont 61 000. Elle est également en tête pour le pourcentage d'entreprises à participation étrangère : 450 sociétés. Beaucoup d'organismes aident au développement de cette coopération, par exemple le programme communautaire Interreg.
« Le projet de construction du TGV-Est européen, soutenu par notre collègue Jean-Claude Mignon dans son rapport sur le Conseil de l'Europe, va dans le sens d'un renforcement de la coopération à l'intérieur d'un espace rhénan.
« En fait, l'Alsace, la région de Bâle ou le Bade-Wurtemberg ont développé dans la pratique des actions de coopération très fructueuses, et cela dans de nombreux domaines : économique, bancaire, universitaire, avec la création d'une Confédération universitaire Eucor, médias, etc.
« Le projet "Alsace 2005" réalisé par le Conseil régional d'Alsace est, par ailleurs, un cadre utile de réflexion.
« Il appartient donc aux politiques que nous sommes de relayer et de soutenir les efforts qui, quotidiennement et souvent discrètement, sont accomplis sur le terrain par les hommes de nos régions frontalières.
« Le Conseil de l'Europe, qui a joué un rôle de pionnier dans le domaine de la coopération transfrontalière, comme dans bien d'autres, dispose d'atouts considérables pour faire avancer les choses mais il doit également s'investir pour faciliter l'action des collectivités locales et régionales, souvent entravée par des obstacles administratifs et juridiques.
« L'expérience acquise par le Conseil de l'Europe et par son Assemblée ne peut être que profitable aux nouvelles démocraties de l'Est européen dans leur recherche d'une véritable coopération transfrontalière, en tenant compte en particulier des problèmes des minorités nationales.
« Dans ce domaine comme dans d'autres, le Conseil de l'Europe doit être en mesure de dégager des standards communs de coopération transfrontalière, fondés sur l'expérience du terrain et sur la reconnaissance des spécificités notamment, comme cela été souligné, des spécificités culturelles de chaque région. »
L'Assemblée, à l'issue de ce débat, a délibéré du Rapport 7273, et adopté la Recommandation 1268.
L. - « Pour un progrès tangible des droits des femmes à partir de 1995 ». ( Jeudi 27 avril 1995. )
Portant essentiellement sur les différentes solutions possibles à l'inégalité de fait constatée en matière de participation des femmes à la vie sociale et aux institutions politiques, le Rapport 7271 donne lieu à l'adoption de la Recommandation 1269 et de la Directive 509.
M. - Un engagement de qualité dans les soins de santé et les examens cliniques et biologiques. Rapport de M. Christian DANIEL, député (RPR). ( Vendredi 28 avril 1995. )
M. Christian DANIEL, député (RPR), a présenté oralement son Rapport écrit (7213, résultant d'une proposition de Recommandation, elle-même déposée par M. Christian DANIEL) au nom de la commission des prestations sociales dans les termes suivants :
« - Monsieur le Président, mes chers collègues, médecin, député français et membre de notre Assemblée depuis deux ans maintenant, exprimant ainsi mes convictions européennes, je siège à la commission des questions sociales, de la santé et de la famille.
« Tout d'abord, je tiens à vous informer d'une de mes réflexions, élaborée depuis deux ans. Je l'ai découverte en travaillant au sein de cette commission, en examinant les différents travaux réalisés au fil des années dans le domaine, notamment, de la santé. Nous sommes devant un grand nombre d'études, de recherches et de documentations trop souvent méconnues en dépit de leur grande importance. Il y aurait intérêt à les diffuser parmi les professionnels de la santé, mais aussi auprès de nos populations. Cela aurait un effet bénéfique sur la qualité des soins.
« En effet, ceux qui ont la chance de fréquenter les organisations internationales, en contribuant scientifiquement à leurs travaux, sont souvent stupéfaits de la production et de la qualité des recherches effectuées à l'échelle internationale ainsi que de la pertinence des différentes recommandations élaborées. Ces études ou textes réglementaires - à l'exception de celles et ceux qui sont contraignants, comme le sont les conventions du Conseil de l'Europe, une fois signées et ratifiées par les États membres - demeurent l'apanage d'une élite restreinte, composée de professionnels privilégiés ou encore de correspondants "initiés" qui fréquentent les organisations internationales.
« Je tiens à citer par exemple certaines recommandations qui auraient mérité d'être mieux appliquées dans nos États membres. Dans l'ordre chronologique, et sans être exhaustif, il s'agit de la Recommandation R (82) 5 sur la prévention des toxicomanies par l'éducation à la santé, de la Recommandation R (83) 8 sur la prévention du sida, de la Recommandation R (84) 20 sur l'hygiène hospitalière, enfin de la Recommandation R (88) 7 sur l'éducation et la santé, à l'école notamment.
« La mise en oeuvre de ces recommandations aurait engendré tout d'abord une meilleure information des professionnels et des citoyens usagers de la santé, permettant un plus grand climat de confiance encore, une meilleure prise en charge du suivi des patients, une amélioration de la qualité des soins et, partant, une meilleure maîtrise économique et financière des soins, avec, à moyen terme, une économie réelle.
« Aujourd'hui, nous souhaitons aussi, à travers ce rapport pour un engagement de qualité dans les soins de santé et les examens cliniques et biologiques, mettre en place une meilleure coordination de ces multiples initiatives, travaux et recommandations.
« Pour réaliser cet objectif, nous avons donc conçu un cadre nouveau : l'engagement de qualité de santé, à nos yeux pierre angulaire d'une nouvelle politique, à la fois moins coûteuse et plus humaine.
« Ce rapport, à notre avis, est original et innovant. Il ne contribue pas à augmenter les coûts de soins et ne verse pas trop dans le juridisme. Nous espérons avoir atteint cet objectif grâce à l'engagement de qualité.
« En effet, cet engagement repose sur la volonté - soit personnelle d'un professionnel de la santé, soit collective, dans le cadre d'une structure hospitalière ou de laboratoire notamment - d'adhérer à des règles acceptées, ce qui est différent d'une autre démarche qui se voudrait plus contraignante, celle d'un contrôle imposé d'en haut dans un cadre plus juridictionnel. Ce type de formulation, cet état d'esprit, qui concernent tous les citoyens, professionnels de santé ou usagers, acteurs privilégiés de cette action, sont clairement définis dans le point 4 du projet de recommandation.
« En contrepartie de cet engagement - point 6 du projet de recommandation volontaire, souple, le Conseil de l'Europe et ses partenaires délivreraient une attestation à tous ceux qui, conformément à cet engagement, procéderaient à l'affichage et à l'application des recommandations, pertinentes, contenues dans le présent projet.
« Pour atteindre cet objectif, il serait indispensable de procéder à une analyse de tous les textes normatifs et autres élaborés au sein du Conseil de l'Europe et des organisations partenaires de notre Assemblée qui le souhaitent, pour retenir les textes à inclure dans l'engagement de qualité. Pour ce faire, je propose de confier à un groupe de travail restreint, composé de trois experts consultants, le soin d'en approfondir l'étude, notamment dans ses modalités pratiques, l'un désigné par le Comité européen de la santé, le deuxième par l'Organisation mondiale de la santé et le troisième par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, qui seraient amenés à travailler sous la responsabilité du Rapporteur parlementaire chargé de la question.
« Ces travaux pourraient s'effectuer également en coopération avec les académies de médecine, les ordres professionnels ou organismes équivalents. Le Parlement européen pourrait également être utilement associé aux travaux.
« En conclusion, cette démarche d'un engagement de qualité se veut innovante, synthétique, globale, concrète et humaine. Elle est, à mes yeux, gratifiante pour nos populations et les professionnels qui s'y engageraient, obtenant ainsi un "plus" par cette reconnaissance européenne de qualité.
« Mon autre ambition, telle que je l'ai exprimée également à la commission, serait que l'année 1997 ait pour thème : la santé en Europe, apportant une pierre à la volonté de notre Secrétaire Général et de notre Assemblée de voir le rôle du Conseil de l'Europe réaffirmé dans la promotion de la qualité de la vie et du bien-être de la population de nos États membres. »
À l'issue du débat, M. Christian DANIEL, député (RPR), a repris la parole pour répondre aux orateurs en ces termes :
« Monsieur le Président, les interventions qui ont suivi la présentation de ce rapport m'ont paru toutes caractérisées par une réflexion constructive, fructueuse et ouverte à l'égard du travail que nous nous sommes fixé pour les mois à venir. L'aspect constructif de ces interventions m'inspire donc un sentiment de satisfaction.
« Je répondrai maintenant à chacun de mes collègues qui ont eu l'amabilité de travailler sur ce Rapport, d'y réfléchir et de me proposer leurs suggestions.
« Monsieur Vella, vous avez mis l'accent sur l'engagement, au sens de la responsabilité des citoyens, qu'ils soient professionnels ou usagers. C'est bien dans cet esprit que j'ai amorcé la rédaction de ce rapport. Il est né d'une démarche intellectuelle, d'une démarche de conscience, d'une démarche morale, dont il faut ensuite permettre la concrétisation, la réalisation. Cet aspect est également perçu par Mme Hooper qui souhaite que ce rapport ait une application concrète, utile, pratique.
« M. Vella a mis l'accent sur l'information. En effet, comme je l'ai dit dans ma présentation, c'est souvent par manque d'information et d'éducation que l'ensemble des travaux réalisés dans nos assemblées et dans les instances internationales ne sont pas connus au plus près de nos publics.
« Vous avez ouvert la voie à l'évocation des questions éthiques, notamment en posant le problème de la publicité. Sans doute nous apercevrons-nous - nous le savons déjà un peu - que nos différents États membres n'ont pas la même attitude à l'égard de la publicité des professionnels de la santé : ici, elle est plus ou moins tolérée ; là, elle est totalement interdite. Dans ce domaine comme dans d'autres, il faudra, comme vous le souhaitez, évoluer avec souplesse vers une harmonisation de nos pratiques.
« Il faut être prudent et le groupe de travail doit approfondir la question. C'est le mérite que je vois à ce groupe de travail qui aura à côté de lui le rapporteur parlementaire, si ce texte est adopté.
« Il faudra préparer les textes. Bien entendu, les certificats seront délivrés en liaison avec les ordres professionnels de la santé ou les organismes équivalents. S'il n'est pas prévu de contrôle au sens juridictionnel strict, il y aura une interaction entre le professionnel de santé et l'organisme chargé de délivrer cette attestation. Bien sûr, cette interaction mobilisera les usagers et les consommateurs.
« Madame Hooper, j'ai bien noté votre expérience, puisque vous avez exercé les responsabilités de ministre de la Santé dans votre pays. Il m'a été agréable de constater que vous avez commencé votre propos en parlant d'une nouvelle chance, d'un nouvel enthousiasme proposé à l'ensemble de nos populations et des professionnels de santé, avec pour objectif l'optimisation de l'offre des soins. On sait qu'elle est aujourd'hui de qualité - la technologie, le savoir-faire se sont développés - mais il faut l'optimiser pour tous les publics, pour tous les usagers.
« Vous avez souhaité que nous fassions les choses d'une manière pratique, utile. Je tiens à vous dire que je partage entièrement votre point de vue. En tant que médecin, professionnel de la santé, c'est ainsi que j'exerce aussi mon mandat d'élu. Il faut être utile pour nos populations.
« Vous avez mis l'accent sur la recherche. Il est certain que nous devons en assurer la promotion et la divulgation. Dans le passé, et encore récemment, on a trop souvent assisté à des querelles entre des écoles de recherche scientifique qui faisaient obstacle à la promotion des connaissances qu'elles avaient acquises. Il faudra également y remédier. La création d'une banque de données européennes est souhaitable pour éviter les querelles que nous avons connues dans le passé récent.
« Monsieur Maloney, vous avez mentionné l'existence, dans votre pays, l'Irlande, d'une Charte du patient dont vous avez dit qu'elle a été remise à jour récemment. Cela montre que nous devons bénéficier non seulement des travaux internationaux passés, mais aussi des expériences de chaque État membre. Le groupe de travail aura à coordonner et à prendre le meilleur des expériences et, dans votre cas, des acquis de nos États membres.
« Vous avez également parlé du rôle que le groupe de travail pourrait jouer dans l'élaboration de la Charte de qualité ainsi que dans le suivi. Vous avez rejoint en cela M. Vella.
« Monsieur Pini, j'ai été satisfait que vous rappeliez notre visite à Tirana, il y a bientôt deux ans. Ce voyage a fait prendre conscience à l'ensemble des membres de la commission de la nécessité à s'engager dans une harmonisation, une démarche pour la qualité. Nous avons tout d'abord été interpellés par les problèmes d'hygiène, qui se posent non seulement à Tirana mais dans tous les États membres. Les statistiques le prouvent : près de 15 % des patients dans les hôpitaux et établissements de soins y contractent une infection nosocomiale qu'ils n'avaient pas en arrivant. C'est dire que 15 % des patients contractent dans les hôpitaux une maladie pour laquelle ils ne sont pas venus se faire soigner. Le coût en est très élevé. L'hygiène a un prix, mais elle sera source d'économie à terme, et l'argent que nous aurons investi en faveur de nos politiques de santé permettra de faire face à l'ensemble des problèmes, notamment ceux de dépendance et de prévention.
« Je rejoins les préoccupations de M. Kotlar.
« Je conclurai en disant que voter ce Rapport nous offrira les voies et moyens pour travailler dans le futur. »
À l'issue de ce débat, qui porte sur les propositions du Rapport 7213 de M. Christian DANIEL, député (RPR), l'Assemblée a adopté la Recommandation 127.
N. - Les discriminations entre les hommes et les femmes pour le choix du nom de famille et la transmission du nom des parents aux enfants. Rapport de M. Jean-Louis MASSON, député (RPR). ( Vendredi 28 avril 1995. )
S'exprimant en qualité de Rapporteur au nom de la Commission des questions juridiques et des droits de l'homme, sur une proposition de Recommandation dont il avait eu l'initiative, M. Jean-Louis MASSON, député (RPR), a présenté les observations suivantes :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, ce rapport est particulièrement important, non pas en termes d'incidences matérielles ou financières sur le statut des femmes mais du point de vue des principes que nous vous soumettons.
« En effet, le nom de famille est un élément essentiel à l'affirmation de l'identité des personnes. Les pays du Conseil de l'Europe sont héritiers d'une tradition qui a quasiment institutionnalisé un système relativement discriminatoire. Au départ, dans beaucoup de pays, une priorité, je dirais même une quasi-exclusivité juridique, prévalait au profit de la transmission du nom du père aux enfants, au détriment du nom de la mère.
« De nombreux pays ont engagé un effort remarquable au cours de ces vingt dernières années pour que la transmission du nom se fonde sur des bases égalitaires entre l'homme et la femme. Or, actuellement, un grand nombre de décisions internationales - je citerai notamment la convention de l'ONU, une décision du Comité des ministres du Conseil de l'Europe datant de plusieurs années - malgré donc ces différents engagements internationaux, un certain nombre de pays membres du Conseil de l'Europe ne se sont toujours pas mis en conformité avec les principes affichés ou affirmés.
« Quel est le problème ? Il est très simple.
« Dans les pays qui restent à l'écart du système - certes, une minorité au sein du Conseil de l'Europe et dont la France fait partie -le nom de l'enfant, lorsque les parents sont mariés, est systématiquement celui du père. Il est obligatoirement celui du père. Lorsqu'il s'agit d'un enfant naturel, il porte soit le nom de la mère, soit le nom du père. Du reste, dans certains pays, la priorité est donnée au nom du père lorsque celui-ci reconnaît l'enfant.
« Au sens de la Commission qui en a longuement débattu, il n'y a aucune raison pour que l'on maintienne ce type de discrimination. C'est d'autant plus vrai qu'il existe des alternatives : des systèmes sophistiqués purement égalitaires sont possibles ; je les considère comme très satisfaisants, tel le système en vigueur en Allemagne. Les autres systèmes instaurés par ailleurs sont tout aussi satisfaisants et répondent aux mêmes exigences d'égalité entre l'homme et la femme.
« C'est pourquoi il n'y a aucune raison pour que les pays du Conseil de l'Europe en retard - souvent de culture latine - persistent à refuser toute évolution. Je le dis d'autant plus librement que l'un des arguments parfois évoqués dans ces différents pays est que, ma foi, cela compliquerait les questions d'état civil ou gênerait des traditions. Or, pratiquement dans tous ces pays - je pense au Benelux, à l'Italie, à la France - les enfants naturels peuvent, sous certaines réserves, porter le nom de la mère. Dans la mesure où près d'un tiers des enfants ont ce statut, et donc non issus de parents mariés, on constate qu'aucune difficulté ne se pose pour ces enfants ; a fortiori , l'argument juridique consistant à dire que l'on introduirait des bouleversements considérables ne tient pas, d'autant moins que des pays voisins, telle l'Allemagne, ont franchi la barrière qui maintenait une certaine discrimination au détriment des femmes. Ils l'ont réalisé sans difficulté aucune.
« Entendons-nous bien : aussi bien pour ma collègue Mme Err, Co-rapporteur, que pour moi-même, il n'est pas question de vouloir imposer des quotas ou de sombrer dans un quelconque féminisme exacerbé. Toutefois, il convient d'ouvrir une petite porte juridique pour permettre aux familles qui le souhaiteraient d'avoir le choix. Nombreuses sont celles qui sont concernées. Aussi bien Mme Err que moi-même avons reçu de nombreux courriers à ce sujet. Des familles sont intéressées. Il s'agit d'ouvrir une petite porte pour permettre l'égalité. Si, dans les pays concernés, de nombreuses familles souhaitent profiter de cette ouverture juridique, elles le feront ; dans le cas contraire, peu de familles seront concernées.
« Mais je pense qu'il faut donner une faculté d'ouverture et non imposer une obligation. Il est anormal que cette faculté n'existe pas dans certains de nos États membres du Conseil de l'Europe. Il est anormal que l'on maintienne une discrimination juridique contraignante s'exerçant au détriment des femmes. Autant on peut discuter des problèmes d'égalité réelle ou juridique - personnellement, je considère qu'il faut donner une égalité juridique - autant, à partir du moment où les femmes l'auront acquise, libre à elles, et cela relève de leur responsabilité, de concrétiser cette égalité dans les faits et de l'utiliser à plein. Finalement, la Commission souhaite que l'on fasse un pas.
« Nous souhaitons que l'engagement ratifié par tous les États membres du Conseil de l'Europe lors d'une précédente réunion des ministres soit appliqué et que les engagements moraux pris par quelques États retardataires se concrétisent. »
À l'issue du débat qui porte tant sur son Rapport écrit (7259) que sur son exposé oral, M. Jean-Louis MASSON, député (RPR), reprend la parole pour répondre aux orateurs qui sont intervenus. Après s'être déclaré d'accord avec un amendement qui renforce l'invitation adressée aux États membres de réformer leur législation sur la transmission des patronymes (et qui sera d'ailleurs adopté), M. Jean-Louis MASSON poursuit en ces termes :
« Je remercie également Mme Burbiené, de Lituanie, pour les compléments d'information qu'elle nous a apportés et l'approbation dont elle nous a fait part.
« À notre collègue M. Berg, j'indique qu'il n'a peut-être pas bien lu le Rapport ; à moins que ce rapport ne soit trop compliqué. Il n'a jamais été question de vouloir obliger les gens à tirer au sort le nom des enfants entre le père et la mère. Il serait ridicule même d'avoir pu Penser que nous ayons voulu agir de la sorte ! Notre collègue M. Berg a voulu plaisanter. Il n'a pas pu penser un seul instant que la Commission des questions juridiques et les deux Rapporteurs avaient l'intention d'obliger les parents à tirer au sort le nom de leurs enfants entre celui du père et celui de la mère. Il a certainement compris aussi que notre souci n'était pas non plus de briser les traditions.
« Il est évident que si une famille veut respecter la tradition et souhaite transmettre le nom du père aux enfants, il n'est absolument pas question d'aller à l'encontre de ce souhait.
« Le seul objet du Rapport est de donner aux familles - car il y a aussi des pères de famille qui, pour telle ou telle raison, préféreraient transmettre le nom de leur épouse à leurs enfants plutôt que le leur -la faculté, la possibilité de transmettre aux enfants soit le nom du père, soit celui de la mère.
« Il y a aussi tous ceux qui veulent absolument respecter la « tradition ». Ils peuvent le faire. Il n'a jamais été question d'empêcher un enfant de porter le nom de son père. Il existe aussi des familles dont les membres n'ont pas la même conception de la vie familiale et d'autres où les parents, pour telle ou telle raison, souhaitent transmettre le nom de la mère.
« Le seul problème qui se pose, c'est celui de la faculté juridique, de la possibilité pour les gens d'avoir les mêmes droits, pour la mère et pour le père. Si, dans le pays de notre collègue M. Berg, 99,99 % des familles souhaitent transmettre le nom du père, ce sera tant mieux. D'après l'exemple qu'il nous a indiqué, et qui le concerne personnellement, il semblerait que ce ne soit pas le cas. C'est un problème interne au pays. M. Berg souhaitait que tous ses enfants portent le nom du père, cela le concerne. À lui de régler cela. Ce n'est pas à nous d'accepter qu'il y ait des dispositions contraignantes. Car, lorsque l'on évoque les problèmes entre les sexes, il s'agit précisément de donner aux deux sexes la même faculté.
« À notre collègue qui a évoqué le Liechtenstein, je réponds qu'il ne s'agit pas d'obliger toutes les électrices de ce pays à voter mais de leur donner la possibilité de le faire, et de se présenter à des élections. Mme Wohlwend nous a expliqué comment la législation avait évolué dans son pays pour la transmission du nom patronymique. Le cas est exactement le même. Il n'est pas question d'imposer quelque chose au profit des femmes, au détriment des hommes. Il est simplement question de donner aux femmes les mêmes droits qu'aux hommes.
« Ce n'est pas une volonté de réglementer uniformément pour tous les pays du Conseil de l'Europe. La meilleure preuve, c'est que, comme nous l'expliquons dans le Rapport, en Espagne, par exemple, il existe des systèmes égalitaires mais qui sont tout à fait différents des systèmes égalitaires en vigueur dans d'autres pays comme l'Allemagne. Il n'est pas question d'uniformiser mais simplement de faire respecter un certain nombre de principes.
« Si l'on nous oppose que ce n'est pas notre problème, je dirai alors très clairement que je ne suis pas d'accord. Si ce n'est pas notre problème de nous préoccuper d'inégalités juridiques contraignantes, alors, à la limite, tout ce dont nous nous occupons pour les droits de l'homme en général ne nous concerne pas non plus ! Si demain tel ou tel pays, où l'esclavage serait autorisé, prétextait que c'est une tradition chez lui que de maintenir l'esclavage - ou la polygamie ou encore de pratiquer telle ou telle blessure rituelle sur les enfants - à ce moment-là, le Conseil de l'Europe n'aurait plus aucune raison d'être. Il n'aurait plus de raison d'être si nous acceptions de telles atteintes discriminatoires à un certain nombre de principes éthiques qui constituent le fond de la réflexion humaniste du Conseil de l'Europe.
« Je remercie M. Thoresen pour son approbation.
« J'indique à Mme Grzeskowiak qu'elle nous a fort bien expliqué sa position. Je la comprends tout à fait. C'est quasiment un choix politique que je respecte pleinement.
« Quant à Lord Newall, pour lui aussi c'est un problème de choix personnel. Contrairement à ce qu'il a cru, il n'est pas question de dicter à qui que ce soit les conditions de la transmission du nom mais simplement de permettre aux individus ce choix.
Je souligne que le Rapport est peut-être un peu long et que certains collègues ne l'ont pas entièrement lu. Il n'est pas question d'imposer aux familles quoi que ce soit dans la transmission du nom. Il est simplement question de donner une faculté à des familles qui seraient intéressées par une possibilité de transmission équivalente du nom du père ou de la mère.
La Commission et moi-même, en tant que Rapporteur, sommes favorables à l'adoption de l'amendement qui nous est soumis.
À l'issue du débat, le projet contenu dans le Rapport 7259 de M. Jean-Louis MASSON, député (RPR), modifié par un amendement accepté par le Rapporteur, est adopté et devient la Recommandation 1271.
O. - Déclaration de la Délégation française à l'occasion du 50 e anniversaire du 8 mai 1945 à l'initiative de M. Jean de LIPKOWSKI, député (RPR), et M. Jean SEITLINGER, député (UDF). ( 28 avril 1995 ) .
« Enfin, au cours de cette deuxième partie de la session ordinaire de 1995, la Délégation française, unanime, a déposé une déclaration écrite, à l'initiative de M. Jean de LIPKOWSKI, député (RPR), et d e M. Jean SEITLINGER, député (UDF), afin de commémorer le 50 e anniversaire du 8 mai 1945. Voici la teneur de cette déclaration :
Déclaration de la Délégation
française
à l'Assemblée parlementaire du Conseil de
l'Europe
à l'occasion de la célébration du
50
e
anniversaire du 8 mai 1945
Il y a cinquante ans, la Seconde Guerre mondiale prenait fin. Pourquoi célébrer solennellement cet anniversaire ?
Pour honorer ceux qui firent le sacrifice de leur vie d'abord. Mais aussi pour que le sens de ce sacrifice ne se perde pas.
Pourquoi ajouter notre message à toutes les déclarations prononcées en ces jours anniversaires ? Parce qu'il importe que, d'ici, de Strasbourg et du Conseil de l'Europe, nos voix portent pour dire aux générations qui ont connu la paix : cette terre d'Alsace fut le théâtre des pires déchirements, des deuils et des ruines.
Pourtant, au lendemain du conflit des hommes courageux décidèrent de renouer un dialogue pacifique, qui permit à la réconciliation de s'incarner dans des coopérations concrètes, des discussions démocratiques, des solidarités tissées au fil des rencontres.
Il s'ensuivit cinquante années de paix et une élévation sans précédent du niveau de vie de nos pays naguère exsangues.
Prenons garde cependant à ne pas oblitérer le vrai sens de cette fête du souvenir : il y a de nouveau des combats sur le sol du Vieux Continent, et des combats fratricides entre communautés naguère si proches !
On entend monter de nouveau le bruit inquiétant des nationalismes dévoyés en extrémistes haineux cinquante ans après la libération des camps voués à la « solution finale ».
Les drames de la Seconde Guerre mondiale, et les drames surmontés, nous donnent le droit, nous imposent le devoir de dire à ceux qui se déchirent, appelant à la purification ethnique, à ceux qui exploitent les difficultés actuelles pour appeler à la haine de l'autre :
« Sachez faire le choix de la paix comme le firent les fondateurs du Conseil de l'Europe, ici à Strasbourg sachez préférer le dialogue, le débat, le respect des droits de l'Homme, la coopération, et ce sont alors les causes mêmes de nos vieux antagonismes qui se dissoudront dans les solidarités invisiblement tissées par la coopération entre tous les citoyens du Vieux Continent. »
Le bonheur individuel de chacun de nous comme le rayonnement de l'humanisme européen sont à ce prix.
Ce message du 8 mai 1945, nous avons la charge, en ce cinquantième anniversaire, de le faire porter à notre tour, dans toute la Grande Europe, et pour les jeunes générations.