CHAPITRE PREMIER - LES TRAVAUX DE L'ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE DU CONSEIL DE L'EUROPE PENDANT LA SESSION DE 1995
SECTION I - La première partie de la session (STRASBOURG - 30 janvier au 3 février 1995)
A - Introduction.
L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe s'est réunie à Strasbourg, du 30 janvier au 3 février (première partie de la session de 1995). Après le discours de M. Charles EHRMANN, député (UDF), Président d'âge, l'Assemblée parlementaire a procédé à l'élection de son Bureau. M. Miguel-Angel MARTINEZ (Espagne, socialiste) a été réélu Président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. M. Jacques BAUMEL, député (RPR), a été élu vice-président au titre de la France.
M. Édouard BALLADUR, Premier ministre, a prononcé une allocution le 31 janvier et a notamment répondu à une question de M. Louis JUNG, sénateur (UC). Ont également pris la parole devant l'Assemblée parlementaire MM. Vaclav KLAUS, Premier ministre de la République tchèque et Mario SOARES, alors Président de la République portugaise. La communication du Comité des ministres a été présentée par M. MICHAELIDES, ministre des affaires étrangères de Chypre, Président en exercice du Comité des ministres.
L'Assemblée parlementaire a donné, le 31 janvier, un avis favorable à l'adhésion de la Lettonie au Conseil de l'Europe. M. Gabriel KASPEREIT, député (RPR) est intervenu dans ce débat (Rapports 7169, 7193 et 7190, et Avis n° 183 présenté par M. Jean SEITLINGER, député (UDF). Ce pays est ainsi devenu, avec la signature de l'adhésion le 10 février, le 34 e État membre du Conseil de l'Europe et envoie désormais trois représentants titulaires et trois suppléants à l'Assemblée parlementaire.
L'Assemblée parlementaire a tenu un débat sur la situation en Tchétchénie et la candidature de la Russie à l'adhésion au Conseil de l'Europe (Rapport 7320). Interventions de MM. Jean de LIPKOWSKI, député (RPR), Jean-Claude MIGNON, député (RPR), Bernard SCHREINER, député (RPR) et Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc.) L'Assemblée a adopté la Résolution n° 1055 dans laquelle elle décide de suspendre la procédure concernant son avis demandé statutaire sur la demande d'adhésion de la Russie, ainsi que la Directive n° 506.
L'Assemblée a débattu de l'avis demandé par le Comité des ministres sur le projet de convention de bioéthique (Rapport 7210). Avis oral de M. Christian DANIEL, député (RPR). Interventions de MM. Jean BRIANE, député (UDF), Xavier DENIAU, député (RPR), Bernard SCHREINER, député (RPR), Jean VALLEIX, député (RPR). Adoption de l'avis n° 184.
Après avoir donné acte du Rapport d'activité du Bureau et de la Commission permanente (Rapport 7205 et ad.), l'Assemblée a également, au cours de cette première partie de sa session de 1995, délibéré des questions suivantes :
- la protection des droits des minorités nationales : Mme Josette DURRIEU, sénateur (Soc.) et M. Bernard SCHREINER, député (RPR) sont intervenus dans ce débat (Rapport 7228, Recommandation n° 1255 et Directive n o 501) ;
- les régions au Conseil de l'Europe et la mise en place du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe (Rapport 7220, Recommandation n° 1256, Résolution n° 1053 et Directive n o 502) ;
- la politique européenne de conservation globale et intégrée (Rapport 7217 et Directive n° 504) et programme d'action visant à promouvoir l'éducation à l'environnement grâce à une formation des enseignants. MM. Jean VALLEIX, député (RPR), et Jean BRIANE, député (UDF), sont intervenus dans ce débat. (Rapports 7189 et 7221), Recommandation n o 1258 et Directive n o 505) ;
- les activités de la commission économique des Nations unies pour l'Europe, le débat étant introduit par une allocution de M. Yves BERTHELOT, secrétaire exécutif de la commission économique des Nations unies pour l'Europe (Rapport 7199 et résolution n° 1052) ;
- les conditions de détention dans les États membres du Conseil de l'Europe (Rapport 7215, Recommandation n° 1257 et Directive n° 503) ;
- la situation à Chypre (Rapport 7206, Recommandation n° 1259 et Résolution n° 1054) ;
- la conférence internationale sur la population et le développement - Le Caire, 5-13 septembre 1994 (Rapport 7208 et Recommandation n° 1260) ;
- les politiques sociales et la stabilité politique dans les pays d'Europe centrale et orientale. M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc.) est intervenu dans ce débat (Rapport 7219 et Résolution n° 1056).
B - Allocution de M. Charles EHRMANN, député (UDF), à l'ouverture de la session ordinaire de 1995. ( Lundi 30 janvier 1995. )
En sa qualité de doyen de l'Assemblée parlementaire, c'est à M. Charles EHRMANN qu'il appartient d'ouvrir la session ordinaire de 1995. Il a prononcé l'allocution suivante :
« Mesdames, Messieurs, c'est la deuxième fois que je prononce devant vous le discours d'ouverture en tant que doyen ; j'en suis très honoré et je souhaite le faire encore longtemps pour des raisons faciles à comprendre.
« Mes premiers mots seront pour remercier et féliciter le Président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, M. Martinez qui est pour moi l'exemple même de la liberté - cette liberté que son père a payée de sa vie.
« Je remercie aussi ceux qui m'écoutent ici - sans oublier mes amis - et qui font du Conseil de l'Europe une chambre de réflexion et de décision qui prépare l'avenir de notre continent.
« Ma qualité de doyen m'a fait vivre les deux dernières guerres mondiales, assister à la naissance et au naufrage de la Société des nations. J'ai vu naître l'O.N.U. et, plus près de nous, la Communauté européenne et le Conseil de l'Europe, et j'ai pu constater que l'Europe était, depuis 1945, pratiquement partagée en deux, avec une zone d'influence américaine et une autre d'obédience soviétique. Le tout sous des parapluies nucléaires.
« Et puis, ce fut le grand changement, la chute du mur de Berlin, la réunification de l'Allemagne - que personne ne prévoyait aussi rapide et qui restera dans l'Histoire le grand titre de gloire du chancelier Kohl - le recul et le partage de l'U.R.S.S. entre Russie et autres républiques, ce qui va amener les États-Unis à moins s'intéresser à l'Europe et davantage aux trois Amériques et au Pacifique - l'affaire de la Bosnie nous le rappelle. Depuis, l'Europe est davantage livrée à elle-même et obligée de penser à son avenir politique, économique et social, d'autant que se créent dans le monde des rassemblements humains, économiques ou religieux puissants, qui risquent de la submerger, comme le fut l'Empire romain en 476, si elle ne sait pas s'organiser.
« L'Europe n'a ni unité physique, ni unité économique, ni unité sociale, mais elle appartient, dans sa quasi-totalité, à la civilisation judéo-chrétienne. C'est un fait très important.
« L'Europe, c'est avant tout une idée qui, pour nous, signifie liberté, droits de l'homme, démocratie et économie de marché. Cette idée, il appartient aux disciples des pères fondateurs - Monnet, Schuman, Churchill, de Gasperi, de Gaulle, Adenauer - de la concrétiser, de la réaliser.
« Parmi beaucoup d'institutions internationales, deux nous occupent aujourd'hui car elles sont intimement liées, l'Union européenne et le Conseil de l'Europe.
« L'Union européenne, terre de liberté et donc de démocratie, première puissance économique et commerciale du monde, semble être un paradis pour tous les peuples européens n'en faisant pas partie : ils veulent y entrer en passant par le Conseil de l'Europe qui, pour eux, n'est qu'une étape.
« Ce Conseil accepte des pays offrant toutes les garanties de liberté démocratique et d'économie sociale de marché, mais aussi des pays dans lesquels la démocratie à l'égard des minorités et l'économie de marché ne sont pas ce qu'elles devraient être et pour lesquels on dit - je l'ai entendu dans cet amphithéâtre : « Il vaut mieux les accepter, car nous protégerons mieux leurs minorités si ces pays sont au Conseil de l'Europe ; nous ferons donner à ces minorités des droits politiques et religieux ».
« Cette bonne intention peut être dangereuse : la France a fondé son unité en pratiquant une politique d'intégration ; elle a assimilé en 150 ans vingt millions de Français ayant un ascendant étranger à trois générations, mais ces ascendants étaient, très massivement, de civilisation judéo-chrétienne.
« Ayant séparé l'Eglise et l'État, elle n'accepterait pas qu'un jour des parties de son territoire ayant une minorité musulmane puissante, puissent demander - le Coran étant à la fois politique et religieux - une protection à des instances internationales ; la France est une et indivisible.
« Quant à l'Union européenne - aujourd'hui à quinze États - sachez qu'elle a de graves problèmes à résoudre avant de s'étendre. Elle doit refaire ses institutions prévues pour six, mal adaptées à douze et encore plus mal à quinze, sous peine de voir disparaître les buts pour lesquelles elle a été fondée : respect des nations, mais liens politiques plus étroits, monnaie commune, politique extérieure commune pour tenir tête, par exemple, aux États-Unis, comme elle l'a fait lors du GATT ; armée européenne - l'UEO n'étant pas suffisante - qui eût pu empêcher la guerre en Bosnie.
« De plus, l'Europe des Quinze subit une crise économique et sociale dont elle ne sort que lentement : elle a vingt millions de chômeurs, dont elle n'arrivera à réduire fortement le nombre qu'en permettant aux dix-sept millions de PME d'embaucher chacune un chômeur, grâce à des lois adéquates.
« Plus grave, cette Europe subit aussi une crise, une fracture de société due à de multiples causes : urbanisation accélérée, manque de logements, ghettos de banlieue, éclatement des familles, individualisme forcené, vieillissement de la population, vol, drogue, millions d'étrangers difficilement assimilables.
« Les sociétés caritatives et l'État-providence n'arrivent plus à faire face et les États ne pourront plus continuer longtemps avec des budgets sociaux dépassant largement leur propre budget. Les États Scandinaves les plus avancés au plan social viennent de donner, cette semaine, des coups de frein afin de pouvoir rester compétitifs au plan mondial.
« Dans ces quinze États, tous ces problèmes - liés en réalité à la société de consommation et de nature à faire réfléchir ceux qui nous envient - sont mis en valeur par des médias qui, ne s'intéressant qu'à ce qui ne va pas, donnent une image fausse de la réalité, mais une image acceptée par beaucoup qui rendent l'Union européenne responsable de tous les maux.
« En France, par exemple, au moins 40 à 45 % des populations ont tendance à oublier que c'est grâce à l'Europe que nous sommes devenus la quatrième puissance commerciale du monde, que un ouvrier sur trois ou quatre travaille pour l'exportation, que le revenu par habitant est supérieur d'un quart à celui de l'Anglais ou de l'Italien et qu'à côté de cinq millions de personnes posant problèmes, il y en a vingt millions qui travaillent, que notre agriculture, la première des Quinze, vend ses produits à l'étranger grâce, en partie, à la moitié du budget de l'Union européenne consacré à l'agriculture.
« Tous ces Français oublient que, grâce à l'Europe, concrétisée pour nous, avant tout, par l'entente France-Allemagne, la paix règne depuis cinquante ans entre les deux anciens "ennemis héréditaires", alors que nous avions eu trois guerres en soixante-dix ans, provoquant des millions et des millions de morts.
« Ces 40 à 45 % de la population qui sont partisans d'une "autre Europe" - en réalité, ils y sont hostiles et préfèrent une France frileuse et hexagonale - ont dû admettre le doublement des crédits des fonds structurels à Edimbourg pour aider à l'élévation du niveau d'une partie des Quinze. Mais ces Français-là deviendraient majoritaires dans mon pays s'il fallait augmenter les crédits des fonds pour aider de nouveaux pays à entrer dans l'Union européenne. De même, ils mettraient en valeur la concurrence due à leurs bas prix de vente, même si on leur rappelait que l'Union européenne des Douze a pris, en 1994, cinquante interdictions d'entrée pour des produits trop concurrentiels - l'Union a prouvé ainsi qu'elle était prête et apte à les défendre.
« Tout cela pour rappeler au Conseil de l'Europe que l'entrée dans l'Union européenne sera difficile et ne pourra se faire que lentement, sous peine de voir l'Union européenne sombrer dans l'anarchie.
« Enfin, il faut que vous le sachiez, mais je l'ai dit dans mon intervention à l'Assemblée nationale, le 21 décembre 1994, nous autres, habitants du sud de l'Europe, péninsule Ibérique, France méridionale, Italie insulaire, Grèce - pour ma part, j'ai beau m'appeler Ehrmann "homme d'honneur", en alsacien, j'habite Nice depuis 58 ans - nous sommes très attachés à l'aide aux pays du sud de la Méditerranée, sans qu'ils entrent dans l'Union européenne. Or, nous constatons avec tristesse que l'on a fait dix fois plus, a dit M. Delors, pour l'Europe centrale et orientale que pour le Maghreb et le Machrek. Nous ne savons pas si les promesses d'Essen, en décembre 1994 - 5 milliards d'ECU pour le Sud et 7 pour l'Est - seront tenues.
« Pour nous, habitants du sud de l'Europe, c'est grave car si nous n'aidons pas les pays du sud de la Méditerranée - 200 millions, aujourd'hui, 400 dans 30 à 35 ans - à développer leur économie et à vivre décemment, leurs habitants viendront chez nous par millions, ce nous voulons absolument éviter.
« Ce tableau, un peu sombre - mais on parle toujours de ce qui ne va pas en oubliant trop ce qui va, il suffit de venir en France pour le vérifier - a pour but de vous faire réfléchir aux problèmes que pose l'élargissement de l'Union européenne tant voulu par le Conseil de l'Europe.
« Dans l'Europe des Quinze, certains sont européens par le coeur, d'autres, les plus nombreux, le sont par raison, car ils oublient difficilement leur histoire : mais ils savent que l'Europe, "petit promontoire de l'Asie", disait Paul Valéry, doit être une si elle veut continuer à exister.
« Le jour où tous les Européens seront européens par le coeur, l'Europe - une idée encore aujourd'hui - sera devenue une réalité. »
C. Réélection de M. Jacques BAUMEL, député (RPR), en qualité de vice-président de l'Assemblée parlementaire. ( Lundi 30 janvier 1995. )
Après la réélection de M. Miguel-Angel MARTINEZ (Espagne, Soc.) à la Présidence de l'Assemblée pour un troisième mandat de un an, l'Assemblée a procédé à la réélection de son Bureau, réélisant ainsi M. Jacques BAUMEL, député (RPR) en qualité de vice-président.
D. Rapport d'activité du Bureau et de la Commission permanente. ( Lundi 30 janvier 1995. )
A la suite de la présentation du Rapport 7205 et de l'addendum l'Assemblée a pris acte de la récapitulation qui lui est présentée et qui s'attache aux deux questions qui lui semblent les plus importantes, celle de l'élargissement du Conseil - notamment à la Russie - et celle du suivi des décisions prises par les pays non membres en vue de leur adhésion au Conseil. Les mêmes critères doivent valoir pour les pays déjà membres. La Turquie est le pays dont la situation est la plus préoccupante, poursuit le rapporteur. Le Conseil de l'Europe ne peut abaisser le niveau de ses exigences et de ses normes.
En octobre dernier, le Bureau a examiné un rapport négatif des experts juridiques de la Cour européenne des droits de l'homme, concernant la Russie et la conformité des normes juridiques de ce pays avec les normes européennes. Certaines réponses, reçues récemment de la part des autorités russes, sont étudiées actuellement par le Bureau. Celui-ci, ajoute le rapporteur, appuie la proposition d'une demande de discussion d'urgence sur la situation en Tchétchénie. Ce problème sera d'ailleurs discuté par le Comité Mixte qui se réunira le vendredi suivant.
Le matin même, le Bureau a examiné une proposition de directive déposée par Mme Halonen concernant l'amélioration des procédures de contrôle.
Le rapporteur poursuit en indiquant que le Bureau a posé des questions aux autorités roumaines et qu'une réponse de celles-ci est parvenue le 20 janvier. L'élaboration d'un rapport à propos de la Bulgarie se poursuit. L'Assemblée examinera l'évolution de la situation en Slovaquie.
Revenant au problème de la Turquie, le rapporteur rappelle qu'une mission a été envoyée dans ce pays en octobre. Le 20 janvier, le Bureau a entendu le rapport du Secrétaire général du Conseil de l'Europe. Il en a conclu que la loi turque n'est pas conforme aux engagements contractés par ce pays en adhérant au Conseil de l'Europe. Toutefois, les deux principaux partis de la coalition gouvernementale et l'opposition se sont mis d'accord sur la nécessité de réviser certains articles de la Constitution turque.
M. La Russa poursuit en évoquant les contacts avec la Serbie-Monténégro. Une délégation a été désignée par le Bureau, mais elle ne s'est pas encore rendue à Belgrade.
L'orateur termine en évoquant le problème de la structure des commissions de l'Assemblée, une question cruciale étant donné le nombre de problèmes qui doivent être examinés.
Acte a également été donné des textes adoptés par la Commission permanente, dont la liste figure dans le Rapport 7205.
E. - Demande d'adhésion de la Lettonie au Conseil de l'Europe - Avis de M. Jean SEITLINGER, député (UDF), rapporteur au nom de la commission des relations avec les pays non membres - Intervention de M. Gabriel KASPEREIT, député (RPR). ( Mardi 31 janvier 1995. )
M. Jean SEITLINGER, député (UDF), a présenté ainsi l'Avis de la Commission des relations avec les pays non membres :
« Notre commission n'a pas une conception statique de sa mission.
« Elle n'est pas de geler ou de retarder l'adhésion des pays non membres, mais au contraire d'accompagner ceux-ci et de faciliter leur démarche vers la démocratie. Il en a été ainsi sous la présidence de notre collègue, David Atkinson. Il en sera encore ainsi sous ma responsabilité.
« Nous sommes saisis, ce matin, de la demande d'admission du trente-quatrième membre de notre Conseil. C'est la dernière des réparations concernant les accords secrets passés entre Staline et Hitler, même s'il reste encore le délicat problème de la Bessarabie, actuellement appelée Moldova, dont nous aurons à traiter prochainement. M. le Président est très au fait de ce problème.
« Il nous a fallu trois ans pour parvenir à notre conclusion, mais il s'est agi en l'espèce d'un cas exemplaire de coopération fructueuse. L'influence du Conseil de l'Europe a été déterminante dans les modifications de la législation de ces pays et dans leur mise en conformité avec les normes et les exigences qui sont les nôtres.
« Bien évidemment, nous devons encore être attentifs au problème des résidents permanents pour lesquels il y a une sorte de vide juridique, même s'il est prévu qu'ils obtiennent un certificat d'identification personnelle. Il faudra, bien sûr, que ce document leur permette de circuler librement, de quitter le pays et d'y revenir, pour des motifs d'affaires, d'études ou de tourisme. Bref, il faut donc qu'existe une liberté totale pour les résidents permanents.
« Nous devons poursuivre le dialogue sur ce plan.
« Je veux aussi indiquer à nos collègues MM. Hint et Kelam que nous devons faire écho aux propos modérés de M. Tumanov. Par conséquent nous veillerons à ce que, dans ce domaine, les libertés fondamentales soient respectées. »
Dans le débat qui a suivi la présentation du Rapport et des Avis des Commissions compétentes, M. Gabriel KASPEREIT, député (RPR), est intervenu dans les termes suivants :
« Mes propos ne seront pas à proprement parler une intervention, mais plutôt un témoignage.
« J'ai toujours eu un peu honte que, pendant cinquante-cinq ans, les trois États baltes aient été abandonnés par le monde entier : rayés de la carte en 1940 - c'était la guerre, et l'on n'y pouvait peut-être pas grand-chose ; abandonnés en 1945 à Yalta - là, ce n'était pas admissible ; abandonnés, enfin, pendant les cinquante ans qui ont suivi, et cela ne l'était pas non plus.
« J'ai eu l'occasion avec quelques amis, des collègues députés à Paris, d'essayer, depuis 1990 au moins, d'apporter de l'aide à ceux qui se sont soulevés dans ces trois États. Ceux-ci ont recouvré leur indépendance. Je me réjouis maintenant qu'enfin, après bien des tergiversations, le dernier de ces trois Etats soit admis dans notre Assemblée puis au Conseil lui-même.
« "Enfin", parce que nous avons eu un peu tort, et nous pouvons nous en vouloir, d'avoir été lents. Bien sûr, c'était avec de bonnes idées, en pensant beaucoup aux jeunes russophones qui pouvaient se trouver en Lettonie. C'est vrai qu'ils ne sont pas responsables des événements qui se sont déroulés dans les dix dernières années et ils n'ont peut-être pas d'autres pays où aller que celui où ils se trouvent actuellement.
« Cependant, il ne faut pas oublier les souffrances subies par le peuple letton. On n'a pas le droit, sous le prétexte que je viens d'énoncer, d'oublier les intérêts des Lettons et même, parfois, s'ils en ont, leurs exigences. Il faut aussi reconnaître que le problème de la citoyenneté qui a tant retardé notre décision a donné lieu, de la part des Lettons, à un effort considérable pour le résoudre. Je les salue d'avoir eu l'intelligence de négocier avec le Gouvernement russe pour arriver à une situation qui est, disons, satisfaisante.
« En conclusion, je salue le fait que nous allons admettre aujourd'hui le dernier État à subir encore les conséquences de la Seconde Guerre mondiale. Je crois que c'est la fin. Il aura tout de même fallu attendre longtemps, cinquante ans, pour effacer les traces du conflit dans tous les États. Nous en sommes au dernier État. Je m'en réjouis. Je salue mes amis Lettons. Je leur dis mon amitié et mon affection.
« Monsieur le Président, je souhaite que l'Assemblée se manifeste de la même manière en votant à l'unanimité le projet d'avis qui nous est présenté. »
Après avoir délibéré sur le Rapport 7169 et les Avis 7169,7193 et 7190, l'Assemblée a adopté avec des amendements, l'Avis 183, adressé au Comité des ministres, favorable à l'adhésion de la Lettonie (devenue le 10 février 1995, le 34 e État membre, représenté à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe par 3 délégués titulaires et 3 suppléants).
F. - La protection des minorités nationales. Interventions de Mme Josette DURRIEU, sénateur (Soc.) et de M. Bernard SCHREINER, député (RI). ( Mardi 31 janvier 1995. )
Le Rapporteur a tout d'abord fait observer que la protection des minorités est une des missions les plus importantes du Conseil de l'Europe. L'Assemblée s'est à plusieurs reprises préoccupée de cette question et elle a constaté chez plusieurs États membres une absence de règles claires concernant les relations entre la majorité d'une population et les minorités, ce qui entraîne souvent des conflits, des actes de terrorisme et parfois la guerre.
Selon le Rapporteur, il est urgent de protéger et de codifier les droits des minorités dans le cadre des droits définis par le Conseil. L'Assemblée avait élaboré un texte de protocole additionnel qui indiquait comment à ses yeux il fallait protéger les droits des minorités et elle avait eu le courage de définir ce qu'était une minorité nationale : un groupe de personnes qui résident sur le territoire d'un État et en sont citoyens, qui entretiennent des liens anciens, solides et durables avec celui-ci, qui présentent des caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques spécifiques, qui sont suffisamment représentatives tout en étant minoritaires et qui sont animées de la volonté de préserver ensemble ce qui fait leur identité commune, notamment leur culture, leurs traditions, leur religion ou leur langue.
L'Assemblée, avance le Rapporteur, continue à soutenir ce texte et à le défendre mais, au Sommet de Vienne, c'est une autre voie qui a été choisie, celle d'une convention-cadre définissant les droits des minorités, et d'un protocole additionnel consacré aux droits culturels. La commission a été saisie du projet de convention-cadre qui est assez vague dans sa rédaction et pose un certain nombre de principes mal définis sans admettre le recours individuel.
Les mécanismes d'application manquent d'efficacité et on peut par ailleurs redouter que les procédures de vérification soient laissées à la discrétion des Gouvernements...
Néanmoins, puisque tel est le cap pris, l'Assemblée doit inviter les différents États à signer, puis à ratifier rapidement cette convention-cadre tout en s'attachant à rendre plus contraignants les mécanismes de vérification. Celle-ci sera effectuée par le Comité des ministres, ce qui est inhabituel, mais il importerait que l'instance consultative prévue comporte des experts indépendants et des représentants des minorités.
Le Rapporteur regrette que le Comité des ministres n'ait pas transmis le texte de la convention-cadre à l'Assemblée. Il insiste pour que cette omission ne se répète pas ; mais aussi pour qu'un certain nombre de droits soient mentionnés dans le protocole additionnel : droit d'exprimer et de développer son identité culturelle ; droit d'utiliser sa langue, notamment dans les relations avec l'administration ; droit d'afficher des dénominations locales ; droit d'apprendre la langue minoritaire et de recevoir un enseignement dans cette langue ; droit à des contacts libres avec des ressortissants d'un autre pays... Le Rapporteur demande également que ce protocole comporte la définition des minorités nationales élaborée par l'Assemblée et qu'il soit transmis à celle-ci pour avis avant son adoption définitive.
Quant au Protocole additionnel sur les langues régionales et minoritaires, il n'a été jusqu'ici ratifié que par deux pays : la Norvège et la Finlande. À cela s'ajoute le fait que chaque État a la faculté de ne s'engager à appliquer que 35 des 90 paragraphes et sous-paragraphes, ce qui permet une ratification à bon marché. Il serait souhaitable d'arrêter une liste minimale de droits, une sorte de « noyau dur » obligatoire, afin d'uniformiser la procédure.
Tel est le sens du projet de Recommandation que propose le Rapporteur.
Dans le débat qui s'instaure sur ces propositions, Mme Josette DURRIEU, sénateur (Soc.), est intervenue en ces termes :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, je me réjouis que notre Assemblée donne une définition de l'expression : "minorité nationale". Cela était nécessaire. Depuis des mois, voire des années, nous en parlons, nous les reconnaissons, mais sans savoir précisément, les uns et les autres, ce que recouvre l'expression.
« Je vais donner peut-être un éclairage différent à notre débat et je vous demande de m'en excuser. En effet, je suis française, donc pétrie d'idées issues de la Révolution de 1789 et de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, fondée sur deux principes fondamentaux : d'une part, la nation, d'autre part, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
« Ces deux principes essentiels ont guidé tous les mouvements de libération nationale du XIX e siècle, mais la contradiction la plus difficile à gérer est celle du couple liberté individuelle-État dans un système démocratique. La Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 est l'idéal à atteindre par les peuples et par les nations. L'Europe est une extraordinaire mosaïque de cultures : culture des nations, culture des provinces - Catalogne, Bavière, Bretagne, etc. -culture des villes - Prague, Vienne, Florence, Paris, et les autres -Europe Scandinave, latine, byzantine, slave ou atlantique. Bref, la diversité a préservé l'identité des individus et celle des peuples.
« Les États d'Europe centrale et orientale, puisque c'est d'eux qu'il est principalement question maintenant, sont issus des règlements de la Première Guerre mondiale. La Tchécoslovaquie et la Yougoslavie semblaient avoir dépassé les divisions ancestrales et être devenues des entités politiques définitives, mais l'édifice s'est effondré. On voit la résurgence des spécificités, voire des nationalismes chez des peuples qui cherchent leurs repères, et c'est normal, ou même qui rejettent parfois l'autre et pratiquent la "purification ethnique".
« Cruel affront, tout de même, aux libertés et à la démocratie en Europe !
« L'Europe de l'Ouest n'est pas à l'abri. Les fondements de la démocratie moderne sont nombreux, mais j'insisterai sur l'un d'entre eux : le principe de laïcité. Le Conseil de l'Europe est le pivot de tout ce système.
« Ce texte de convention-cadre est supposé faciliter la solution des conflits que crée l'existence de minorités nationales au centre et à l'est de l'Europe. Or, il contient, au regard du droit dans certains pays, notamment, comme vient de le dire mon prédécesseur, en France, au regard du droit et de nos traditions, quelques dispositions difficilement acceptables.
« Dans le préambule, les signataires s'engagent à développer l'identité ethnique, culturelle, linguistique, religieuse - "ethnique" !, j'y insiste - de toute personne appartenant à toute minorité nationale. Or, la démocratie, en tout cas en France, repose sur deux principes simples : premièrement, tous les citoyens ont des droits égaux ; deuxièmement, seuls les individus sont titulaires de droits, jamais les groupes. Ces deux principes sont le socle commun. Les différences, si elles apparaissent, ne peuvent venir que de ce que les individus font et non de ce qu'ils sont. Chaque pays peut-être, chaque pays, je le crois, aurait gagné à respecter ces principes.
« Cette convention-cadre, dans certains pays, notamment la France, risque donc de faire surgir des problèmes qui n'existaient pas. Les Corses, les Basques et les Bretons vont pouvoir se prévaloir de ce texte pour contraindre l'État. Et la France devrait aussi admettre l'existence d'ethnies ! Or, sachez que le terme controversé de "race" n'apparaît dans notre Constitution que pour être nié.
« La France a toujours amené les individus de toutes origines, de toutes cultures, de toutes langues à vivre ensemble. Elle y est parvenue grâce à la neutralité de l'État vis-à-vis des particularismes, c'est-à-dire grâce au principe fondamental de la laïcité.
« En conclusion, vraiment, faut-il, pour un texte qui ne réglera peut-être pas les crises de l'Europe centrale, mettre en péril la cohésion sociale dans les démocraties occidentales ? Ne sommes-nous pas en train d'ouvrir une brèche dans le principe de base de toute démocratie : "la loi est la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ?" »
M. Bernard SCHREINER, député (RPR), s'est, à son tour, exprimé en ces termes :
« Mes chers collègues, je ne m'embarrasserai pas de "langue de bois" pour intervenir dans ce débat qui m'apparaît comme malencontreux de deux points de vue : d'une part, nous débattons dans des conditions inadmissibles ; d'autre part, ce débat précipité vise à nous faire avaliser une recommandation inacceptable sur le fond.
« Un débat organisé dans des conditions inadmissibles, disais-je : c'est à 12 h 30 qu'a été diffusé le rapport sur les propositions de recommandation et de directive. C'est avant 13 heures que devaient être rédigés les amendements sur ces propositions, dont nous aurions dû prendre connaissance en quelques minutes. Je n'hésite pas à le dire, on nous force la main, et cette procédure n'honore pas notre Assemblée.
« Des propositions inacceptables : M. Édouard Balladur a, ce matin, devant notre Assemblée, rappelé le déroulement de la négociation du Pacte de stabilité. Comment ne pas voir que les problèmes de minorités en Europe centrale sont d'abord des problèmes politiques, appelant des réponses politiques ? Que les situations sont différentes en Slovaquie, en Roumanie, en Lettonie, pour ne pas parler de la Communauté des États indépendants. Seuls des accords régionaux, conclus entre États voisins, mais garantis internationalement, peuvent résoudre les crises locales.
« Additionner les instruments juridiques internationaux aussi abstraits qu'inadaptés, non seulement ne résoudra aucune de ces crises, mais en suscitera d'autres dans les régions actuellement les plus paisibles.
« Mes critiques de fond vont plus loin encore. Comment, ici, au Conseil de l'Europe, peut-on "recommander" que des groupes se définissent par leur "identité ethnique" ? Comment peut-on recommander que ces groupes puissent développer "en toute liberté" leur "identité religieuse" en la préservant de "toute tentative d'assimilation" ? Va-ton rétablir le délit de blasphème ? Veut-on donner une base légale au tchador, à l'excision, à l'infibulation, ou encore légaliser les "fatwas" contre Salman Rushdie ?
« Ici, en Alsace, une jeune fille de quinze ans a payé de sa vie son choix de l'assimilation ! Va-t-on donner raison à ceux qui l'ont étouffée en une heure d'agonie, au nom de la préservation de l'identité ethnique et religieuse de sa famille ?
« Certains États ont fait le choix de la coexistence de communautés régies par leurs propres lois, y compris les plus arriérées et les plus obscurantistes. Ce n'est pas le choix français. Et je ne voudrais pas que la Convention-cadre sur la protection des minorités nationales, aggravée par un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ne mette à néant des siècles de conquête des libertés individuelles.
« Les propositions du rapport, qui reprennent d'ailleurs des textes élaborés dans un contexte politique désavoué massivement par nos concitoyens, aboutiraient à réduire à néant la Convention européenne des droits de l'homme, notre principal apport à la démocratie. Les droits et libertés doivent être égaux et universels, toute distinction fragilise leur exercice.
« Quant au mécanisme de contrôle dont le rapport souhaite le renforcement, il aboutirait à laisser à un comité, ou éventuellement à la Cour européenne des droits de l'homme, l'appréciation de notions aussi controversées que la définition de l'identité ethnique, de mesures d'assimilation, la licéité de certaines coutumes et traditions religieuses... Et deux éléments demeureraient systématiquement à l'écart : les exigences de l'ordre public et le respect de la laïcité.
« La solution n'est pas dans la fragmentation indéfinie de l'Europe en tribus imposant leurs propres lois, y compris les plus arriérées, mais dans le renforcement des règles de la démocratie, qui permettent à chacun de faire entendre sa voix et, tout en acceptant les choix collectifs, de préserver dans l'espace de sa vie privée ses traditions personnelles, sa liberté de conscience, de religion et d'expression.
« Toujours plus de démocratie ! Telle est la seule solution pour tous les individus, quelle que soit leur appartenance. Telle doit être l'orientation de nos travaux.
« Refusant la fausse solution du démantèlement des droits universels et égaux au profit de communautés refermées sur elles-mêmes, je n'apporterai donc pas mon vote aux propositions de recommandation et de directive. »
À la suite du débat portant sur le Rapport 7228, l'Assemblée a adopté la Recommandation 1255 et la Directive 501.
G. - Les régions au Conseil de l'Europe. ( Mardi 31 janvier 1995. )
Selon les conclusions du rapport, « les régions contribuent à la construction de l'Europe au même titre que les États et à partir de leurs propres compétences et capacités ».
De même, le Rapporteur exprime sa satisfaction au sujet de l'institution, au sein du Conseil de l'Europe, du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe (C.P.L.R.E.) et de la création en son sein d'une Chambre des régions. Dans le but de mieux assurer sa représentative, il invite le C.P.L.R.E. à réformer la Chambre des régions, de manière que seules les régions puissent y être représentées. Il insiste aussi par ailleurs pour que ne puissent devenir membres du Congrès que des représentants disposant d'un mandat électif.
Enfin, le Rapporteur recommande au Comité des ministres que le Conseil de l'Europe contribue à mettre en place des entités régionales dans les pays non régionalisés et que des représentants des régions participent aux conférences de ministres spécialisés pour lesquelles elles disposent de compétences. Pour tout cela, il faudrait « doter le C.P.L.R.E. de moyens suffisants, tant en personnel que budgétaires, correspondant à son nouveau statut, à sa nouvelle structure bicamérale et à ses nouvelles tâches ».
Au terme de la délibération qui porte sur le Rapport 7220, l'Assemblée a adopté la Recommandation 1256, la Résolution 1053 et la Directive 502.
H. - Une politique européenne de conservation globale et intégrée - L'année européenne de la conservation de la nature 1995 - Programme d'action visant à promouvoir l'éducation à l'environnement grâce à une formation des enseignants - Interventions de MM. Jean Valleix, député (RPR) et Jean Briane, député (UDF). ( Mardi 31 janvier 1995. )
Le premier Rapport, qui porte sur « une politique européenne de conservation globale et intégrée » et « L'année européenne de la conservation de la nature 1995 », rappelle que l'Assemblée parlementaire a commencé d'appeler l'attention des Gouvernements des États membres sur les dangers que couraient les ressources naturelles de la planète et sur la nécessité de développer une coopération européenne dans ce domaine il y a plus de trente ans.
L'Assemblée parlementaire est aussi à l'origine de la préparation d'instruments juridiques visant à la protection de l'environnement, telle que la Convention de Berne qui date de 1979. Vingt États membres ont ratifié cette convention et en ont transposé les dispositions dans leur législation nationale. Les hauts fonctionnaires chargés de ces questions ont réalisé un excellent travail, compte tenu du peu de ressources disponibles et le Rapporteur les en félicite.
Nombreux sont les parlementaires, souligne le Rapport, conscients des défis à relever au moment où l'on assiste à la disparition accélérée de nombreuses espèces de la faune et de la flore. Il s'agit là de la destruction inacceptable d'un héritage génétique qui doit être préservé pour les générations futures. Aussi le Rapporteur invite-t-il ses collègues à faire davantage qu'adopter le projet de directive contenu dans le document 7217 et à inciter leurs Gouvernements respectifs à mettre en oeuvre toutes les dispositions utiles en la matière.
Il souhaite que l'Année européenne de la conservation de la nature ait, sur les Gouvernements, un effet stimulant. Le Rapport est une invitation au bon sens et tous ceux qui pourraient être tentés de voter contre le projet de directive seraient bien inspirés d'aller contempler les photographies, soigneusement choisies, exposées à l'extérieur de l'hémicycle : ils seraient édifiés.
Que nul n'oublie, conclut le Rapport, que des millions d'électeurs demandent aux hommes politiques de montrer la voie en matière de préservation de l'environnement.
Le second Rapport est consacré au programme d'action visant à promouvoir l'éducation à l'environnement grâce à la formation des enseignants, soulignant à son tour les conséquences fâcheuses de la folie des hommes. « Il y a, malheureusement, loin du texte à l'action. Trop rares sont les programmes de préservation de l'environnement efficaces, trop rares sont les ressources. Pourquoi ces réticences, et comment y mettre un terme ? » déclare le Rapporteur, concluant qu'il faut sensibiliser les populations à la préservation de l'environnement dès l'école et définir des programmes éducatifs axés sur le développement durable. Et qu'il faut, pour cela, former les instituteurs et les professeurs à exposer les causes de la modification des climats, de l'acidification des sols et de l'eutrophisation des cours d'eau, des lacs et des océans. La nécessité de préserver la nature doit influer sur les modes de production et, plus largement, sur tous les comportements.
Le Rapporteur met encore en évidence la nécessité d'une approche novatrice et la nécessité de réformer les structures. Dans ce cadre, les écoles normales doivent constituer le pivot du changement : le Conseil de l'Europe peut jouer un rôle important pour améliorer les programmes de formation et organiser des séminaires communs.
Aussi, le Rapporteur conclut-il que la préservation de la nature ne doit pas seulement être limitée à celle des parcs naturels : il faut relever le défi constitué par l'Année européenne de la préservation de la nature.
Dans le débat commun qui suit la présentation de ces deux Rapports, M. Jean VALLEIX, député (RPR) prend la parole en ces termes :
« Pour ma part, je voudrais souligner que la préoccupation de maintenir ou de restaurer un environnement de qualité ne concerne pas uniquement l'espace rural. J'insiste sur la nécessité d'intégrer cette préoccupation dans la gestion de nos villes et surtout dans celle des banlieues avec leur croissance anarchique à la périphérie des villes. Sans doute les grandes capitales historiques de l'Europe ont-elles connu des heures fastes. Napoléon III, en France, revenant de son exil londonien, faisait aménager rien moins que le bois de Boulogne, le bois de Vincennes, ces poumons bien connus de notre capitale.
« Malheureusement, sous la pression des besoins en logements neufs, il semble que nos urbanistes aient oublié ce qui est plus qu'un agrément, une véritable nécessité, c'est-à-dire la présence des arbres dans la ville. Il est impossible de mesurer l'effet sur le psychisme des nommes d'un environnement urbain complètement minéral. Pourtant, la rupture complète des liens avec la nature vivante contribue certainement aux déséquilibres, voire à la violence dans les quartiers de banlieue de nos grandes villes.
« Je pense qu'il conviendrait que les élus, en leur qualité de décideurs, mais aussi les urbanistes qui les conseillent, prennent tous en compte l'importance d'un environnement végétal de qualité.
« Sans doute ne présente-t-on jamais une maquette de zone à urbaniser sans y faire figurer quelques plumets verts ou même quelques spécimens d'essences rares... Mais tout cela sonne souvent faux, ensuite, dans la réalité, et ne saurait étancher le besoin de verdure que chacun porte en soi inconsciemment.
« Que faire, mes chers collègues ?
« Nous devons nous attacher, tout d'abord, à protéger tous les espaces verts qui existent encore dans nos villes. Je dis bien : tous les espaces verts, des parcs publics paysagers aux jardins privés. Sans doute, en effet, faudra-t-il même inventer des procédures - des formules d'incitation ou de soutien - qui nous permettent de protéger jusqu'aux espaces verts privés.
« Nous pouvons, tout d'abord, veiller à supprimer les effets pervers des réglementations qui pénalisent le maintien de jardins en ville, par exemple la désastreuse fiscalité dissuasive qui pèse trop souvent sur ce que nous appelons, en France, "le foncier non bâti".
« On peut également édicter des protections s'inspirant de celles applicables aux monuments historiques. Non sans difficultés, la réglementation française s'étend peu à peu à la protection des sites pittoresques. Elle devrait encore être développée, afin que l'urbanisation de la périphérie de nos grandes cités ne détruise pas, peu à peu, la couronne verte des villes, souvent composée de propriétés privées de plus ou moins grandes dimensions.
« Si la préservation des espaces verts des zones urbanisées est un impératif, le maintien de villages et de bourgs dans les zones rurales est également une exigence pour la protection de l'environnement. Je voudrais, à cet égard, rappeler à nos amis britanniques, néerlandais, allemands, qui parfois appellent à une nouvelle réforme draconienne de la Politique agricole commune, que nos pays ont des caractéristiques géographiques et démographiques bien différentes.
« En France, la densité de population au kilomètre carré est trois fois plus faible qu'aux Pays-Bas. D'immenses territoires de mon pays ne connaissent pas d'autre présence humaine que celle des agriculteurs. Descendre, dans un pays comme la France, au-dessous de 6 % de population active agricole serait un non-sens d'une irresponsabilité absolue.
« Comme le dit Mme Graenitz, et conformément aux orientations de "l'Année européenne de la conservation de la nature", il s'agit bien, comme vous le dites, de conduire une politique de conservation "globale et intégrée".
« Une répartition harmonieuse des activités entre les différentes zones de notre pays est un des objectifs majeurs de la loi sur l'aménagement du territoire que vient d'adopter le Parlement français, sur la proposition tant du gouvernement de M. Édouard Balladur que de notre ministre d'État M. Charles Pasqua. Aujourd'hui, les options économiques ne doivent pas ignorer les exigences de l'aménagement du territoire.
« Je conclurai en citant Alphonse Allais, cet humoriste français qui, voilà cent ans, "résolvait" un problème de l'époque en disant qu'il fallait construire les villes à la campagne ! Aujourd'hui, j'émettrai le souhait que nous implantions un peu de campagne au coeur de nos villes, tout en préservant un peu d'urbanité dans nos campagnes. »
M. Jean BRIANE, député (UDF), est intervenu également dans ce débat en ces termes :
« L'éducation à l'environnement et la responsabilisation des citoyens sont un préalable incontournable à toute politique en matière de prise en compte des problèmes d'environnement.
« Le passage d'une gestion marchande de l'espace à une gestion patrimoniale ne se conçoit pas sans l'adhésion des citoyens à ce nouveau contrat de société ni leur responsabilisation. D'où l'importance d'attacher le concept d'éco-citoyenneté à l'éducation et à la formation à l'environnement, d'une part, à la recherche, d'autre part.
« L'éducation à l'environnement dans la formation générale doit être une priorité des gouvernements pour les prochaines années.
« L'écologie doit être systématiquement intégrée à nos formations, incluant la connaissance du vivant, les relations organiques homme-nature et, surtout, l'éducation à un comportement qui ne peut se faire que par la pratique, sur le terrain, de l'environnement. On pourrait ainsi envisager des systèmes de formation duaux, en alternance, comme il en existe déjà dans d'autres domaines, pour faire en sorte qu'il y ait un enseignement permanent de l'écologie, de la maternelle aux grandes écoles, en passant par les facultés, les écoles d'ingénieurs, entre autres.
« Il conviendrait de retenir certaines propositions comme l'utilisation, dans le cadre de programmes de formation à l'environnement, des nombreuses structures existantes dont les capacités sont encore trop négligées comme, en France, les centres permanents d'initiation à l'environnement ou les centres d'initiation-nature.
« Pour l'enseignement technique, il paraît indispensable aussi de renforcer le volet "environnement-paysage" dans l'enseignement agricole et, en même temps, d'ouvrir plus encore les formations de paysagistes au domaine du paysage rural. C'est la leçon du savant Hubert Reeves : ne pas enseigner, mais faire oeuvrer les enfants sur le terrain pour qu'ils se réapproprient leur terre.
« L'appareil de formation, de conseil et d'enseignement agricoles a une influence considérable sur l'agriculture et son orientation. Il faut lui faire prendre plus nettement la voie de l'agriculture gestionnaire d'espace. Certes, il existe des options de paysagistes au sein des enseignements agricoles en Europe mais, de manière générale, ces formations sont plus particulièrement orientées vers la formation de spécialistes en jardins d'agrément et espaces verts urbains.
« C'est l'ensemble de l'enseignement agricole qui doit évoluer pour mieux intégrer, dans un seul programme, les pratiques favorables à l'enseignement, de même que les disciplines nouvelles qui seront la base d'un développement de la pluriactivité : valorisation directe des produits de chaque terroir, agrotourisme, entretien des espaces et des paysages.
« L'effort de formation et de sensibilisation doit toucher aussi l'ensemble des citoyens, et, particulièrement, les responsables locaux, qui devront, dans les prochaines années, s'impliquer encore davantage dans la gestion patrimoniale des espaces ruraux.
« Le rôle, en France, des conseils d'architecture, d'urbanisme et d'environnement et d'autres réseaux existants spécialisés dans l'habitat, le développement local et l'environnement doit être développé. Instruments d'information technique et de conseil, ils sont proches des élus et constituent des réseaux très précieux de savoir-faire territorial. Leur compétence doit s'enrichir, à côté de l'architecture proprement dite, de connaissances en matière de paysage, afin de fournir le conseil diversifié dont les élus ont désormais besoin.
« La recherche, enfin, doit mobiliser des moyens accrus pour permettre à l'agriculture d'intégrer les préoccupations de protection de l'environnement.
« Parmi ces préoccupations, je citerai l'étude des systèmes agraires et de leur fonctionnement, compte tenu des caractéristiques régionales : zones sans contraintes agronomiques, zones humides, zones sèches, zones aux contraintes topographiques marquées. Ces recherches doivent associer les agriculteurs et leurs organisations, afin de favoriser les recherches débouchant sur des réalisations concrètes. Trop souvent, la recherche théorique aboutit à violenter la nature, en méconnaissant les savoirs ancestraux des agriculteurs eux-mêmes.
« Les drames que nous vivons actuellement dans toute l'Europe, dans l'ouest de la France, en Lorraine, mais aussi aux Pays-Bas, en Belgique, en Allemagne, au Danemark, nous rappellent que l'administration abstraite de la nature, si elle ne cause pas de catastrophes naturelles, en aggrave les conséquences.
« La suppression des haies et des talus, la rectification du cours des rivières, la suppression des prairies naturelles, toutes ces interventions ont perturbé le système d'écoulement des eaux. Ceux qui les ont imposées, parfois contre l'avis des agriculteurs, devraient aujourd'hui méditer sur l'indispensable liaison entre l'élaboration des décisions et la connaissance du terrain, privilège des agriculteurs.
« Devant les mutations qui s'annoncent dans les pratiques culturales, il faut absolument renforcer la liaison entre la recherche, la réglementation qui s'en inspire et l'opinion des praticiens que sont les agriculteurs.
« La recherche doit également accélérer la mise au point des méthodes biologiques et de lutte intégrée, afin de réduire l'usage des produits chimiques visant à protéger les cultures et de réduire aussi l'usage des engrais agressifs et polluants.
« Orientation souhaitable de la recherche, encore, que la mise au point de produits plus sains, de haute valeur nutritive et gustative, ainsi que le développement de l'agriculture biologique.
« De même, il faut développer la recherche qui fera naître des plantes plus résistantes aux pathologies et des plantes non alimentaires dites « hyperaccumulatrices », qui ont la propriété d'absorber la pollution et de concourir ainsi à la décontamination de sols rendus à la fertilité.
« Ces recherches doivent être menées en étroite association avec les agriculteurs eux-mêmes. Cette association garantira à la fois la pertinence des mesures agri-environnementales et leur acceptation harmonieuse par tous les acteurs locaux.
« C'est dans cet esprit que nous apporterons notre soutien aux différentes propositions qui nous sont soumises. »
Au terme de ce débat, l'Assemblée, délibérant du Rapport 7217, a adopté la Directive 504, puis des Rapports 7189 et 7221, la Recommandation 1258 et la Directive 505.
I. - Les conditions de détention dans les États membres. ( Mercredi 1 er février 1995. )
Le Rapporteur, finlandais, s'interroge sur les raisons de l'accroissement de la population carcérale en Europe. Il explique cette tendance par l'augmentation de la criminalité et le nombre de plus en plus grand de peines d'emprisonnement.
L'emprisonnement, dit-il, est censé protéger la société et les individus mais est aussi une façon coûteuse de rendre les gens encore plus mauvais qu'ils ne sont. En fait, la surpopulation carcérale est le symptôme d'un grave dysfonctionnement de la société tout entière. Il est certain que si l'on améliorait l'état social, économique et moral de la société, on améliorerait aussi les conditions d'emprisonnement et l'on peut se demander si une amélioration des conditions de détention ne rendrait pas la société elle-même meilleure. Comme l'a dit Sir Winston Churchill, « Montrez-moi vos prisons et je vous dirai quel genre de Gouvernement vous avez ».
Quand une route est dangereuse, on peut dépenser beaucoup d'argent pour acheter des ambulances et construire des hôpitaux. Mais il est plus raisonnable d'améliorer la route. Certes, la criminalité ne saurait être comparée à une route ou à une maladie qu'il faudrait ou réparer ou guérir, et les prisons ne sont certainement pas des hôpitaux. Mais il est toujours possible de se référer à une utopie, quelque irréaliste qu'elle soit, pour essayer de s'en inspirer. L'orateur souligne qu'il est important de visiter les prisons d'un pays qui fait acte de candidature au Conseil de l'Europe - lui-même l'a fait souvent - et il invite ses collègues à suivre sur ce point son exemple.
La Finlande a organisé des journées « portes ouvertes » ( sic ) dans les prisons et cette expérience a eu des effets encourageants. Le projet de recommandation énumère ainsi un certain nombre de dispositions qui peuvent améliorer la situation dans les prisons : « Il ne s'agit pas de libérer les prisonniers à l'arrivée du printemps mais d'éviter la récidive. »
Au terme du débat, qui porte sur le Rapport 7215, l'Assemblée a adopté la Recommandation 1257 et la Directive 503.
J. - La communication du Comité des ministres. ( Mercredi 1 er février 1995. )
La communication du Comité des Ministres (Documents 7224 et 7229) a été présentée par M. Alecos P.-MICHAELIDES, ministre des Affaires étrangères de Chypre, en sa qualité de Président en exercice du Comité des ministres.
K. - Le projet de « Convention pour la protection des droits de l'Homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine ». Avis de M. Christian DANIEL, député (R.P.R.). Interventions de MM. Xavier DENIAU, député (R.P.R.), Jean VALLEIX, député (R.P.R.), Jean BRIANE, député (U.D.F.), et Bernard SCHREINER, député (R.P.R.). ( Jeudi 2 février 1995. )
L'Assemblée est appelée, à l'occasion de cet important débat, à donner un Avis au Comité des ministres, auquel il appartient formellement d'arrêter le texte de la future Convention du Conseil de l'Europe sur la « biomédecine ». L'Assemblée qui avait une première fois ( cf. Rapport 1994) renvoyé en commission le projet qui lui avait été initialement transmis, au motif qu'il n'assurait pas des garanties suffisantes, a consacré à ce premier examen en séance plénière une journée entière de débat.
M. Christian DANIEL, député (RPR), Rapporteur pour avis au nom de la Commission des questions sociales, de la Santé et de la Famille, a présenté les observations suivantes :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, ce second débat, aujourd'hui, avait été souhaité lors de notre session d'octobre afin de pouvoir prendre encore quelque temps pour approfondir cette convention et y apporter des réflexions supplémentaires pour qu'un large consensus, une large adhésion puissent être obtenus.
« La réflexion sur cette convention, M. Palacios vient de le rappeler, est le fruit de longs travaux et elle honore l'Assemblée du Conseil de l'Europe. Elle honore son rapporteur, et tous nos remerciements vont à M. Palacios, mais aussi à ceux et celles qui, autour de lui, élus ou conseillers, ont, depuis de nombreuses années, participé à l'élaboration et à la rédaction de la convention. En effet, de nombreuses difficultés sont apparues dans la rédaction, qu'il s'agisse de son aspect juridique ou de son aspect scientifique.
« Les qualités humaines de M. Palacios et de ceux qui l'ont aidé dans l'élaboration de cette convention sont la garantie que, dans ces travaux, l'homme a toujours été la principale préoccupation. À mes yeux, c'est très important. Humanisme et humanité sont au premier plan.
« En fait, le débat a déjà eu lieu et il est souhaitable qu'il puisse trouver en ce jour une solution positive. Que ce ne soit pas un débat de plus - je ne dis pas un débat pour rien !
« Cette convention est attendue et bienvenue, car sous différents aspects - éthique, juridique ou scientifique - la recherche médicale, la recherche scientifique mais aussi la médecine des soins quotidiens ont besoin que nous puissions leur apporter des principes de clarification et de transparence. C'est bien en ce sens que la convention est attendue et sera la bienvenue.
« Par ailleurs, cette convention s'est fixée pour principes et même pour objectifs les droits de l'homme, les valeurs auxquelles nous adhérons tous, des valeurs universelles plus qu'européennes : protéger la dignité humaine et garantir l'intégrité de la personne humaine. Ces principes, ces objectifs sont, à mes yeux, toujours respectés et garantis à quelque ligne que ce soit de la convention.
« Telle qu'elle est rédigée, avec les amendements qui lui seront apportés, cette convention présente un équilibre optimum. Elle recueille un consensus de nature à lui permettre d'être ratifiée par le maximum des membres de cette Assemblée, puis d'entraîner l'adhésion de l'ensemble de nos États membres. Elle entrera enfin dans sa phase de réalisation concrète. Il faut qu'elle puisse être connue du plus large public et de tous les citoyens européens.
« L'été dernier, les députés français ont déjà adopté différents textes concernant la bioéthique, la dignité et le principe de préservation de l'intégrité humaine. À mes yeux, les textes figurant dans cette convention et ses annexes ne peuvent pas entrer en conflit avec les textes de loi votés par le Parlement français. Je m'en réjouis.
« De plus, cette convention n'est pas figée. Elle répond bien au principe d'évolution des sciences technologiques et médicales.
« Aussi, aujourd'hui, est-il important que nous puissions apporter par notre vote positif une conclusion favorable à nos travaux. Thomas d'Aquin disait que les lois sont conçues pour les actions humaines. Cette convention est bien conçue pour l'action de l'homme, pour son intégrité et pour sa dignité. »
Dans le débat qui a suivi la présentation du Rapport et des Avis, M. Xavier DENIAU, député (RPR) a pris la parole en ces termes :
« Monsieur le Président, j'ai lu avec intérêt les Rapports. Je voudrais faire quelques observations sur les points les plus litigieux.
« En ce qui concerne l'article 15 au sujet de la recherche sur l'enfant au stade embryonnaire, il n'est pas acceptable qu'un projet de convention, élaboré par le Conseil de l'Europe, autorise dans ses États membres des expérimentations sur les enfants au stade embryonnaire dans un but autre que celui de leur bénéfice direct et individuel. Limiter, de façon arbitraire, au 14 e jour du développement de l'enfant, une telle possibilité d'expérimentation est pour les États qui l'admettraient, une façon détournée d'en admettre la légitimité, alors qu'il s'agit là d'une atteinte inacceptable à la dignité humaine.
« Dans les articles 6 et 7, la recherche de tissus régénérables et la recherche sur les incapables, sont insuffisamment encadrées. Je crains que cela ne donne lieu à des abus.
« Je crois qu'il est nécessaire d'ajouter à l'article 3 une disposition prévoyant que "tout professionnel qui concourt à un acte de santé a le droit à l'objection de conscience en vertu duquel personne ne peut être obligé d'accomplir un acte contraire à ses convictions religieuses ou morales".
« Dans l'article 15, il faudrait remplacer le paragraphe 1 par : "L'expérimentation sur l'embryon humain vivant in vitro ou in utero est interdite sauf si la finalité thérapeutique est à l'avantage direct du même embryon auquel on se réfère".
« Il faut revoir le texte sur les incapables de façon plus restrictive. »
M. Jean VALLEIX, député (RPR), est intervenu à son tour dans les termes suivants :
« Monsieur le Président, mes chers collègues, le texte dont nous débattons n'est pas un texte ordinaire et le débat est grave. Il portera l'image même de notre civilisation. Il définira la place que nous accordons à la vie et au respect de la personne humaine, et ce ne peut être que la première place. Il marquera également la grande place que nous devons donner, dès lors qu'elle respecte le principe précédent, aux investigations de la science.
« En octobre dernier, nous avons déjà délibéré de ce projet d'avis pour décider, finalement, que l'Assemblée n'était pas en mesure de se prononcer. D'où ce second débat.
« Le projet de convention qui nous est soumis reste relativement inchangé par rapport au précédent : il comporte, évidemment, des dispositions très sensibles, et encore sous une forme malheureusement très imparfaite.
« Par exemple, l'article 6, qui ouvre la possibilité exceptionnelle d'expérimentations sur des personnes incapables, n'est-il pas rédigé en italique et pourvu de dispositions alternatives présentées entre crochets et accompagné même d'une note en bas de page indiquant que "la rédaction doit encore être soigneusement révisée" ? Non, je ne m'abuse pas ! Ce n'est pas tolérable, ni sur le fond ni sur la forme. Il n'est pas possible d'engager notre Assemblée dans un avis, lui, définitif, sur un texte susceptible de modifications ultérieures. Un blanc-seing, sur un tel sujet, n'est pas conforme à nos règles démocratiques élémentaires. Cette seule raison m'amène à suggérer un renvoi complémentaire en commission, de façon à travailler sur du solide.
« Bien sûr, je souhaite l'adoption de l'amendement n° 9, de nos collègues Mme Lentz-Cornette et M. Schwimmer, mais il me semble qu'il serait plus expédient de suspendre notre avis, plutôt que de donner un avis provisoire et de demander au Comité des ministres de nous soumettre, à nouveau, le texte "révisé définitif, pour avis définitif".
« Sans doute, d'autres amendements proposés par nos Rapporteurs visent-ils à améliorer ce texte de façon fort enrichissante. Nous avançons très sérieusement.
« L'un de ces amendements - je pense au projet d'avis présenté par M. Palacios - tend à inviter les États signataires à introduire les dispositions de fond de la présente convention dans leur droit interne.
« Selon un principe du droit français, les traités ont une valeur supérieure aux lois internes, spécialement quand il s'agit d'une convention postérieure à la législation nationale.
« Ainsi, la convention qui nous est soumise est indiscutablement moins protectrice de la personne que la réglementation que le Parlement français a adoptée, après dix-huit mois de délibérations très profondes et très sérieuses. Par conséquent, la France ne pourrait souscrire à des dispositions qui entraîneraient un indiscutable recul, alors même qu'un large accord politique a été trouvé dans mon pays.
« Mon observation ne s'arrête pas à des conflits de lois, intéressants mais assez théoriques. Malgré quelques amendements, le projet de convention reste à mon sens trop laxiste sur les points essentiels. Je réserverai, pour ma part, mon vote en fonction de l'adoption des amendements qui visent à réduire les facultés d'expérimentation. Mais je souhaite que nous différions de nouveau le débat tant que nous ne sommes pas saisis d'un texte sous une forme vraiment définitive.
« Monsieur le Président, mes chers collègues, deux mois d'examen supplémentaires prolongeront encore le débat. Certes, mais n'oublions pas que la convention en discussion est appelée à être un texte tout aussi important que la Convention européenne des droits de l'homme. C'est à la fois texte de référence et un système de valeurs.
« Le progrès ne doit porter atteinte ni à la vie, ni à la dignité de l'homme. Il doit au contraire servir et l'une et l'autre ! »
M. Jean BRIANE, député (UDF), intervenant à son tour dans le débat, a fait les observations suivantes :
« L'être humain ne saurait être traité comme un moyen ou un objet.
« À partir de quand y a-t-il être humain ? Dès la conception, l'être humain existe. Il doit donc être protégé dès sa conception.
« Le constat peut être fait que chaque fois que l'on légifère sur les problèmes de bioéthique et sur la protection de la vie de l'être humain, de grandes déclarations de principe affirment le devoir élémentaire pour toute société de veiller à la protection de l'être humain.
« Le constat peut être fait aussi d'une grande diversité de situations dans les pays aujourd'hui membres du Conseil de l'Europe.
« Les législations et réglementations existantes ne semblent pas nécessairement être toutes en cohérence avec les grands principes de respect et de protection de l'être humain énoncés dans les discours, les préambules, les exposés de motifs des textes qui traitent de ce délicat problème.
« Serions-nous en ce domaine tombés dans une forme d'hypocrisie nourrie de l'excessif libéralisme des uns et de l'excès d'intolérance des autres ?
« Peut-on admettre que la science s'autorise à une recherche sur l'embryon viable ou non ? Ou doit-on interdire cette recherche ?
« L'opinion publique est ici confrontée à la communauté scientifique, laquelle fait pression pour lever certains interdits et poursuivre certaines recherches, pour ne pas dire certaines pratiques ou manipulations que la conscience humaine réprouve.
« Ainsi, après avoir formulé des déclarations de principe qui rassurent, on tente d'entrouvrir les brèches que nous considérons comme dangereuses et qui peuvent déboucher sur l'eugénisme.
« La convention, en son article 3, devrait reconnaître aux praticiens le droit à l'objection de conscience, en vertu duquel personne ne peut être obligé d'accomplir un acte contraire à ses convictions religieuses ou morales.
« Il est de la mission du Conseil de l'Europe de veiller à la protection de l'intégrité de l'être humain en toutes circonstances et à la sauvegarde, dans la liberté des opinions et des consciences, des valeurs morales et spirituelles qui fondent nos communautés humaines.
« La notion de dignité humaine évoquée dans le préambule de la Convention de bioéthique doit se traduire pour toute personne humaine comme étant "le droit inhérent à la vie de toute personne, depuis sa conception jusqu'à sa mort naturelle". Droit imprescriptible dans tous les stades de l'existence de l'être humain.
« Certains points de la convention nous interpellent parce qu'ils paraissent en contradiction avec "les valeurs spirituelles et morales qui sont le patrimoine commun" des peuples des États membres du Conseil de l'Europe et avec le but défini au chapitre I de son statut.
« Par exemple, la recherche sur l'enfant au stade embryonnaire (art. 15 du projet) : il est inacceptable qu'un projet de convention élaboré par le Conseil de l'Europe autorise dans ses États membres l'expérimentation sur les enfants au stade embryonnaire dans un autre but que celui de leur bénéfice direct et individuel. Le fait de limiter de façon arbitraire au quatorzième jour du développement de l'enfant une telle possibilité d'expérimentation, pour les États qui l'admettraient, est une façon détournée d'en admettre la légitimité, alors qu'il y a là une atteinte inacceptable à la dignité humaine.
« Autre exemple, le prélèvement de tissus régénérables et la recherche sur les incapables.
« Les articles 6 et 7 prévoient un cadre de protection pour ces activités. Ce cadre, dans son essence, crée une catégorie de personnes qui ne bénéficie pas de l'ensemble des droits reconnus à toute personne par les conventions internationales humanitaires.
« Lors de sa session d'octobre 1994, l'Assemblée parlementaire a estimé que "la valeur emblématique du texte préparé par le Conseil de l'Europe, qui engageait le présent et l'avenir de nos sociétés, justifiait une réflexion supplémentaire de quelques mois".
« Cette convention ne peut être acceptée qu'amendée pour que soient respectés les droits fondamentaux de la personne humaine. Elle nécessitera de la part du Conseil de l'Europe une très grande vigilance dans son interprétation et son application futures. »
Enfin, M. Bernard SCHREINER, député (RPR), s'est exprimé en ces termes sur le projet d'avis :
« Monsieur le Président, mes chers collègues,
« Plusieurs des orateurs qui m'ont précédé, et notamment mes collègues Jean Valleix et Xavier Deniau, ont exprimé toutes les réserves que peut inspirer ce projet de convention.
« Je me bornerai, pour ma part, à souligner que l'expérimentation sur des personnes incapables me semble inadmissible.
« Inadmissible, également, me semble la faculté d'expérimentations sur l'embryon dans les quatorze premiers jours de sa conception. Les lois que nous avons votées au Parlement français, à l'automne dernier, et qui ont recueilli l'assentiment de la plupart des représentants des groupes de gauche, comme de droite, ont enfermé cette faculté dans des conditions extrêmement strictes, qui manquent complètement dans le texte qui nous est soumis.
« Je n'aurai pas la cruauté, ici, de rappeler que certains des membres de cette Assemblée ont déposé force recommandations visant à prohiber toute expérimentation animale et qu'on les retrouve parmi les zélateurs d'expérimentations sur les plus vulnérables d'entre nous, les incapables ou les enfants à naître.
« Il n'y a pas là seulement une incohérence logique, mais un choix indéfendable moralement.
« J'observerai, enfin, que certains amendements aggravent encore cette incohérence choquante.
« Dans le même temps où on refuse la protection de la loi aux faibles, les enfants à naître et les incapables, ceux-là même qu'on appelait dans le langage populaire les "innocents", certains voudraient renforcer la protection des criminels.
« L'amendement n° 1 ne propose-t-il pas d'interdire toute recherche biologique motivée par des raisons de sûreté publique, de défense de l'ordre, ou de prévention des infractions pénales ?
« Voilà tous les progrès de la police scientifique mis à néant. Notre convention protégerait donc les violeurs et les criminels.
« Quelle hiérarchie des valeurs proclamerions-nous avec une convention ainsi amendée ? On protégerait contre toute recherche de preuves scientifiques les meurtriers, tandis qu'on marchanderait la protection des faibles et des innocents ?
« Je souhaite donc, mes chers collègues, que le projet d'avis qu'on nous présente soit pour le moins repoussé jusqu'à ce que nous soit soumis un texte plus conforme aux valeurs de l'humanisme européen, dont le Conseil de l'Europe doit être non seulement le dépositaire, mais l'inlassable messager.
« Pour ma part, je ne puis apporter mon suffrage à un texte qui contredit le système de valeurs sur lequel est fondée la civilisation européenne. »
À l'issue du débat, l'Assemblée délibère de nombreux amendements sur lesquels M. Christian DANIEL, député (RPR), est appelé a donner l'avis de sa commission, et finalement adopte sur le rapport 7210, le rapport pour avis 7223, et le projet transmis par le Comité des ministres 7124, un avis 184 à l'adresse du Comité des ministres, non sans avoir adopté plusieurs amendements, dont l'un, en particulier, exprime le souhait de l'Assemblée d'être reconsultée sur le projet de convention afin de constater si le Comité des ministres aura bien tenu compte des modifications demandées ( cf. troisième débat in rapport 1996. )
L. - La situation à Chypre. ( Jeudi 2 février 1995. )
À la suite de la présentation des observations du Rapporteur (Rapport 7206), l'Assemblée a adopté la Recommandation 1259 et la Résolution 1054.
M. - (Jeudi 2 février 1995.)
Décidée selon la procédure du « débat d'urgence », cette discussion, après les observations du Rapporteur, donne l'occasion à M. Bernard SCHREINER, député (RPR), de s'exprimer dans les termes suivants :
« Le conflit en Tchétchénie n'est pas du tout une opération militaire précise, visant les forces armées de M. Doudaïev. Tout au contraire, les armes, y compris l'aviation, l'artillerie lourde et des roquettes sont utilisées contre la population civile, sans distinction et hors de toute proportion.
« Permettez-moi alors, en tant que porte-parole de la Commission des migrations, des réfugiés et de la démographie, de mettre en exergue l'état critique dans lequel se trouvent des centaines de milliers de personnes déplacées ou affectées par les combats.
« En effet, selon certaines estimations, le nombre minimal de personnes déplacées en raison de la guerre en Tchétchénie s'élèverait à 400 000 ; ces personnes se trouvent soit à l'intérieur de la Tchétchénie - environ 240 000 personnes - ou se sont enfuies dans les républiques voisines - environ 160 000 personnes.
« Signalons également que, d'après les organisations humanitaires présentes sur place, les populations déplacées comprennent un nombre très important de femmes, d'enfants et de personnes âgées dont la vulnérabilité est accrue en raison du froid qui règne actuellement dans la région.
« Ce tableau sombre de la situation ne fait que souligner la nécessité d'apporter d'urgence une assistance humanitaire à ces personnes. Les besoins sont considérables ; l'hiver est rude, et bon nombre d'infrastructures pour le chauffage, l'électricité et l'eau ont été détruites et la violence des combats rend de nombreux endroits difficiles d'accès. De même, les flux de personnes déplacées dépassent de loin les capacités d'accueil des républiques voisines, notamment l'Ingushetia et le Daghestan.
« Dans un tel contexte, j'aimerais rendre hommage aux organisations internationales humanitaires présentes sur les lieux qui fournissent de la nourriture, l'hébergement et d'autres services de première nécessité aux victimes de ce conflit. Des ponts aériens ont été organisés dans de brefs délais, apportant au moins un certain soulagement aux populations affectées.
« Toutefois, comme nous le savons tous, les organisations humanitaires sont des demandeurs perpétuels de fonds dont elles ont désespérément besoin pour mener à bien leurs activités. Par conséquent, et comme dans de nombreux cas déjà, nous devons inviter avec vigueur nos États respectifs à contribuer au financement de cette aide, et je vous incite tous à agir en ce sens auprès de vos gouvernements.
« De même, il faut que les organisations humanitaires puissent parvenir auprès de ceux qui sont dans le besoin. On constate d'après différents témoignages que les autorités russes se sont montrées coopératives et apportent leur soutien à la distribution de l'aide. Cependant, et je le souligne, la meilleure façon d'aider les personnes en détresse est d'arrêter immédiatement ces combats insensés.
« Ainsi, la Commission des migrations, des réfugiés et de la démographie et moi-même souscrivons pleinement au projet de résolution qui nous est aujourd'hui proposé pour adoption.
« Avant de conclure, permettez-moi encore d'appeler votre attention sur un autre problème extrêmement grave, à savoir celui des prisonniers de guerre. Il faut constamment rappeler aux parties en conflit les règles du droit humanitaire visant, entre autres, à accorder un traitement humain aux prisonniers. Malheureusement, il ne suffit pas de rappeler ce principe, il faut encore vérifier s'il est appliqué et comment il l'est. Par conséquent, j'en appelle aux autorités russes, extrêmement réticentes à cet égard, afin qu'elles accordent l'accès des représentants du Comité international de la Croix-Rouge à tous les prisonniers et permettent leur enregistrement.
« Mes chers collègues, j'oserai terminer sur une note optimiste en espérant que les efforts des démocrates russes et de la communauté internationale apporteront rapidement la paix dans cette région du monde qui s'est malheureusement rendue célèbre par des événements aussi tragiques que ceux que nous connaissons. Une fois la guerre terminée, n'oublions pas que les personnes ne récupéreront pas pour autant leurs villages et leurs foyers détruits. Disparue des écrans de télévision, la population tchétchène aura toujours besoin d'assistance et d'une assistance importante, afin d'atténuer quelque peu les dommages et les souffrances causés par le conflit. »
M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc.), s'est exprimé à son tour en ces termes :
« Je voudrais tout d'abord remercier nos Rapporteurs pour leur exposé extrêmement clair, notamment M. Muehlemann qui a essayé à la fois de rappeler les principes et de les inscrire dans un souci d'efficacité.
« Mes chers collègues, que le conflit tchétchène soit un conflit interne à motivations complexes ne justifie pas que l'on accepte la situation sans réagir. Il faut donc que nous ayons le courage de qualifier pour ce qu'elle est la politique conduite par le Gouvernement de Russie. Cette politique est barbare et irresponsable.
« Barbare : il suffit, malheureusement, de se remémorer le nombre de victimes, les femmes, les enfants assassinés, torturés, des centaines, des milliers de personnes jetées sur les routes, une ville totalement détruite au mépris de tout le droit international. C'est cela la barbarie en 1995.
« Irresponsable, parce que les moyens utilisés pour l'objectif assigné sont disproportionnés. S'il n'était pas question de morts, on pourrait même trouver cela ridicule. La voie militaire n'était pas la bonne. La voie à emprunter était la voie politique, celle de la négociation, le cas échéant, des pressions économiques puisque, à l'évidence, la Tchétchénie est bien incapable de subvenir à l'ensemble de ses besoins ; elle est obligée de collaborer directement avec son environnement géographique et économique.
« Cela doit nous amener à nous poser des questions. D'abord, qui gouverne en Russie aujourd'hui ? Quelles sont les forces en présence ? Comment s'organisent les pouvoirs ?
« L'intervention de M. Jirinovski doit nous faire réfléchir. On peut le trouver amusant, peut-être un peu clown. Mais c'est affligeant, attristant, inquiétant à bien des égards. En effet, quand on lit ses interviews - il en a donné une au journal Le Monde la semaine dernière -on s'aperçoit que, selon lui, l'opposition en Russie doit être étranglée, disparaître. De tels propos sont totalitaires, fascistes, nationalistes, et ils n'ont pas leur place dans cette Assemblée. Je crois que M. Jirinovski devra faire un long séjour parmi nous pour comprendre ce qu'est réellement la démocratie et quelles sont les valeurs qui la fondent.
« Quelles conséquences tirer de cette situation ?
« Nous devons rappeler au Gouvernement de Russie qu'il doit d'abord respecter ses propres engagements, d'abord ceux qu'il a souscrits à Corfou au mois de juin avec l'Union européenne, ensuite ceux qu'il a souscrits clairement à Budapest, affirmant que le recours à la force devait, s'il était justifié pour des questions de sécurité interne, respecter les civils, leur vie et leurs biens. On voit aujourd'hui quelle est la situation.
« Que devons-nous faire ? Nous devons suspendre la demande d'adhésion de la Russie, même si beaucoup d'entre nous pensent que l'adhésion est une nécessité, et pour le Conseil de l'Europe, et pour la Russie. Et nous devons poursuivre les programmes d'assistance engagés. Mais nous devons les subordonner au cessez-le-feu, au changement de comportement des autorités russes en Tchétchénie, au respect des promesses souscrites, soit aux côtés de l'Union européenne, soit au sein de l'O.S.C.E. Il faut aussi que la Douma, qui s'est exprimée tout à l'heure, tienne ses propres engagements, qu'elle a pris de façon unilatérale, à savoir de respecter avant la lettre la Convention européenne des droits de l'homme. Cet engagement trouve à s'appliquer aujourd'hui en Tchétchénie !
« Il faut donc que nous fassions dépendre ces programmes d'assistance des mesures humanitaires nécessaires.
« Nous sommes comptables de la crédibilité des valeurs qui fondent le Conseil de l'Europe. En étant fermes sur le principe, nous servirons au mieux la démocratie. Car servir aujourd'hui la démocratie, c'est l'appliquer au cas de la Tchétchénie. La démocratie, c'est l'instrument qui permet, honorablement, par rapport aux valeurs de l'humanité, de dépasser l'ensemble des crises. C'est à cela que nous devons appeler le Gouvernement de Russie. C'est notre rôle, notre mission. Nous devons être fermes sur ce qui fonde le Conseil de l'Europe. »
M. Jean de LIPKOWSKI, député (RPR), quant à lui, a exposé les observations suivantes :
« Le drame sanglant de la Tchétchénie nous interdit bien évidemment de rester indifférents, avec son cortège de populations civiles bombardées, de morts, de blessés, de centaines de milliers de réfugiés. Tout cela est intolérable.
« Mais soyons clairs. Nous ne devons en aucun cas remettre en cause ni la souveraineté ni l'intégrité territoriale de la Russie. Et, Monsieur le Président, vous avez eu raison de dire que le problème tchétchène concernait les affaires intérieures de la Russie. Pourtant, il nous concerne, nous aussi, pour deux raisons.
« D'abord, parce que dans cette affaire, le Gouvernement russe viole tous les engagements qu'il a pris, tous les codes de bonne conduite auxquels il a souscrit auprès de l'O.S.C.E. concernant les droits de l'homme. De plus, il viole les droits de l'homme, qui font le fondement de notre Organisation, dans laquelle la Russie demande à être admise.
« Le problème essentiel qui se pose à nous aujourd'hui est de savoir si l'affaire tchétchène a disqualifié la Russie en tant que candidat au Conseil de l'Europe, ce qui impliquerait que nous devrions lui en interdire l'entrée.
« Soyons fermes sur les principes, mais, en même temps, n'insultons pas l'avenir. Cette prudence est d'ailleurs parfaitement exprimée dans le rapport de M. Muehlemann, auquel je tiens à rendre l'hommage qu'il mérite.
« Soyons prudents, tout d'abord parce que ce serait une grave erreur d'isoler la Russie en considérant que toute la Russie est coupable de ce drame alors que la responsabilité en incombe à quelques membres de l'exécutif.
« Certes, il existe un double danger : soit une fuite en avant de l'armée, soit la montée d'un refus nationaliste - nationalisme caricaturé par M. Jirinovski - de la classe politique pour réagir face à la réprobation internationale. Mais nous devons noter les signes de modération très positifs et très réconfortants, comme ces forces démocratiques qui, au Parlement, s'élèvent courageusement contre cette politique de force. Nous les assurons de notre solidarité.
« Nous devons aussi saluer ceux qui, au sein de l'armée, réclament une solution politique. Saluons, enfin, un phénomène très nouveau et très encourageant, à savoir l'attitude de la société civile russe, qu'un de nos collègues russes a d'ailleurs très bien souligné. Dans les grands centres urbains, la population se montre hostile à cette aventure. Elle le fait savoir et elle limite la marge de manoeuvre du pouvoir en refusant la censure des moyens d'information, en résistant aux réflexes xénophobes pour préférer la poursuite du débat de politique intérieure et l'ouverture de la Russie vers l'extérieur.
« Nous avons écouté, il y a quarante-huit heures, l'émouvante et courageuse déposition de M. Kovalev. Il a condamné sans équivoque cette affaire, mais il a également lancé une mise en garde. Ses propos se situent à deux niveaux : d'une part, à propos de la situation des droits de l'homme en Russie, "elle reste très imparfaite, son évolution prendra du temps. N'en concluez pas pour autant que la Russie ne peut être intégrée. Elle doit être admise mais pas sans conditions.
« "Moscou doit vous présenter un calendrier comprenant les mesures que le Gouvernement compte prendre, étape par étape, pour mettre la Russie, une fois incluse dans le Conseil de l'Europe, aux normes démocratiques européennes." Il a ajouté : "Prenez garde de ne pas rejeter la Russie hors d'Europe, vous suivriez une voie dangereuse si vous la rejetiez dans les ténèbres. Vous décourageriez tous les démocrates qui veulent vous rejoindre." Ce raisonnement s'applique également à la crise tchétchène.
« Il est évidemment impossible, pour nous, de poursuivre la procédure de l'adhésion. Nous devons donc la suspendre. Pourtant si, ici, nous interrompons le dialogue, nous devons absolument le maintenir dans une autre enceinte, c'est-à-dire l'OSCE. Les contacts de la Russie avec cette organisation sont extrêmement positifs, ainsi qu'en témoigne la mission que vient d'effectuer à Grozny l'ambassadeur Garmanty, au nom de l'OSCE, avec l'accord de Moscou. Voilà qui permet d'entretenir un dialogue permanent avec l'exécutif russe et de donner à celui-ci des signaux pour lui dire dans quelles conditions notre Organisation pourrait reprendre l'examen de la candidature russe.
« Les conclusions que la mission de l'OSCE vient de déposer tracent la voie pour la reprise de notre dialogue :
« - d'abord un cessez-le-feu humanitaire immédiat pour permettre l'exode des habitants sous l'égide de la Croix-Rouge internationale ;
« - la reconnaissance immédiate par les autorités russes du Protocole de 1977 à la Convention de Genève de 1949, relative aux victimes des conflits non internationaux, ce qui permet de protéger les populations civiles en donnant le droit d'accès direct au CICR ;
« - l'ouverture immédiate d'un bureau du Haut Commissariat aux réfugiés à Nazram, où se trouve la plupart des réfugiés tchétchènes ;
« - sur le plan politique enfin, un cessez-le-feu définitif avec échange de prisonniers, mise en place d'une commission indépendante chargée d'enquêter sur les violations des droits de l'homme d'où qu'elles viennent, car on s'apercevra qu'elles ne viennent pas uniquement du côté russe, et d'un dialogue politique. Dans ces conditions, on pourrait imaginer pour nous de reprendre le dialogue dès la fin de l'année, dès lors que seraient définis et acceptés de part et d'autre les principes du règlement pacifique qui suivrait le cessez-le-feu.
« Monsieur le Président, ce qui nous importe essentiellement, c'est que l'Europe démocratique soit complétée grâce à la présence d'une Russie stable, forte, démocratique et pacifique, car un démembrement de la Fédération de Russie créerait une déstabilisation générale menaçant notre sécurité.
« Voilà les raisons qui nous amènent à demander à nos amis russes, dans leur intérêt et dans le nôtre, de cesser cette guerre qui ternit l'image de cette démocratie naissante que nous étions heureux de saluer. Nous ne sommes pas animés par un esprit d'ingérence, nous sommes tout simplement fidèles aux valeurs qui nous unissent et dont nous souhaitons qu'elles soient de plus en plus partagées par la Russie, une Russie enfin installée à la place qui est la sienne, c'est-à-dire parmi nous. »
Enfin, M. Jean-Claude MIGNON, député (RPR), est intervenu dans les termes suivants :
« Chacun sent bien que ce débat est capital pour l'avenir du Conseil de l'Europe. Aussi je souhaiterais réaffirmer, ici, quelques principes de base auxquels nous sommes particulièrement attachés.
« Et d'abord, notre conviction que l'Europe ne pourra pas se bâtir sans la Russie. La Russie est un élément fondamental de la Grande Europe et cela a été rappelé, ici même, avec éclat par Philippe Séguin, en octobre dernier.
« Le Premier ministre français, M. Balladur, dans son discours de mardi, a également souhaité que la Russie puisse rapidement trouver la place qui lui revient au sein du Conseil de l'Europe.
« Tel est notre voeu le plus cher. Comment y parvenir ? Chacun reconnaît que la Russie traverse une période difficile de transition économique et politique. La souveraineté et l'intégrité territoriale de la Russie sont les principes de base. Sans le respect de ces principes, il ne saurait y avoir de stabilité sur notre continent.
« Cela étant réaffirmé avec force, il nous faut reconnaître que les conditions dans lesquelles sont conduites les opérations militaires en Tchétchénie ne correspondent en aucune manière aux principes fondamentaux de respect des droits de l'homme qui sont le socle du Conseil de l'Europe. Nos amis russes doivent comprendre que le chemin qui les conduira vers l'adhésion pleine et entière que nous souhaitons doit impérativement passer par le respect des droits de la personne humaine.
« Je ne suis pas favorable, pour ma part, à un gel de la candidature, mais bien plutôt à une suspension assortie de conditions précises pour la reprise du dialogue. À mon sens, l'examen de la demande d'adhésion devrait être poursuivie dès lors que nous aurions des garanties sur la mise en place d'un processus de règlement politique et dès lors que les combats se seraient réellement arrêtés sur le terrain.
« L'enjeu de notre discussion d'aujourd'hui est particulièrement important. Nous devons engager la discussion avec fermeté certes, mais aussi avec sérénité, conscients que nous sommes de nos responsabilités à l'égard des démocrates et des réformateurs de Russie.
« Je forme aujourd'hui le voeu que le message de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe soit entendu de manière positive, car nous ne pouvons imaginer que la Russie, dont l'histoire et la culture nous sont si proches, puisse demeurer longtemps à l'écart de la construction de l'Europe.
« C'est notre rôle d'élus européens d'exercer une grande vigilance à l'égard du respect des droits de l'homme de la part d'un pays lui a, par ailleurs, souscrit au code de bonne conduite adopté, en décembre dernier, à Budapest par l'OSCE.
« C'est également notre rôle de regarder vers l'avenir et d'aider la Russie à surmonter ses difficultés actuelles et poursuivre dans la voie de la réforme démocratique qui est celle de l'adhésion au Conseil de l'Europe et à ses valeurs.
À l'issue du débat, M. Bernard SCHREINER, député (RPR), présente un amendement tendant à inviter les gouvernements à soutenir les ONG qui viennent en aide aux populations victimes du conflit en Tchétchénie, amendement que l'Assemblée adopte lors de la délibération sur le Rapport 7231, comme elle adopte la Résolution 1055 tendant à différer sa délibération sur l'avis demandé par le Comité des ministres sur la demande d'adhésion de la Russie au Conseil de l'Europe ( cf. Rapport de la Délégation française Pour 1996 ) ; ainsi que la Directive 506.
N. - La conférence des Nations unies sur la population et le développement. Le Caire, septembre 1994. ( Vendredi 3 février 1995. )
C'est sur le suivi à donner par le Conseil de l'Europe et ses États membres aux travaux de la conférence internationale, qui s'était tenue au Caire du 5 au 13, que porte le Rapport 7208, qui débouche sur l'adoption par l'Assemblée de la Recommandation 1260.
O. - Les politiques sociales et la stabilité politique dans les pays d'Europe centrale et orientale. Intervention de M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc.). ( Vendredi 3 février 1995. )
Dans le débat, M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc.), a présenté les observations suivantes :
« Ce débat est important parce que les pays d'Europe centrale et orientale, qui se sont libérés du joug communiste totalitaire, sont confrontés à deux transitions : l'une démocratique, l'autre économique.
« La transition démocratique, nous savons la conduire. En tout cas, nous avons des repères sûrs : de nouvelles institutions, des constitutions démocratiques, des élections libres, le droit de la presse, le droit des citoyens, leur participation à la vie publique. Et nous avons des instruments juridiques qui nous permettent d'aider de façon précise, très concrète, le passage d'un régime totalitaire à un système démocratique.
« La seconde transition est économique. Il s'agit de passer d'une économie administrée à une économie de marché. Mais nous avons très peu d'instruments et de savoir-faire entre les mains.
« Cette époque nouvelle pour les pays d'Europe centrale et orientale a fait naître chez les citoyens de grandes espérances. La démocratie était perçue comme un arbre de Noël qui devait apporter des satisfactions sur tous les plans. Or la réalité est différente des espérances. Ce décalage entre les espérances et la réalité n'est pas sans conséquences sur la perception des citoyens quant au fonctionnement de la démocratie. Ce décalage peut même mettre en péril la démocratie.
« En effet, il ne faudrait surtout pas que les citoyens assimilent le passage à la démocratie à l'émergence d'un grand nombre de difficultés sociales. Or le rapport contient à cet égard deux chiffres terribles : le nombre de pauvres serait passé, entre 1989 et 1994, de 8 à 56 millions et, dans le même temps, l'espérance de vie aurait diminué.
« Cette situation fait donc courir à la démocratie de graves dangers. Les citoyens pourraient prendre en grippe la démocratie et dire : "Si c'est cela le résultat des espérances que nous attendions, peut-être vaut-il mieux revenir à une époque où nous avions, à côté de très grandes difficultés, un certain nombre de garanties sociales, la garantie d'être soignés, d'être suivis, d'avoir une retraite. Nous avions alors le sentiment de ne pas être abandonnés !"
« Il faut que nous démontrions que la démocratie ce n'est pas inéluctablement l'émergence de malheurs sociaux. Ceux-ci ne sont pas inévitables même si la situation est difficile. Nous devons contourner l'écueil de la démagogie, l'écueil du nationalisme et l'écueil du bouc émissaire.
« Dans cette situation, Monsieur le Président, les élus ont une très grande responsabilité : aucun texte ne pourrait suppléer l'exercice de leur réflexion, l'exercice de leur volonté et le courage d'affronter effectivement des situations difficiles.
« À cet égard, le rapport met le doigt sur un certain nombre de points extrêmement précis qui méritent notre attention. Mon collègue anglais, M. Rathbone, disait tout à l'heure que le communisme pouvait nuire gravement à la santé. Il a parfaitement raison à cet égard. Mais on pourrait ajouter que l'ultralibéralisme nuit également gravement à la santé.
« Quelle est la difficulté à laquelle ces pays sont confrontés ? D'un côté, il est nécessaire de créer des richesses. De l'autre, il faut savoir comment les répartir pour qu'il y ait le moins d'exclus possible, pour qu'un nombre minimum de citoyens se trouvent laissés au bord du chemin. Autrement dit, il faut éviter l'écueil d'une société duale dans un temps extrêmement bref.
« Nos sociétés occidentales ont été confrontées à peu près aux mêmes difficultés dans l'histoire, mais elles ont eu du temps pour gérer ces situations. Par le jeu des communications, de la mondialisation des échanges, des images, l'impatience des citoyens est devenue forte. A cette impatience, il faut pouvoir apporter des réponses.
« De sorte que ce que nous propose le rapport, c'est la construction d'un modèle social européen, un modèle créant des richesses, mais solidarisant aussi les citoyens à l'intérieur de la société, afin que ces citoyens n'aient pas le sentiment d'être exclus ou oubliés. Créer des richesses, ce n'est déjà pas facile. Mais il faut aussi les redistribuer pour que la cohésion sociale soit assurée, pour que les citoyens aient le sentiment que leurs efforts servent à quelque chose. Or, force est de constater que parfois l'argent et la spéculation sont impatients.
« Nous devons rappeler à nos pays, aux organismes monétaires, l'exercice de solidarité nécessaire, faire preuve de patience, faire preuve non pas de générosité mais du sens de la responsabilité afin que les richesses que nous créons puissent aussi venir en aide aux pays qui sont dans une période de transition difficile, je veux dire le passage d'une économie administrée à une économie de marché.
« A cet égard, le rapport pose un certain nombre de principes, de règles utiles. Il rappelle notamment que l'État a un rôle à jouer, que l'État n'est pas, dans toutes les circonstances, un "grand méchant loup", mais au contraire un instrument permettant de défendre et d'afficher l'intérêt général.
« Nous avons en ce moment une grande responsabilité qui consiste à la fois à affirmer la démocratie politique et à assurer la transition vers une économie de marché dans le respect d'un certain nombre de règles. Cet exercice, nous devons le réussir : de lui, en effet, dépend le regard que les hommes et les femmes d'Europe centrale et orientale vont porter sur l'émergence de la démocratie. Notre responsabilité est totalement engagée et ce rapport est parfaitement bienvenu au moment où nous l'abordons. »
Au terme de ce débat, l'Assemblée, délibérant du Rapport 7219, a adopté la Résolution 1056.