Section IV -
Quatrième partie de session de 1995
(25-29 septembre 1995).
A. - Discours de Sa Majesté le roi Hussein de Jordanie et questions de M. Jean de LIPKOWSKI, député (RPR), et de M. Jacques BAUMEL, député (RPR). ( 25 septembre 1995 .)
Sa Majesté considère comme un privilège, et un plaisir à la fois, de partager avec l'Assemblée ses réflexions sur l'état présent et sur l'avenir des relations entre l'Europe et son pays. Il remercie donc le Président Martinez de lui fournir cette occasion, lui qui a déjà tant fait pour une meilleure compréhension autour de la Méditerranée.
Au cours des années récentes, beaucoup de choses ont changé au Moyen-Orient et, tout bien pesé, ces changements ont été positifs, car ils ont entraîné avec eux plus de maturité et de réalisme.
Il est peut-être prématuré d'essayer d'apprécier l'influence de l'Europe dans cette région au XX e siècle : les deux dernières guerres européennes font encore sentir leurs effets. La première a imposé à la région de nouvelles frontières, créé de nouveaux États, perturbant les modes de vie séculaires issus de la domination ottomane. En particulier, la Terre Sainte fut coupée en deux, de part et d'autre du Jourdain, et ce morcellement, aggravé par la rupture politique avec le Liban et la Syrie, le fut encore davantage avec la création de l'État d'Israël, en 1948. Un nouvel élément venait perturber l'ancienne cohésion, et les tensions entre les arrivants et la population indigène conduisirent bientôt à la guerre, au déplacement en masse des Palestiniens, au déchaînement des extrémismes.
Le grand-père du roi Hussein, le roi Abdallah, et son grand-oncle, le roi Fayçal de Syrie et d'Irak, avaient espéré que les aspirations de la population arabe - telles qu'elles s'étaient manifestées dans la grande révolte de 1916 - et celles des colons juifs seraient compatibles sous certaines conditions. Il n'en fut rien, tant les rivalités et les suspicions s'étaient exacerbées, tant la situation des Juifs d'Europe était catastrophique. Le rêve d'une unification des terres arabes fut déçu et l'État juif naquit dans la violence.
Telle est la situation que trouva le roi lors de son accession au trône. Il jugea que son devoir était de tout faire pour épargner à son peuple la guerre, pour lui léguer un héritage de paix. Le 26 octobre 1994, en signant le traité de paix avec Israël, la Jordanie ne faisait pas seulement la paix avec cet État, mais aussi avec elle-même, convaincue qu'il n'y avait pas d'autre moyen de briser le cycle de la violence et des dévastations. C'est pourquoi il ne s'agissait pas seulement de mettre fin à l'état de guerre : la formule « ni guerre ni paix » s'était révélée inefficace pendant vingt-cinq ans. Il convenait de conclure avec Israël une paix chaleureuse, permettant aux deux peuples de coopérer pour leur profit mutuel et pour tous ceux qui dans la région partagent les mêmes espoirs.
Ce traité fut donc le début d'une ère nouvelle et le premier pas vers la restauration de l'harmonie en Terre Sainte. Les deux parties en ont tiré un égal bénéfice : la Jordanie a retrouvé un accès à la Méditerranée et Israël peut maintenant regarder au-delà des frontières dans lesquelles il était confiné.
Pour autant, en décidant de vivre avec Israël sur une base de confiance et de coopération, la Jordanie n'a pas oublié les droits légitimes du peuple palestinien. Celui-ci doit pouvoir jouir de la même sécurité et des mêmes espoirs de prospérité sur sa propre terre et le peuple jordanien ne lui retirera donc rien de son soutien.
Les droits des Palestiniens à l'autodétermination, au retour ou à l'indemnisation et à une vie décente sont légitimes. De même, la Jordanie partage leurs préoccupations sur l'accès à l'eau, l'environnement, la situation des réfugiés et aussi le futur de la ville sainte de Jérusalem. Pour les croyants des trois religions issues d'Abraham, elle est la destination de pèlerins et de prières. Mosquées, églises et synagogues témoignent de la place centrale de cette sainte cité dans les pensées des croyants du monde entier.
Pour sa part, Sa Majesté le roi Hussein n'a jamais pensé que Jérusalem devait être une cause de conflit, l'objet d'une libération pour les uns et d'une perte pour les autres. Elle doit au contraire être le lieu d'une réconciliation, le lieu où convergent les trois religions et où la seule souveraineté est celle de Dieu. La difficulté n'est pas insurmontable, la grande cité de Jérusalem pouvant être la capitale des deux États jordanien et israélien, et devenir ainsi un symbole éclatant de paix entre Israéliens et Palestiniens.
Le traité de paix jordano-israélien est, espérons-le, une étape historique mais, pour que la paix soit globale, le chemin est encore long à parcourir. La paix n'est pas seulement affaire de signatures de traités. Les signataires doivent s'engager à tout ce qu'implique la paix : libre circulation des populations, des marchandises et des idées, et respect des intérêts de chacun. Il doit y avoir un consentement partagé sur le respect des droits de l'homme, l'égalité de tous les citoyens et, par-dessus tout, le droit des enfants à la nourriture, aux vêtements, à l'habitation et à l'absence de peur. Le but final de la paix est de promouvoir la prospérité et la sécurité qui sont indissociables l'une de l'autre. L'histoire du Moyen-Orient regorge de tentatives pour instaurer des systèmes de sécurité : aucun de ces arrangements n'a su empêcher les guerres.
Dans le scénario de cauchemar qui s'est déroulé entre l'invasion du Koweït et la fin de la guerre du Golfe, le roi Hussein a fait de son mieux pour convaincre la communauté internationale de l'aider à contenir et à résoudre le problème dans un contexte purement arabe. Il n'a hélas 8 pas réussi et ses pires craintes ont été confirmées. Si l'approvisionnement pétrolier demeure provisoirement assuré, la déstabilisation de l'Irak ne contribue pas à la stabilité ni à la sécurité au Moyen-Orient, bien au contraire.
Le roi ne peut demeurer indifférent devant la souffrance du peuple irakien, dont la misère est accrue par le renouvellement continu des sanctions imposées par le Conseil de sécurité. Aucun Jordanien, aucune famille arabe, ne peut dormir tranquille et confortablement lorsque demeure présent dans ses pensées le spectre des enfants irakiens malades et affamés. Le roi Hussein l'affirme catégoriquement : en tant qu'hachémite, il n'a aucune ambition en Irak mais il ne peut plus fermer les yeux et les oreilles devant les besoins du peuple irakien, prisonnier depuis trop d'années de l'embargo international et qui souffle de plus, depuis trop longtemps également, de l'absence de démocratie. Le peuple irakien, les États arabes, la communauté internationale, tous doivent conjuguer leurs forces pour mettre fin aux causes des souffrances de l'Irak.
Le roi se prononce fermement pour le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de l'Irak. Il encourage un dialogue libre et immédiat entre des représentants crédibles des trois composantes de ce peuple - les Arabes chiites et sunnites et les Kurdes - en vue d'une réconciliation nationale qui éloigne à l'avenir toutes craintes et suspicions. Il soutient un dialogue sérieux qui s'instaurerait en vue d'élaborer une nouvelle constitution dans le contexte de leur seul pays, l'Irak, et qui serait fondé sur la démocratie et le respect des droits de l'homme.
Depuis 1948, la Jordanie a supporté trois vagues successives et massives de réfugiés, et les perturbations répétées de son économie ont épuisé des ressources déjà limitées. Durant le dernier trimestre de 1995, l'Europe pourra participer à la construction d'un nouveau Moyen-Orient à l'occasion du Sommet Moyen-Orient - Afrique du Nord - qui se tiendra à Amman - et de la Conférence de Barcelone qui traitera du partenariat euro-jordanien. Espérons que la Méditerranée orientale ne sera pas oubliée, elle qui constitue une passerelle naturelle entre l'Europe et le Moyen-Orient. Le choix d'Amman pour la première de ces conférences reflète le fait que la Jordanie offre à présent un terrain favorable aux investissements publics et privés pour les projets touchant la région tout entière.
Le traité de paix jordano-israélien ouvre la voie à l'émergence d'un bloc économique nouveau incluant également la Palestine et l'Égypte. Des projets à ce sujet seront présentés au Sommet d'Amman qui pourront, espérons-le, servir d'exemples de coopération aux autres pays du Moyen-Orient. Un tel bloc offrirait un marché, une main-d'oeuvre et des ressources susceptibles d'attirer les investissements américains, européens et asiatiques mais aussi arabes.
La Jordanie tente de réaliser un modèle de stabilité sociale, politique et économique. Sa charte nationale, ratifiée en 1991, reflète son adhésion au respect des droits de l'homme et à une économie de libre marché. Les gouvernements successifs ont cherché depuis 1991 à mettre en oeuvre ces principes en vue de transformer le pays en pays développé. Le roi Hussein invite l'Europe à se joindre à son pays pour resserrer des liens déjà anciens et bâtir un monde meilleur.
Il est heureux d'annoncer qu'il se rend aux États-Unis pour participer à la ratification d'un nouvel accord entre le seul représentant légitime du peuple palestinien et le Premier ministre israélien. C'est une percée vers une paix globale. Il faut louer les efforts de tous ceux qui y ont contribué. Au nom de la reine Nour, du Premier ministre jordanien, et en son nom propre, le roi Hussein remercie l'Assemblée de son accueil. Dieu bénisse ses efforts méritoires !
À une question portant sur les changements souhaitables en Irak pour satisfaire aux aspirations des trois composantes de ce pays, et sur le rôle de la Jordanie en faveur de l'instauration des droits de l'homme en Irak, SA MAJESTÉ LE ROI DE HUSSEIN DE JORDANIE a répondu qu'il se déclare préoccupé par le fait qu'un pays qui a souffert depuis si longtemps risque de continuer encore à souffrir au point que de nouveaux bains de sang sont susceptibles de s'y produire. Les peurs suscitées entre les trois composantes de ce pays risquent de provoquer l'explosion et la désintégration de l'Irak. Le degré de souffrance de la population est évident pour le roi Hussein comme sans doute pour le peuple turc. Tous, Irakiens, dirigeants arabes et communauté internationale, devraient s'unir pour mettre un terme à cette souffrance. L'Irak est un pays potentiellement riche. C'est le pays des deux fleuves. Son peuple est dynamique. Ce dont il souffre, c'est l'absence de démocratie. Seuls les Irakiens peuvent réaliser leurs aspirations et les trois composantes de la population ne pourront y parvenir que grâce à un dialogue mené par des représentants crédibles dans une atmosphère de liberté.
Depuis quelques années, Jordaniens et Palestiniens évoquent l'idée d'une confédération qui pourrait être mise en oeuvre lorsque les seconds auront une réelle liberté d'expression politique. Cette confédération ne pourrait-elle pas servir d'exemple pour l'Irak en facilitant la coexistence de ses trois éléments constitutifs, dans le cadre et sous l'égide d'une constitution nouvelle ? Si nous conjuguons nos forces, si nous aidons le peuple irakien, le cauchemar pourra cesser.
M. Jean de LIPKOVSKI, député (RPR) a interrogé le roi en ces termes :
« Sire, votre allocution est bien celle du courageux homme d'État et de l'homme de paix que nous respectons tous profondément ici.
« Je veux, moi aussi, parler de l'Irak afin que vous précisiez encore votre pensée. Vous avez accordé asile au général Kamel. Vous vous êtes entretenu avec lui. Sont-ce les indications qu'il vous a données qui vous rendent pessimiste sur l'avenir de l'Irak? Vous avez semblé davantage craindre une déstabilisation qu'une réconciliation nationale...
« Les dernières indications fournies par Bagdad sur les programmes d'armement sont-elles complètes, à votre avis, et peuvent-elles conduire à une levée de l'embargo ? »
SA MAJESTÉ LE ROI HUSSEIN DE JORDANIE a indiqué en réponse qu'il reconnaît que la fuite de membres très proches de la famille dirigeante a eu un effet profond sur sa manière de voir la situation en Irak. Il a obtenu en effet des informations tout à fait fiables sur l'histoire récente de l'Irak, sur les mécanismes de décision et sur la souffrance du peuple irakien après la guerre et ce tableau l'a profondément bouleversé. Le peuple irakien a souffert au-delà des mots de l'embargo comme du non-respect de ses droits faute d'un vrai dialogue à la fois interne et au sein de la communauté arabe et internationale. Quelle est la meilleure solution pour mettre un terme raisonnable à cette situation dramatique et sauver le peuple irakien ? L'étranglement de l'Irak doit cesser.
M. Jacques Baumel, député (RPR) interroge à son tour le roi de Jordanie en ces termes :
« Sire, au moment où l'on s'apprête à signer, dans quelques heures, accord historique entre Palestiniens et Israéliens, permettez-nous de vous demander comment vous envisagez les relations entre les futures entités palestiniennes et votre royaume.
« Dans quelle mesure l'idée que vous défendez depuis longtemps - vous l'avez un peu reprise tout à l'heure - d'une fédération ou d'une confédération palestinienne et jordanienne pourrait-elle être concrétisée dans un temps donné ? Sur quelle base institutionnelle : confédération, fédération, union plus souple ? Et sur quelle base économique, énergétique et sociale ? »
Sa Majesté le roi Hussein de Jordanie déclare pouvoir répondre clairement à cette question. Il n'est pas facile de plaider actuellement pour une coopération déterminée, alors que les Palestiniens n'ont pas la liberté d'exprimer ce qu'ils désirent. Toute présentation prématurée d'un schéma politique défini serait contreproductive. Les Palestiniens, qui sont frères des Jordaniens, doivent avoir leur mot à dire pour leur avenir. Deux peuples vivent dans une même région et il convient de trouver les meilleures réponses possibles pour leur permettre de vivre en liberté. Les Jordaniens ont toujours participé aux décisions du pays. Le roi estime que la survie d'un pays est impossible sans une participation active de son peuple. Il espère pouvoir développer une politique identique dans la dimension palestinienne, Les Palestiniens sont en effet tous citoyens de Jordanie. Des négociations sont actuellement en cours. Chacun aura la possibilité de faire son libre choix. Les Jordaniens continueront à lutter pour permettre aux Palestiniens de retrouver tous leurs droits et pour arriver à créer enfin un Moyen-Orient pacifique.
B. - Discours de M. Oleksander MOROZ, président du Parlement ukrainien. ( 26 septembre 1995. )
M. Moroz, tout d'abord, remercie tous ceux qui sont intervenus en faveur de l'adhésion de l'Ukraine et considère qu'il s'agit là d'un événement d'une importance particulière, puisque l'Ukraine entre ainsi dans la famille européenne, dont naturellement elle a toujours fait partie.
L'Ukraine a conquis son indépendance depuis cinq ans. Elle a dû, depuis, surmonter bien des difficultés, mais a tenté d'organiser la démocratie et l'accession au progrès économique et social. Elle compte beaucoup sur les conseils de l'Assemblée parlementaire et du Conseil de l'Europe afin de l'aider à progresser encore dans cette voie.
Il est en effet parfois difficile de respecter les recommandations des experts internationaux, qui ne sont pas toujours conformes aux réalités de la vie. Un respect trop littéral des exigences imposées aux jeunes démocraties peut entraîner des risques de déstabilisation.
L'Ukraine est heureuse d'entrer dans l'Europe nouvelle. Ses droits et ses obligations seront ceux qui sont définis par le Conseil de l'Europe. La nouvelle dimension du continent est celle d'une Europe aux chances égales.
L'Ukraine considère que son adhésion à l'Organisation constitue un pas décisif qui entraînera des changements socio politiques importants. Le processus ouvert par l'accord constitutionnel doit s'intensifier. Ce sera chose faite d'ici quelques jours par une plus nette séparation des pouvoirs et un développement de bases juridiques indépendantes.
Le pays a une composition multiethnique et compte de nombreuses minorités nationales. Il pratique le bilinguisme. Une politique sociale positive et mesurée assure la stabilité de cette partie de l'Europe.
L'Ukraine a signé sans hésitation la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, le 15 septembre, et en ce qui concerne la Crimée, la présence dans la délégation du président du parlement de cette région devrait suffire à apaiser les craintes qui peuvent subsister. Enfin, c'est avec un grand intérêt que l'Ukraine prend connaissance des expériences démocratiques et économiques qu'elle peut trouver en Europe.
Pour le Conseil, l'adhésion de l'Ukraine représentera un facteur de sécurité géopolitique et de stabilité. C'est le premier État doté de l'arme nucléaire à avoir déclaré, il y a déjà cinq ans, sa volonté de dénucléariser son territoire : à cet égard, l'adhésion au traité de non-prolifération représente une décision historique, sans précédent.
M. Moroz reconnaît qu'il ne fut pas facile de la prendre mais que son pays s'y est résolu afin de se concilier l'estime de la communauté internationale. Il espère que celle-ci saura l'en récompenser en ne ménageant pas son soutien à un pays qui a encore à sortir de la crise économique. Mais l'adhésion de l'Ukraine permettra aussi d'étendre la démocratie vers l'est du continent, en attendant ce complément logique que serait l'admission de la Russie. Enfin, par son potentiel technique et économique, par l'ampleur de son marché et par sa richesse culturelle, l'Ukraine peut apporter beaucoup à l'Europe.
En contrepartie, elle espère que son adhésion lui permettra de consolider l'État de droit et de devenir partie intégrante de l'Europe. De cette maison commune, elle veillera à ne pas déranger l'harmonie : ses représentants seront fermement invités à travailler à la promotion des valeurs de l'Organisation, dans le respect des devoirs et obligations qui incombent à un État membre. M. Moroz conclut en remerciant l'Assemblée pour son soutien et pour sa confiance.
C. - Discours de Son Eminence le cardinal SODANO, secrétaire d'État du Saint-Siège et question de M. Jean VALLEIX, député (RPR). ( 26 septembre 1995. )
« Monsieur le Président, monsieur le Secrétaire Général, Mesdames, Messieurs, il y a sept ans, exactement le 8 octobre 1988, le pape Jean-Paul II était reçu dans cet hémicycle, à l'occasion de sa visite aux institutions européennes à Strasbourg.
« C'est à moi qu'aujourd'hui incombe cet honneur et je me fais aussitôt un devoir de remercier vivement l'actuel Président de l'Assemblée parlementaire, M. Miguel Angel Martinez ainsi que vous tous, dignes représentants des parlements des trente-six pays membres, observateurs et invités.
« Les paroles que m'a adressées votre Président avec tant de cordialité sont, selon moi, destinées beaucoup plus au pape Jean-Paul II et à ses collaborateurs qu'à ma personne.
« Depuis sept ans, c'est-à-dire depuis la visite du pape à cette Institution, beaucoup de choses ont changé en Europe. La configuration même de cette Assemblée parlementaire a changé et changera encore. Nous y voyons maintenant des parlementaires de nouveaux pays, qui lui donnent des perspectives plus larges et une détermination plus forte en faveur de l'unité européenne.
« Il existe aujourd'hui une nouvelle Europe. Mais nous nous trouvons aussi face à de nouveaux défis. De nouvelles possibilités de progrès matériel et spirituel se sont présentées, mais de nouveaux dangers nous menacent. Le vieux chêne étend toujours ses branches vigoureuses, mais il est exposé à des vents qui le secouent de l'extérieur et à des maux qui le minent de l'intérieur.
« Lors de sa visite à cette Assemblée, à la veille de l'effondrement du système des blocs qui a fait de 1989 l'année d'un tournant historique, le pape Jean-Paul II a eu cette expression heureuse : « Si l'Europe veut être fidèle à elle-même, il faut qu'elle sache rassembler toutes les forces vives de ce continent en respectant le caractère original de chaque région, mais en retrouvant dans ses racines un esprit commun. (...) En exprimant le voeu ardent de voir s'intensifier la coopération déjà ébauchée avec les autres nations, particulièrement du centre et de l'Est, j'ai le sentiment de rejoindre le désir de millions d'hommes et de femmes qui se savent liés dans une histoire commune et qui espèrent un destin d'unité et de solidarité à la mesure de ce continent ».
« Les souverains pontifes ont toujours suivi avec intérêt les activités du Conseil de l'Europe, de son Assemblée parlementaire comme aussi de la Commission et de la Cour européenne des Droits de l'Homme. C'est pourquoi, le Saint-Siège, présent depuis vingt-cinq ans au Conseil de l'Europe par sa mission permanente, connaît et apprécie les efforts déployés par cette Institution appelée à devenir une organisation véritablement paneuropéenne. Ayant déjà mis en place, depuis sa création, un espace européen dans lequel les principes de l'État de droit, les principes constitutionnels démocratiques et les droits de l'homme sont respectés, le Conseil de l'Europe a su relever les défis de l'élargissement et s'est transformé en instance d'accompagnement, de soutien et de promotion des réformes démocratiques engagées par les pays de l'Europe centrale et orientale.
« Pour sa part, le Saint-Siège veut contribuer au progrès du continent en lui apportant ce « supplément d'âme » dont toute société a besoin.
« Depuis 1990, une nouvelle Europe est née. La rencontre des deux parties de l'Europe, longtemps divisée en blocs caractérisés par des conceptions de l'État et des systèmes sociaux différents, ne peut se réaliser à sens unique. En un certain sens, les nouvelles adhésions configurent non seulement un phénomène d'élargissement mais aussi un approfondissement important de cette Institution européenne. Si nous voulons que la rencontre des cultures et des traditions soit féconde, nous ne pouvons que souhaiter qu'elle se fasse dans l'approfondissement des valeurs et des principes de droit qui sont communs aux peuples du continent.
« Avec de nombreuses et éminentes personnalités politiques et diplomatiques du monde de la culture, des arts et des sciences, avec de nombreux représentants d'autres confessions religieuses, les pontifes romains qui se sont succédé dernièrement sur la chaire de Pierre ont toujours participé à la formation d'une identité européenne commune, fondée sur la civilisation qui, venant de la Grèce et de Rome, avec des racines celtes, germaniques et slaves, s'était intensément développée au cours des siècles grâce à l'apport de la sève chrétienne. Celle-ci a énormément contribué à forger une conception du monde et de l'homme qui est typique de ce continent.
« Aujourd'hui, devant vous, dignes représentants de la plupart des peuples européens, je voudrais exprimer quelques souhaits pour l'avenir.
« Votre Institution intervient en particulier dans le domaine juridique, favorisant la solution des problèmes de société les plus délicats, la modernisation du droit, l'ajustement de la loi aux besoins nouveaux de la société, la promotion et la protection juridique des valeurs communes, dans le rapprochement des différentes législations nationales.
« Il me plaît d'évoquer ici, en particulier, deux importantes conventions : la Convention-cadre sur la protection des minorités et la Convention européenne de bioéthique.
« La sagesse politique consiste à prévoir autant qu'à résoudre les conflits. Le Conseil de l'Europe a développé en ce sens un outil juridique en faveur des minorités dans le respect des prérogatives des États. Il s'agit là d'une contribution très appréciable en faveur de la paix, par l'instauration d'un ordre juridique qui ne sera pas sans répercussion sur l'organisation politique future de l'Europe.
« Le projet de convention de bioéthique a le grand mérite de vouloir fixer un cadre normatif dans une matière où le vide juridique apparaît aujourd'hui préoccupant. C'est précisément la valeur exemplaire de la future convention qui fait d'elle un texte de grande importance, qui fera référence au-delà même du contexte européen. Les rédacteurs du projet et ceux qui sont appelés à l'adopter assument donc une grande responsabilité non seulement juridique, mais aussi éthique et politique.
« L'Europe sociale est une préoccupation constante des Églises en Europe. Face à la désagrégation du tissu social, à l'accroissement du chômage et à la marginalisation croissante d'une partie de la population européenne, je salue les efforts et les initiatives du Conseil de l'Europe en ce domaine, en particulier la Campagne contre le racisme, la xénophobie, l'antisémitisme et l'intolérance, lancée par le Sommet de Vienne en octobre 1993 et menée à bien dans le courant de cette année. Il me plaît de saluer également le travail du Conseil dans le domaine de la cohésion sociale et de l'action contre toute forme de pauvreté, d'exclusion et de marginalisation, et je me félicite de la bonne collaboration avec les O.N.G.
Dans cette entreprise passionnante autant que délicate, le Saint-Siège est heureux de participer à vos travaux et continuera d'offrir sa contribution spécifique. Il sera tout spécialement fidèle à rappeler la dimension transcendante de l'homme. En réalité, les droits de l'homme s'enracinent dans l'universalité de la raison humaine, qui n'est pas coupée de la transcendance. Ce réalisme des droits de l'homme ne nie pas mais confirme la pertinence du dévouement du Conseil de l'Europe à la cause de la démocratie pour traduire dans des conventions internationales, et ainsi protéger les droits de l'homme lorsque ceux-ci sont bafoués.
« L'Église catholique ne confisque en rien les libertés démocratiques lorsqu'elle affirme la transcendance de l'homme, puisqu'elle est elle-même au service de cette transcendance. Elle a reçu la mission de servir l'homme dans son intégralité, notamment sa vocation spirituelle. L'Église offre sa vision de la personne, confiante dans le fait qu'elle puisse être partagée sur le plan de la raison et du droit, dans un dialogue sincère et respectueux de toute conviction qui vise véritablement la défense et la promotion de la dignité humaine.
« Je voudrais donc formuler au nom du Saint-Siège le voeu que tous les responsables de l'avenir de l'Europe cultivent toujours cette vision supérieure de l'homme qui, du reste, constitue le patrimoine historique commun des chrétiens, des juifs et des musulmans. Ce sont les éléments qui ont permis aux peuples, de l'ouest et de l'est, du nord et du sud de l'Europe, de donner un sens à l'existence quotidienne, à la personne humaine, à la famille, fondement de notre civilisation.
« Malheureusement, au cours du présent siècle, ces valeurs ont été foulées au pied par des idéologies totalitaires qui nous ont conduits à des guerres fratricides et aux effroyables tragédies subies par des millions d'hommes et de femmes, victimes de ceux qui ne voulaient pas reconnaître la dignité de la personne humaine.
« En oubliant les valeurs éthiques fondamentales de la culture européenne, on en est arrivé à exalter le groupe éthique, la classe, la race ou l'État, posant ainsi les prémices des tragédies que nous avons endurées.
« Ce n'est qu'en redécouvrant les valeurs fondamentales de notre histoire bimillénaire que nous trouverons l'inspiration nécessaire pour bâtir un avenir meilleur à notre continent.
« Avec les hommes de bonne volonté qui s'efforçaient d'abord à réconcilier et à rapprocher les peuples du continent, le Saint-Siège n'a pas cessé, depuis les débuts du mouvement européen, d'encourager la construction de l'Europe.
« Les Églises chrétiennes elles-mêmes se sont donné des structures à l'échelle du continent. En ce qui concerne l'Église catholique, je voudrais citer le Conseil des conférences épiscopales d'Europe, le C.C.E.E., constitué en 1971 avec la tâche de promouvoir la communication et la collaboration entre les épiscopats du continent entier. L'élection, il y a deux ans, d'un président venant d'un pays de l'Europe centrale, l'archevêque de Prague, témoigne de l'engagement de l'Église en Europe afin de parvenir à un échange effectif de dons entre l'Est et l'Ouest.
« De nos jours, on peut même dire que la construction de l'Europe est devenue un facteur qui demande, encourage et manifeste l'oecuménisme entre les Églises chrétiennes ainsi que le dialogue et la coopération avec les autres confessions religieuses présentes sur ce continent. Dans la construction de l'Europe, le chemin de l'oecuménisme revêt une grande importance.
« Il me semble devoir évoquer à cet égard : les démarches conjointes - même parfois au prix de beaucoup d'hésitations - entre les confessions religieuses présentes dans la région du conflit des Balkans ; le rassemblement de Graz, prévu en 1997, autour du thème de la réconciliation, organisé conjointement entre la Conférence des Églises chrétiennes et le Conseil des conférences épiscopales d'Europe.
« L'encouragement donné au mouvement oecuménique par la récente encyclique Ut unum sint du pape Jean-Paul II, bien que visant en priorité le rapprochement des confessions chrétiennes à l'échelle planétaire, ne sera pas sans retombées positives et fécondes pour l'Europe.
« Permettez-moi donc d'exprimer le voeu que catholiques et orthodoxes, protestants et anglicans, chrétiens de l'une ou l'autre confession, tous apportent leur contribution pour que le levain de l'Évangile du Christ continue à vivifier notre civilisation. C'est là une oeuvre digne d'estime à laquelle les responsables de l'avenir de l'Europe devront accorder plus d'attention, afin que l'arbre qui a déjà donné de si nombreux fruits continue à en donner plus abondamment encore, au service des peuples d'Europe.
« Dans ce contexte, il vous sera facile de comprendre pourquoi le Saint-Siège est inquiet face à certaines dérives observables en matière de droit de l'individu, de la définition de la famille et du respect de la vie.
« C'est pourquoi je voudrais exprimer le souhait que l'Europe continue à cultiver la valeur de la vie et de la famille. Vous connaissez bien les problèmes qui existent à ce sujet, et vous êtes souvent appelés à réfléchir sur des questions de nature essentiellement éthiques.
« Le pape Jean-Paul II disait déjà ici même en 1988 : "Il est nécessaire que le respect de la dignité humaine ne soit jamais perdu de vue, depuis le moment même de la conception jusqu'aux stades ultimes de la maladie ou aux états les plus graves d'obscurcissement des facultés mentales. Vous comprendrez que je redise ici la conviction de l'Église : l'être humain garde à jamais sa valeur comme personne, car la vie est un don de Dieu. Les plus faibles ont le droit à la protection, aux soins, à l'affection de la part de leurs proches et de la part de la société solidaire".
« Quand on pense aux familles européennes, il faut reconnaître que l'évolution de la société a rendu difficiles leur équilibre et leur stabilité. Et, avec la crise de la famille, nous ne manquons pas d'assister en Europe à un affaiblissement démographique impressionnant.
« Vous savez l'importance que les catholiques accordent à la famille. Pour sa part, le pape a adressé au monde son exhortation apostolique familiaris consortio , et il a ensuite, par diverses initiatives, participé à la célébration de l'année de la famille promue par les Nations unies. La célébration de cette année de la famille a également revêtu une certaine importance dans les pays européens.
« Quand je considère la composition actuelle du Conseil de l'Europe et de son Assemblée parlementaire, un autre souhait affleure à mon esprit : celui que d'autres États encore puissent, dans un bref délai, être associés à ce Conseil afin de faire en sorte que l'Europe devienne vraiment une maison commune pour tous les peuples du continent.
« Évidemment, les États qui aspirent à cette adhésion devront s'engager au respect des droits de l'homme, sur lequel repose la participation à cette Institution. Certes, ces droits, si clairement énoncés dans la "Déclaration universelle" des Nations unies en 1948 et dans la Convention européenne des Droits de l'homme de 1950, sont devenus un patrimoine commun aux États modernes. Il faut cependant - et vous y insistez à juste titre - que ces droits soient effectivement inscrits dans les constitutions et dans les législations des divers États et qu'ils soient dûment appliqués dans la vie de chaque communauté nationale.
« Le Saint-Siège est d'avis que la mise en oeuvre des engagements pris par tous les pays membres au moment de l'adhésion est plus actuelle que jamais. En ce sens, il encourage les initiatives en cours au sein de cette Institution, pour mettre au point des mécanismes de contrôle du respect des engagements pris et pour rendre plus rapide, et donc plus efficace, la justice rendue par la Cour européenne des Droits de l'homme.
« Permettez-moi d'exprimer enfin un ultime souhait : que les droits de l'homme puissent aussi, dans un bref délai, être respectés dans les Balkans, dont les populations subissent d'effroyables violations de leurs droits fondamentaux. Ce qui est arrivé dans l'ex-Yougoslavie, ces quatre dernières années, représente un échec de la civilisation européenne et surtout une négation des principes juridiques qui doivent être le fondement de la convivialité nationale et internationale.
« Tout a commencé durant l'été 1991 quand on a voulu remplacer le droit des peuples par le grondement des canons, quand on a prétendu résoudre par la force des armes ce qui devait se résoudre par la force du droit. Nous avons assisté ainsi à la tragédie la plus grande qui ait jamais éclaté en Europe depuis la fin de la dernière guerre mondiale. Les violations des droits de l'homme les plus fondamentaux sont bien connues de tous. Il suffit de se référer aux rapports que M. Mazomiecki a présentés aux Nations unies.
« Face à cette prestigieuse Assemblée, il ne me reste plus qu'à formuler le voeu que la primauté du droit et la négociation prévalent désormais sur la force brutale et la méfiance, et que les peuples si éprouvés des divers États balkaniques puissent rapidement jouir de la paix à laquelle ils aspirent si légitimement.
« Tels sont, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, les voeux qu'au nom du Saint-Siège, j'ai voulu formuler aujourd'hui devant vous, tout en vous remerciant de la contribution que vous apportez déjà à la construction d'une nouvelle Europe, dans la liberté et dans la justice, dans la concorde et dans la solidarité, et en vous demandant de bien vouloir persévérer, avec détermination, dans cette voie. »
M. Jean VALLEIX, député (RPR) interroge alors S.E. le Cardinal SODANO en ces termes :
« Eminence, après cet entretien qui nous a passionnés et nous a fait rentrer en nous-mêmes, dans la méditation, je voudrais revenir sur le sujet de la famille, que vous avez vous-même évoqué, et surtout sur son rôle éminent qui, pour l'Église catholique, se traduit par le sacrement du mariage.
« Trop nombreux sont ceux qui, en Europe, méconnaissent la mission naturelle de la famille par la nécessaire transmission de valeurs éthiques en vue d'un véritable épanouissement des jeunes, lequel ne va pas sans repères et sans règles.
« Mais allons un peu plus loin. Face à une certaine dérive tendant à reconnaître des relations qui n'ont en fait rien à voir avec la famille et ce jusqu'à l'adoption, où se trouve le bon sens ? Sur ce point, je crois que l'enfant doit être défendu, afin qu'il vive dans un environnement objectif sain et équilibré.
« Comment l'Église peut-elle donc moderniser son langage, en quelque sorte, pour mieux se faire comprendre sur ces sujets ? »
S.E. le Cardinal SODANO a répondu à M. Jean VALLEIX, en rappelant que le Saint-Siège a toujours vu dans la famille un élément essentiel de la société et que les Épiscopats veillent à aider cette cellule de base qu'il appartient aux États de protéger. C'est dans cet esprit que le Saint-Siège a créé un conseil pontifical de la famille.
D. - Discours de M. Josef ZIELENIEC, ministre des Affaires étrangères de la République tchèque, Président en exercice du Comité des Ministres et question de M. Jean BRIANE, député (UDF). ( 26 septembre 1995. )
« Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, la dernière fois que j'ai eu l'honneur de prendre la parole devant vous, à la fin du mois de juin, la Moldova n'était pas encore un État membre. Aujourd'hui, nous venons d'entendre le discours du Président Mircea Snegur, l'un des chefs d'État ou de gouvernement qui honorent de leur présence cette Assemblée, de même que vous, personnellement, Monsieur le Président, à cette dernière session plénière de l'année qui marque également le couronnement de votre période de mandat, une période aussi remarquable que dynamique.
« J'observe que l'opinion favorable déjà manifestée par le vote sur l'Ukraine, et celle qui se manifestera dans le vote de demain sur l'» ex-République yougoslave de Macédoine », impliquent un certain nombre d'engagements spécifiques pris par les candidats et au respect desquels notre Comité - ainsi que d'autres - veillera, conformément aux procédures adoptées par votre Assemblée dans sa Directive n° 508.
« La présidence tchèque sera, selon toute vraisemblance, la première dans l'histoire de notre Organisation à avoir le privilège d'accueillir quatre nouveaux membres. Au moment où nos ministres prendront place autour de la table, en novembre prochain, il est probable que notre Organisation - qui s'est élargie en juillet dernier en recevant l'Albanie et la Moldova - s'étendra encore plus loin en Europe de l'Est et dans les Balkans. Soyez sûr, Monsieur le Président, que nous sommes fiers de cet accomplissement, ainsi que je l'ai dit à la commission des questions politiques, que j'ai eu le plaisir d'accueillir dans notre parlement à Prague, la semaine dernière.
« Je reviens maintenant aux procédures de contrôle du Comité des Ministres. Elles ont été adoptées juste avant mon entrée en fonction en mai dernier. Je suis convaincu que, dans le futur, il demeurera vital d'accompagner l'élargissement du Conseil de l'Europe d'un contrôle et de l'appui nécessaire.
« Monsieur le Président, l'élargissement est sans aucun doute une question importante qui mérite toute l'attention nécessaire ; cependant, le calendrier des travaux de cette éminente Assemblée contient de nombreux points importants, qui correspondent aux priorités actuelles du Comité des Ministres et de sa présidence. Demain, vous débattrez de la situation dans l'ex-Yougoslavie qui, à juste titre, requiert l'attention de cette Organisation.
« Quand le Président Vaclav Havel a inauguré le nouveau Bâtiment des Droits de l'homme en juin dernier, son message à ce sujet a été très clair. Les parlementaires qui participeront à votre débat demain souhaiteront peut-être se rappeler que le Président Havel a souligné que « l'obligation du Conseil de l'Europe en tant que créateur et gardien des valeurs européennes et universelles est de mettre en lumière cette guerre et de l'appeler par son vrai nom. Dire clairement que c'est une guerre contre toutes les valeurs que le Conseil énonce dans ses documents, valeurs dont il prend soin, qu'il essaie de cultiver et de préserver ».
« Dans le contexte des derniers événements survenus dans la région il y a deux semaines, le Comité des Ministres a adopté et transmis à l'Assemblée la Résolution (95) 21 sur la demande d'adhésion du Gouvernement de Bosnie-Herzégovine. Dans cette résolution, le Comité mentionne, en s'en félicitant, les événements récents, et notamment l'acceptation, le 8 septembre à Genève, par les parties intéressées des principes de base d'un accord de paix. Il exprime également le voeu qu'» une solution politique durable puisse être rapidement entérinée et mise en oeuvre, afin que la paix et la stabilité soient assurées dans la région ».
« En outre, notre Comité a exprimé « le souhait de rester en étroite liaison avec l'Assemblée parlementaire sur l'évolution de la situation en Bosnie-Herzégovine et sur les relations de ce pays avec le Conseil de l'Europe », et a affirmé « sa disponibilité pour approfondir le dialogue avec les autorités de la Bosnie-Herzégovine et pour apporter son concours par le biais de ses programmes de coopération et d'assistance, afin de faciliter et d'accélérer autant que possible la transition démocratique »
« Cela étant, j'attends avec un intérêt particulier le débat que votre Assemblée a décidé de tenir demain matin, en vertu de la procédure d'urgence.
« Il existe une autre priorité de notre Comité : les relations avec les autres organisations internationales. Je voudrais rappeler que nos chefs d'État et de gouvernement ont formulé des lignes directrices claires au Sommet de Vienne, lorsqu'ils ont reconnu que la réalisation du nouveau concept de sécurité démocratique requiert « une coordination renforcée des travaux du Conseil de l'Europe avec ceux des autres institutions qui concourent à la construction d'une Europe démocratique et sûre, satisfaisant aux exigences de complémentarité et d'un meilleur emploi des ressources ».
« Je peux vous informer, Monsieur le Président, que nous prévoyons de tenir, avant la fin de notre présidence, une deuxième réunion à haut niveau avec le ministre Kovacs, président en exercice de l'O.S.C.E., ainsi que les deux secrétaires généraux, faisant suite à la première réunion de cette sorte qui a eu lieu en février dernier. Les relations entre ces deux organisations devraient continuer à se renforcer.
« J'espère sincèrement que nous serons en mesure de discuter concrètement de la manière de parvenir à une interaction plus intensive et efficace.
« D'ailleurs, nos délégués viennent d'accueillir avec satisfaction une invitation du Président Kovacs, en vue d'une participation du Conseil de l'Europe à une mission commune pour établir les faits en Croatie. Cela est juste un exemple parmi les nombreuses opportunités qui doivent être pleinement exploitées.
« Pour ce qui concerne les relations avec l'Union européenne, un groupe de travail ad hoc de nos délégués, sous la présidence de l'Espagne, et autorisé à analyser la place et le rôle du Conseil de l'Europe dans la construction européenne dans la perspective de la Conférence intergouvernementale de l'Union européenne de 1996, est en contact avec le président du groupe de réflexion de l'Union, le ministre Carlos Westendorp, qui prendra demain la parole devant votre Assemblée au cours du débat sur le rapport de M. Masseret. Le groupe de travail ad hoc a déjà pris acte de ce rapport, ainsi que de ses recommandations relatives à l'adhésion de l'Union à des conventions du Conseil de l'Europe.
« S'agissant des relations avec les Nations unies, qui célèbrent leur cinquantième anniversaire, je dois vous informer que je rappellerai les opportunités de coopération entre le Conseil de l'Europe et les Nations unies dans mon discours devant les participants à la session de l'Assemblée générale le 29 septembre.
« Enfin, à la suite d'une réunion commune, tenue en juin dernier à Paris, des comités de liaison Conseil de l'Europe/O.C.D.E., avec la participation très constructive de membres de cette Assemblée, les délégués se penchent actuellement sur les relations avec l'O.C.D.E. à une époque où les deux organisations sont ou seront engagées dans un processus d'élargissement. Je suis sûr que l'élargissement de ces organisations renforcera les idéaux - qu'il s'agisse de la démocratie ou du libre marché - sur lesquels elles reposent ; et croyez bien que je ne dis pas cela uniquement parce que mon pays s'apprête à devenir membre de l'O.C.D.E.
« Pour ce qui concerne le contrôle du respect des engagements contractés par les États membres, je voudrais souligner que les procédures et les modalités approuvées en mai dernier, pour la mise en oeuvre de la déclaration du Comité des Ministres de novembre 1994, ne font aucune discrimination entre membres anciens et nouveaux et prévoient un cadre de dialogue constructif.
« Ce mécanisme, Monsieur le Président, est essentiellement politique, et n'affecte en aucune façon les procédures existantes découlant des mécanismes de contrôle législatifs ou conventionnels à caractère plus juridique.
« La responsabilité du lancement de cette procédure nouvelle et non encore éprouvée est entre les mains du Secrétaire Général, dans la mesure où la première des trois réunions annuelles consacrées à cette question - à partir de l'année prochaine et par la suite tous les deux ans - recevra de lui un aperçu général pratique des engagements contractés par les États membres. Cet aperçu général reposera sur « toutes les informations pertinentes », y compris, bien entendu, celles qui émanent de cette Assemblée.
« Monsieur le Président, le Comité des Ministres a déjà fait allusion à ce nouveau mécanisme dans la réponse intérimaire, adoptée en juin dernier, à la Recommandation 1266 (1995) relative à l'intervention militaire turque dans le nord de l'Irak et au respect par la Turquie des engagements concernant la réforme constitutionnelle et législative.
« Dans cette réponse, le Comité des Ministres a rappelé que la délégation turque avait joué un rôle actif et constructif dans la formulation des modalités de mise en oeuvre de la déclaration du Comité des Ministres de 1994.
« Je peux dire que le dialogue à ce sujet avec la Turquie se poursuit au sein du Comité des Ministres. À cet égard, vous vous rappellerez que le Secrétaire Général, le 24 juillet, après avoir reçu d'Ankara des informations détaillées, a déclaré que « les premières mesures de réformes constitutionnelles que vient d'approuver la grande assemblée nationale turque constituent un encouragement » tout en exprimant l'espoir que le processus qui semble désormais engagé « se poursuivra dès la rentrée parlementaire ».
« Le Comité des Ministres ne manquera pas de tenir l'Assemblée informée de l'évolution de la situation.
« Monsieur le Président, le fait que nous ayons, d'un commun accord, inscrit à notre ordre du jour du Comité Mixte de vendredi prochain un point sur la situation actuelle concernant le statut d'observateur auprès du Conseil de l'Europe est une indication de plus -comme votre débat élargi sur l'O.C.D.E. de jeudi prochain - du nouvel intérêt que suscite notre Organisation au-delà de notre continent. L'attitude du Comité des Ministres envers l'intensification de la coopération avec les États non européens se déclarant intéressés par des relations institutionnalisées sur la base de la Résolution statutaire (93) 26 est généralement positive. Toutefois, les débats se poursuivent en vue de parvenir à des décisions qui devraient pouvoir intervenir dans un avenir proche. La présidence jouera un rôle actif à cet égard.
« Enfin, Monsieur le Président, il est clairement nécessaire et logique que « les futures adhésions » demeurent à l'ordre du jour du Comité Mixte, eu égard notamment au débat que l'Assemblée consacrera cet après-midi à la reprise de la procédure concernant la demande d'adhésion de la Russie, et que je suivrai avec beaucoup d'attention.
M. Jean BRIANE, député (UDF) rappelle les termes de sa question ainsi rédigée :
Appelant l'attention du Président du Comité des ministres sur les problèmes posés par l'adoption du système des heures d'été et des heures d'hiver ;
Considérant que de nombreux inconvénients en résultent, entraînant de multiples perturbations qui affectent la vie économique, les catégories de population les plus fragiles : enfants, personnes âgées, malades et le monde agricole, particulièrement dans les régions d'élevage.
Demande au Président du Comité des ministres,
S'il compte appeler les États membres à décliner rapidement pour l'ensemble de l'Europe un ensemble de fuseaux horaires à partir du temps universel coordonné, tenant compte des particularités dimensionnelles de chaque pays et de sa situation géographique par rapport au méridien zéro.
M. ZIELENIEC . - L'honorable parlementaire se réfère, dans sa question, aux problèmes causés par l'introduction de l'heure d'été dans un grand nombre d'États de l'Europe. Il est communément admis que cette mesure, en vigueur dans bien des États depuis une trentaine d'années, permet de réduire la consommation d'électricité et favorise donc les économies d'énergie. Par contre, les avis divergent quant à l'ampleur de ces économies et aux inconvénients que le changement d'heure occasionnerait au rythme biologique des êtres humains, notamment des enfants et des animaux.
Le Conseil de l'Europe a eu l'occasion de se pencher sur ces questions en 1977, suite à l'adoption, par l'Assemblée, de la Recommandation 801. Les conclusions du comité ad hoc créé à cet effet, entérinées par le Comité des ministres en 1979, étaient qu'une action au niveau des experts gouvernementaux ne serait pas utile. Par ailleurs, l'harmonisation de l'heure d'été au niveau de l'Union européenne relève depuis 1980 de directives du Conseil, dont la plus récente, adoptée le 30 mai 1994, fixe les dates de début et de fin de l'heure d'été jusqu'en 1997.
Quant à la redéfinition des fuseaux horaires actuellement utilisés pour fixer l'heure par rapport au temps universel coordonné, le Comité des ministres n'est pas au courant d'éventuelles difficultés majeures éprouvées par les États membres à l'égard de la répartition actuelle, qui tient déjà compte de la dimension et de la situation particulières de chaque pays.
LE PRÉSIDENT donne la parole à M. Briane pour poser une question supplémentaire.
M. BRIANE. - « Monsieur le Président du Comité des ministres, votre réponse ne me satisfait pas pleinement. Je m'interroge toujours. Pourquoi vouloir modifier, par des dispositions artificielles, qui engendrent plus d'inconvénients qu'elles n'apportent de solutions, le bon fonctionnement de l'horloge du monde, de tout temps réglée et fonctionnant sur le système solaire ?
« Je le répète, le changement d'heure pose, parmi les peuples, beaucoup plus de problèmes qu'on ne le pense. À mon sens, l'argument de l'économie d'énergie est fallacieux. »
E. - Discours de M. Helmut Kohl et question de M. Jean Seitlinger, député (UDF). ( 28 septembre 1995. )
M. Helmut KOHL , chancelier de la République Fédérale d'Allemagne, s'adresse tout d'abord à M. Miguel Angel MARTINEZ en ces termes : « Monsieur le Président, je tiens tout d'abord à vous remercier très chaleureusement pour vos aimables paroles d'accueil, ainsi que pour votre engagement et votre action politique en faveur de l'Europe.
« L'Assemblée parlementaire ne s'est jamais limitée à une fonction purement consultative ; elle s'est toujours considérée aussi comme l'instigatrice et le moteur des activités du Conseil de l'Europe.
« J'ai plaisir à me souvenir de ma dernière visite à cette haute Assemblée, au printemps 1993, et à la discussion enrichissante d'alors. Je me réjouis aujourd'hui aussi de l'échange de vues intensif que nous allons mener, Mesdames, Messieurs les députés.
« Notre continent se trouve encore dans une phase de bouleversements et de mutations. La composition même de cette Assemblée témoigne de cette réalité. En effet, si le Conseil de l'Europe comptait vingt-sept membres il y a deux ans, il en compte maintenant trente-six. En ajoutant les délégations invitées, ce sont quarante-deux pays au total dont les représentants librement élus sont réunis ici.
« Je vous salue tous bien cordialement, et en particulier vous, les députés d'Europe centrale, orientale et du Sud-Est. Votre présence ici aujourd'hui constitue pour moi la preuve que nous avons déjà nettement progressé vers l'unité européenne.
« Il a été mis un terme à la partition contre nature de l'Europe et à celle de l'Allemagne. Dans quelques jours, le 3 octobre, nous fêterons le cinquième anniversaire de l'unité allemande qui a été pour nous. Allemands, un cadeau que nous a fait l'histoire.
« Tout ce qui se passe en ce moment dans mon pays et doit encore se passer à l'avenir exige de nous beaucoup de force, de courage et de compréhension mutuelle, car les quarante années durant lesquelles l'Allemagne a été divisée sont plus qu'une période quelconque. Il y a eu le mur, l'appartenance à deux univers politiques différents. Bon nombre d'expériences remontant à cette époque de division par la force sont gravées dans la mémoire des hommes.
« Ceux d'entre vous qui sont venus en Allemagne ces dernières années, dans les nouveaux Länder également, ont dû percevoir ces bouleversements. Et pourtant, malgré tous les soucis et tous les problèmes qui vont de pair, nous sommes sur la bonne voie.
« Je suis intimement persuadé que les habitants de notre pays parviendront à résoudre ensemble les énormes problèmes qui se posent dans les domaines économique et social. Pour cela, il faut de la patience. Et puis, pour parvenir à notre but, il faut que nous ayons du souffle.
« Mesdames, Messieurs, le Conseil de l'Europe est la plus ancienne institution qui regroupe tous les pays de l'Europe libre. Il symbolise mieux que toute autre institution l'unité européenne dans l'esprit des droits de l'homme, ce « génie européen » qu'évoquait le pape Jean-Paul II en 1988 dans son discours devant le Parlement européen ici à Strasbourg.
« Dans les décennies qui ont suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Conseil de l'Europe a déjà joué un rôle important dans la perspective de l'unification de notre continent. Ses membres fondateurs ont tenté à l'époque, en 1949, de tirer la leçon de l'histoire de ce XX e siècle dont ils avaient fait eux-mêmes tout personnellement la douloureuse expérience.
« Ils se rendaient bien compte que la paix et la réconciliation entre les peuples européens ne pouvaient être consolidées de manière durable que sur la base de l'ordre démocratique et du respect des droits de l'homme. Ce sont cet esprit et cette conviction qui ont depuis lors accompagné et déterminé l'action du Conseil de l'Europe.
« Vous veillez tout particulièrement au respect de ces valeurs également lors de l'adhésion de nouveaux membres, et c'est bien ainsi. Ce sont vos recommandations au Comité des ministres sur lesquelles s'appuient les décisions prises par le Conseil de l'Europe en matière d'adhésion.
« Par ailleurs, divers membres de l'Assemblée parlementaire ont pu fournir de précieuses impulsions en vue du développement des structures démocratiques de ces pays en voie d'adhésion au cours de rencontres et d'entretiens organisés dans ces mêmes pays. L'Assemblée parlementaire s'est donc acquittée de cette manière également de sa responsabilité particulière.
« Mesdames, Messieurs, il arrive que l'on qualifie l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe de « conscience démocratique » de l'Europe.
« Vous n'avez jamais eu peur de vous pencher sur des thèmes difficiles, de veiller au respect des critères élevés fixés par le Conseil de l'Europe et de vous faire dûment entendre lorsqu'il y était porté atteinte. Continuez, nous vous le demandons, de remplir avec beaucoup de force et d'énergie votre fonction de gardien et de défenseur de ces valeurs !
« Le travail effectué par le Conseil de l'Europe pour améliorer la protection des minorités mérite un éloge tout particulier. Qu'il me soit permis de mentionner ici en tout premier lieu l'accord-cadre destiné à garantir pour la première fois, au plan du droit international, une protection efficace des droits et des libertés des minorités.
« Combien de souffrances et de misère auraient pu être épargnées à bien des êtres humains en Europe si ce document élaboré par vous avait existé dès le début du siècle !
« Par ailleurs, il s'agit de renforcer le Conseil de l'Europe dans son ensemble. Dans ce contexte, je pense aux instruments de protection prévus par la Convention européenne des Droits de l'Homme, à une nouvelle amélioration de la protection des minorités et, de concert avec l'Union européenne, à des mesures de lutte résolues contre les tendances racistes, antisémites et xénophobes.
« Mesdames, Messieurs, leur appartenance au Conseil de l'Europe constitue pour nos partenaires d'Europe centrale, orientale et du Sud-Est un pas important vers une pleine intégration dans la communauté de droits et de valeurs européenne.
« À ce propos, je me réjouis de vos recommandations en faveur de l'adhésion de la Macédoine et de l'Ukraine.
« L'un des grands défis des années à venir sera d'associer également la Russie de plus en plus à l'organisation de l'avenir européen, et ce, dans les domaines de la politique, de la sécurité, de l'économie et de la culture. Le conflit qui a opposé l'Est à l'Ouest durant des décennies a fait oublier à beaucoup d'entre nous que la Russie fait partie de l'Europe non seulement au plan géographique mais aussi de par son histoire et sa culture. Je me félicite donc expressément de votre décision de réinscrire à l'ordre du jour du Conseil de l'Europe la question de l'adhésion de la Russie.
« Je me permets de signaler en passant que le Conseil de l'Europe a également coopéré par le passé avec des pays extérieurs à l'Europe qui respectent et défendent ses principes.
« Je plaide pour que nous examinions tous ensemble au sein du Conseil de l'Europe les possibilités de développer et d'approfondir à l'avenir ces relations, en particulier avec les États-Unis d'Amérique.
« Mesdames, Messieurs, dès le début, le Conseil de l'Europe a considéré que sa mission consistait également à maintenir et à cultiver l'idée de l'unité culturelle de l'Europe.
« Les questions économiques jouent certes un rôle essentiel pour l'unification de notre continent, mais j'ai toujours insisté sur le fait qu'il serait dangereux de perdre de vue la dimension culturelle du processus d'unification européenne.
« Sa culture commune est en effet le lien le plus fort qui unisse l'Europe et qui l'unira à l'avenir. Nous devrions mettre à profit dans ce domaine les expériences que nous ont permis d'acquérir quarante ans de coopération culturelle.
« Notre objectif doit être de mener une coopération à l'échelle de l'Europe entière dans des domaines importants, tels que la formation scolaire et universitaire, les échanges dans le secteur des arts plastiques et la conservation de notre patrimoine culturel.
« L'identité culturelle de l'Europe se reflète aussi et surtout dans sa diversité linguistique. Aux deux langues officielles pratiquées depuis la fondation du Conseil de l'Europe devraient venir s'ajouter les langues les plus couramment utilisées en Europe. L'allemand en fait parti. C'est pourquoi la reconnaissance de l'allemand comme langue officielle également au sein du Conseil de l'Europe demeure un objectif important de mon gouvernement.
« Mesdames, Messieurs, rien de ce qui importe pour l'avenir de nos enfants et de nos petits-enfants ne peut aujourd'hui et ne pourra demain être atteint et géré par un pays agissant seul, quel que soit ce pays. Nul ne peut ne pas s'en rendre compte, même si la voie choisie dans le détail fait encore l'objet de controverses.
« Nous devons faire face à de grands défis. En effet, la lutte contre le chômage et la consolidation du site économique européen, de même que l'amélioration de la protection de l'environnement et la lutte contre la criminalité transnationale sont des domaines qui exigent de l'Europe une coopération efficace et une action commune.
« Comme on pouvait déjà pressentir, en 1949, certaines de nos préoccupations actuelles, elles figurent comme questions d'intérêt commun dans le Statut du Conseil de l'Europe. Les visionnaires de jadis s'avèrent donc être les réalistes de notre époque !
« Sans le Conseil de l'Europe, la Communauté européenne - qui est aujourd'hui l'Union européenne - n'aurait pas pu être instaurée.
« Mesdames, Messieurs, la conférence intergouvernementale de l'Union européenne débutera l'année prochaine. Elle aura pour tâche de décider de la marche à suivre en Europe et de son destin. D'ordinaire, les chances historiques mettent longtemps à se représenter, si tant est qu'elles se représentent. D'où la nécessité de connaître l'enjeu.
« Nous avons deux options : unifier l'Europe maintenant ou attendre. Je ne crois pas que la chance de voir l'Europe unifiée se représentera dans un avenir prévisible si nous la laissons passer aujourd'hui. C'est maintenant qu'il nous faut agir !
« Nous faisons face aujourd'hui - cinq ans avant le début du XXI e siècle - à des défis et à des tâches qui détermineront le "visage", de l'Europe future.
« Pour que cette conférence aboutisse, il faut aussi que nous ayons constamment à l'esprit ce qui, pour nous, caractérise vraiment l'Europe unie et que nous nous entendions sur ce point.
« Dans le Traité de Maastricht, il est question d'une "conscience européenne" et de l'"identité" de l'Europe et de l'Union européenne.
« Dans le grand débat actuel sur l'Europe, il est question finalement de ces notions cruciales. Plus l'ouverture d'extraits marquera ce débat, plus le résultat en sera enrichissant.
« Mesdames, Messieurs, nous voulons développer avec nos régions voisines de l'Est et du Sud des relations étroites et partenariales. Notre avenir dépend en effet aussi de leur stabilité économique et politique.
« L'Union européenne a conclu ou préparé avec ses partenaires d'Europe centrale, orientale et du Sud-Est des accords dotés d'une perspective d'adhésion. Néanmoins, il n'y aura pas d'adhésion automatique. Chacun des candidats devra en définitive remplir les conditions nécessaires à son adhésion.
« Les progrès réalisés dans la restructuration au plan intérieur et la modernisation contribuant, plus que toute autre chose, à décider de l'adhésion des pays nouvellement associés et de la date de cette adhésion, ils auront eux aussi d'une certaine façon les choses en main.
« Le cours des réformes est le cours de l'Europe et il n'est pas question de prendre des raccourcis !
« Mesdames, Messieurs, nous voulons continuer de développer un système de sécurité paneuropéen en préparant l'élargissement de l'O.T.A.N. vers l'Est tout en instaurant un partenariat privilégié avec-la Russie et l'Ukraine.
« Il y a bientôt cinq ans, nous signions la Charte de Paris. Je trouve affligeant de voir que nous. Européens, ne sommes pas encore capables de faire appliquer partout sur notre continent les principes qu'elle contient. En effet, la haine entre les peuples et les religions n'a toujours pas disparu, pas plus que la persécution des minorités ethniques et religieuses.
« Les images barbares de souffrance et de mort qui nous parviennent tous les jours de l'ex-Yougoslavie, et les morts, les blessés et les réfugiés - voilà l'une des grandes tragédies de notre époque. Les chances qui s'offrent aujourd'hui de mettre fin à la guerre doivent être saisies.
« Nous ne devons en aucun cas relâcher nos efforts visant à instaurer partout en Europe la paix et la liberté - les deux étant indissociablement liées.
« Mesdames, Messieurs, l'Europe a besoin, plus que jamais, d'un esprit de dialogue qui dépasse les frontières entre les confessions et les religions. Il s'agit pour ainsi dire d'édifier un pont oecuménique reliant les monastères et les chapelles irlandaises aux églises et aux cathédrales de Kiev et de Moscou.
« Nous devons conserver notre héritage européen, notre culture qui s'est développée au fil des siècles. Notre culture, ce ne sont pas seulement les chefs-d'oeuvre de la littérature, de la musique ou de la peinture, ni nos monuments historiques uniques.
« Ce qui importe avant tout à nos yeux, c'est l'esprit qui anime ces oeuvres d'art et qui fait toute leur grandeur et leur beauté, par-delà le temps et l'espace, cet esprit empreint de la philosophie antique et humaniste, du rationalisme des lumières et, bien entendu, surtout, du christianisme.
« L'idée européenne est née de la prise de conscience de ces origines communes. Elle n'est ni compréhensible ni réalisable sans le système de valeurs que nous avons adopté.
« Ce système de valeurs se base sur l'unicité de l'homme, ainsi que sur le respect de la vie, de la dignité humaine et des libertés individuelles.
« Mesdames, Messieurs, depuis cinquante ans nous vivons en Europe occidentale dans la paix. Pour mon pays, c'est la plus longue période de paix qu'il ait connue dans son l'histoire moderne. Le voeu de Konrad Adenauer, qui était de vivre dans la paix et l'amitié avec tous nos voisins, s'est réalisé.
« Les cérémonies commémoratives qui ont eu lieu à l'occasion du cinquantième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale au printemps dernier ont montré clairement que l'écrasante majorité d'entre nous sommes prêts à tirer les enseignements nécessaires du passé.
« Dans cet esprit, nous dédions nos pensées et notre action à l'avenir d'une Europe unie et pacifique. Jamais, pourtant, nous ne pourrons en faire assez pour nous empêcher de retomber dans les pièges du passé.
« En effet, il faut bien le dire, le spectre du chauvinisme et de l'intégrisme ne rôde pas seulement dans les Balkans et de l'autre côté de la Méditerranée. Pour maintenir la paix, il nous faut rendre irréversible la voie qui mène à une Europe unie.
« Notre maison européenne devra pouvoir résister aux intempéries et être couverte d'un toit solide ; elle devra permettre à tous les Peuples d'Europe de se loger à leur convenance et accorder à nos amis américains et canadiens un droit d'habitation illimité.
« Nous voulons l'unification politique de l'Europe, Mesdames, Messieurs. Il est donc hors de question pour nous d'envisager la formation d'une sorte de zone de libre-échange améliorée, telle que le font certains.
« Il est fréquent, c'est vrai, d'entendre dire que la construction européenne n'avance pas, que les citoyens sont sceptiques et las. C'est méconnaître l'extraordinaire chemin que nous avons parcouru depuis ces jours lointains, il y a de cela cinquante ans. Nous ne devrions pas permettre à la pusillanimité et au doute d'entraver notre progression. Moi, je crois à l'Europe.
« Les peuples qui habitent notre continent sont fort différents. C'est un fait. Mais ce sont précisément ces différences qui offrent aussi la possibilité d'unir ce qu'ils ont de meilleur. Le secret de la force demeurée intacte de l'Europe réside en effet dans la richesse du rapport entre l'unité et la diversité vivante de notre patrimoine culturel.
« Nous devons mettre à profit cette richesse en biens culturels et intellectuels ; c'est l'un des piliers de la créativité humaine et, par conséquent, de la réussite économique et politique.
« Notre vision de l'Europe, c'est l'unité dans la diversité. La trilogie "terre natale-patrie-Europe" déterminera l'avenir des peuples européens.
« Une chose est sûre : notre avenir ne pourra être prospère que si nous agissons ensemble. Ensemble, nous voulons démontrer infatigablement à nos peuples que l'effort fourni en vaut la peine si nous voulons parvenir à réaliser notre objectif suprême : un avenir sûr et heureux dans une Europe unie.
« Nous devons penser en particulier à nos jeunes. Car c'est de leur avenir qu'il s'agit. C'est pour eux que nous tenons à concrétiser notre vision d'une Europe unie, cette Europe dont ils ont besoin pour vivre durablement dans la paix et la liberté.
« Sachons nous montrer, nous Européens, à la hauteur de cet effort ! Ne nous lassons jamais de lutter et d'oeuvrer pour une Europe unie dans la liberté, pour le bien de nos enfants, de nos petits-enfants et de toutes les générations futures. »
M. Jean SEITLINGER député (UDF) a interrogé le Chancelier KOHL en ces termes :
« Monsieur le chancelier, ma question concerne nos relations avec la Fédération de Russie. Nous avons, il y a deux jours, décidé de mettre un terme au gel provisoire de la procédure de demande d'adhésion de la Fédération de Russie et de reprendre le processus d'adhésion. Certes, vous vous êtes déjà exprimé de manière très claire à ce sujet et votre point de vue nous est connu - personnellement je le partage.
« Cependant, j'aimerais savoir si vous estimez qu'il est de l'intérêt de la Russie et de l'Europe tout entière que ce grand pays devienne prochainement membre de notre Organisation. Pensez-vous qu'il s'agit là d'une contribution importante, voire décisive à la stabilité et à la paix en Europe ? »
M. Helmut Kohl répond à un parlementaire polonais qu'il ne croit pas possible d'inviter les pays de l'Europe centrale et orientale à la conférence intergouvernementale de l'Union. Mais il veille dès à présent à ce qu'ils soient largement informés.
L'accord avec Gorbatchev a donné lieu à un malentendu. Quand M. Kohl s'est rendu à Moscou, personne ne pensait que l'Union soviétique allait s'effondrer.
En 1990, il n'était pas encore question d'une extension de l'O.T.A.N. telle qu'on l'envisage aujourd'hui. Seules l'unification de l'Allemagne et la possibilité de déployer des forces allemandes dans l'Allemagne de l'Est ont été abordées. Il est vrai que l'élargissement de l'O.T.A.N. provoque des dissensions avec Moscou, et même avec l'Ukraine, à propos de la Pologne essentiellement. La Russie ne deviendra pas membre de l'O.T.A.N., mais pourrait signer des traités qui apaiseraient certainement toutes les craintes. Le moment est mal choisi de discuter de ces problèmes, vu l'approche d'élections législatives et présidentielles. Mais comme il n'y a aucune urgence, le climat sera plus favorable d'ici un an.
Ce sera également le cas pour régler la question des États baltes, qui revêt une importance particulière pour les Allemands. Ceux-ci éprouvent un sentiment de culpabilité pour les avoir vendus à Staline. Ils sont de ce fait très motivés actuellement pour prendre la défense de leur liberté.
L'O.T.A.N. de 1995 s'est considérablement modifiée et ne ressemble plus en rien à celui de 1985. En 1982, lorsque M. Kohl est devenu chancelier, la question à l'ordre du jour de l'O.T.A.N. était le déploiement des missiles. En été 1988, il y a sept ans à peine, le chancelier Kohl s'est fermement opposé à l'installation en Allemagne de nouveaux missiles à courte portée, dirigés vers l'Europe de l'Est. Ces missiles sont aujourd'hui totalement dépassés. Il faut envisager une nouvelle O.T.A.N., qui ait des liens spécifiques avec la Russie.
Le chancelier Kohl dit avoir entendu tellement de propos aimables ce matin qu'il a parfois le sentiment d'être déjà mort et d'assister à une séance d'hommages. Dès la fin de ses études, il a fait sienne la devise que développait alors Konrad Adenauer, à savoir que l'unité allemande et l'unité européenne sont les deux faces d'une même médaille.
La conférence intergouvernementale doit se terminer à la mi-1997. Elle est condamnée au succès. Dans le deuxième semestre de 1997, sous la présidence luxembourgeoise, il faudra impérativement y mettre la dernière main et ce ne sera pas chose facile.
S'agissant de l'élargissement, il a été prévu que la discussion concernant Malte serait ouverte six mois après la fin de la conférence intergouvernementale, donc pour la fin 1997. Le chancelier estime que les négociations peuvent se faire dès qu'un pays concerné s'est doté des structures adaptées et il pense dès lors que de nouvelles négociations auront lieu vers la fin du millénaire, mais il ne peut émettre un calendrier précis. En tout état de cause, il ne pourra être question de faire des paquets pour l'adhésion des pays d'Europe centrale et orientale. Chaque décision devra être prise au cas par cas.
M. Helmut KOHL répondant à divers orateurs, ajoute que sa venue à Strasbourg est un message d'optimisme et qu'il est incapable de comprendre le pessimisme de certains. Au début de sa carrière de chancelier, la guerre froide et les questions militaires étaient prédominantes. Aujourd'hui, il discute avec Boris Eltsine pour éliminer réellement, et non sur papier, les armes les plus terribles. Il ne s'est passé que dix ans. À cette époque, le Conseil de l'Europe rêvait-il d'être ce qu'il est devenu ? Le chancelier se demande quel message d'espoir il pourrait donner. Il suffit de regarder l'Assemblée parlementaire pour être optimiste pour l'avenir. Le crépuscule de l'Occident est un leurre.
Certes, rien n'est acquis définitivement. Il convient toutefois de rester réaliste. Le chancelier rappelle que le Président Martinez a vécu des années dures sous la dictature et qu'il est aujourd'hui Président de cette Assemblée. La route est parfois difficile et longue. Le cours de l'Histoire ne se modifie pas en trois ou quatre ans. Le chancelier pense cependant que l'Europe a de bonnes cartes en main.
Personne ne s'imaginait que Eltsine accueillerait l'O.T.A.N. les bras ouverts. Il convient de rétablir la compréhension et la confiance réciproque et d'accueillir dans l'O.T.A.N. ceux qui le souhaitent, sans forcer les autres. Le mieux serait de signer des accords militaires avec les pays qui ne désirent pas participer à l'O.T.A.N.
Quant à un déséquilibre possible, provoqué par l'Union économique et monétaire, le chancelier avoue ne pas comprendre. Ceux qui pensent qu'une union politique est possible sans une union économique et monétaire sont des rêveurs. En réalité, ils cherchent à saboter ainsi une union plus poussée. Le chancelier ne voit pas en quoi une union économique diminuerait la démocratie. Au contraire, en permettant une diminution des endettements nationaux et une maîtrise des inflations, cette politique sera conforme avec la conception européenne de la démocratie.
Il est indispensable de faire pression sur certains pays pour qu'ils se plient à la discipline commune et il n'y a là aucune menace pour la démocratie. Au contraire, si chacun se plie aux critères de convergence, l'Europe y gagnera en stabilité sociale et en compétitivité face à l'Asie. Il en est en ce domaine comme en matière d'éducation : élever un enfant implique de lui imposer certaines contraintes et le chancelier, qui dit avoir été un élève moyen, aurait sans doute moins bien réussi sans ce minimum de discipline.
En ce qui concerne l'adhésion de la Turquie à l'union douanière, l'orateur s'est trompé d'interlocuteur. C'est aux Turcs eux-mêmes de voir ce qu'ils ont à faire, en particulier pour améliorer leur situation intérieure. Cela étant, les Allemands sont tout à fait favorables à cette union : Berlin est aujourd'hui la quatrième ou cinquième ville turque et les travailleurs originaires de ce pays sont nombreux en Allemagne, où ils jouissent d'une excellente réputation de travailleurs. Le problème kurde a cependant des répercussions parmi eux et les compatriotes du chancelier accueilleront donc avec plaisir tout ce qui sera fait pour réduire les tensions.
Quitte à surprendre, le chancelier déclare que, selon lui, la politique agricole commune gagnera à ce que l'union monétaire se fasse rapidement. Les confédérations agricoles allemandes l'ont du reste compris.
Il ne faut pas faire peser sur les agriculteurs la responsabilité ou les conséquences des erreurs commises dès le lancement de cette politique mais, pour en avoir discuté avec les intéressés, le chancelier est convaincu que la raison finira par l'emporter. Chacun devra faire un effort : si l'on envisage l'adhésion de la Pologne à l'Union européenne par exemple, ce n'est pas uniquement pour avoir davantage de foie gras à Noël ! Il faudra bien faire une place aux petits paysans polonais, et donc procéder à des adaptations.
Le chancelier est surpris qu'il y ait encore débat sur le calendrier de l'union économique et monétaire : le traité a fixé clairement les échéances et l'Allemagne, en tout cas, refusera que l'on modifie les critères posés. Il serait d'autre part déraisonnable de décourager certains pays en leur annonçant dès maintenant qu'ils n'ont aucune chance de parvenir aux résultats demandés. À l'époque où triomphait une prétendue « eurosclérose », on traitait le chancelier de doux rêveur, mais le Marché unique a été réalisé. L'Europe progresse rarement en ligne droite, mais s'il faut faire des détours pour surmonter les nouveaux obstacles qui se présentent, eh bien on le fera et on atteindra l'objectif.
En 1925, lorsque le prix Nobel a été attribué à Briand et à Stresemann après la signature du traité de Locarno, Français et Allemands auraient été surpris si on leur avait annoncé que, quinze ans plus tard, ils seraient à nouveau en guerre. Pourtant Mussolini dirigeait déjà l'Italie. Même si l'histoire ne se répète pas, certains scénarios peuvent grosso modo se reproduire. Mais ce qui a marqué la contribution de l'Europe à l'Histoire, ce sont les progrès qu'elle a fait faire à la civilisation, et non les guerres. Dans cinq ans commencera le troisième millénaire et les Européens de 1995 ne redoutent pas la fin du monde comme le faisaient, dit-on, leurs ancêtres de 1995. En tout cas, à soixante-cinq ans, le chancelier a le sentiment que la vie vaut toujours la peine d'être vécue.
Le chancelier remercie encore l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe pour lui avoir fourni l'occasion de ce dialogue.
M. Kohl ne croit pas se montrer désinvolte en affirmant que le monde ne court pas à la catastrophe. À l'aube du troisième millénaire, il reste encore beaucoup de chances à saisir, beaucoup plus que n'en avaient à leur disposition les générations précédentes - en 1947 et alors même qu'on jouait au théâtre une pièce intitulée : « Nous nous en sommes tirés », l'Allemagne a battu un record de suicides. Mais le monde a changé et deux tiers des Allemands actuels sont nés après la chute du nazisme et il n'y a donc aucune raison de se laisser aller à la résignation !