B. LES INTERROGATIONS SOULEVÉES PAR L'USAGE DES FONDS STRUCTURELS
1. A-t-on surestimé les fonds structurels ?
L'augmentation du volume financier mis au service de la politique structurelle ne se justifie que par l'efficacité des actions entreprises et par l'utilisation effective et pertinente des fonds disponibles. Or, sur ces deux aspects, les premières constatations ne sont pas convaincantes.
a) Peut-on mesurer l'efficacité économique de l'action structurelle communautaire ?
Une appréciation délicate
Mesurer l'efficacité des politiques structurelles reste un exercice
difficile : s'il est aisé de comparer, en début et en fin de
période, des statistiques économiques, il est délicat
d'apprécier la part effective prise par l'action communautaire dans
certaines évolutions positives. Plus encore, comment estimer de
manière objective l'amélioration de l'environnement ou la
formation des populations qui font également partie de l'objectif de
cohésion économique et sociale ?
Le rapport du Parlement européen, en date du 19 octobre 1995, sur
le cinquième rapport annuel de la Commission relatif à la mise en
oeuvre de la réforme des fonds structurels en 1993 fait montre de la
même perplexité en reconnaissant tout à la fois que
"
les fonds structurels devraient contribuer au rapprochement des
régions et que, néanmoins, des différences notables
persistent entre les régions riches et pauvres en dépit
d'importantes aides financières
", puis que si
"
trois
des quatre Etats membres les moins développés de l'Union ont
enregistré, au cours de la période 1988-1993, un taux de
croissance nettement supérieur à la moyenne communautaire (...),
une évaluation fondée exclusivement sur le PIB se
révèle insuffisante
".
En se bornant à une approche objective, on observe les effets les plus
perceptibles de l'intervention communautaire dans les régions de
l'objectif 1 où les sommes engagées sont les plus importantes et,
pour une large part, consacrées à des infrastructures par
définition plus " visibles ".
On peut estimer que l'intervention structurelle suscite un premier effet direct
d'augmentation du revenu régional du fait de l'investissement
réalisé, puis un effet induit résultant de l'utilisation
des ressources supplémentaires ainsi dégagées.
Ce mécanisme comporte par ailleurs des conséquences non
négligeables sur les économies des régions non
bénéficiaires. En contribuant, par le biais des fonds
structurels, au développement des régions
défavorisées, les régions les plus avancées en
recueillent elles-mêmes certains avantages : on estime par exemple que
1/5
è
à 1/3 des sommes ainsi investies leur reviennent
sous forme de vente de savoir-faire ou de fourniture de matériel.
Le dispositif, dans son ensemble, a donné jusqu'ici des résultats
inégaux mais parfois encourageants.
Des résultats contrastés
- En termes de croissance
La croissance du PIB de la Communauté a été de 1,7 %
en moyenne annuelle sur la période 1989-1993. Les résultats
obtenus en Espagne et au Portugal -respectivement 2,4 % et 2,3 %-
sont supérieurs à la moyenne communautaire.
De même, au regard des critères fixés par le Traité,
les excellents résultats obtenus par l'Irlande -notamment un taux de
croissance annuel de 4 % sur la période 1991-1994- en font un des
Etats membres les mieux placés pour adhérer à l'Union
économique et monétaire, bien que le taux de chômage y
demeure important.
En revanche, la Grèce et même l'Italie n'ont pas rattrapé
leur retard par rapport à la moyenne communautaire.
- En termes d'emploi
L'appréciation de l'effet des fonds structurels sur le niveau d'emploi
est plus encore approximative puisque, au cours de la période de
référence, la situation de l'emploi s'est dégradée
dans la majeure partie des Etats membres à l'exception du Portugal.
- En termes de convergence des critères économiques
La Commission européenne a appliqué pour la première fois,
en juin 1996, les dispositions du Fonds de cohésion prévoyant que
ce financement spécifique pourrait être suspendu si les pays
bénéficiaires ne respectaient pas les objectifs fixés par
le Conseil en matière de réduction des déficits excessifs.
Parmi les quatre Etats éligibles, seule l'Irlande ne présentait
pas, en 1995, de déficit excessif ; le Conseil avait fixé
aux trois autres Etats des objectifs de réduction à respecter
pour l'année écoulée : ceux-ci ont été
atteints, voire dépassés, autorisant de ce fait la poursuite des
versements.
|
Déficit en 1995 |
Objectifs dans le programme national de convergence |
Espagne |
5,8 % |
5,9 % |
Grèce |
9,2 % |
10,7 % |
Portugal |
5,4 % |
5,8 % |
- L'estimation de la Commission pour la période
à venir
Dans son sixième rapport annuel sur les fonds structurels pour 1994, en
date du 14 décembre 1995, - le premier portant sur la nouvelle
période de programmation -, la Commission s'efforce de répondre
à l'exigence renforcée d'appréciation, de suivi et
d'évaluation des interventions communautaires imposée par
l'article 31 du règlement (CEE) n° 4253/88.
Jusqu'alors aucun
bilan complet de la mise en oeuvre des fonds structurels n'avait
été effectué
, les rapports annuels consistant
uniquement en un état d'exécution budgétaire et une
description des activités des fonds par objectif et par Etat membre.
Le rapport annuel pour 1994 présente une appréciation ex ante des
interventions au titre des différents objectifs afin d'en
déterminer l'impact économique et d'isoler les effets
spécifiques relevant des contributions communautaires. Il
considère ainsi que "
l'effort de la Communauté à
travers les politiques structurelles sera considéré comme un
succès lorsque, entre autres, les régions concernées
auront un taux de croissance supérieur à celui de la moyenne
communautaire et si leur structure économique s'oriente vers des
secteurs plus innovants et compétitifs
".
Pour la période 1994-1999, la Commission estime que les Etats couverts
par l'objectif 1 - à l'exclusion de l'Italie - devraient connaître
une croissance supérieure à la moyenne communautaire, notamment
l'Irlande, le Portugal et l'Espagne. Elle apprécie en outre la part
assurée par le financement communautaire dans le différentiel
à 25 % pour la Grèce, 17,2 % pour le Portugal et 16,7 % pour
l'Espagne. L'avenir confirmera -ou non- ces perspectives positives.
b) A-t-on surabondé les fonds structurels ?
L'observation d'une sous-utilisation importante des
crédits des fonds structurels par les Etats membres pose la question du
juste " calibrage " des subventions et de la pertinence de
leur
répartition entre les différents objectifs.
La sous-consommation des crédits par les Etats membres
Le rapport annuel de la Cour des Comptes relatif à l'exercice 1994
(9(
*
))
fait état d'un taux de
paiement assez faible puisque limité à 74,65 % pour les
fonds structurels, dont 41,23 % pour les initiatives communautaires et
52,54 % pour le fonds de cohésion.
En termes d'engagement, les résultats sont tout aussi médiocres,
notamment pour les crédits des initiatives communautaires qui n'ont
été engagés qu'à hauteur de 12,92 %.
En outre, la répartition mensuelle des engagements et des paiements
effectués par la Commission montre une dégradation continue de
régularité et une concentration accentuée en fin
d'exercice budgétaire : 67 % des montants engagés et
53 % des montants payés l'ont été au cours du dernier
trimestre 1994 contre respectivement 54 % et 48 % pour l'exercice
précédent.
Globalement, les crédits inutilisés à fin 1994
s'élevaient à 1,7 milliard d'écus en crédits
d'engagement et 4,2 milliards d'écus en crédits de paiement. Ces
fonds ont été rebudgétisés pour chacune des deux
années 1996 et 1997.
Dans ce contexte, il convient de rappeler la résolution du Parlement
européen, adoptée le 17 avril 1996, relative à l'octroi de
la décharge pour 1994, dans laquelle la Commission est instamment
invitée à
" réajuster sa pratique en
matière d'application des fonds structurels de manière à
permettre une exécution plus cohérente et plus efficace de la
politique structurelle de l'Union européenne
".
Cette situation va perdurer puisque, d'après la Commission, 46 %
seulement des mandatements prévus en 1995 auraient été
effectués. Plus généralement se pose le problème de
l'absorption des crédits d'ici la fin de la période de
référence. La charge du passé aurait ainsi augmenté
de 15 milliards d'écus en 1993 à 23 milliards
d'écus en 1995.
Diverses explications sont apportées pour justifier ces retards,
notamment par la Cour des Comptes qui constate que "
les structures
nationales n'ont pas toujours été adaptées aux
nécessités de la gestion d'un nombre croissant de programmes. Aux
retards dans la clôture et le démarrage des activités
s'ajoute la difficulté pour les services des Etats membres de suivre les
actions sur le terrain, toute leur activité étant en fait
absorbée par l'exécution des procédures et la tenue de
documentation.
"
Pour sa part, la Commission
(10(
*
))
ne considère préoccupant que le faible niveau d'engagement des
initiatives communautaires qu'elle explique par la répartition tardive
des crédits par Etat membre échelonnés entre juillet et
décembre 1994, laissant un temps très court pour la
préparation des programmes et leur mise au point définitive dans
le cadre du partenariat.
EXÉCUTION BUDGÉTAIRE DES ACTIONS ET DES FONDS STRUCTURELS AU COURS DE L'EXERCICE 1994
|
Crédits (budget définitif) |
Exécution |
Taux d'exécution |
ENGAGEMENTS
|
3.301,5 |
3.300,4 |
99,97 % |
IFOP |
379,9 |
379,8 |
99,97 % |
FEDER |
9.769,4 |
9.727,7 |
99,57 % |
FSE |
5.841,2 |
5.564,3 |
95,26 % |
Initiatives communautaires |
1.949,1 |
251,9 |
12,92 % |
Mesures transitoires |
305,9 |
244,4 |
79,90 % |
Sous-total fonds structurels |
21.547 |
19.468,5 |
90,35 % |
Fonds de cohésion |
1.853,1 |
1.853,1 |
100 % |
Autres actions |
267,7 |
264,7 |
98,85 % |
TOTAL |
23.667,9 |
21.586,2 |
91,20 % |
PAIEMENTS |
|
|
|
Féoga-Orientation |
2.778,9 |
2.498,9 |
89,93 % |
IFOP |
537 |
395 |
73,56 % |
FEDER |
8.087,4 |
6.410,8 |
79,27 % |
FSE |
5.454,1 |
4.144,8 |
76 % |
Initiatives communautaires |
2.059,4 |
849,2 |
41,23 % |
Mesures transitoires |
487 |
319,7 |
65,65 % |
Règlement (CEE) n° 3575/90 (1) |
416 |
176,8 |
42,51 % |
Sous-total fonds structurels |
19.819,8 |
14.795,3 |
74,65 % |
Fonds de cohésion |
1.743,4 |
916 |
52,54 % |
Autres actions |
411,7 |
254,6 |
61,86 % |
TOTAL |
21.974,8 |
15.966 |
72,38 % |
(1) Règlement modifiant le règlement n°
357/79 du Conseil, du 5 février 1979, concernant les enquêtes
statistiques sur les superficies viticoles.
On peut également supposer que les coupes budgétaires
générales dictées par l'exigence d'économies
limitent les subventions nationales qui conditionnent le déblocage des
fonds européens en vertu du principe d'additionnalité. Dans ce
contexte la tendance à la sous-consommation des crédits ne
devrait pas s'inverser dans la perspective de l'Union économique et
monétaire et de ses contraintes de rigueur économique.
La sous-consommation française
La négociation de la seconde phase des aides structurelles pour
l'objectif 2 (aides aux régions confrontées au déclin
économique) a été l'occasion pour la Commission de
critiquer, à plusieurs reprises, la manière dont la France
utilisait les fonds qui lui étaient affectés.
Il a en particulier été reproché à la France la
sous-consommation des crédits auxquels elle pouvait prétendre au
titre des
objectifs 1, 2 et 5b
; le retard est
particulièrement important au titre de l'objectif 2, dont la
première phase s'achève cette année.
Ainsi, à fin 1995, 1,5 milliard de francs de crédits
d'engagement et 2,5 milliards de francs de crédits de paiement du
FEDER sont restés inemployés, faute de projets suffisamment
élaborés. Ces retards seraient imputables à des
difficultés techniques liées aux délais excessifs pris
lors de la phase de programmation : en effet, celle-ci ne s'est
achevée qu'à mi-1994 pour l'objectif 1 et fin 1994 pour
l'objectif 2. De même, on a constaté des délais
anormalement longs pour la prise de décisions par les autorités
administratives compétentes, notamment en Corse, seule région
métropolitaine intégralement couverte par l'objectif 1.
Dans certaines régions, les crédits pour 1995 ne sont pas encore
engagés, ce qui ne manque pas de poser aux collectivités locales
des difficultés lorsqu'elles ne disposent pas d'autres moyens de
financement. En effet, la dégradation des finances publiques nationales
a conduit l'Etat à réduire massivement ses subventions aux
investissements des collectivités locales.
Pour d'autres motifs, on observe également une sous-utilisation des
fonds accordés au titre de
l'objectif 4
(adaptation des
mutations industrielles) pour cause de pénurie de projets : il n'a
été effectivement dépensé que 20 % des
crédits disponibles, soit 26 millions d'écus sur les
110 prévus.
Pour cette raison, la Commission européenne a accepté que les
crédits non consommés sur la période 1990-1994 puissent
être reportés jusqu'en 1999 : la France disposera donc chaque
année d'un milliard de francs du FSE au titre de l'objectif 4, sans
que l'on sache si elle sera en mesure d'affecter à ces actions une somme
aussi importante.
Cette sous-consommation viendrait du fait que le DOCUP français
objectif 4 n'aurait été adopté que tardivement par la
Commission, en décembre 1994, et que le caractère novateur de cet
objectif poserait des difficultés de mise en oeuvre -observées
d'ailleurs dans d'autres Etats membres-. On peut également avancer que
l'information des collectivités locales n'a pas été
suffisante pour motiver la présentation de dossiers, sachant que le
DOCUP français objectif 4 prévoit un financement des projets
par tiers FSE - fonds privés - fonds publics.
En tout état de cause, cette situation renforce les critiques
avancées sur l'utilisation des crédits européens par la
France.
Elle pose également le problème du sort à réserver
aux crédits qui, le cas échéant, se trouveraient
inemployés au terme de la période de
référence : doit-on envisager de les redéployer sur
d'autres objectifs ou de les restituer à la Commission ? Ne peut-on
réviser les montants afin de dégager des économies
permettant de réduire la contribution des Etats membres ?