C. péréquation, fonds, aides
INTERVENTION DE M. ALAIN LAMASSOURE,
MINISTRE
DÉLÉGUÉ AU BUDGET
M. Alain Lamassoure, ministre
délégué au budget
.- Monsieur le Président,
c'est avec beaucoup de plaisir et surtout de modestie que j'ai accepté
votre invitation, car je suis un élu local de très fraîche
date, étant adjoint d'une commune et président d'un petit
district urbain...
Je voudrais évoquer comme vous m'y invitez les aspects financiers de la
réforme, et notamment ses trois volets : la mise en place de la
création de nouveaux instruments financiers, tels qu'ils étaient
prévus notamment par la loi du 4 février 1995 ; la mise en place
des aides fiscales prévues pas la même loi et le problème
essentiel et délicat de la péréquation des ressources
entre les collectivités locales...
Le point de départ des réflexions du Quai de Bercy est
évidemment la situation budgétaire de notre pays, qui conditionne
tout le reste.
C'est à la bataille de Marengo que Bonaparte avait failli perdre,
l'artillerie ne s'étant pas déclenchée à temps.
Après la bataille, Bonaparte demande à Drouot pourquoi
l'artillerie n'a pas donné. Drouot répond : "Pour plusieurs
raisons. La première, c'est que nous n'avions pas de boulets !".
Naturellement, cette seule raison dispensait d'en donner d'autres !
Notre premier problème, c'est que nous n'avons pas de boulets ! En 1990,
le déficit des administrations publiques au sens large -Etat,
collectivités locales et Sécurité sociale- était de
95 milliards de francs, soit 1,5% de notre production nationale, et un petit
quart des besoins d'investissements de nos entreprises. C'était donc
supportable.
C'est à cette époque que la délégation
française a proposé qu'un critère de déficit public
soit introduit parmi les instruments de mesure permettant d'évaluer la
capacité des Etats membres de la Communauté européenne
d'entrer, le moment venu, dans l'Union monétaire.
Quatre ans après, nous avions dévalé la pente et nous nous
sommes retrouvés en 1993 à un total de déficit public
-essentiellement Etat et Sécurité sociale- de 450 milliards de
francs, représentant l'équivalent de 90 % des besoins
d'investissements des entreprises.
Dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner que les taux
d'intérêt soient élevés. Le phénomène
que les économistes qualifient d'effet d'éviction a joué
à plein : l'Etat, obligé d'emprunter pour financer des frais de
fonctionnement et de personnels, assèche le marché financier, qui
a ainsi moins de disponibilités pour contribuer au financement de nos
entreprises. Bien entendu, nous travaillons sur le marché mondial ;
néanmoins, nous avons connu une période de dégradation
extraordinairement rapide !
Un dernier chiffre : dans le budget 1996, nous sommes obligés de
consacrer près de 230 milliards de francs aux seuls frais financiers de
la dette de l'Etat. C'est un ordre de grandeur comparable à ce que
rapporte aux collectivités locales l'ensemble des quatre recettes
fiscales majeures, et cela représente dix fois le fonds de compensation
de la TVA.
Enfin, en dépit de cette difficulté financière de base,
nous avons, dans le cadre des travaux préparatoires au budget 1996,
proposé aux collectivités locales un pacte de stabilité
qui garantit pour trois ans que l'ensemble des concours de l'Etat aux
collectivités locales évoluera au moins à un rythme
comparable à celui des prix, et, à l'intérieur de cette
enveloppe, que la DGF progressera à un rythme comparable aux
dépenses de l'Etat lui-même.
Ce cadre général exige malheureusement de l'ensemble des
collectivités publiques un effort de rigueur qui n'a pas eu de
précédents, malgré des progrès incontestables dans
les dernières années.
En dépit de cette situation, nous avons tenu, en 1995, dès la loi
de finances, et en 1996, à mettre en place -à une exception
près- les moyens financiers de la loi sur l'aménagement et le
développement du territoire.
Il s'agit du fonds national d'aménagement et développement du
territoire, avec 2 milliards de francs d'autorisations de programmes et
410 millions de crédits de paiement, du fonds de
péréquation des transports aériens, du fonds
d'investissement des transports terrestres et des voies navigables, du fonds de
gestion de l'espace rural et du fonds de péréquation.
Pour tous ces fonds, les textes d'application ont été pris et les
procédures mises en place. Certains ont un statut de compte
d'affectation spécial.
Ainsi, le fonds national d'investissement des transports terrestres et des
voies navigables a vu l'engagement de 1,7 milliards de crédits l'an
dernier, qui permettront d'engager de nombreuses actions, en matière
autoroutière par exemple, dans le Massif central.
En 1996, en dépit des gels inévitables, même sur ces sujets
prioritaires, l'ensemble des crédits routiers et autoroutiers devrait
s'accroître de 22 % par rapport à l'année
précédente.
Sur le même fonds sont financées de grandes opérations
fluviales : éléments de la liaison Rhin-Rhône, jonction de
la Seine avec les canaux du Nord, ou de la Seine avec le canal de la Moselle.
En matière ferroviaire, sont financées sur ce fonds la poursuite
du TGV-Méditerranée, l'opération dite "coulée
verte", liée à l'interconnexion des liaisons TGV en
Ile-de-France, et un certain nombre de liaisons ferroviaires régionales.
S'agissant du fonds de péréquation des transports aériens,
le comité de gestion qui s'est réuni il y a un peu plus d'un mois
a déclaré éligibles 21 lignes. Les critères
adoptés favorisent des liaisons de région à région.
Quant au fonds de gestion de l'espace rural, il a déjà
engagé un certain nombre d'actions correspondant à sa vocation,
notamment l'entretien et la protection des berges des fleuves et des
rivières et des chemins, la restauration des haies, la remise en
état de friche et l'entretien de zones humides.
Au total, l'ensemble de ces fonds disposera en 1996 de 6 milliards de francs,
contre 5,6 milliards en 1995, avec 115 millions pour le fonds de
péréquation des transports aériens, plus de 3 milliards
pour le fonds d'investissement des transports terrestres, 400 millions pour le
fonds de gestion de l'espace rural, un peu moins de 600 millions pour le fonds
national de péréquation.
Ces chiffres, qui correspondent donc à l'addition des fonds
créés par la loi de 1995, n'épuisent pas -loin de
là- l'ensemble des efforts financiers de l'Etat en faveur du
développement régional.
Si l'on ajoute l'action des divers ministères principalement
concernés par le développement régional, on aboutit dans
le budget 1996 à uns enveloppe de 54 milliards de francs. Enfin, la part
des crédits d'Etat consacrée en 1996 à l'exécution
des contrats Etat-régions représente un total de
81 milliards de francs, en augmentation sensible sur la période
quinquennale précédente.
Ces fonds sont donc en activité et ces moyens financiers à la
disposition de la politique d'aménagement et de développement du
territoire.
Je voudrais maintenant évoquer la solidarité financière
entre collectivités locales et la péréquation...
La réforme de la dotation globale de fonctionnement opérée
en 1993 et le fonctionnement du fonds national de péréquation
sont déjà applicables. Le Sénat et l'Assemblée ont
voté récemment la loi sur la solidarité financière
des communes...
On peut d'ores et déjà relever quatre points positifs. Tout
d'abord, la réforme de la DGF a permis un développement
très rapide de l'intercommunalité. En 1993, on comptait 469
établissements publics de coopération intercommunale : en 1996,
on en compte 1.243. Il s'agit presque d'un triplement, pour une population
regroupée de 25 millions d'habitants, alors qu'il y en avait moins de la
moitié il y a quatre ans.
J'ai été très intéressé par ce qui a
été dit dans la discussion précédente à
propos du rôle que doit jouer prioritairement la taxe professionnelle
dans l'encouragement de l'intercommunalité. Je crois en effet, à
la fois en tant que président d'un regroupement intercommunal et
ministre du budget, que la taxe professionnelle doit être cet instrument,
et c'est dans cet esprit que nous travaillons sur ce dossier essentiel.
Second enseignement intéressant : l'effort en faveur des
collectivités rurales s'est amplifié avec la création de
la dotation "solidarité rurale", dont le montant était de 1,3
milliard en 1995, et qui a atteint 1,6 milliard en 1996.
De même, l'effort en direction des collectivités urbaines en
difficulté particulière s'est accru avec la réforme de la
DSU. La DSU moyenne par habitant est passé de 54,93 francs à
61,95 francs. A ceci va s'ajouter l'effet de la réforme que le Parlement
vient de voter, qui va accroître la DSU de 50 %. Le mode de
répartition de cette dotation va être amélioré : les
communes de moins de 10.000 habitants vont pouvoir entrer dans le champ du
mécanisme, dont les moins peuplées étaient de facto
exclues, faute de respecter le critère de 1.100 logements sociaux.
Au total, d'ores et déjà, les mécanismes de
péréquation actuellement en vigueur ont permis de réduire
les inégalités qui existaient entre collectivités. En
incluant les effets du fonds de péréquation de la taxe
professionnelle, on constate, en comparant 1993 et 1995, que les écarts
d'attribution sont passés de 1 à 1,8.
D'autre part, tous les décrets d'application du volet
d'exonération fiscale contenus dans la loi Pasqua ont été
pris ou vont l'être dans les prochains jours. Il s'agit d'un volet
d'envergure considérable, d'un coût budgétaire annuel de 50
milliards de francs en année pleine. C'est un dispositif qui s'attaque
au coeur du problème, sa logique consistant à opposer au cumul de
handicaps dont souffrent un certain nombre de collectivité, de
région ou de pays, un cumul d'avantages fiscaux.
Au dispositif déjà existant prévu pas la loi de 1995 va
s'ajouter prochainement un complément important de la prochaine loi sur
l'intégration urbaine, qui prévoira notamment des
allégements extrêmement sensibles dans trois douzaines de zones
franches.
En revanche, certains points ne sont pas encore réglés, et je
voudrais vous dire quelles sont les difficultés que nous rencontrons. Je
citerai la mise en place du FNDE et l'application de l'article 68 de la loi
Pasqua s'agissant de la péréquation.
La loi avait prévu une demi-douzaine de fonds, dont un fonds national de
développement des entreprises, susceptible être alimenté
par des sources nationales, communautaires, budgétaires ou par
l'emprunt, et destiné à subventionner les investissements dans
certaines zones jugées prioritaires au sens de l'aménagement du
territoire.
Les difficultés budgétaires font que nous avons de très
grandes difficultés pour donner une dotation significative à ce
fond. En outre, le nouveau Gouvernement s'est engagé dans un politique
ambitieuse, d'une part en faveur des petites et moyennes entreprises et,
d'autre part, dans une politique de relance de la ville, dont certaines
dispositions donneront lieu à une loi qui sera soumise prochainement au
Parlement.
La question se pose pour nous de savoir comment nous coordonnons cet instrument
prévu par la loi de 1995, mais qui n'a pas encore été
créé, avec les éléments politiques nouveaux,
souvent très novateurs, qui comportent des dispositions
financières considérables, que représente le plan PME et
le plan de relance de la ville.
Lorsque nous avons fait réaliser le bilan de nos mécanismes
d'aide au développement régional, nous avons constaté
qu'il y avait encore trop de saupoudrage et de crédits
inutilisés, malgré les efforts de tous -administration d'Etat,
notamment préfectorale, DATAR, collectivités locales à
tous les niveaux.
Ainsi, au titre du FNADT, on a consacré l'année dernière 2
millions de francs pour une maternité collective de truies dans les
Hautes-Pyrénées, 2 millions de francs pour une sculpture
monumentale dans une vieille ville historique d'Indre-et-Loire, un million de
francs pour aménager la terrasse d'un hôtel de ville en Auvergne,
2 millions de francs pour un centre de vacances d'un comité d'entreprise
dans une île du littoral atlantique, 1,5 million pour un gîte
d'étape dans les Cévennes...
Chacun de ces investissements est utile, mais avons-nous besoin d'un fonds
national d'aménagement et de développement du territoire -et donc
du concours de l'ensemble des contribuables français- pour financer des
équipements de ce genre à ce niveau-là ? Personnellement,
je réponds non, et je considère que c'est probablement du
gaspillage financier, et plus encore un gaspillage de temps et une complication
de procédure inutile ! Ayons donc le courage de concentrer l'action sur
quelques opérations régionales importantes, plutôt que de
faire du saupoudrage !
Le complément logique du saupoudrage est la sous-consommation des
crédits. En matière de primes d'aménagement du territoire,
l'année dernière, un tiers des crédits à peu
près n'a pas été consommé !
Nous avons donc été amenés à procéder
à des gels, sur ces crédits comme sur les autres. Le chiffre
disponible reste très supérieur au chiffre consommé en
1995. C'est absurde et cela nous fait perdre aussi de l'argent européen,
dans la mesure où le principe d'additionnalité ne peut être
débloqué que si les aides nationales sont à la clé.
Je signale ce point non pour éluder les responsabilités du
Gouvernement ou les miennes. Mais pour essayer de faire en sorte que les moyens
financiers que nous pourrons y consacrer soient utilisés dans des
conditions meilleures que par le passé pour un certain nombre de fonds.
Enfin, s'agissant de la péréquation un calendrier prévoit
de mesurer la situation actuelle et les écarts à corriger, de
définir les instruments de mesure correspondant aux normes de
réduction des écarts par collectivité que nous souhaitons
nous fixer, et d'assurer la réduction de réduire ces
écarts.
L'article 68 prévoit de faire disparaître les écarts de
ressources calculés par habitant, compte tenu des charges, celui-ci ne
devant pas être supérieur ou inférieur à 20 % de la
moyenne régionale.
Cette démarche repose sur la construction d'un ou de plusieurs indices
synthétiques des ressources et des charges pour les collectivités
locales d'une part et pour les groupements d'autre part.
Nous avons engagé des études avec le concours d'universitaires,
et une première série de résultats pour les communes nous
laissent perplexes. Ils démontrent qu'au sein d'une même
région, les écarts de ressources sont contenus dans une
fourchette allant de 1 à 1,5. Ils sont inférieurs par rapport
à la moyenne.
Ces données sont encore incomplètes. Pour ces calculs, nous avons
tenu compte, côté ressources, d'une partie des dotations de l'Etat
et uniquement de la fiscalité directe. Pour des raisons de
comptabilité, nous nous heurtons à des difficultés
méthodologiques, que nous n'avons pas encore surmontées, dans la
prise en compte la totalité des taxes indirectes et des produits
domaniaux.
En outre, alors qu'au départ nous avions pensé que nous pourrions
nous mettre d'accord sur un seul indice synthétique permettant de
mesurer les écarts, il apparaît qu'il va en falloir plusieurs. En
effet, là où les charges ne sont pas les mêmes, il est
très difficile d'avoir un seul instrument de mesure.
En tout état de cause, nous devrions, dans les deux ou trois mois qui
viennent, disposer d'instruments nous permettant de mesurer ces écarts,
de manière à pouvoir en disposer et appliquer pleinement
l'article 68 de la loi, dont l'objectif est de parvenir à une
réduction, afin de faire en sorte qu'à la fracture sociale dont
pâtit hélas notre pays ne s'ajoute pas cette fracture
géographique dont nous avons trop longtemps souffert, et contre laquelle
a été conçue toute la politique d'aménagement et de
développement du territoire.
(Applaudissements).
M. Jean François-Poncet, président .- Je mentirais si je disais à Alain Lamassoure qu'il m'a totalement convaincu sur tous les points, et je ferai une ou deux observations après que Claude Belot aura pris la parole...