PREMIÈRE PARTIE :
LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE COMMUNE OU LES AMBITIONS DÉÇUES D'UNE DIPLOMATIE EUROPÉENNE

I. UN DÉFI INITIAL : FAIRE FRANCHIR UN SAUT QUALITATIF À LA COOPÉRATION EUROPÉENNE

A. LES INSUFFISANCES DE LA COOPÉRATION POLITIQUE EUROPÉENNE (CPE)

Le souci de donner à l'Union européenne les moyens de conduire une action concertée sur la scène internationale n'est pas nouveau. Bien au contraire, il a partie liée avec le grand dessein politique qui a animé dès l'origine la construction européenne. A la suite de la création de la Communauté européenne du charbon et de l'acier, devaient également voir le jour une Communauté européenne de défense (CED) et une Communauté politique européenne. Le rejet de la CED par le Parlement français en 1954 devait finalement assurer la primauté à l'intégration économique avec la signature du traité de Rome en 1958. L'échec du plan Fouchet (1962), ambitieux mais fondé sur le seul schéma de la coopération intergouvernementale, confirmerait cette orientation.

Les Etats membres n'ont toutefois jamais renoncé à inscrire leur coopération sur un champ plus large, même s'ils ont dû reprendre leur ambition sur un mode mineur.

1. Une coopération plus rhétorique qu'effective

a) Les acquis de la Coopération politique européenne

Il appartint à la conférence de La Haye, en décembre 1969, de relancer la dynamique de la coopération politique. A l'initiative de la France, les chefs d'Etat et de gouvernement des six pays membres demandèrent en effet à leurs ministres « d'étudier la meilleure manière de réaliser des progrès dans le domaine de l'unification politique »

Dans cette perspective, le rapport Davignon, approuvé par les Six le 27 octobre 1970 pose les bases d'un mécanisme d'information et de consultation mutuelles dans le domaine de la politique étrangère. Les ministres des affaires étrangères se réunissent deux fois par an (puis quatre fois par an à la suite des décisions du « Sommet » de Paris d'octobre 1972) tandis qu'un Comité politique offre le cadre d'une consultation régulière au niveau des directeurs des affaires politiques.

Les procédures mises en oeuvre au début de la décennie connaîtront par la suite des renforcements successifs. En 1973, une procédure d'urgence permet aux ministres des affaires étrangères de se réunir immédiatement en cas de crise afin de rechercher les moyens d'aboutir à une position européenne commune.

La même année, le deuxième rapport Davignon , approuvé par les ministres des affaires étrangères, marque une étape supplémentaire : en effet, « chaque Etat s'engage en règle générale à ne pas fixer définitivement sa propre position sur les questions de politique étrangère sans avoir consulté ses partenaires dans le cadre de la coopération politique ».

Enfin, en 1976, le Conseil européen de La Haye assigne pour la première fois à la coopération politique "la recherche d'une politique étrangère commune".

L'Acte unique européen signé en février 1986 consacre les développements institutionnels liés à la coopération politique. Il crée en outre un secrétariat permanent auprès du Conseil . Enfin il s'intéresse au problème, encore actuel, de l'articulation entre la diplomatie concertée dans le cadre de la coopération politique d'une part, et les relations extérieures communautaires, d'autre part, et pose le principe de leur cohérence 1 ( * ) .

La coopération politique aura présenté un double mérite. Elle a permis d'abord de donner à la diplomatie européenne une base institutionnelle que reprendra et développera le traité sur l'Union européenne signé à Maastricht le 7 février 1992. En second lieu, elle a habitué les pays membres à se concerter sur des problèmes internationaux et favorisé de la sorte un rapprochement progressif des points de vue.

b) Les failles de la coopération politique

La portée de la coopération politique devait rester doublement limitée dans son principe. D'une part, elle a exclu les questions de sécurité et de défense de son champ d'action. D'autre part, elle n'a jamais requis de la part des Etats membres d'autre engagement que celui de se concerter sur "tout sujet de politique étrangère ayant un intérêt général".

L'interprétation donnée au « sujet d'intérêt général » laissait une grande marge d'appréciation aux Etats. Pour le reste, aucune sorte d'obligation ne découlait, pour les Etats membres, de l'exercice de la coopération politique. Un Etat pouvait se désolidariser d'une position adoptée en commun. Ainsi du Royaume-Uni quand il leva en 1990, de manière unilatérale, les sanctions commerciales de l'Afrique du Sud, décidées par les Douze au titre de la CPE en 1986.

La coopération politique se condamnait ainsi à ne pas dépasser le stade d'une diplomatie purement déclaratoire. Mais dans le même temps, l'Europe renonçait à s'affirmer comme un acteur crédible sur la scène internationale.

2. les conditions d'un nouveau départ

Votre rapporteur ne reviendra pas sur les mutations internationales qui ont redonné toute son acuité à la nécessité pour l'Europe d'agir de façon concertée et inspiré en conséquence le souhait de dépasser le cadre jugé trop étroit de la coopération politique. Il s'attardera ici sur les problèmes que présentèrent, pour les négociateurs du traité de Maastricht, la mise en oeuvre d'une politique étrangère commune et les solutions de compromis qui se dégagèrent.

a) Les enjeux de la négociation

Comment imprimer un nouvel élan à la politique extérieure européenne tout en respectant la souveraineté des Etats membres ? La question est restée au coeur des débats suscités par la préparation du traité de Maastricht.

Les Douze devaient s'accorder d'abord sur l'introduction éventuelle des questions de sécurité et de défense dans le champ de la coopération européenne et s'entendre également sur les moyens de renforcer l'efficacité de la politique extérieure de l'Union.

Ce dernier point posait lui-même une double question : fallait-il globaliser l'ensemble de la politique extérieure de l'Union afin d'en accroître la cohérence et partant, l'efficacité ? Convenait-il, en second lieu, de modifier les règles de décision et de faire une place au vote à la majorité ?

b) Les solutions de compromis

Les questions de sécurité devaient finalement figurer dans le traité. La nécessité de parvenir à un compromis entre des positions au départ très éloignées (entre le Royaume-Uni, l'Irlande et le Danemark d'une part, et les partisans d'une défense européenne d'autre part) explique toutefois la formulation complexe retenue dans le traité. La coopération s'ordonne selon un programme échelonné dans le temps : elle porte d'abord sur la sécurité, ensuite sur la mise en oeuvre d'une défense commune avant de déboucher, « le moment venu », vers une défense commune (article J4, paragraphe 1).

Le débat sur la « globalisation » de l'action extérieure de l'Union devait également aboutir à une solution de compromis. En effet le souci, manifesté par la Commission dans un document du 28 février 1991, d'intégrer dans un ensemble cohérent l'ensemble de l'action extérieure de l'Union (politique étrangère au sens propre, politique de développement et politique commerciale) devait se heurter à une double opposition. La première portait sur l'extension des pouvoirs de la Commission dans un domaine régi par les principes de la coopération intergouvernementale. La seconde reposait sur des arguments inverses : l'approche unitaire ne risquait-elle pas de diffuser les méthodes intergouvernementales dans la mise en oeuvre des actions extérieures déjà existantes, au risque d'en remettre en cause la nature communautaire ?

Ainsi, la position de la Commission défendue notamment par les Pays-Bas devait être battue en brèche au cours de l'une des réunions préparatoires à la mise au point du traité (le 30 septembre 1991 précisément, qualifié de « lundi noir » par la diplomatie néerlandaise).

Une structure par pilier fut finalement retenue. Elle permettait en effet d'organiser, dans le cadre d'un ensemble institutionnel commun un système de fonctionnement juridiquement distinct pour la politique extérieure et de sécurité commune (PESC).

Enfin, le vote à la majorité qualifiée, malgré une timide intrusion dans le traité, se trouvait condamné par une logique commandée en fait par la seule règle de l'unanimité. Dès lors l'efficacité attendue du dispositif mis en place dans le traité reposait principalement sur la création de deux nouveaux instruments censés engager les Etats membres au delà de la simple consultation : la position commune et les actions communes .

Les compromis et les ambiguïtés qui leur sont inhérentes allaient peser sur la mise en oeuvre de la politique étrangère commune. Du reste, les négociateurs, conscients de ces lacunes, avaient prévu la nécessité de revoir et d'améliorer les mécanismes mis en place en 1991, sous les auspices d'une nouvelle conférence intergouvernementale qui se réunirait en 1996. Malgré ces faiblesses, le nouveau traité marquait des avancées bien réelles par rapport à la simple coopération politique.

Trois piliers furent ainsi institués : le pilier communautaire (Communauté européenne, Communauté européenne du charbon et de l'acier, Communauté européenne de l'énergie atomique -titres II, III et IV-), le pilier concernant une politique extérieure et de sécurité commune (titre V), le pilier relatif à la coopération dans le domaine de la justice et des affaires intérieures (titre VI).

* 1 A cette fin, la pratique associant un membre de la Commission aux travaux de la coopération politique reçoit dans le cadre de l'Acte unique européen une reconnaissance juridique.

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