III. LE « SPLENDIDE ISOLEMENT » NORVÉGIEN PEUT-IL DURER ?
La recherche d'une explication au refus d'adhérer à l'Union européenne exprimé par la Norvège, par comparaison avec l'adhésion de la Suède ou de la Finlande, constituait un des principaux objectifs de la Mission.
Au terme de ses entretiens avec les dirigeants politiques et économiques norvégiens, elle s'est forgée une conviction qui tient en trois points :
- d'abord le refus d'adhésion a été un phénomène essentiellement populaire, nourri par la certitude que l'adhésion n'était pas utile à la Norvège ;
- ensuite, la rente que la production d'énergie assure de façon certaine à la Norvège sur les vingt prochaines années justifie les thèses isolationnistes ;
- enfin, sans qu'il soit possible de préciser des échéances claires, nul ne peut affirmer que la Norvège, voyant ses réserves énergétiques se tarir, ne sera pas tentée par un « retour de l'enfant prodigue » vers le giron européen.
A. LE REFUS DE L'ADHÉSION PROCÈDE D'UN RÉFLEXE POPULAIRE
Si, de tout temps, un consensus politique a existé sur les grands lignes à suivre en politique étrangère, la question des rapports entre la Norvège et la Communauté européenne a fait naître, tant en 1972 lors du premier référendum sur l'adhésion à la CEE qu'en 1994, un débat passionné , entre la partie de la population opposée à l'adhésion et l'autre partie qui reste convaincue qu'il y a pas d'alternative à l'option européenne.
1. La réticence instinctive des norvégiens envers le concept d'Union
Dépendance danoise de 1380 à 1814, puis unie au royaume de Suède de 1814 à 1905, la Norvège cultive un fort sentiment d'indépendance . La constitution de l'identité norvégienne est apparue étroitement liée à la lutte menée par ce pays pour dissoudre « l'Union » avec la Suède. Cette récente affirmation de l'identité nationale a un corollaire : la Norvège, si elle fait bien partie du monde nordique, n'entend pas être confondue avec les autres pays voisins , et, en particulier, pas avec la Suède.
Ainsi, les arguments principaux développés par le Gouvernement et les partis pro-européens, à savoir la nécessité pour la Norvège, conformément à la tradition de sa politique extérieure, de participer aux principales instances internationales, l'appel à la poursuite de la coopération nordique dans l'Union européenne et le souci d'éviter l'isolement du pays, n'ont pas été à même de convaincre une majorité. Les Norvégiens se sont prononcés à 52 % contre l'entrée dans l'Union européenne.
Mais le réflexe « anti-Union » ne peut, à lui seul, constituer l'explication du refus norvégien. Une autre explication peut se trouver dans les racines puissamment rurales ou maritimes de la population norvégienne.
Ainsi, les agriculteurs, quoique minoritaires dans la population active, ont été très entendus des autres norvégiens lorsqu'ils ont émis des réticences face à l'adhésion. En outre, les pécheurs -qui bénéficient à la fois d'une gestion sévère des ressources et du maintien de la pêche traditionnelle à la baleine- ont mis en doute la volonté de l'Union européenne de contrôler les ressources de pêche et émis la crainte que la pression écologiste n'obtienne l'interdiction de la pêche à la baleine qu'ils sont seuls, aujourd'hui, à pratiquer, avec les Russes et les Japonais.
Enfin, l'opposition à l'Union européenne s'alimente aussi des déceptions de l'opinion publique de la Suède voisine.
2. La résignation des couches dirigeantes à la non-adhésion
Le Gouvernement norvégien a dû adapter ses orientations diplomatiques au résultat négatif du référendum du 28 novembre 1994 sur l'entrée du pays dans l'Union européenne. Il s'est employé à limiter les conséquences négatives du rejet de référendum en affichant sa volonté de poursuivre une politique européenne active et d'exploiter toutes les possibilités de l'accord sur l'Espace économique européen pour maintenir des liens aussi étroits que possible entre son pays et l'Union européenne.
Il a été décidé de faire de l'Espace économique européen (EEE) le cadre privilégié de la coopération de la Norvège avec l'Union européenne . À l'occasion du Conseil de l'EEE du 30 mai 1995. le dispositif élaboré par les Quinze et prévoyant le renforcement du dialogue politique entre l'Union européenne et les pays de l'association européenne de libre échange, membres de l'EEE, a été approuvé, ce qui permet aux Norvégiens de s'associer ponctuellement à des actions communes de l'Union européenne.
S'agissant de la coopération entre l'Union européenne et la Norvège, il a été répondu favorablement au souhait des Norvégiens d'être associés à l'élaboration des directives qu'elle doit appliquer au titre de sa participation à l'EEE. Les États membres sont convenus de veiller au bon fonctionnement des procédures d'information et de consultation des membres de l'EEE, pendant la phase d'élaboration, par l'Union européenne, de nouvelles règles relevant de l'accord sur l'EEE.
Votre Mission s'est vue rappeler, à plusieurs reprises, par ses interlocuteurs politiques, l'importance de l'Espace unique européen pour la Norvège et l'attente d'initiatives françaises pour la valorisation de cet Espace.
3. Les premières conséquences économiques du refus de l'adhésion
Entendant éviter que la coupure politique entre la Norvège et l'Union européenne ne s'accompagne d'une coupure économique, le Gouvernement norvégien a annoncé diverses mesures en vue d'harmoniser l'économie norvégienne avec les conditions prévalant généralement dans les pays de l'Union européenne. Ainsi, la loi de finances pour 1995, votée par le Parlement fin 1994, marque le début d'une période d'austérité, justifiée par le souci de maintenir les acquis économiques et sociaux et d'éviter la remontée des taux d'intérêt. Pour l'essentiel, les mesures envisagées visent à accélérer la mise en oeuvre d'une politique économique de rigueur à long terme, qui passe par une réduction du déficit budgétaire et par la révision des transferts des ressources énergétiques vers l'agriculture, les entreprises et les collectivités locales. Ces mesures d'austérité pourraient freiner la croissance pour 1995, les prévisions pour l'année à venir faisant état d'une stagnation des investissements en Norvège continentale.
Si la Norvège doit pouvoir bénéficier des dispositions du traité de l'Espace économique européen dont elle reste membre, le rejet de l'adhésion risque, toutefois, à terme, d'engendrer des effets négatifs sur le plan économique.
Ce pays pourrait avoir à faire face à un processus de délocalisation. un nombre non négligeable d'entreprises norvégiennes envisageant de s'établir en territoire suédois, à proximité de la frontière. Gagnantes sur le plan des droits de douane, ces entreprises pourraient en outre bénéficier du Fonds européen de développement régional pour leur implantation.
Il paraît par ailleurs difficile, pour la Norvège, de maintenir durablement des niveaux de prix, en particulier dans le domaine agro-alimentaire, très différents de ce qu'ils seront en Suède : aussi, l'agriculture devra sans doute subir une restructuration incluant, en particulier, une réduction importante du volume des subventions.
Par ailleurs, à la baisse déjà prévue des investissements pétroliers en 1995 devraient probablement s'ajouter les premières retombées négatives du vote du 28 novembre 1994 pour l'investissement, dans l'ensemble des autres secteurs.