EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 19 février 2025, sous la présidence de Mme Catherine Dumas, vice-présidente, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport d'information de M. François Bonneau, Mme Gisèle Jourda, MM. Etienne Blanc, Ludovic Haye et Mme Mireille Jouve, rapporteurs : « Traverser la tempête : l'Égypte dans le Moyen-Orient Post 7-octobre ».
Mme Catherine Dumas, présidente. - Nous abordons le dernier point de notre ordre du jour : l'examen du rapport d'information de François Bonneau et Gisèle Jourda sur l'Égypte.
M. François Bonneau, rapporteur. - Nous avons, ma co-rapportrice Gisèle Jourda et moi-même, le plaisir de vous présenter le rapport de la délégation dont faisaient également partie nos collègues Etienne Blanc, Ludovic Haye et Muriel Jouve, qui s'est rendue en Égypte du 15 au 19 décembre derniers dans le cadre d'une mission « flash ».
Cette délégation avait pour mission de rendre compte de la façon dont ce grand et vieux pays arabe traverse la tempête soulevée par les massacres du 7-octobre et la campagne israélienne qui s'est ensuivie.
À titre préliminaire, il convient de souligner la qualité et la durée des échanges que nous avons pu avoir avec nos interlocuteurs, signe de la solidité des relations bilatérales, sur lesquelles nous allons revenir plus en détail. Nous avons senti à quel point la France était appréciée et attendue sur un grand nombre de dossiers.
Pour l'Égypte, le coup de tonnerre du 7-octobre est survenu dans un environnement déjà très déstabilisé. À l'Ouest, la Libye est plongée dans un état de semi-anarchie depuis la chute de Muammar Kadhafi. Au Sud, le Soudan est livré à une guerre civile extrêmement meurtrière qui a entraîné un afflux de réfugiés. Au Sud-Est, l'Éthiopie a engagé un bras de fer avec l'Égypte depuis de longues années autour de la mise en service du gigantesque barrage de la Renaissance, qui risque de priver le pays d'une part considérable de sa ressource en eau. Enfin, au Nord-Est, l'ensemble formé par Gaza et le Nord-Sinaï est depuis les années 2000 une source majeure d'instabilité où sévissent divers groupes armés.
Dans ce contexte profondément dégradé, l'Égypte se perçoit comme un îlot de stabilité qui cherche à le rester. D'où une politique intérieure et extérieure avant tout conservatrice, c'est-à-dire orientée vers la préservation des équilibres et le refus des aventures militaires qui ont, par le passé, coûté très cher à ce pays.
Sur le plan intérieur, cela se traduit par un autoritarisme qui est une constante dans la politique égyptienne depuis l'époque nassérienne ; mais depuis Sadate, cet autoritarisme est essentiellement conservateur. La révolution de 2011 et l'intermède chaotique représenté par la présidence du Frère musulman Mohamed Morsi ont encore renforcé ces tendances avec la chute de ce dernier en 2013 et la reprise du pouvoir par l'armée, en la personne du maréchal Abdel Fattah al-Sissi. Ce dernier a poursuivi la politique de répression des Frères musulmans engagée sous Hosni Moubarak et, plus généralement, de contrôle étroit de l'espace politique.
Sur le plan extérieur, ce conservatisme se traduit par un rejet du recours à la force armée. Ainsi les Egyptiens se refusent-ils catégoriquement à frapper militairement les Houthis, bien que ceux-ci aient très sévèrement perturbé le trafic commercial en mer Rouge, donc les revenus liés au canal de Suez, source essentielle de devises. Ainsi adoptent-ils des positions très modérées sur le conflit israélo-palestinien, un point qui sera développé par ma co-rapportrice Gisèle Jourda.
Cette posture d'acteur responsable et modéré, et cette position de pôle de stabilité ont constamment été mises en avant par nos interlocuteurs au cours de nos entretiens. L'Égypte cherche en effet, d'une manière que l'on peut considérer comme légitime, à tirer les bénéfices de cette politique auprès de ses partenaires étrangers.
C'est d'autant plus indispensable que la crise généralisée au Moyen-Orient a fortement affaibli l'économie égyptienne. Or celle-ci était déjà fragilisée par la guerre en Ukraine, qui a fortement affecté les prix mondiaux du blé dont l'Égypte, avec sa population de plus de 100 millions d'habitants, est un importateur massif.
Un volet important de notre mission a porté sur les conséquences économiques du 7-octobre. Elles sont importantes, mais pour l'instant contenues. La perturbation du trafic maritime en mer Rouge par les attaques des Houthis aurait réduit d'environ 60% les revenus liés au canal de Suez, soit un manque à gagner d'environ 800 millions d'euros par mois. Or ces revenus sont vitaux pour l'Égypte, car ils sont perçus en devises, indispensables à l'État pour payer les importations. Le deuxième impact majeur, mais bien moindre qu'attendu, est sur le tourisme. Les stations balnéaires de la mer Rouge ont évidemment été très affectées, mais cela n'a pas empêché 2023 d'être une année record pour le tourisme, et 2024 de confirmer la tendance. Enfin, la guerre à Gaza, après le conflit en Ukraine, a nourri l'inflation, qui touche durement les classes populaires et moyennes.
La guerre a également contribué à alourdir le poids sur l'économie égyptienne des réfugiés, qui seraient, selon nos interlocuteurs égyptiens, près de 9 millions, dont 4 millions de Soudanais - le nombre de Palestiniens passés en Égypte depuis le 7-octobre est relativement modeste (environ 130 000), et ils ne bénéficient pas du statut de réfugiés. Si le chiffre de 9 millions semble quelque peu exagéré, le message a été répété et martelé : ces réfugiés pèsent lourdement sur l'économie, nourrissant notamment, au Caire, une forte inflation des loyers, et sur les infrastructures de santé ou d'éducation.
Signe de la préoccupation des bailleurs vis-à-vis de la situation de l'Égypte, plusieurs annonces ont été faites en février-mars 2024 : un investissement de 35 milliards de dollars du fonds souverain émirien ADQ dans le projet de Ras al-Hikma, une ville nouvelle à vocation touristique sur la côte méditerranéenne ; une augmentation de 3 à 8 milliards de dollars du programme de soutien du FMI ; un paquet de soutien de 7,4 milliards de dollars de l'Union européenne, dont 5 milliards d'assistance macro-financière ; et enfin, un engagement de 6 milliards d'euros de la Banque mondiale pour la période 2024-2026.
Cette aide massive a apporté une bouffée d'oxygène à une économie égyptienne qui en avait grandement besoin. Mais elle pose aussi des questions de souveraineté, en particulier l'investissement émirien dans une portion de territoire sur la Méditerranée.
Nous sommes néanmoins parvenus à la conclusion que l'Égypte est en effet « too big to fail » : malgré un relatif déclin économique et politique, elle reste un acteur majeur au Moyen-Orient, ne serait-ce que par sa position centrale et son poids démographique, historique et culturel.
Mais c'est aussi et surtout l'un de nos principaux alliés dans la région, en même temps qu'un partenaire économique important pour la France, pas tant pour le volume des échanges, qui est de 2,9 milliards d'euros hors biens militaires, que pour les spécificités de cette relation : un excédent commercial marqué en 2023 et une présence très diversifiée des entreprises françaises.
La coopération de défense est également très fructueuse et plonge ses racines très loin dans l'histoire puisque l'armée égyptienne a été modernisée au XIXe siècle par un Français, Soliman Pacha né Joseph Sève.
La France a ainsi été l'un des principaux contributeurs à l'effort capacitaire engagé par l'armée égyptienne depuis l'arrivée au pouvoir du général al-Sissi : l'Égypte a été le premier acquéreur étranger de Rafale, dès 2015, et une seconde commande de 31 avions est en cours, les premiers appareils devant être délivrés en 2025. Citons également le contrat passé avec Naval Group pour quatre corvettes GoWind, dont trois seront construites en Égypte. Ces échanges se doublent d'une coopération de plus en plus dense en matière de stratégie et de formation. De plus, alors que les États-Unis imposent des limites assez strictes en matière d'emploi de leurs systèmes d'armes, la France peut être une solution de recours intéressante pour nos partenaires.
Il a paru particulièrement important à nos interlocuteurs de souligner le rôle important de l'Égypte vis-à-vis de la France comme de l'Union européenne dans deux domaines clé : les migrations et le terrorisme. Comme je l'ai souligné, l'afflux massif de migrants lié aux crises régionales pèse très lourdement sur l'économie égyptienne ; mais l'Égypte est également un pays de départ des migrations vers la rive Nord de la Méditerranée. C'est pourquoi l'Union européenne a engagé une aide d'environ 200 millions d'euros d'aide au titre de la gestion des migrations, dans le cadre d'un accord passé en octobre 2022 ; la France est très impliquée dans cet accord, via la livraison de trois navires de recherche et sauvetage (SAR) aux garde-côtes égyptiens.
Il convient d'approfondir cette coopération, au niveau bilatéral et communautaire, dans la mesure où l'Égypte est un véritable carrefour de migrations, entre le Moyen-Orient, la corne de l'Afrique et le Sahel. Mais il est tout aussi nécessaire de lui donner un cadre strict, les exemples libyen et tunisien ayant mis en évidence de graves dérives des autorités locales, notamment dans le traitement des migrants.
Enfin, la lutte contre les migrations illégales doit se doubler d'un accent mis sur le développement. Les migrations sont nourries par l'absence de perspectives économiques dans les pays de départ, mais aussi par les blocages sociaux et politiques. En ce sens, la France est fondée à demander davantage d'ouverture à ses interlocuteurs égyptiens, notamment en matière de droits de l'homme.
Sur le second volet, celui de la lutte contre le terrorisme, la problématique est tout à fait similaire. L'Égypte joue un rôle déterminant, et pour les mêmes raisons géographiques, puisqu'elle se trouve au carrefour d'espaces profondément déstabilisés. Nos interlocuteurs, notamment militaires, se sont montrés particulièrement préoccupés par les réseaux terroristes dans le Sahel et la Corne de l'Afrique - Houthis, Chebab en Somalie, Al-Qaïda voire Boko Haram. Ils soulignent que l'Europe est la première cible du terrorisme international, et que l'Égypte, à ce titre, remplit une fonction de rempart qui mérite d'être davantage valorisée. C'est une piste d'approfondissement de notre coopération, avec les mêmes limites que face aux migrations : l'aide à la lutte contre le terrorisme doit être assortie de conditions d'emploi de l'aide et des équipements livrés.
En conclusion, je souhaite souligner à quel point l'Égypte reste un partenaire important pour la France et un point d'appui, dont il faut reconnaître l'engagement pour la stabilité de la région. L'Égypte fait cependant face à des défis de plus en plus graves, dans un contexte post-7 octobre qui bouscule une politique basée sur la recherche de compromis et la modération. Nos points de convergence avec ce pays sont beaucoup plus nombreux que les divergences ; sur le rôle déstabilisateur de l'Iran notamment, en particulier au Liban. Les nuances les plus importantes portent sur le nouveau pouvoir en Syrie, que les autorités égyptiennes considèrent avec une franche hostilité car il est issu d'un mouvement islamiste affilié à al-Qaïda. Mais le dossier le plus complexe et le plus brûlant à la fois, qui réclame une collaboration particulièrement étroite avec notre partenaire égyptien, est bien sûr le conflit à Gaza. C'est le point que ma co-rapportrice Gisèle Jourda va maintenant vous présenter.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Les rencontres de notre délégation avec différents responsables égyptiens, ainsi que l'audition de plusieurs chercheurs ont permis d'éclairer la manière dont l'Égypte approchait la question palestinienne, et dont elle articulait ses positions diplomatiques traditionnelles et ses impératifs de sécurité.
Le cadre des relations israélo-égyptiennes est défini par le traité de paix prévu par les accords de Camp David de 1978, et signé le 26 mars 1979. Ces accords prévoyaient également la conclusion d'une paix globale au Moyen-Orient, mais ce volet est resté lettre morte. Après avoir été le fer de lance de la lutte contre Israël, l'Égypte revenait ainsi à une politique privilégiant l'intérêt national.
De ce point de vue, si la normalisation a valu au pays une exclusion de la Ligue arabe pendant dix années, elle lui a apporté des avantages non négligeables. D'abord, les accords entérinaient le retour du Sinaï, occupé par Israël depuis la guerre des Six Jours, dans le giron égyptien. Ensuite, ils ont fait de l'Égypte un partenaire privilégié des États-Unis dans le monde arabe - un partenariat qui s'est traduit par une aide militaire d'un montant cumulé de 50 milliards de dollars, et civile de 30 milliards de dollars.
Au point de vue économique, les bénéfices de la relation avec Israël ont été plus limités. Ils consistent principalement en un accord pour la liquéfaction et la réexportation du gaz importé d'Israël, et la création de zones industrielles dont les productions, qui contiennent des composants israéliens, sont exportées aux États-Unis en franchise de droits.
Ces dividendes de la paix expliquent que l'Égypte ne l'ait jamais remise en cause, y compris dans les périodes les plus tourmentées. Mais ils ont également entraîné une forme de glissement vers une dépendance économique et stratégique vis-à-vis des États-Unis et, secondairement, des pays du Golfe, ainsi qu'une érosion de la capacité égyptienne à peser sur les choix israéliens.
En apparence, le discours des autorités égyptiennes n'a pas varié depuis la signature des accords de Camp David : elles réclament une solution politique au conflit israélo-palestinien, qui passe par la création d'un État palestinien internationalement reconnu. Mais la pratique a, elle, profondément évolué : l'Égypte s'est, de fait, engagée dans une relation très pragmatique et centrée sur les impératifs de sécurité.
Le dossier palestinien, et en particulier les relations avec la bande de Gaza, n'est pas géré par la diplomatie mais par les services de renseignement qui ont constitué leurs propres réseaux au sein du territoire. Cette politique visait à contenir la menace sécuritaire que représentait Gaza après la prise de contrôle du territoire par le Hamas en 2007, menace rendue encore plus prégnante par le fait que le Nord-Sinaï, du côté égyptien de la frontière, est une région instable où évoluent divers groupes islamistes, dont Daech. Dans ce domaine, l'armée égyptienne a engagé une forme de coopération avec Israël, afin de contenir la menace terroriste. Les Égyptiens ont par ailleurs, à partir de 2013, détruit la plupart des tunnels qui reliaient Gaza à leur territoire.
Cette gestion sécuritaire, appuyée sur les contacts et les réseaux entretenus au sein de la bande de Gaza, se déploie dans une zone grise. Idéologiquement très hostile au Hamas, qui est une émanation des Frères musulmans désormais interdits en Égypte, le pouvoir égyptien a ainsi, à Gaza, noué des relations avec ses principaux représentants. L'Égypte a par ce biais acquis une position unique de médiateur, non seulement entre Israël et les différents groupes palestiniens, mais aussi entre ces groupes. Ce sont les services de renseignement égyptiens qui ont été à la manoeuvre pour mettre fin aux principaux épisodes de violence entre Israël et Gaza, en 2008-2009, 2012, 2014 et 2021.
Cependant, pour efficace qu'elle ait été, cette action relevait d'une gestion de court terme, qui consistait à contenir les effets du conflit à Gaza. Sur le long terme, c'est-à-dire la perspective d'un règlement politique du conflit, l'Égypte n'a pu que constater qu'elle n'avait plus guère les moyens d'infléchir les positions d'Israël. Si la normalisation a bien assuré une forme de stabilité stratégique à l'Égypte, en neutralisant la menace d'un conflit de grande ampleur, elle a aussi réduit ses marges de manoeuvre.
Voilà où en était l'Égypte à la veille du 7-octobre : une relation relativement apaisée avec Israël, mais aussi de plus en plus asymétrique.
Le 7-octobre a, au Caire comme ailleurs, provoqué la sidération, même si les services égyptiens auraient averti leurs homologues israéliens qu'une opération de grande ampleur se préparait. Très vite cependant, les autorités égyptiennes ont commencé à travailler sur deux objectifs : obtenir la libération des otages israéliens, et faciliter les discussions inter-palestiniennes, afin de parvenir à un accord sur le gouvernement de Gaza après la guerre.
Si l'activité égyptienne a été intense depuis le 7-octobre, les discussions n'ont finalement abouti que grâce à la très forte pression exercée par l'envoyé spécial du président élu Donald Trump, Steve Witkoff, sur Benyamin Netanyahou pour accepter l'accord élaboré par les négociateurs.
Quant aux discussions inter-palestiniennes, un accord entre le Hamas et l'Autorité palestinienne a bien été annoncé au Caire en décembre 2024 sur la formation d'un comité de 10 à 15 personnalités « indépendantes » pour gouverner Gaza, mais sans résultats concrets pour le moment.
Sur le plan sécuritaire, les frictions avec Israël ont été nombreuses, portant d'abord sur le projet, un temps exploré par Benyamin Netanyahou, de la relocalisation « temporaire » de réfugiés de Gaza dans des camps au Nord-Sinaï. Un tel plan était et reste inacceptable pour les autorités égyptiennes, pour trois raisons. D'abord, l'Égypte a, depuis 1948, eu pour politique d'éviter l'implantation de camps palestiniens (eux aussi « temporaires » à l'origine) sur son territoire, qui risquaient de devenir des abcès de fixation et des foyers d'instabilité - comme ce fut le cas au Liban ou en Jordanie. Ensuite, d'éventuelles attaques contre Israël partant de ces camps auraient amené Israël à conduire des représailles en territoire égyptien. Enfin, il y aurait également un effet d'éviction pour la population bédouine déshéritée du Nord-Sinaï.
Une fois cette hypothèque écartée, les autorités égyptiennes ont laissé passer les Palestiniens sur une base individuelle et contrôlée par le passage de Rafah, le seul resté ouvert. Au total, environ 130 000 Palestiniens seraient passés en Égypte depuis le début de la guerre à Gaza. La fermeture de Rafah, dont l'armée israélienne a pris le contrôle en mai 2024, a mis fin aux passages.
Au plan stratégique, la position égyptienne est assez ambivalente. La conduite de la guerre par Israël suscite de vives inquiétudes chez les responsables égyptiens, qui dénoncent le caractère désinhibé des actions israéliennes, que ce soit au Liban, à Gaza ou désormais en Cisjordanie. D'où les demandes répétées, exprimées devant la délégation, en direction de la France ou de l'Union européenne pour que des pressions soient exercées sur Israël. L'un de nos interlocuteurs a ainsi tenu à saluer la déclaration du président Macron, le 5 octobre 2024, demandant « qu'on cesse de livrer les armes pour mener les combats sur Gaza », ainsi que la décision, en novembre, de ne pas attribuer de stand à certaines entreprises israéliennes au salon Euronaval.
Pour autant, la guerre menée par Israël a aussi eu pour conséquence d'affaiblir les adversaires stratégiques de l'Égypte que sont l'Iran et le Hezbollah, considérés par celle-ci comme les principaux foyers d'instabilité dans la région.
C'est pourquoi les bases de la coopération sécuritaire égypto-israélienne n'ont pas été remises en cause par la campagne de Gaza. Objectif constant et prioritaire des autorités égyptiennes, la stabilité du Nord-Sinaï a été préservée de haute lutte, dans une approche essentiellement défensive. Toutefois, la question de la réaction égyptienne à une annexion de la Cisjordanie par Israël, que désormais Donald Trump se refuse à écarter, reste ouverte.
Déjà placée dans une position très inconfortable par la poursuite de la guerre à Gaza, la diplomatie égyptienne approche du point de rupture avec les déclarations de Donald Trump sur « l'évacuation », cette fois définitive, de Gaza et la réinstallation de ses habitants en Jordanie ou en Égypte. Comme je l'ai souligné, l'implantation, volontaire ou non, de réfugiés palestiniens dans le Sinaï est précisément ce que les Égyptiens voulaient éviter. Or les deux pays sont soumis à une pression très intense et personnelle du président Trump. Convoqué à Washington, le roi Abdallah de Jordanie n'a pu le contredire ouvertement, mais a réitéré son attachement au principe d'un État palestinien et son refus de tout déplacement de population.
Sans même parler de ses conséquences humanitaires graves, un tel projet relève d'une ignorance totale de l'histoire du conflit israélo-palestinien, comme de la sensibilité de la question palestinienne pour les opinions arabes. Il mettrait en danger, face à leur propre population, les partenaires modérés d'Israël et compromettrait la perspective d'une normalisation globale entre l'État hébreu et le monde arabe. En effet, l'Arabie saoudite, qui était toute proche d'un accord à la veille du 7-octobre, fait savoir depuis que la normalisation est conditionnée à un règlement politique de la question palestinienne, qu'Israël se refuse toujours à envisager.
C'est pourquoi la France doit soutenir les efforts de la diplomatie égyptienne et de la Ligue arabe pour faire émerger une solution alternative à celle que pousse l'administration Trump tout en excluant le Hamas de la gestion de Gaza et en reconnaissant les impératifs sécuritaires d'Israël. Dès le 20 février, la Jordanie, l'Égypte, l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis se réuniront à Riyad, avant un sommet de la Ligue arabe au Caire le 27. Notre rencontre avec le secrétaire général de la Ligue arabe nous a confirmé combien la France restait attendue dans ce dossier.
Alors que l'Union européenne ne parvient pas à se mettre en ordre de marche et risque, une fois de plus, la marginalisation, et que les positions prises par notre président sur la question n'ont pas brillé par leur clarté ni par leur cohérence, il est impératif que notre diplomatie s'engage plus résolument dans cette voie.
Pour conclure, je tiens à saluer le bon esprit dans lequel a travaillé notre délégation, et j'en remercie mes collègues.
Mme Catherine Dumas, présidente. - Je vous remercie ; vous avez bien montré la complexité de l'environnement géopolitique hérité du 7-octobre.
M. Philippe Folliot. - Je tiens à saluer l'excellent travail de nos collègues sur un pays que j'ai eu l'occasion de bien connaître, ayant, à l'Assemblée nationale, présidé le groupe d'amitié France-Égypte pendant une dizaine d'années et m'y étant rendu à de multiples reprises.
Bien entendu, le conflit israélo-palestinien est la clef de voûte de toutes les problématiques du Moyen-Orient. L'addition des positionnements de MM. Netanyahou et Trump nourrit beaucoup d'inquiétudes sur les perspectives d'une solution diplomatique juste et équilibrée, basée sur la reconnaissance de deux États. L'Égypte joue un rôle de pôle de stabilité dans la région, ne serait-ce qu'au regard de son importance démographique.
J'ai eu l'occasion de rencontrer le président al-Sissi ; il nous avait déclaré que son défi était d'ouvrir une école par jour. Le défi démographique est particulièrement important pour l'Égypte. Avez-vous eu des échanges sur ce thème ? La démographie nécessite une croissance importante, et on sait l'économie égyptienne très fragile - vous avez identifié le canal du Suez et le tourisme comme des enjeux essentiels pour le pays. Quelles sont les perspectives à cet égard ? Un basculement de l'Égypte aurait des conséquences cataclysmiques, d'autant qu'il y a une dizaine de millions de chrétiens coptes dans le pays, et nous connaissons les difficultés qu'ils ont connues durant les deux années de régime islamiste. Quelle est votre vision de ces enjeux ?
M. François Bonneau, rapporteur. - Cette question, très importante, ne relevait pas du périmètre de notre mission. L'Égypte a trois sources de revenus principales : le tourisme, les revenus du canal de Suez et la diaspora. Les Égyptiens nous ont indiqué qu'ils n'interviendraient pas tant que le conflit à Gaza serait dans sa phase la plus aiguë. Ils espèrent une stabilisation de la situation, et des revenus qui vont avec. En matière de tourisme, ils ont de bons résultats mais pourraient faire encore mieux. Ce qui les touche le plus est l'inflation, mais aussi la crise ukrainienne, à travers le prix du blé. Dans tous les pays du Maghreb, le prix du blé ou de la farine est subventionné ; c'est un facteur de stabilité dans un contexte de populations très précaires, dont la situation est sensible à l'évolution du prix du pain. C'est un équilibre instable, qui tient grâce à l'aide internationale que nous avons évoquée, mais en effet très fragile.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Le périmètre de notre mission était restreint, puisqu'il portait sur les conséquences du 7-octobre pour l'Égypte.
M. Roger Karoutchi. - J'entends bien que les Égyptiens nous disent, par courtoisie, qu'ils attendent beaucoup de la France ; mais je crois qu'on ne nous le dit plus que dans les rencontres de ce genre ! Lorsque, en compagnie du président du Sénat, nous avions reçu le président al-Sissi, ce dernier avait insisté sur un point : il n'était pas question - et c'était bien avant le 7-octobre - que l'Égypte, d'une manière ou d'un autre, ait quoi que ce soit à faire avec Gaza. Son obsession restait de se débarrasser des Frères musulmans. Le Hamas, et tout ceux qui de près ou de loin se rattachent aux Frères musulmans, c'était non : il ne fallait pas lui demander de faire quoi que ce soit. Il y a quelques semaines, une proposition d'origine israélienne suggérait que l'Égypte et la Turquie s'accordent sur une sorte de condominium sur Gaza pour aller vers la paix, après le Hamas. La Turquie y était plutôt favorable ; c'est l'Égypte qui a freiné des quatre fers.
Quant aux propositions de Trump, je ne suis pas sûr qu'il en ait même parlé aux Israéliens avant de les faire... Ils ont été les premiers étonnés de son ampleur. En revanche, les propositions du prince Mohammed ben Salmane, qui sont sur la table, peuvent faire évoluer les choses. Finalement, l'Arabie saoudite, qui est plus loin de Gaza, est plus à même de prendre des initiatives que le pouvoir égyptien, qui est tétanisé par les Frères musulmans. Le président égyptien a redit il y a quelques jours qu'il avançait en âge et qu'il craignait que ces derniers, après lui, ne reviennent au premier plan.
C'est pourquoi il ne faut pas trop demander aux autorités égyptiennes d'intervenir sur Gaza : elles ne voudront pas le faire.
M. François Bonneau, rapporteur. - Nous partageons cette analyse. Mais les autorités en place ne peuvent pas totalement ignorer la pression de la rue arabe.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Il y a une redistribution des rôles au sein de la Ligue arabe, dont nous avons rencontré le secrétaire général, Ahmed Aboul Gheit. MBS souhaite y jouer un rôle. Les Émirats arabes unis essaient, eux aussi, de remplir une fonction de médiateurs. Jusqu'à présent, l'Égypte est en avant, mais pour combien de temps ? Il y a une redistribution du pouvoir dans la zone.
M. Jean-Luc Ruelle. - Je vous remercie pour la qualité de votre présentation. Mon inquiétude porte sur la pérennité du système égyptien. Nous avons souvent été surpris par des changements de régime dans la région. A-t-on une idée de la solidité du régime, et de ses faiblesses ? Y a-t-il des alternatives ?
M. François Bonneau, rapporteur. - C'est une question que nous n'avons pas manqué de poser. Mais les sentiments de la population à l'égard du régime sont le secret le mieux gardé du pays... Je me contenterai de souligner que l'armée est omniprésente, sur le plan militaire, sécuritaire mais aussi économique. Elle détient un certain nombre de leviers au sein de l'État. Néanmoins, nous ne mesurons pas sa capacité de réaction aux événements.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Comme nous l'avons constaté, l'armée nourrit, éduque, informe...
Mme Michelle Gréaume. - Je peux comprendre les positions de l'Égypte, mais j'ai également de l'espoir. Les déclarations de Donald Trump ont déclenché un tollé, mais il s'est également dit ouvert à d'autres propositions. L'Égypte a également un projet de reconstruction de Gaza qui n'impliquerait pas le départ des habitants. On peut donc envisager une issue favorable, si du moins ce territoire est reconnu comme relevant d'un État palestinien.
La France, depuis février 2024, a apporté une aide humanitaire et sanitaire. Huit tonnes de matériel médical ont été livrées, le Dixmude a été déployé dans le port d'Al-Arish pour soigner des blessés. Des enfants palestiniens - 23 au total - ont été soignés dans des hôpitaux français. Y aura-t-il d'autres initiatives en faveur des victimes innocentes de cette guerre, et quel est l'avenir de la coopération humanitaire entre les deux pays dans le cadre du cessez-le-feu ?
Alors que l'économie égyptienne pâtit d'une inflation galopante et de la pression israélienne, quels leviers le pays peut-il activer pour renforcer son poids diplomatique ?
M. Olivier Cadic. - Vous avez évoqué le barrage de la Renaissance sur le Nil, qui entre progressivement en service ; par ailleurs l'Égypte a envoyé des troupes en Somalie. Quels ont été les commentaires de vos interlocuteurs à cet égard ?
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - La question de l'aide humanitaire n'était pas au centre de notre mission d'information. Au moment où nous étions en Égypte, on ne parlait pas encore de reconstruction. L'enjeu était plus immédiat ; l'Égypte acceptait d'accueillir des blessés dans une zone tampon, mais la situation sur le terrain était très complexe. De plus, l'Égypte souhaite avant tout éviter un afflux supplémentaire de réfugiés, après la vague de migration venue du Soudan. Il faut également noter que les Palestiniens en Égypte n'ont pas le statut de réfugiés, et que les autorités n'ont pas l'intention de le leur octroyer. La reconstruction sera discutée par les partenaires arabes ; elle n'impliquera pas seulement l'Égypte.
M. François Bonneau, rapporteur. - Le sujet du barrage de la Renaissance a très souvent été évoqué par nos interlocuteurs. C'est un point très sensible. L'Égypte et l'Éthiopie n'iront pas jusqu'à la guerre ; mais dans tous les conflits régionaux - Somalie, Soudan - les deux pays s'opposent. Il y a également d'autres influences étrangères au Soudan. La tension n'est pas près de retomber, car l'accès à l'eau est une question vitale pour les Égyptiens.
Mme Catherine Dumas, présidente. - Je vous remercie pour votre présentation très détaillée.
Le rapport d'information est adopté à l'unanimité.