IV. UN PARTENAIRE DE PREMIER PLAN POUR LA FRANCE DANS LA RÉGION
Les relations politiques et économiques entre la France et l'Égypte sont excellentes, comme en témoigne l'accueil réservé à notre délégation, qui a notamment pu s'entretenir longuement avec le ministre des affaires étrangères, M. Badr Abdelatty, et avec le secrétaire général de la Ligue arabe, M. Ahmed Aboulgheit. L'Égypte est un partenaire de longue date, avec lequel nous avons des relations culturelles très anciennes et qui ne sont pas alourdies par un héritage colonial ; l'Egypte nous sollicite aussi afin d'obtenir un appui politique ou économique ; c'est enfin un partenaire avec lequel les convergences sont nombreuses sur les principaux dossiers de la région.
1. Une relation économique à valoriser
La relation militaire franco-égyptienne est majeure et, comme les relations culturelles, ancrée dans l'histoire : nos interlocuteurs ne manquent pas de nous rappeler que l'armée égyptienne moderne a été organisée par un Français, Soliman Pacha, né Joseph Sève, qui s'était mis au service de Mehmet Ali.
L'Égypte est le premier pays de la région à avoir acheté des Mirage, et le premier au monde à avoir acheté des Rafale. Entre 2014 et 2016, l'Égypte a acheté 24 Rafale, deux porte-hélicoptères amphibies et 4 corvettes de la classe Gowind. Un nouveau contrat a été signé en 2021, portant sur 30 Rafale, dont la livraison est en cours. Cet effort capacitaire s'est accompagné d'une coopération renforcée en matière de formation, avec des pilotes de chasse de très bon niveau. Enfin, un dialogue stratégique a été engagé en 2023 entre la DGRIS et ses interlocuteurs égyptiens - la rencontre de la délégation avec le vice-ministre de la défense chargé des relations internationales s'inscrit dans ce cadre.
Avec 2,9 milliards d'euros d'échanges bilatéraux hors biens militaires en 2023 - 1,1 milliard d'euros d'importations et 1,8 milliard d'exportations - l'Égypte n'est pas le pays du Moyen-Orient avec lequel les relations économiques sont les plus denses, mais la relation présente toutefois des spécificités qui la rendent importante :
· un excédent commercial notable de 663 millions d'euros ;
· une grande diversité de secteurs - transports, tourisme, construction, énergie, eau et assainissement et plus récemment agroalimentaire, recherche et développement, banque et assurance, activités maritimes et logistiques, industrie manufacturière - au total 200 filiales employant plus de 50 000 personnes, pour un stock d'investissements directs à l'étranger (IDE) d'environ 7 milliards d'euros, qui fait de la France le deuxième investisseur européen en Egypte ;
· un rôle valorisé par l'Égypte de plateforme régionale d'exportation vers l'Afrique et le Moyen-Orient ; le secrétaire général des affaires étrangères a remis à la délégation, un plan de coopération franco-égyptienne en Afrique dans plusieurs domaines (énergies renouvelables, infrastructures, santé, agriculture, eau) ;
· une forte exposition de la France dans le domaine public.
2. De fortes convergences qui justifient une action résolue en faveur de l'Égypte
Les convergences diplomatiques entre la France et l'Égypte ont été soulignées par nos interlocuteurs sur plusieurs des dossiers qui concernent le Moyen-Orient, à commencer par le dossier israélo-palestinien. De manière générale, la posture régionale de l'Égypte est fondée sur le refus de la force armée comme mode de résolution des conflits et une préférence pour la stabilité (posture qui justifie notamment le refus d'agir militairement contre les Houthis et une hostilité a priori au nouveau régime en place en Syrie12(*)).
Nos interlocuteurs égyptiens ont également insisté sur la nécessité d'une reconnaissance d'un État palestinien, qui contribuerait selon elle à restaurer la stabilité dans la région en privant les groupes extrémistes comme le Hamas et le Hezbollah d'une source de leur légitimité auprès des opinions arabes.
La posture régionale de l'Égypte est fondée sur le refus de la force armée comme mode de résolution des conflits et une préférence pour la stabilité
a) Soutenir les prises de position égyptiennes vis-à-vis d'Israël
La délégation avec M. Badr Abdelatty, ministre des affaires étrangères
L'offensive d'Israël au Liban, à Gaza et désormais en Cisjordanie risque de placer les autorités égyptiennes, comme au demeurant les autorités jordaniennes, dans une position intenable auprès de leurs opinions publiques. Celles-ci demeurent très sensibles à la cause palestinienne. Il devient de plus en plus difficile de justifier la coopération avec Israël alors que la Knesset a rejeté le principe d'un État palestinien, que l'Autorité palestinienne est toujours plus affaiblie par les actions de l'armée israélienne en Cisjordanie - et surtout alors que l'administration Trump semble se ranger sans états d'âme aux positions les plus extrémistes au sein de la classe politique israélienne - en témoignent les récentes déclarations du président des États-Unis sur la nécessité de « nettoyer » Gaza et de réinstaller les habitants du territoire en Égypte ou en Jordanie, et les très fortes pressions exercées sur ces deux États13(*).
Ces déclarations vont directement à l'encontre des intérêts égyptiens ; elles contribuent donc à fragiliser un pouvoir égyptien que les partenaires européens et états-unien reconnaissent pourtant comme un pôle de stabilité. C'est pourquoi il est indispensable que la France apporte son soutien l'Egypte sur ce point, en lui évitant un face à face avec les États-Unis qui lui serait par trop défavorable.
Recommandation : soutenir les positions diplomatiques de l'Égypte sur la crise à Gaza - mise sur pied d'une autorité palestinienne légitime pour gouverner Gaza, refus de tout déplacement de la population - à la fois dans les relations bilatérales avec les autres partenaires et dans les forums multilatéraux
b) Approfondir le dialogue sur la question des migrations et des réseaux terroristes
Concernant les migrations, l'Égypte est un pays de transit potentiel pour des migrations venues du Sahel ou de la Corne de l'Afrique, en particulier si les routes de la Libye ou de la Tunisie deviennent impraticables. C'est pourquoi l'Union européenne a fait porter un volet du paquet d'aide annoncé début 2024 sur les migrations. Toutefois, le dialogue doit demeurer exigeant et reposer sur des garanties, notamment sur les droits des personnes, afin d'éviter les récentes dérives constatées dans plusieurs pays.
Recommandation : approfondir la coopération sur la lutte contre l'émigration clandestine vers l'Europe et le contrôle des frontières maritimes, en assortissant l'aide apportée de garanties sur le cadre de son utilisation
Concernant le volet sécuritaire, nos interlocuteurs ont fortement souligné le fardeau que faisait peser sur les services égyptiens le contrôle des frontières face à une menace terroriste de plus en plus multiforme : chababs en Somalie (qui auraient noué des contacts avec les Houthis et avec al-Qaïda dans la Corne de l'Afrique), Boko Haram dans le Sahel, Daesh-Wilayat Sinaï, etc. Les services égyptiens ont su développer une forte culture du renseignement humain, couplée à des solutions technologiques notamment fournies par Thalès (surveillance radar par exemple).
Comme pour la lutte contre l'immigration clandestine, l'Égypte a le sentiment de jouer un rôle de rempart pour l'Europe qui n'est pas suffisamment valorisé, selon elle. Elle voit également dans la prise du pouvoir par Hayat Tahrir al-Cham en Syrie un potentiel d'exportation du terrorisme, notamment vers la Libye. Là encore, l'Égypte, au vu de sa situation géographique d'avant-poste, a un rôle déterminant. Naturellement, comme dans le cas du traitement des migrants, l'aide apportée doit être assortie de garanties sur son utilisation.
Recommandation : mieux reconnaître le rôle de l'Égypte dans la lutte antiterroriste, en particulier au niveau de l'Union européenne, à travers un soutien humain et technologique renforcé également assorti de garanties
* 12 Cette hostilité initiale à un pouvoir issu d'un mouvement djihadiste semble cependant s'être modérée depuis. Les deux ministres des affaires étrangères ont eu un entretien téléphonique le 31 décembre 2024.
* 13 Le président Trump a reçu, le 11 février, le roi Abdallah II de Jordanie à la Maison-Blanche afin de vanter son plan de réinstallation. Le roi, interrogé sur la volonté de la Jordanie d'accueillir des habitants de Gaza sur son territoire, s'est refusé à répondre.