B. ... MAIS ISRAËL EST DE MOINS EN MOINS SENSIBLE AUX ATTENTES DE SON VOISIN EGYPTIEN
1. Le manque de leviers pour peser sur Israël
La normalisation des relations avec Israël est une sorte de fusil à un coup. De ce point de vue, les situations de l'Égypte et de la Jordanie, qui a également signé un traité de paix avec Israël, sont très similaires : des relations normalisées - du moins au niveau officiel -, une coopération sécuritaire toujours émaillée de tensions (sur la frontière avec Gaza pour l'Égypte, le dôme du Rocher pour la Jordanie) et une capacité de plus en plus réduite à peser sur les choix israéliens. Selon un interlocuteur de la délégation, « la diplomatie égyptienne n'a pas véritablement son mot à dire sur la reconnaissance israélienne d'un État palestinien. Dans le discours officiel, elle appelle bien évidemment à une solution à deux États et à une reconnaissance des droits des Palestiniens. Mais dans les faits, elle est consciente que sa médiation, au moins depuis le début des années 2000, vise moins à obtenir cette solution qu'à limiter les dégâts de la violence sur le terrain. »7(*)
Lors des rencontres de la délégation au Parlement ou dans les ministères, tous ses interlocuteurs ont condamné, souvent avec beaucoup de force, la violence de l'attaque israélienne sur Gaza. Mais les intérêts vitaux de l'Égypte en matière de sécurité empêchent sans doute que cette condamnation unanime ne conduise à remettre en cause le principe de la coopération sécuritaire avec Israël.
Le souvenir du désastre militaire des Six-Jours joue sans doute également. L'Égypte en a conservé une aversion pour les aventures militaires, c'est-à-dire pour tout conflit qui n'aurait pas pour objet la défense des intérêts vitaux du pays8(*). Toutefois, la question de la réaction égyptienne à une annexion de la Cisjordanie par Israël reste ouverte : interrogé par la délégation, un responsable de haut niveau dans l'administration égyptienne a répondu qu'à titre personnel, il ne verrait pas d'autre choix pour l'Égypte que de rompre les relations.
2. ... alors que les États du Golfe veulent peser de plus en plus dans le conflit israélo-palestinien
Le levier de la normalisation qu'ont perdu l'Égypte et la Jordanie est en revanche toujours dans les mains de l'Arabie saoudite, qui était, à la veille du 7-octobre, toute proche de conclure un accord tripartite de normalisation avec Israël en échange d'une garantie de sécurité substantielle apportée par les États-Unis. La campagne meurtrière à Gaza, ainsi que le refus israélien d'envisager un État palestinien ont éloigné cette perspective, l'Arabie saoudite faisant de la perspective crédible d'un État palestinien une ligne rouge.
Une normalisation des relations entre l'Arabie saoudite et Israël ferait de cette dernière le partenaire privilégié des États-Unis et de l'État hébreu dans la région, sans doute au détriment de l'Égypte. C'est pourquoi la diplomatie égyptienne a continué jusqu'au 7 octobre à s'impliquer activement dans les discussions internationales, notamment dans le cadre du « format du Néguev » (Israël, États-Unis, Égypte, et les trois signataires des accords d'Abraham : Bahreïn, EAU, Maroc) ou encore dans les réunions d'Aqaba et de Charm el-Cheikh entre Israéliens et Palestiniens en février et mars 2023.
Les Émirats arabes unis et le Bahreïn ont, eux, franchi le pas de la normalisation le 15 septembre 2020 avec la signature des accords d'Abraham, qui se sont traduits par une coopération sécuritaire et économique renforcée.
Sans rejeter officiellement ces accords, l'Égypte les a accueillis avec méfiance pour deux raisons :
· ils faisaient à ses yeux bon marché d'un règlement politique de la question palestinienne,
· plus prosaïquement, ils menaçaient sa prééminence sur le dossier israélo-palestinien.
De ce point de vue, les massacres du 7-octobre ont donné raison à l'Égypte en montrant l'impossibilité d'ignorer la dimension politique de la question palestinienne.
En dépit de l'implication croissante des États du Golfe dans le dossier israélo-palestinien, l'Égypte conserve une forme de leadership historique dans le rôle de médiateur, que ce soit entre Israël et les factions palestiniennes ou entre ces dernières factions, principalement grâce aux réseaux sans équivalent bâtis par les services de sécurité. Si les Emirats arabes unis ont beaucoup contribué au financement des services dans la bande de Gaza via les réseaux de Mohammed Dahlan, l'un des anciens lieutenants de Yasser Arafat, si le Qatar est proche du Hamas dont il a hébergé le leadership politique jusqu'à une date récente, seule l'Égypte est aujourd'hui en mesure de parler à tout le monde.
Depuis le 7-octobre, ce rôle de médiateur dans la gestion à court terme des conflits israélo-palestiniens et interpalestiniens a été confirmé.
* 7 Idem.
* 8 L'objectif de la guerre du Kippour était strictement circonscrit : recouvrer la péninsule du Sinaï.