II. LES PROPOSITIONS OPÉRATIONNELLES
Sur le plan pratique, plusieurs propositions peuvent être soutenues pour faire de l'IA une chance pour les territoires. Aucune des 25 recommandations du rapport Aghion-Bouverot de mars 2024 ne concerne directement la déclinaison opérationnelle de l'IA sur les territoires. Mais nos travaux permettent d'identifier des axes de progrès.
· La collecte de données massives et de qualité est essentielle à la construction d'outils d'IA performants. Dans ce domaine, deux propositions peuvent être faites :
Proposition n° 1 : mieux connaître et mieux organiser la production et l'exploitation des données numériques territoriales
Cela passe par l'adoption par tous les acteurs locaux de la donnée de référentiels standardisés ou encore la création, le cas échéant, d'obligations réglementaires de remontées automatiques de données dans des bases souveraines (notamment lorsque la production de données se fait dans le cadre de l'exécution d'un service public ou lorsque la production de données bénéficie de subventions publiques).
Proposition n° 2 : affirmer le principe de propriété collective des données publiques locales
Cela pourrait passer par l'introduction de clauses contractuelles de partage des données dans les contrats de délégation de service public ou dans les marchés publics, afin que les collectivités en soient copropriétaires et puissent les utiliser et réutiliser librement.
· Ensuite, trois propositions portent sur l'utilisation proprement dite des outils d'IA (applications, logiciels, plateformes) dans les territoires :
Proposition n° 3 : mettre en production des systèmes d'IA à travers la pratique de l'expérimentation, préalable à la diffusion des bonnes pratiques
Le développement de l'IA dans les territoires s'effectue de manière progressive. Il convient de soutenir cette démarche dans le cadre des appels à projets nationaux qui doivent être poursuivis pour jouer un rôle d'amorçage. Il importe également de mettre en place des dispositifs d'évaluation de ces expérimentations, prélude à l'essaimage vers d'autres acteurs locaux.
Il s'agit de soutenir les pionniers, qui supportent des coûts et des risques importants, et de trouver un modèle économique qui n'a plus besoin de soutiens publics ensuite en diffusant rapidement les outils qui se seront révélés performants.
Proposition n° 4 : privilégier, lorsqu'ils existent, les outils d'IA souverains
La maîtrise des données et de leur analyse est un atout décisif dans la compétition économique mondiale. Une dépendance en la matière vis-à-vis d'opérateurs américains ou chinois fait aussi courir des risques stratégiques pour un pays comme la France. Les acteurs locaux seraient fragilisés par une dépendance trop forte vis-à-vis d'acteurs non maîtrisables. Ils doivent donc privilégier le choix d'outils d'IA de confiance, reposant sur des développements informatiques garantissant notamment un degré suffisant d'explicabilité, et dont les données sont hébergées sur des plateformes au moins européennes, sinon nationales, et fortement sécurisées.
On peut ajouter que les collectivités ont intérêt à se tourner vers des solutions ouvertes plutôt que des solutions propriétaires qui ne leur offrent pas de garanties de portabilité lorsqu'elles souhaiteront changer de fournisseur.
Proposition n° 5 : orienter les choix vers des IA frugales
Il s'agit de minimiser l'empreinte environnementale de l'IA et ne pas adopter d'outils surdimensionnés par rapport aux usages prévus. Sans être une norme obligatoire, le référentiel général pour l'IA frugale indique les bonnes pratiques que devraient adopter les fournisseurs de solution d'IA pour les territoires.
· Deux autres préconisations concernent les moyens à mobiliser pour réussir les utilisations de l'IA dans les territoires :
Proposition n° 6 : garantir une couverture complète du territoire en infrastructure numérique
Il convient de rappeler que le numérique a besoin d'électricité et de connectivité. Avec le cloud, les calculs peuvent être réalisés sur des serveurs situés n'importe où, mais les utilisateurs de l'IA doivent être connectés. Les systèmes d'IA ne peuvent fonctionner que si les flux de données peuvent être transportés jusqu'aux utilisateurs finaux.
Proposition n° 7 : rechercher la mutualisation des compétences locales en IA
Parce que tous les territoires ne disposent pas de moyens financiers et humains permettant de mettre en place et de suivre des projets d'IA, il conviendrait d'encourager la mutualisation des enveloppes budgétaires et des équipes dans des structures communes, capables de dialoguer avec les fournisseurs de solutions informatiques et de piloter les projets d'IA. Ce faisant, les collectivités pourraient être moins dépendantes des éditeurs de solutions ou de prestataires d'assistance à maîtrise d'ouvrage.
· Enfin, les trois dernières propositions sont tournées vers les utilisateurs de l'IA et les citoyens, qui doivent être des acteurs de la transformation numérique des territoires par l'IA et non la subir de manière passive et résignée :
Proposition n° 8 : former dans les collectivités les utilisateurs actuels et futurs de l'IA
Il s'agit de permettre aux agents territoriaux mais aussi aux citoyens utilisateurs des services publics locaux de comprendre les capacités et limites des nouveaux outils, de les exploiter avec efficacité et de préserver une capacité à les contrôler et à repérer d'éventuelles dérives.
Proposition n° 9 : anticiper la reconversion des agents dont les tâches vont être automatisées
En effet, comme l'indiquait un rapport de la délégation à la prospective de 201925(*) consacré à la robotisation des emplois de services, l'automatisation ne détruit pas le volume global d'emplois, mais elle peut transformer considérablement le contenu des emplois et les compétences requises, en transférant de nombreuses tâches aux machines. Ces évolutions, parfois très rapides, doivent être anticipées.
Proposition n° 10 : mettre en place une gouvernance locale participative de l'IA
Il convient de garantir non seulement la bonne information des citoyens sur le recours à l'IA dans les territoires mais aussi de les associer aux choix stratégiques, à la fois à travers leurs élus et de manière directe.
* 25 https://www.senat.fr/notice-rapport/2019/r19-162-notice.html