B. DES MISSIONS QUI DOIVENT AFFRONTER DES DIFFICULTÉS CROISSANTES
La première des difficultés rencontrées par les missions de l'ONU réside dans la complexité des situations qu'elles doivent affronter. La tâche à remplir va désormais le plus souvent largement au-delà des missions traditionnelles que sont la protection des civils, la surveillance du respect d'un cessez-le-feu et d'un accord de paix entre deux belligérants ainsi que l'aide à la préparation d'élections. La plupart du temps, il n'y a pas de paix à préserver : il s'agit d'abord de l'imposer avant de supprimer les causes du conflit. Depuis les années 2000, les OMP sont ainsi devenues de plus en plus dangereuses pour les soldats de la paix, les policiers et le personnel civil.
Ces mandats complexes, parfois qualifiés de « mandats sapin de Noël », impliquent en outre une coopération approfondie avec le gouvernement en place, ce qui risque souvent de faire sortir les casques bleus de l'impartialité à laquelle ils sont en principe tenus. Il en résulte qu'ils sont directement pris pour cible par les opposants au régime tout en étant utilisés comme bouc-émissaires par celui-ci pour s'exonérer de ses insuffisances. En outre, lorsqu'elles restent trop longtemps sur place, les OMP font l'objet de critiques de la part des populations qui y voient un instrument bureaucratique au bénéfice de l'administration des Nations unis plus que de leur pays, perception dûment alimentée sur les réseaux sociaux par les acteurs qui y ont intérêt.
Par ailleurs, les casques bleus sont régulièrement accusés de ne pas s'interposer lorsque des civils sont pris pour cibles, alors même que leur mandat le leur permettrait69(*). Cette situation est parfois due à un conflit entre le commandement de la force par les Nations unies d'une part, et certains pays contributeurs de troupes d'autre part. En outre, les casques bleus considèrent parfois qu'ils ne disposent pas des forces suffisantes, ou bien craignent au contraire que la manière dont ils mettent en oeuvre la force ne soit jugée excessive et ne les mette en risque sur le plan pénal.
Les allégations relatives à des abus sexuels commis par les casques bleus ont également particulièrement terni l'image de certaines OMP, par exemple au Liberia ou en République centrafricaine. Ces faits nuisent considérablement à l'accomplissement du mandat, étant évidemment diamétralement opposé à l'impératif de protection des civils. En outre, si les enquêtes des Nations unies sur ces allégations sont de plus en plus fréquentes, elles n'ont que rarement donné lieu à des poursuites et aucune n'a abouti à une condamnation.
Certains des problèmes rencontrés par les opérations de maintien de la paix sont liés à une qualité insuffisante des troupes, c'est-à-dire au fait qu'elles sont insuffisamment entraînées et équipées. De manière attendue, les troupes de meilleure qualité sont celles des pays occidentaux riches, qui ont les moyens de fournir cet entraînement et cet équipement, tandis que les pays africains, qui fournissent eux-mêmes une part croissante des troupes des missions ayant lieu sur le continent, ne disposent pas de moyens comparables.
De nombreuse réformes des opérations de maintien de la paix ont été menées au fil des années. En 2018 a été lancée par le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, l'initiative « Action pour le maintien de la paix » (A4P), afin d'aboutir à des mandats de maintien de la paix plus ciblés, avec des stratégies politiques plus claires, de mieux garantir la sécurité des casques bleus et des civils et de mieux former les troupes. Le Conseil de sécurité a également adopté une résolution visant à améliorer l'encadrement et la responsabilité. Il est cependant encore difficile de dire si ces réformes ont apporté des améliorations concrètes.
Le bilan de quelques OMP en Afrique
La mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental (MINURSO), créée en 1991, a joué un rôle important dans le maintien du cessez-le-feu au Sahara occidental, mais elle n'a pas réussi à organiser le référendum prévu en raison de la stagnation politique.
La mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (MINUSCA), créée en 2014, est parvenue à sécuriser des processus électoraux et à créer des zones de protection pour les civils. Toutefois, la persistance de la violence dans le pays et les accusations d'abus, notamment sexuels, à l'encontre des casques bleus ont entaché son mandat. Elle a en outre été en butte à des campagnes de désinformations orchestrées par le groupe Wagner dans le pays.
La mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA, 2013-2023), malgré un rôle important dans la stabilisation de certaines régions du Mali et dans le soutien au processus de paix, a fait l'objet de critiques pour son incapacité à protéger efficacement les civils dans d'autres régions. Elle a dû affronter une situation très complexe, avec des autorités peu soucieuses de faire respecter l'accord d'Alger et la multiplication des violences dues aux groupes djihadistes. En 2023, le gouvernement malien a officiellement demandé la fin de la mission.
La Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en république démocratique du Congo (MONUSCO, depuis 2010) est critiquée depuis plusieurs années pour son incapacité à protéger efficacement les civils dans certaines régions du pays où la violence reste endémique. Le président Félix Tshisekedi a demandé son départ. En 2023, la décision a été prise de de mettre en oeuvre un plan de retrait de la MONUSCO, en transférant progressivement ses responsabilités aux autorités congolaises et en renforçant les capacités locales. La mission la plus ancienne et la plus chère de l'histoire de l'ONU, avec un budget d'un peu plus d'un milliard de dollars par an, a quitté le Sud-Kivu en juin 2024, demeurant au Nord-Kivu et en Ituri.
La Mission des Nations unies au Libéria (UNMIL, 2003-2018) a réussi à stabiliser le Libéria après des années de guerre civile, en désarmant plus de 100 000 combattants et en facilitant leur réintégration dans la société. La mission a également joué un rôle important dans la promotion de la démocratie, en soutenant les élections de 2005 et de 2011. En outre, l'UNMIL a contribué à la reconstruction des infrastructures et à la restauration de l'ordre public, en travaillant étroitement avec les forces de sécurité libériennes. Cependant, des accusations d'abus de pouvoir et de mauvaise conduite par certains membres des forces de l'UNMIL ont terni la réputation de la mission.
La Mission des Nations unies au Soudan du Sud (MINUSS, depuis 2011) a protégé les civils et facilité la signature de l'Accord de paix revitalisé de 2018. La mission a également assuré la fourniture de l'aide humanitaire, garantissant la sécurité des travailleurs humanitaires dans des zones difficiles d'accès. Elle a cependant été critiquée pour son incapacité à prévenir les violences de masse en dehors des sites de protection. Des accusations d'abus de pouvoir par certains membres des forces ont également entaché sa réputation.
* 69 Un rapport de 2014 rédigé par des enquêteurs internes de l'ONU estime ainsi que les forces de maintien de la paix n'ont réagi que dans un cas sur cinq lorsque des civils étaient menacés.