N° 288

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 janvier 2025

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur l'architecture de sécurité africaine et le renouveau
des
relations de la France avec les pays africains,

Par M. Ronan LE GLEUT, Mme Marie-Arlette CARLOTTI
et M. François BONNEAU,

Sénateurs et Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Cédric Perrin, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mmes Hélène Conway-Mouret, Catherine Dumas, Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Jean-Baptiste Lemoyne, Claude Malhuret, Akli Mellouli, Philippe Paul, Rachid Temal, vice-présidents ; M. François Bonneau, Mme Vivette Lopez, MM. Hugues Saury, Jean-Marc Vayssouze-Faure, secrétaires ; MM. Étienne Blanc, Gilbert Bouchet, Mme Valérie Boyer, M. Christian Cambon, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Olivier Cigolotti, Édouard Courtial, Jérôme Darras, Mme Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Guillaume Gontard, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, Joël Guerriau, Ludovic Haye, Loïc Hervé, Alain Houpert, Patrice Joly, Mmes Gisèle Jourda, Mireille Jouve, MM. Alain Joyandet, Roger Karoutchi, Ronan Le Gleut, Didier Marie, Thierry Meignen, Jean-Jacques Panunzi, Mme Évelyne Perrot, MM. Stéphane Ravier, Jean-Luc Ruelle, Bruno Sido, Mickaël Vallet, Robert Wienie Xowie.

La persistance d'un nombre élevé de conflits armés et de crises constitue indéniablement l'un des aspects qui entrave le potentiel de développement du continent africain. Parmi les 50 pays les plus conflictuels actuellement, la moitié se trouvent en Afrique1(*). Des crises particulièrement graves se déroulent actuellement au Soudan, au Burkina Faso, au Mali, au Nigeria ou encore en République démocratique du Congo. En outre, de nombreux coups d'État ont récemment eu lieu.

Ces conflits et ces crises constituent, dans les pays qui en sont frappés, un obstacle évident à l'amélioration des conditions de vie des populations. Les violences subies, en particulier par les femmes et les enfants, sont massives, les économies ne peuvent se développer normalement, des populations entières sont déplacées, des milliers d'école doivent fermer alors que le défi de l'éducation de la nouvelle génération est immense.

Ces conflits en Afrique peuvent en outre avoir de multiples répercutions, qu'elles soient sécuritaires, migratoires ou économiques, de l'autre côté de la Méditerranée, en France et dans le reste de l'Europe.

La France entretient depuis les indépendances des liens étroits avec ses anciennes colonies, avec une dimension sécuritaire et militaire marquée. Au-delà de la défense de ses intérêts, et après la période dite de la « Françafrique » où elle pouvait garantir par des accords militaires la sauvegarde de certains régimes contre leurs opposants extérieurs ou intérieurs, la France a continué à intervenir, parfois militairement, pour évacuer ses ressortissants, mettre fin à des affrontements armés ou des crises humanitaires, voire assurer une forme de « stabilité », en même temps qu'elle soutenait les opérations de maintien de la paix des Nations unies. La France a ainsi continué à jouer un rôle géopolitique singulier sur le continent africain, ce rôle constituant l'un des éléments justifiant au fond un statut lui aussi singulier de « puissance moyenne de rang mondial »2(*).

Cependant, les circonstances de la fin de l'opération Barkhane (2014-2022) - la France ayant été sommée de quitter le Mali, le Burkina Faso et le Niger par les gouvernements putschistes - dans un contexte plus général de dégradation de son image dans les opinions publiques africaines, puis l'abandon progressif de ses bases militaires, doivent conduire à une profonde remise en cause de ce modèle.

Dès le début de son premier mandat, le président Macron avait souhaité opérer une transformation des relations de la France avec les pays africains, en diversifiant les partenariats au-delà de la seule Afrique francophone, en développant davantage des aspects économique ou culturel et en impulsant un travail de mémoire pour solder certains épisodes douloureux du passé. Le présent rapport établit d'abord le bilan de cette tentative de rénovation des relations africaines, en montrant non seulement qu'elle n'a pas pleinement réussi dans sa dimension de « diversification », mais aussi qu'elle s'est heurtée à la persistance des questions sécuritaires et militaires, auxquelles elle n'a pas su ou pu apporter de réponses satisfaisantes : en témoignent notamment la conclusion de l'opération Barkhane, le traitement du dossier des bases militaires, la progression constante d'une Russie ouvertement hostile aux intérêts français ou encore la difficulté à prendre position dans le conflit qui ravage le nord-est de la RDC.

Dès lors, loin d'une énième refondation des relations Franco-africaines, il s'agit plus modestement ici de trouver un chemin qui permette à la France, à la fois de (re)gagner la confiance de partenaires africains qui ont beaucoup changé depuis une vingtaine d'année, et de défendre sans naïveté ses intérêts sur un continent où ses concurrents stratégiques, en particulier les pays émergents, multiplient actuellement les initiatives diverses. Il s'agit de pour notre pays de tenter de regagner une position lui permettant de devenir à nouveau un acteur important et de contribuer, à sa mesure, aux objectifs de paix et de sécurité sur le continent.

À cet égard, il convient également de prendre la mesure des actions entreprises par les pays africains eux-mêmes pour faire progresser la paix et la sécurité sur leur continent, notamment via l'Union africaine (UA) et son architecture de paix et de sécurité (APSA). La progression de l'APSA est en effet à l'évidence l'un des grands axes que la France doit soutenir dans les prochaines années mais, dans ce domaine, les défis restent nombreux.

I. DEPUIS 2017, UNE VOLONTÉ DE TRANSFORMER LA RELATION AVEC LES PAYS AFRICAINS

Le précédent et l'actuels quinquennats ont été marqués par une volonté de rénover les relations entre la France et les pays africains. Paradoxalement, cette volonté de renouveau n'est pas nouvelle : depuis au moins quarante ans, chaque nouveau président de la République s'efforce de tirer les leçons de la fin de la « Françafrique » et de proposer un nouveau « narratif », à travers, notamment, des discours « fondateurs », comme celui de François Mitterrand à la Baule en juin 1990 ou de Nicolas Sarkozy à Dakar en juillet 2007. S'agissant du président Macron, c'est le discours de Ouagadougou du 28 novembre 2017 qui a constitué ce moment fondateur de la relation qu'il souhaitait entretenir avec « un continent où se joue une partie de notre avenir commun ».

A. L'« AGENDA TRANSFORMATIONNEL » : UN CHANTIER INACHEVÉ

1. Se tourner vers des pays sans histoire coloniale française pour bénéficier de nouvelles opportunités économiques : un pari pas forcément gagnant

De 2017 jusqu'au printemps 2023, le Président de la République a visité 25 pays africains, ce qui aurait fait de lui le dirigeant ayant le plus d'engagements diplomatiques avec les nations du continent3(*).

Cette impulsion nouvelle était marquée par la volonté d'un « changement de méthode »4(*) visant à resserrer les relations bilatérales autour de partenariats économiques, avec les pays anglophones, ou à tout le moins avec des pays du continent africain restés plus éloignés de l'histoire coloniale française.

Le président Macron s'est en effet rendu au Ghana dès la fin 2017, puis en Mauritanie et au Nigeria en 2018, en Éthiopie et au Kenya en 2019, en Afrique du Sud et au Rwanda en 2021, en Guinée Bissau en 2022, ou encore en Angola et en république démocratique du Congo (RDC) en 2023. La visite d'État effectuée en France par le président du Nigeria Bola Tinubu en novembre 2024 doit encore être suivie de celle du président angolais Joao Lourenço, en janvier 2025.

Les principaux partenaires économiques et énergétiques de la France sur le continent comptent à l'évidence dans cette réorientation. D'après la direction générale du Trésor, la France a ainsi importé 11,6 % de son total d'hydrocarbures du continent africain en 2023, principalement depuis le Nigéria et l'Angola, qui étaient respectivement les quatrième et onzième fournisseurs d'hydrocarbures au niveau mondial.

Depuis le premier trimestre 2024, le Nigeria est ainsi le premier partenaire commercial de Paris en Afrique subsaharienne. Une centaine d'entreprises françaises y sont présentes, dans le domaine pétrolier, la construction, ou encore la logistique. Son immense population et l'inventivité de sa jeunesse - ses 225 millions d'habitants ont 18 ans d'âge médian - constituent un terreau propice aux investissements. Le conseil d'affaires France-Nigeria, lancé en 2018 par Emmanuel Macron pour stimuler les relations commerciales entre les deux pays, s'est réuni à nouveau en juillet 2021 et en novembre 2024. D'importants contrats et un renforcement de la présence de l'Agence française de développement devaient être annoncés à son issue.

Le Kenya, où se tiendra le prochain Sommet France-Afrique, en 2026, est un autre pilier du changement de méthode mis en oeuvre par l'exécutif. Première économie de la Communauté d'Afrique de l'Est (CAE), le Kenya en est le seul pays qui soit classé à revenu intermédiaire, du fait d'investissements publics massifs dans les infrastructures - en particulier dans les transports et l'énergie. Si l'agriculture assure toujours deux tiers des emplois et l'essentiel des exportations, le Kenya est devenu rapidement le hub de l'Afrique de l'Est dans les services numériques, tel le système de paiement M-Pesa, qui a considérablement accéléré l'inclusion financière de 70 % de la population. Environ 120 entreprises françaises sont installées dans le pays, opérant dans une grande diversité de secteurs : travaux publics et le bâtiment, construction mécanique, aéronautique et défense, énergie, distribution.

Ces opportunités se heurte toutefois à deux grandes catégories de difficultés. D'abord, au plan interne, le niveau de corruption de ces États reste très élevé. D'après les classements annuels de Transparency international de la corruption perçue, le Nigeria et le Kenya sont régulièrement classés autour de la 140e place sur 180 pays, et les efforts pour lutter contre ce fléau sont assez lents à porter des fruits. L'environnement en est rendu particulièrement complexe pour les entreprises, comme les sénateurs ont pu s'en rendre compte à Nairobi auprès de leurs interlocuteurs de la communauté d'affaires expatriée. Celle-ci décrit encore un fonctionnement institutionnel que la science politique qualifie classiquement de « néo-patrimonial », pour désigner le type de relation clientéliste qui lie tel détenteur de ressources publiques avec sa communauté - dans une acception souvent ethnique5(*). Au Kenya, l'économie informelle représente plus d'un tiers du PIB.

Position dans le classement de Transparency International de sept pays africains
(sur 180 pays)

Source : commission, d'après le classement de Transparency International de 2023.

La robustesse de ces économies est en outre menacée par la fragilité financière des États. L'historien Frederick Cooper a qualifié d'« États garde-barrière » ceux issus de la décolonisation dont l'élite se borne à prélever une rente sur ce qui traverse la frontière - flux marchands, visas d'entrée ou aide internationale6(*) -, ne parvenant pas à augmenter ses prélèvements internes, ce qui serait pourtant nécessaire pour répondre aux aspirations de la population. De fait, dans de nombreux États, l'étroitesse de la base fiscale limite à l'excès les ressources publiques. Les recettes fiscales représentent par exemple dans la comptabilité publique kenyane une quinzaine de points de PIB seulement, et elles ont même eu tendance à se réduire ces dix dernières années.

Les gouvernements africains sont en conséquence redevenus nombreux à recourir plus massivement à l'endettement. Plus inquiétant que son niveau absolu, c'est la part prise par son remboursement dans les recettes disponibles qui les place dans une situation difficile. Au Ghana, au Nigeria, au Kenya ou en Angola, la part occupée par la charge d'intérêts de la dette publique dans le total des recettes publiques a presque doublé en une décennie. Au Kenya, elle absorbe en 2024 près de 60 % des recettes fiscales. Le Ghana ou l'Éthiopie n'ont pu éviter le défaut de paiement en 2022 et 2023. D'autres ont été contraints à une restructuration de leur dette, tel l'Angola en 2020. D'autres encore s'engagent dans de douloureux plans de correction budgétaire, tels le Kenyan ou le Nigeria.

Proportion de la charge d'intérêts de la dette dans les recettes budgétaires

Source : Unpacking Africa's debt, rapport du bureau du conseiller spécial Afrique des Nations unies, novembre 2024.

De telles difficultés de solvabilité ne peuvent rester longtemps sans conséquence sur la stabilité sociale, comme l'a montré la crise kenyane de l'été 2024.

La crise politique kenyane de l'été 2024

Le président William Ruto a présenté en juin 2024 au Parlement un projet de loi de finances prévoyant notamment la hausse de la TVA et des taxes sur les produits de première nécessité. La transformation de ces propositions, sous la pression de l'opposition parlementaire, en taxes sur les biens et services de construction et de certains équipements spécialisés n'a pas calmé les protestations cristallisées dans la rue. Le 25 juin, le Parlement est pris d'assaut par les manifestants et partiellement incendié, provoquant une réponse policière violente. Les événements auraient fait une vingtaine de morts, jusqu'à 200 blessés, et près de 300 arrestations. Le projet de loi est finalement abandonné le 26 juin.

Cette crise illustre bien les problèmes de l'État kenyan. Confronté à la nécessité de trouver des ressources, le Kenya s'est engagé, en signant un accord avec le FMI en janvier 2024 à aligner, en échange d'une aide d'un milliard de dollars, les prix de l'essence à la pompe et à doubler le taux de TVA. La pression maintenue à la baisse du shilling kenyan entretient la dépendance de l'économie aux exportations de matières premières et la faiblesse du pouvoir d'achat de la monnaie locale, et cette indifférence à la situation des jeunes actifs - 35 % des jeunes Kényans sont sans emploi, dans un pays où les 18-25 ans représentent 65 % du corps électoral - nourrit une fuite des cerveaux d'ailleurs encouragée activement par le gouvernement.

2. Une volonté de s'orienter vers de nouveaux secteurs d'activité et d'impliquer davantage les sociétés civiles

La stratégie déployée depuis 2017 par le Gouvernement en direction de l'Afrique a consisté à investir des secteurs de « soft power » tels que la culture, les industries culturelles et créatives, le sport, la formation professionnelle, l'entrepreneuriat et l'innovation. L'objectif de cette nouvelle orientation était de tisser davantage de liens avec les sociétés civiles en tentant de mettre à distance le legs symbolique de la colonisation et de la Françafrique, perçus comme freinant la construction d'une relation franco-africaine apaisée et positive. Il s'agissait aussi de développer les liens économiques et culturels pour contrebalancer une approche sécuritaire très critiquée, et de donner une place plus importante à la jeunesse et aux femmes.

· Dans le domaine culturel, la « saison Africa 2020 », avec ses 1 500 événements dans 210 villes françaises, a été conçue comme une concrétisation de cette ambition présidentielle de changer le regard de la France sur l'Afrique. Elle a consisté dans le lancement de partenariats entre 489 structures africaines et 422 structures françaises. L'agence française de développement (AFD) a parallèlement été chargée d'accentuer son soutien aux industries culturelles et créatives (ICC), avec par exemple le projet « accès culture », doté de 6 millions d'euros entre 2020 et 2027 réparti sur plusieurs pays, visant à accompagner et financer des projets culturels en Afrique.

· Dans les secteurs de l'entrepreneuriat et de l'innovation, 3 milliards d'euros ont été engagés au soutien aux PME par le biais du programme « Choose Africa », qui a permis, selon le Gouvernement, d'accompagner plus de 26 000 entreprises et des dizaines de milliers de micro-entrepreneurs entre 2017 et 2022. La France a également apporté une contribution de 135 millions d'euros au fond Affirmative Finance Action for Women in Africa qui facilite l'accès au crédit pour les femmes entrepreneuses dans 6 pays africains.

· L'accent a également été mis sur la coopération en matière sportive, le sport étant conçu comme « un puissant vecteur de développement et de croissance des économies africaines » dans la mesure où il concerne particulièrement la jeunesse et permet de mettre en valeur l'apport des diasporas africaines en France. Dans ce domaine, l'AFD a engagé 112 millions d'euros pour accompagner 74 athlètes et soutenir une centaine de projets en Afrique. La France a également conclu de nombreux partenariats visant à construire ou entretenir des infrastructures sportives.

· En matière d'aide au développement, à de fortes ambitions initiales et à une augmentation incontestable des moyens mis en oeuvre a succédé un freinage brutal à partir de 2023. Sur le plan budgétaire, le Président de la République s'était engagé en 2017 à « atteindre à la fin du quinquennat les 0,55% du revenu national brut en termes d'aide publique au développement », l'objectif fixé au niveau international étant de 0,7%, inscrit dans la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Le taux atteint en 2022 n'était pourtant finalement que de 0,51% et risquait de diminuer fortement en 2024 et 2025 à la suite de réductions budgétaires massive (une première coupe a eu lieu en cours de gestion 2024 et, en janvier 2025, un tiers des crédits budgétaires de l'aide au développement était en passe d'être supprimés par le PLF 2025).

En 2022, l'AFD a engagé environ un milliard d'euros et demi en Afrique sur un total de 12 milliards d'euros d'engagements. Ce montant, certes élevé, est en réalité limité par rapport aux ambitions affichées. S'agissant des priorités de cette politique de solidarité internationale, l'AFD s'est efforcée de développer, de manière cohérente avec l' « agenda transformationnel », son action vers la jeunesse d'Afrique et vers les diasporas en France. À titre d'exemple, l'agence a ainsi appuyé les deux projets « MEET Africa » et « DIASDEV », destinés respectivement aux entrepreneurs et aux investisseurs de la diaspora, afin de valoriser les nouveaux outils de transferts digitaux mobiles, de banque ou de financement participatif.

3. La diplomatie féministe et la lutte contre les discriminations

Parallèlement, la diplomatie et l'aide au développement françaises ont assumé un agenda de défense du féminisme et des minorités sexuelles.

· La « diplomatie féministe » vise ainsi à intégrer une perspective de genre dans la politique étrangère, notamment dans les domaines de la sécurité, du développement, de l'aide humanitaire, des droits humains et des relations économiques. Il s'agit de promouvoir des politiques qui favorisent la participation égale des femmes dans la prise de décision, à combattre les discriminations basées sur le genre et à soutenir des initiatives spécifiques pour les droits des femmes et des filles. Dans ce cadre, la France a consacré une partie significative de son aide au développement à des projets en faveur de l'égalité des sexes et a soutenu de nombreuses organisations féministes locales ainsi que des ONG dans leur lutte pour les droits des femmes et l'égalité de genre, en particulier sur le continent africain.

· La diplomatie française a également plaidé pour l'égalité des droits pour les personnes LGBT+ à l'échelle internationale et lutté contre les discriminations et les violences fondées sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre. Elle a soutenu financièrement des organisations locales et internationales qui oeuvrent pour la défense des droits des personnes LGBT+ et a intégré ces thématiques dans ses programmes d'aide au développement et ses initiatives diplomatiques dans les pays où les droits des LGBT+ sont menacés. Les personnes consultées par la commission ne sont cependant pas unanimes sur la mise en oeuvre réelle de ce plaidoyer, certains chercheurs estimant que la diplomatie française n'a pas été aussi « vocale » sur ce sujet que cela a été affirmé tant par les soutiens que par les détracteurs de cette approche.

En tout état de cause, ces approches féministes et de lutte contre les discriminations font l'objet de nombreuses critiques de la part de certains partenaires africains (cf. ci-dessous).

Par ailleurs, l'ensemble de ces orientations sont mises en péril par la forte baisse des crédits engagée en 2024 et qui devrait se poursuivre en 2025.

B. LA RESTITUTION DES oeUVRES D'ART : UNE DÉMARCHE ENRAYÉE ?

La restitution des oeuvres d'art et des artefacts culturels africains constitue un autre aspect important de cette volonté de renouveau des relations avec les pays africains. Cette démarche vise à reconnaître et réparer en partie les spoliations d'oeuvres d'art commises pendant la période coloniale. Le débat sur la restitution des biens culturels n'était pas nouveau, mais il avait été réactivé au cours des dernières années du fait des revendications des États africains qui souhaitaient récupérer leur patrimoine culturel. Ainsi, lors du discours prononcé à Ouagadougou le 28 novembre 2017, Le président Macron a annoncé sa volonté de restituer les objets culturels africains, affirmant que d'ici cinq ans, il souhaitait « que les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique ».

Pour donner suite à cette promesse, un rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain a été commandé à l'économiste sénégalais Felwine Sarr et à l'historienne de l'art Bénédicte Savoy.

Le Rapport Sarr-Savoy

Ce rapport é été rendu en novembre 2018. Intitulé « Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle », il a eu un retentissement très large en recommandant la restitution permanente des objets culturels emportés pendant la colonisation, sans conditions limitatives telles que des prêts temporaires ou la constitution préalable dans le cadre d'échanges culturels. Il a plaidé pour un retour massif de ces oeuvres aux pays africains concernés, estimant que leur appropriation coloniale avait contribué à priver les sociétés africaines de leur héritage culturel et à déséquilibrer les relations de pouvoir avec les anciens colonisateurs. Le rapport préconise également la création de partenariats pour la formation de personnels dans les pays africains (conservateurs, restaurateurs, etc.) et le renforcement des infrastructures muséales sur le continent pour accueillir et protéger ces oeuvres, ainsi que des modifications législatives pour lever les obstacles juridiques à leur restitution. Actuellement, les oeuvres d'art des musées publics français sont en effet soumises au principe de l'inaliénabilité des collections, ce qui rend difficile leur restitution en l'absence de cadre légal spécifique.

Le processus de restitution a effectivement commencé, bien qu'il reste encore limité en volume et en portée. En 2019, la France a rendu au Sénégal un sabre ayant appartenu à El Hadj Oumar Tall, un chef religieux et résistant à la colonisation au XIXe siècle. En 2021, la France a restitué 26 oeuvres d'art au Bénin, notamment des objets issus du trésor royal d'Abomey7(*).

Le nombre d'oeuvres restituées reste toutefois limité par rapport à l'ampleur des collections africaines présentes en France. Selon certaines estimations, environ 90 % du patrimoine culturel africain se trouve actuellement hors d'Afrique, notamment dans des musées européens. Le Musée du Quai Branly, par exemple, détient environ 70 000 objets provenant d'Afrique subsaharienne, dont seuls quelques dizaines ont été restitués jusqu'à présent.

En décembre 2020 a été votée une loi8(*) pour permettre la restitution de 26 oeuvres au Bénin et du sabre au Sénégal, mais une loi-cadre plus générale resterait nécessaire pour permettre la poursuite de ce mouvement. Un rapport a été remis en avril 2023 par Jean-Luc Martinez, ancien directeur du Louvre, à la ministre de la culture, afin d'ouvrir la voie à une telle loi fixant des critères de restitution précis. Par ailleurs, la capacité de certains pays africains à recevoir, conserver et protéger ces oeuvres après leur restitution a parfois été mise en question.

La démarche française a inspiré d'autres pays européens, tels que l'Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas,

Au total, le caractère inachevé de cette initiative, les polémiques sur l'ampleur des restitutions possibles et nécessaires et le fait que les pays européens précités semblent finalement avoir pris de l'avance sur la France, pourtant pionnière dans ce dossier complexe, empêchent de la considérer comme un plein succès.

C. LA DIFFICULTÉ D'AVANCER SUR LES QUESTIONS « MÉMORIELLES » TOUT EN MAINTENANT DE FRAGILES ÉQUILIBRES DIPLOMATIQUES

Depuis 2017, le président de la République a pris des initiatives mémorielles en lien avec la colonisation de l'Afrique et les guerres de décolonisation.

· Le dossier mémoriel le plus sensible concerne la colonisation de l'Algérie et la guerre d'indépendance (1954-1962). Le président de la République a pris une position inédite en février 2017, lors de sa campagne électorale, en qualifiant publiquement la colonisation de « crime contre l'humanité »9(*). Par la suite, en septembre 2018, il a reconnu la responsabilité de l'État français dans la torture et la mort de Maurice Audin, militant communiste favorable à l'indépendance algérienne, qui avait été enlevé et torturé par des militaires français en 1957. En décembre 2021, il a encore annoncé la réouverture anticipée (de quinze ans) des archives relatives à la guerre d'Algérie, notamment celles concernant les enquêtes judiciaires et les affaires policières, un pas important, notamment pour les historiens et les familles cherchant la vérité sur les disparitions ayant eu lieu pendant cette période.

L'initiative la plus substantielle a cependant été le travail confié à l'historien Benjamin Stora en juillet 2020. Son rapport, remis le 20 janvier 2021, proposait notamment la création d'une commission « Mémoires et vérité » qui serait « chargée d'impulser des initiatives communes entre la France et l'Algérie sur les questions de mémoires » ainsi que des pistes en ce sens : la poursuite de commémorations, comme celle des accords d'Évian du 19 mars 1962, par celle de la participation des Européens d'Algérie à la Seconde guerre mondiale10(*) ; le recueil de la parole de témoins ; ou bien encore l'inclusion d'un paragraphe visant les habitants des territoires autrefois français dans le décret du 26 septembre 2003 instituant une journée nationale d'hommage aux morts pour la France pendant la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie.

Créée en août 2022, la commission s'est réunie pour la première fois physiquement le 22 novembre 2023 à Constantine. Composée de cinq historiens français et autant d'algériens, coprésidée par Benjamin Stora et Mohamed Lahcen Zighidi, la commission a tenu à ce jour cinq réunions. Son travail, suivis d'assez près par l'Élysée11(*), a permis à ce stade d'évoquer la restitution d'archives de l'Algérie à l'époque ottomane, l'établissement d'une liste de biens symboliques aux mêmes fins de restitution12(*), la mise en place d'infrastructures de recherche communes à l'attention des universitaires des deux rives, ou encore l'identification des tombes, cimetières et autres lieux de mémoire et les conditions de leur entretien.

Ces mesures ont toutefois suscité des réactions contrastées en Algérie. Si certains gestes ont été salués comme des pas en avant, d'autres ont été jugés insuffisants par certaines associations ou par le Président algérien, qui réclame des excuses officielles pour la colonisation. Le rapport Stora a ainsi été perçu comme incomplet par certains responsables algériens, car n'allant pas jusqu'à la reconnaissance pleine et entière de crimes de guerre ou à de la nécessité de réparations13(*). Malgré ces difficultés, ces actions ont néanmoins ouvert des dialogues autour de la mémoire et ont ainsi permis des avancées.

· Le Président Macron a également abordé plusieurs épisodes de l'histoire coloniale française en dehors de l'Algérie, notamment en Afrique subsaharienne. Il a ainsi promu une meilleure reconnaissance des tirailleurs africains. Lors de la commémoration du 80e anniversaire du débarquement de Provence à l'été 2024, il leur a rendu un hommage long et circonstancié. Ces progrès ne vont toutefois pas sans heurts. À l'été 2024, la reconnaissance à titre posthume, par l'Office national français des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG) puis par le secrétariat d'État chargé des Anciens combattants et de la Mémoire, de six tirailleurs originaires du Sénégal, de Côte d'Ivoire et du Burkina Faso comme « morts pour la France » à Thiaroye, en décembre 1944, a suscité une réaction très négative des autorités sénégalaise. Son Premier ministre Ousmane Sonko a en effet estimé que « Ce n'est pas à elle [la France] de fixer unilatéralement le nombre d'Africains trahis et assassinés après avoir contribué à la sauver, ni le type et la portée de la reconnaissance et des réparations qu'ils méritent ».

Une telle reconnaissance apparaît en effet très en-deçà des attentes nourries par les responsables africains dans la qualification des crimes de la période coloniale. Lors du massacre de Thiaroye du 1er décembre 1944, des dizaines de tirailleurs sénégalais, anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale, avaient été tués par l'armée française après avoir réclamé des arriérés de soldes. Si le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a salué le « courage moral » du président Macron qui, dans un courrier à son homologue, a qualifié les faits de « massacre », le Sénégal continue cependant de réclamer à la France l'accès à toutes ses archives pour que la lumière soit faite sur les circonstances de la tuerie. Un projet de résolution demandant la création d'une commission d'enquête a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 28 novembre 2024.

L'un des dossiers les plus épineux à cet égard a été celui des responsabilités de la France dans la commission du génocide des Tutsis. Créée à la demande de l'Elysée en avril 2019, la commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsis, présidée par l'historien Vincent Duclert, a remis son rapport en mars 202114(*). Celui-ci écarte la complicité de génocide, faute de « volonté de s'associer à l'entreprise génocidaire », mais retient un « ensemble de responsabilités lourdes et accablantes » : « la France s'est [...] longtemps investie au côté d'un régime qui encourageait des massacres racistes », est restée « aveugle face à la préparation d'un génocide par les éléments les plus radicaux de ce régime », elle a adopté un « schéma binaire » opposant hutus et « ougando-tutsis », elle a tardé à rompre avec le gouvernement intérimaire auteur du génocide et a « continué à placer la menace du FPR au sommet de ses préoccupations », elle a enfin « réagi tardivement avec l'opération Turquoise, qui a permis de sauver de nombreuses vies, mais non celles de la très grande majorité des Tutsi du Rwanda »15(*).

Qualifié par le président Paul Kagame de « grand pas en avant »16(*), le rapport Duclert a ainsi permis au président Macron, en visite à Kigali en mai 2021, de reconnaître qu'« en ignorant les alertes des plus lucides observateurs, la France endossait une responsabilité accablante dans un engrenage qui a abouti au pire, alors même qu'elle cherchait précisément à l'éviter »17(*). Notre ambassade sur place, rouverte en 2021 et dirigée par Antoine Anfré, dont le rapport Duclert a salué la clairvoyance lorsqu'il était simple rédacteur en administration centrale, joue en outre un rôle actif dans l'apaisement des mémoires, son attaché de sécurité intérieure jouant en quelque sorte un rôle de magistrat de liaison avec l'office central de lutte contre les crimes contre l'humanité et les crimes de haine du parquet de Paris pour rechercher les responsables du génocide. Ces initiatives en ont depuis déclenché beaucoup d'autres : réouverture d'un bureau de l'AFD, ouverture d'un centre culturel, d'une mission de défense, relations entre services de renseignement, etc.

D. MALGRÉ CETTE VOLONTÉ DE RENOUVEAU, UNE DIFFICULTÉ PERSISTANTE À AMÉLIORER LA PERCEPTION DE LA « POLITIQUE AFRICAINE » DE LA FRANCE

Les initiatives inscrites dans le cadre de l' « agenda transformationnel », la volonté de traiter des questions mémorielles difficiles ou encore la restitution des oeuvres d'art spoliées : ces démarches ont eu le mérite de manifester une volonté de renouveau et ont constitué un effort sans doute méritoire pour mettre à distance le legs du passé dans les relations chargées d'histoire entre la France et les pays africains.

Toutefois, un décalage s'est progressivement fait jour entre le grand nombre d'annonces et d'initiatives effectuées et la difficulté à les concrétiser sur le terrain. L'exemple du sommet Afrique-France de Montpellier, qui s'est tenu le 8 octobre 2021, dans le cadre de la mission confiée par le Président de la République à l'intellectuel Achille Mbembe en février de la même année, est à cet égard significatif : trois ans après sa tenue, rares sont les initiatives concrètes qui ont suivi, à l'exception de la fondation de l'innovation pour la démocratie et de la maison des mondes africains, encore à venir18(*).

Par ailleurs, la volonté d'associer davantage les sociétés civiles et les jeunesses africaines n'est nullement parvenue à atténuer l'image d'une pratique verticale et condescendante des relations avec les pays africains. L'attitude présidentielle jugée déplacée lors du sommet de Ouagadougou en 201719(*) ou la « convocation » des chefs d'État du Sahel à Pau en janvier 2020 ont ainsi finalement rendu vains les efforts pour rendre ces relations plus égalitaires.

La diplomatie féministe et la défense des minorités sexuelles ont également rencontré des difficultés dans un contexte de montée en puissance du souverainisme et d'une forme de panafricanisme très conservateur, étant parfois considérées - de plus ou moins bonne foi selon les cas - comme une forme d'ingérence dans les « manières de vivre » nationales ou plus généralement « africaines »20(*).

Le processus de restitution des oeuvres d'art est quant à lui largement considéré comme inachevé et certaines de ses modalités sont critiquées.

Les aspects mémoriels ont eu aussi suscité de nombreuses critiques. En particulier, les déclarations sur la colonisation et la guerre d'Algérie n'ont pas permis d'améliorer la relation franco-algérienne, qui s'est même encore considérablement dégradée en 2024 à la suite de la reconnaissance par la France du plan marocain pour la Sahara occidental comme la « seule base pour aboutir à une solution politique juste, durable et négociée conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies», déclaration elle -même consécutive à une grave crise diplomatique avec le Maroc. De même, la reconnaissance de la part de responsabilité de la France dans le génocide de 1994 au Rwanda a permis d'améliorer les relations avec ce pays, mais au prix d'une position plus compliquée dans le dossier de la crise du nord-est de la RDC.

Ainsi, la volonté de poser des actes dans le domaine mémoriel, si elle constitue peut-être un investissement pour le futur, s'est heurtée aux réalités diplomatiques ou aux tendances de fond de l'évolution des sociétés africaines. En outre, des déclarations perçues comme humiliantes ou arrogantes ont eu des effets négatifs qui sont allés à l'encontre de ces efforts (cf. ci-dessous).

II. UNE STRATÉGIE RATTRAPÉE PAR LA PERSISTANCE DES QUESTIONS MILITAIRES ET SÉCURITAIRES

La volonté de diminuer la prégnance des aspects militaires dans les relations franco-africaines, incarnée dans l' « agenda transformationnel » présidentiel, s'est heurtée à la persistance des sujets « paix et sécurité » sur le continent. En particulier, dans le cadre de l'opération Barkhane, la France est restée massivement engagée en soutien du Mali, du Burkina Faso et du Niger de 2014 à 2022, soit une des plus longues et des plus coûteuses interventions militaires de la France en Afrique.

A. UN CONTINENT ENCORE PERCLUS DE FOYERS DE TENSION

Contrairement à certaines représentations qui sous-tendent le choix de se tourner davantage vers l'Afrique anglophone et de l'Est, cette région n'est pas une Afrique plus paisible où le diplomatique et l'économique pourraient prendre le pas sur le militaire. Au sein d'une Afrique subsaharienne qui reste la région du globe où l'intensité conflictuelle est la plus grande, puisqu'elle concentre environ la moitié des conflits à grande échelle recensés dans le monde chaque année21(*), les régions de l'Afrique de l'Est et d'Afrique australe comptent le plus grand nombre de personnes qui nécessitent chaque année une aide humanitaire.

Conflits armés par nombre estimé de morts liés au conflit en 2023

Source : SIPRI Yearbook 2024.

Outre les causes immédiates bien répertoriées - fréquence accrue des violences lors des consultations électorales, prévalence des coups d'État -, les progrès du djihadisme sont devenus fortement déstabilisateurs, notamment dans les sous-régions nouvellement investies par la diplomatie française. C'est le cas dans le quart sud-est du continent : le Kenya a eu à subir les attentats du mouvement Ansar Al-Sunna, ou « Chebabs », en 2011, 2013, 2015 et 2016, 2019 et 2020. Au printemps 2021, la région septentrionale du Mozambique de Cabo Delgado était presque entièrement contrôlée par les terroristes. D'après un rapport des Nations unies de janvier 2024, même si des actions contre-terroristes robustes ont réduit les djihadistes dans plusieurs pays, la menace y reste importante au Mozambique, au Nigeria, ou encore en Somalie22(*). Deux sous-régions au moins méritent une attention particulière.

· La Corne de l'Afrique présente une configuration politique et une situation géostratégique propices à l'instabilité. En janvier 2024, les tensions sous-régionales ont été ravivées par la signature d'un protocole d'accord par lequel le Somaliland accordait à l'Éthiopie, privée d'accès à la mer depuis l'indépendance de l'Érythrée en 1993, la possibilité de construire une base navale sur son territoire. La Somalie a signé en guise de rétorsion un accord de coopération militaire avec l'Égypte, laquelle entretient les plus mauvaises relations avec l'Éthiopie depuis que celle-ci a entrepris la construction d'un grand barrage en amont du Nil bleu. L'alliance militaire entre l'Égypte et la Somalie s'est étendue à l'Érythrée le 10 octobre 2024. Simultanément, une nouvelle force opérationnelle de l'Union africaine vient d'être agréée par les Nations unies23(*) pour soutenir le gouvernement somalien dans la lutte contre les Chebab, qui pourraient profiter de la situation.

L'inquiétude que suscite la sous-région est alimentée par le très fort risque de guerres par procuration. Les pays de l'alliance Égypte-Somalie-Érythrée, ainsi que le Soudan, sont dans la sphère d'influence de la Turquie et de l'Arabie saoudite, tandis que les Émirats arabes unis soutiennent l'Éthiopie, le Somaliland et le groupe paramilitaire soudanais qui conteste l'autorité de Khartoum. L'Éthiopie est encore soutenue par la Russie et la Chine au Conseil de sécurité, et militairement par l'Iran. La Mer rouge sert de base arrière aux États du golfe qui s'affrontent au Yémen et son statut d'autoroute maritime primordiale et de lieu de rencontre des militaires français, étatsuniens, italiens, chinois et japonais stationnés à Djibouti fait du contrôle de ses ports un enjeu pour beaucoup. La Russie nourrit depuis 2017 un projet de base navale sur ce littoral, que l'ancien président soudanais Omar el-Béchir lui promettait à Port-Soudan.

· L'Afrique des Grands lacs est depuis plus d'un tiers de siècle le théâtre de conflits d'une grande violence et d'une extrême complexité, laquelle est encore aggravée par le faible nombre de travaux permettant de la comprendre24(*). Ce conflit semble quoi qu'il en soit le plus meurtrier depuis la seconde guerre mondiale, puisqu'il aurait fait plusieurs millions de morts directs et indirects25(*), essentiellement des civils, et jusqu'à 7 millions de personnes déplacées à l'intérieur de la RDC, en 2024.

Déplacés internes à la RDC, en millions (1996-2020)

Source : Jason K. Stearns, d'après les rapports du Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires, op. cit. p. 6.

Le conflit est directement lié au génocide des Tutsis au Rwanda puisqu'il trouve son origine dans la poursuite, sur le territoire du Zaïre, des milices Interhamwe responsables du génocide par l'armée rwandaise victorieuse. « Le président Kagame a présenté dans ce contexte un scenario très convaincant : prévenir la commission d'un supposé génocide des Banyamulenge [Tutsis du Nord-Kivu] et supprimer la menace frontalière créée par les éléments de l'ancien gouvernement génocidaire rwandais. Les deux correspondaient à l'analyse occidentale de la situation et collaient raisonnablement bien à la réalité du terrain » 26(*).

Lorsque le président congolais installé par les armées des États voisins, Laurent-Désiré Kabila, a cherché à se défaire de cette tutelle, a éclaté la deuxième guerre du Congo, parfois qualifiée de première guerre mondiale africaine. Les armées étrangères se sont retirées de RDC en vertu de l'accord de paix de Sun City conclu en 2002, mais les caractéristiques de l'économie de guerre qui s'étaient alors mises en place sont demeurées dans le Nord-Kivu, le Sud-Kivu et l'Ituri. En 2024, l'armée congolaise s'oppose à plus d'une centaine de groupes armés composés d'opposants burundais, rwandais, ou ougandais, mais aussi de congolais, qui prennent la forme de milices formées par la population locale, sur une base souvent ethnique. Le mouvement du 23 mars, ou M23, qui avait pris la ville de Goma en 2012 avant de se faire plus discret, a repris depuis fin 2021 sa progression, avec le soutien de l'armée rwandaise. En janvier 2025, de nouvelles localités ont été conquises par le M23 en violation du cessez-le-feu signé le 30 juillet 2024 sous l'égide de l'Angola.

Mines, groupes armés et réfugiés en République démocratique du Congo

Source : Cécile Marin, dans Le Monde diplomatique de mai 2024.

Cette situation, ainsi que l'a expliqué Thierry Vircoulon devant la commission27(*), coalise les intérêts des seigneurs de guerre locaux, des autorités officielles de la région, des pays voisins comme l'Ouganda, le Burundi et le Rwanda, et s'autoalimente par l'exploitation largement illégale des ressources du sous-sol congolais. Les comportements des habitants de ces régions ont, depuis vingt ans, été largement déformés par les habitudes de la guerre, et les violences - enlèvements, meurtres, violences sexuelles - y sont endémiques. En juillet 2024, la cheffe de la Monusco décrivait « l'une des crises humanitaires les plus graves, les plus complexes et les plus négligées de notre époque »28(*). Les violations du droit international entravent l'acheminement de l'aide humanitaire. Les femmes et les filles sont les principales victimes des violences, et les incidents de violence sexuelle contre les enfants ont augmenté de 40 % en un an.

La France ne peut se désintéresser de ces conflits ouverts ou potentiels. En Afrique de l'Est, la base de Djibouti constitue un atout essentiel pour la stratégie indo-pacifique de notre pays, un point géostratégique crucial dans les actuels conflits du Moyen-Orient et un lieu d'entraînement exceptionnel pour les armées. Or tout faux pas au sein de l'enchevêtrement des alliances et des inimitiés dans la région pourrait remettre en cause la présence française dans un contexte de reflux général de ses bases militaires africaines. De même, la France se doit d'oeuvrer, avec ses partenaires de la communauté internationale, pour mettre fin au conflit en RDC.

B. L'OPÉRATION BARKHANE : UN CONFLIT AUX CAUSES COMPLEXES OÙ LE MILITAIRE N'A PU PALLIER L'ABSENCE DE SOLUTION POLITIQUE

Malgré des succès tactiques remportés contre les groupes djihadistes par l'armée française, ceux-ci ont poursuivi leurs attaques tout au long des huit ans et demi de l'opération Barkhane. L'inaction du gouvernement malien, qui ne souhaitait au fond réellement mettre en oeuvre ni l'accord d'Alger ni les profondes réformes de gouvernance que la situation aurait exigées, s'est soldée par un premier coup d'État, puis un second. Ces coups d'État ont conduit à un revirement d'alliance du pays, qui s'est rapproché de la Russie et a exigé le départ des forces françaises. Des scénarios similaires se sont produits au Burkina Faso et au Niger. Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette séquence.

1. L'insuffisante prise en compte de la complexité du conflit

Comme l'a souligné Nyagalé Bagayoko, directrice de l'African Security Sector Network (ASSN), lors de son audition par la commission, le conflit au Sahel a été constamment analysé au le seul prisme de la lutte contre le terrorisme international, grille de lecture très insuffisante qui ne pouvait conduire qu'à une stratégie lacunaire.

Selon le chercheur Alain Antil, il existe en effet en réalité, dans la crise sahélienne, trois conflits simultanés qui interfèrent entre eux :

-le premier conflit, quasiment le seul évoqué dans le discours politique et médiatique ordinaire, est celui dû à l'action des groupes terroristes porteurs d'une idéologie djihadiste et ayant pour ambition d'instaurer un nouvel ordre politique fondé sur une version fondamentaliste de l'Islam ;

-le second conflit consiste en une sorte d'insurrection des périphéries contre le centre, dans des pays où l'action de l'État central bénéficie souvent de moins en moins à la population à mesure que l'on s'éloigne de la capitale, devenant même prédatrice pour certains groupes sociaux ;

-le troisième conflit résulte d'un ensemble de révoltes sociales en cours dans des espaces donnés, dues au caractère très stratifié des sociétés sahéliennes, où persistent des formes de quasi-servage. Ce conflit est également alimenté par la jeunesse extrême de la population. Ainsi, le groupe Ansarul Islam, au Burkina Faso, recrute principalement parmi des couches marginalisées au sein des populations peules, avec pour première cible des chefferies et des imams eux-mêmes peuls.

Plutôt que de réduire l'approche au combat contre la radicalisation djihadiste, il s'agissait donc de lutter contre l'ensemble de ces facteurs de conflictualité susceptibles de faire basculer les individus dans la violence. Une telle lutte supposait un niveau élevé de coordination entre l'ensemble des acteurs et la participation active des Gouvernements locaux, ce qui n'a jamais été obtenu au Mali.

S'agissant plus particulièrement des groupes djihadistes, leur projet politique et leur vision fondamentaliste de la société, de l'école ou de la justice n'ont pas été suffisamment analysés, les autorités - et par conséquent leurs soutiens internationaux, dont la France - ne leur opposant à titre de projet politique que la pure et simple restauration de l'État, alors même que celui-ci était toujours perçu par une partie importante de la population comme une force hostile davantage que protectrice. En particulier, une large part des populations sahéliennes a continué à percevoir les armées locales comme prédatrices malgré les efforts de formation engagés, notamment au Mali par la mission de formation de l'Union européenne (EUTM). Ainsi, environ 47 % des 4 200 décès de civils documentés au Niger, au Burkina Faso et au Mali en 2020 et 2021 auraient été causés par les forces de défense et de sécurité sahéliennes ou les « groupes d'auto-défense communautaires », et non par les groupes djihadistes. Cette situation a contribué à alimenter sans cesse un flux de nouveau djihadistes venant compenser les pertes infligées par les armées locales et par l'armée française.

Les analyses plus récentes des conflits sahéliens ont parfois à nouveau tendance à surestimer les causes exogènes par rapport aux causes endogènes. Tout comme le « terrorisme international » était mis en avant comme unique facteur explicatif de la crise sécuritaire, les dynamiques géopolitiques, en particulier l'opposition de l'occident et de la Russie, sont parfois surestimés, conduisant à oblitérer à nouveau les facteurs explicatifs locaux déjà évoqués et négligeant également le « souverainisme » qui se développe actuellement de manière endogène dans toute l'Afrique de l'Ouest.

2. Une complexité qui n'est pas propre au Sahel

Il convient de souligner que cette complexité des causes du conflit n'est pas propre à celui qui se déroule au Sahel. Il en va de même du conflit autour du lac Tchad qui met aux prises les groupes issus de Boko Haram avec les armées des pays alentour, des conflits multiples dans le nord du Nigéria impliquant des terroristes et des groupes de « bandits », ou encore des conflits de l'est et de la corne de l'Afrique. De même, le conflit en RDC a atteint une complexité inouïe du fait de sa durée, du nombre de groupes armés qui y participent et de l'intrication des enjeux géopolitique - tous les États de la région sont impliqués à un titre ou un autre - et économiques, la RDC abritant les gisements les plus importants du monde de plusieurs minerais essentiels au fonctionnement de la nouvelle économie mondiale.

Comme le montre le chercheur Jonathan Guiffard29(*), le vocabulaire de la « crise », omniprésent dans les discours officiels comme médiatiques pour évoquer ces conflits, a tendance à effacer cette complexité au profit de la recherche d'une « solution » qui pourrait « résoudre » la crise, généralement, pense-t-on, en quelques mois ou au plus quelques années. Cette « solution » se focalisant sur les causes conjoncturelles des conflits, généralement en privilégiant l'approche militaire, elle ne permet pas d'améliorer la situation sur le long terme, d'où des conflits qui s'éternisent.

3. Une approche globale 3D « diplomatie, défense, développement » qui n'a pas fonctionné

L'approche dite « 3D » au Sahel avait pour objectif d'apporter une réponse globale à la crise à travers l'articulation des acteurs de la défense, de la diplomatie et du développement, en phase de prévention, stabilisation et développement. La mise en place de cette approche a été formalisée à partir de 2016 avec le rapprochement entre l'état-major des Armées (EMA) et l'AFD, à travers la signature d'un accord-cadre de partenariat et d'un accord de terrain, complétés par des échanges de personnels. Sur le fond, elle a visé dans un premier temps à répondre aux besoins dans les services essentiels (eau, santé et éducation), tout en renforçant les autorités locales et en dynamisant l'économie. Devait suivre un effort en faveur du retour de l'État à travers l'instruction de projets de gouvernance, afin de renforcer les liens entre les autorités et les populations.

Intéressante sur le papier, cette approche n'a pas permis de transcender les difficultés rencontrées et d'avoir un effet suffisamment transformateur sur les espaces concernés pour arracher à la racine les facteurs de conflit.

Sur le plan de la diplomatie, notamment, la position de la France s'est progressivement dégradée, jusqu'à la brouille avec les trois pays du Sahel central. Les autorités françaises n'ignoraient pas l'état de la démocratie malienne, très corrompue malgré la tenue régulière d'élections. La France a dû néanmoins, sans doute faute d'alternative, poursuivre sa coopération avec les autorités. Cependant, rien n'incitait en réalité les dirigeants maliens ni leurs opposants à aller de l'avant dans la mise en oeuvre de l'accord de paix, chacune des parties s'accommodant très bien du statu quo. En outre, la France a été accusée d'être hostile à l'unité et la souveraineté du Mali par complaisance envers les Touaregs.

Après Serval en 2013, la poursuite de l'intervention militaire française sous une forme nouvelle (Barkhane) est ainsi devenue suspecte pour de nombreux Maliens, d'autant plus que cette opération a beaucoup fonctionné en enclave, sans associer systématiquement l'armée malienne (considérée, non sans raisons, comme peu fiable). Par la suite, après la période du premier putsch, au cours duquel les relations avec la France sont restées correctes, le Mali a décidé de rompre unilatéralement non seulement avec la France, mais aussi avec l'ensemble des autres partenaires engagés auprès du pays.

Les moyens dont disposait la diplomatie française pour mettre en oeuvre l'approche 3D tout en luttant contre la désinformation anti-française sur les réseaux sociaux étaient par ailleurs très limités, du fait de la réduction des effectifs et des moyens au fil des années tant en administration centrale que dans les ambassades des pays concernés.

Il est apparu en outre que le mandat spécifique de chacun des 3 « D » devait être mieux respecté afin d'éviter une confusion entre les missions des différents acteurs. Ainsi, la continuité entre les actions militaires et les actions de développement pouvait présenter des risques pour l'activité des ONG et des autres acteurs du développement, la neutralité par rapport aux parties en conflit constituant la clef de voute de la capacité à intervenir de ces acteurs.

En dépit des moyens significatifs débloqués dans le cadre de l'Alliance Sahel par les pays européens et leurs agences de développement, via le programme d'investissements prioritaires (PIP) du G5 Sahel et le programme de développement d'urgence (PDU) du Sahel, les effets sur le terrain n'ont pas été « à l'échelle » dans les zones de crise. Plus généralement, les actions de développement sont restées trop centrées sur les aspects économiques alors que les causes du conflit étaient plutôt de l'ordre de la demande de justice ou encore d'un égal accès aux services publics30(*).

Enfin, l'accent n'a pas été suffisamment mis sur la restauration des forces de sécurité civiles. Le « continuum sécurité-développement » est resté trop souvent un « continuum défense-développement », les missions qui devraient être dévolues à des forces de police étant généralement exercées par les militaires.

Au total, l'opération Barkhane s'est soldée par une perte sans précédent des positions françaises dans la région, d'autant que le Tchad a demandé à son tour fin 2024 le départ des militaires français. Cette perte a été aggravée par la décision inédite, largement incomprise, de cesser toute aide au développement en direction du Mali, du Niger et du Burkina Faso, y compris l'aide transitant par la société civile et la coopération décentralisée, et de suspendre temporairement les mobilités étudiantes. Ceci est en effet apparu comme une mesure de rétorsion touchant davantage les populations que les dirigeants putschistes.

C. EN AFRIQUE DE L'OUEST, AU SAHEL ET EN AFRIQUE CENTRALE, DES INTÉRÊTS FRANÇAIS MODESTES MAIS RÉELS ET QUI DOIVENT ÊTRE PROTÉGÉS

Les intérêts français humains ou économiques en Afrique de l'Ouest restent soumis à des risques sécuritaires substantiels, ce qui plaide contre un désintérêt ou un retrait français de la région.

1. Des intérêts toujours présents

Si la volonté d'approfondir les relations et les partenariats avec les pays anglophones et les pays d'Afrique de l'Est n'appelle aucune critique, en revanche, s'éloigner de l'Afrique de l'Ouest n'est en réalité pas une option envisageable pour la France.

À côté du Nigéria, premier partenaire économique de la France sur le continent, les échanges avec d'autres pays de la région comme la Côte d'Ivoire et le Cameroun restent significatifs. Plusieurs autres pays, comme le Sénégal, ont également un potentiel de développement économique important. De nombreuses PME et des multinationales françaises sont par ailleurs bien implantées dans chacun de ces pays.

En outre, environ 80 000 Français sont présents dans le golfe de Guinée, y travaillent et y entreprennent. Plus largement, 200 000 Français environ vivent en Afrique francophone. Cette présence française est parfois profondément enracinée. A titre d'exemple, le sociologue Francis Akindes, enseignant à l'Université de Bouaké, explique, au sujet de la Côte d'Ivoire, que « Le ressentiment anti-français n'a jamais réussi à faire disparaître le lien affectif entre les deux peuples. Ce lien se retrouve plus en Côte d'Ivoire qu'ailleurs, avec la présence française dans le secteur privé, la vie sociale, et une communauté de Français importante, présente depuis parfois trois générations. Les métis franco-ivoiriens traduisent une proximité culturelle et religieuse plus forte qu'au Sénégal par exemple, avec des administrateurs et des entrepreneurs qui portent des noms français, et sont de souche ivoirienne à travers leur mère».

Le fait que la France ait des relations anciennes et approfondies, notamment sur le plan culturel, et des partenariats très développés avec les pays de la région constitue aussi un élément de son statut international, de son rayonnement et de sa capacité d'influence.

L'Afrique de l'Ouest revêt enfin actuellement une importance certaine sur le plan des migrations : région d'accueil des migrants issus du golfe de Guinée ou du Sahel, elle est une région de départ significative vers l'Europe, avec notamment de nombreux départs depuis les côtes sénégalaises.

2. Des menaces réelles dans le golfe de Guinée

L'ensemble de ces intérêts français est confronté à diverses menaces. Celles-ci justifient la pérennité d'un certain engagement sécuritaire français dans la région. La France contribue d'ailleurs déjà à combattre ces menaces en coopération avec ses différents partenaires et à leur demande.

Si la piraterie semble en régression depuis quatre ans (le nombre d'attaques a radicalement diminué, passant de 115 incidents en 2020 à 52 en 2021, et seulement une vingtaine en 2022), sans qu'un retournement de tendance puisse être écarté pour l'avenir, ce n'est pas le cas du terrorisme djihadiste.

Depuis plusieurs années, l'expansion des groupes djihadistes, auparavant principalement présents au Sahel, vers les pays du golfe de Guinée, suscite une inquiétude croissante. Depuis l'attentat de Grand-Bassam en Côte d'Ivoire en 2016, plusieurs attaques ont frappé des États de la région, avec une intensification notable depuis 2021. Bien que les djihadistes n'aient pas réussi à mettre en place un contrôle de type territorial, ils s'infiltrent dans les régions reculées, notamment dans les grands parcs naturels, et perpètrent des attaques ciblées contre les gardiens et les autres représentants de l'État. Le Togo et le Bénin ont été particulièrement touchés par ces incursions. Parallèlement, les djihadistes tentent de s'ancrer dans les communautés locales et s'introduisent dans les écoles coraniques. Comme au Sahel, ils attaquent les symboles de l'État dans les zones où les populations sont marginalisées. Ils exploitent également les tensions interethniques et les conflits sociaux préexistants. Ainsi, l'ensemble des pays de la région se trouve exposé à cette menace en raison de vulnérabilités partagées face au terrorisme, liées aux conflits sur l'usage des terres, aux inégalités socio-économiques extrêmes et à l'influence des groupes djihadistes déjà actifs dans les pays sahéliens voisins.

Les pays du golfe de Guinée semblent avoir pris plus rapidement conscience de l'importance de cette menace et avoir pris des mesures en conséquence31(*).

Par ailleurs, le trafic international de drogue, principalement dirigé vers l'Europe, représente une menace croissante en Afrique de l'Ouest. Une part importante de la cocaïne consommée en Europe transite aujourd'hui par les pays du golfe de Guinée. Les saisies de la Marine nationale dans la région sont ainsi de plus en plus massives. Un véritable « écosystème » de la drogue s'est développé le long de la côte du golfe de Guinée. Il s'appuie sur des infrastructures telles que les aéroports internationaux, les ports maritimes dotés de terminaux à conteneurs et les réseaux routiers régionaux, facilitant ainsi la redistribution de la drogue en Afrique et vers l'Europe. Or, comme l'a montré la commission d'enquête dirigée par nos collègues Etienne Blanc et Jérôme Durain32(*), la lutte contre le trafic de drogues est désormais un enjeu de première importance pour la France.

Enfin, l'Afrique de l'Ouest est également confrontée au pillage ou à la surpêche de ses ressources halieutiques (par des navires chinois, mais aussi européens), ce qui fragilise de nombreuses communautés vivant de cette ressource. La marine française mène des actions contre la pêche illégale dans le cadre de l'opération Corymbe, notamment par des patrouilles de surveillance des zones de pêche. Ces opérations permettent de détecter et de dissuader les activités illégales, en coopération avec les centres d'opérations maritimes des partenaires africains de la région.

3. Des risques importants de crises politiques en Afrique centrale dans les années à venir

L'Afrique centrale connaît également des facteurs de risques importants, en particulier sur le plan politique.

En effet, trois pays de la région pourraient connaître prochainement, compte-tenu de l'âge avancé de leur dirigeants, un changement de chef d'État : le Congo, la Guinée équatoriale et le Cameroun. L'analyse de la situation dans chacun de ces pays révèle d'importants facteurs de risque et des similitudes avec des situations ayant auparavant donné lieu à des crises dans la région.

L'Équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema Mbasogo est ainsi âgé de 82 ans dont 45 au pouvoir, le Camerounais Paul Biya de 91 ans dont 42 au pouvoir et le Congolais Denis Sassou Nguesso de 81 ans, dont 38 cumulés au pouvoir. Cette situation est similaire à celle de la fin du pouvoir exercé par en Côte d'Ivoire (1960-1993), Gnassingbé Eyadema au Togo (1965-2005) et Omar Bongo Ondimba au Gabon (1967-2009). En Côte d'Ivoire, la mort de Félix Houphouët-Boigny en 1993 avait conduit au premier coup d'État militaire de l'histoire du pays, puis à la guerre civile. Au Togo et au Gabon, un conflit d'héritage avait conduit à des troubles significatifs - le Gabon a fini par subir un coup d'État le 30 août 2023 mettant fin à la présidence controversée d'Ali Bongo. Dans les trois pays, d'une part, le pouvoir revêt une dimension très patrimoniale -ce qui implique la notion de transmission ou de succession - et, d'autre part, le chef d'État est entouré par deux cercles, le premier familial et le second d'affidés, au sein desquels ont lieu des compétitions pour la succession.

Les facteurs d'instabilité au Congo,
en Guinée équatoriale et au Cameroun

En Guinée équatoriale, Teodorin Nguema Obiang Mangue, le fils aîné du chef de l'État et de la première dame, est vice-président de la République, en charge de la défense et de la sécurité de l'État, et « numéro 2 » du parti au pouvoir (Parti démocratique de Guinée Équatoriale, PDGE), tandis que Gabriel Mbega Obiang Lima, benjamin né d'une mère originaire de Sao Tomé et Principe, lui aussi plusieurs fois membre du gouvernement, en charge du ministère des Mines et du pétrole puis du ministère de la Planification et de la Diversification économique, est parfois considéré comme le favori des investisseurs.

Au Congo Brazzaville, outre un entrelacs familial comparable, de graves fractures entre le nord et le sud du pays et entre plusieurs ethnies peuvent également susciter des inquiétudes dans ce pays qui a déjà connu la guerre civile.

Au Cameroun, si la famille du Président ne semble pas devoir jouer un rôle important dans la succession, l'absence d'héritier désigné au sein du parti au pouvoir pourrait aussi provoquer des conflits. Surtout, le pays est une véritable mosaïque, avec de nombreuses lignes de fractures et des forces centrifuges importantes. Il doit affronter depuis 2014 le groupe terroriste islamiste Boko Haram mais également un mouvement insurrectionnel déclenché en 2017 par les sécessionnistes de la minorité anglophone (20 %) dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest. La dégradation de la situation au Cameroun, qui abrite déjà sur son sol des centaines de milliers de réfugiés des pays avoisinants et joue un rôle essentiel dans l'économie de la région, est ainsi particulièrement porteuse de risques pour la stabilité de celle-ci.

En outre, les États environnants (RDC, République centrafricaine, Tchad) connaissent eux-aussi de graves crises susceptibles d'avoir des retentissements chez leurs voisins.

L'ensemble de ces facteurs de risques doivent être correctement anticipés afin que la France puisse, le cas échéant, y réagir de manière appropriée, notamment pour protéger ses ressortissants, sans dégrader son image auprès des populations.

D. UNE RÉDUCTION MAL NÉGOCIÉE DU FORMAT DES BASES FRANÇAISES EN AFRIQUE DE L'OUEST

Depuis 2023, une nouvelle réduction très importante du volume des effectifs des bases militaires françaises en Afrique de l'Ouest est en cours. Cette réforme intervient au terme d'un long processus de déflation s'étalant sur plusieurs décennies.

1. Une diminution qui fait suite à de précédentes déflations

En dehors des déploiements temporaires liés à l'opération Barkhane, la France conservait jusqu'à la fin de 2024 quatre bases permanentes situées à Dakar (Sénégal), Abidjan (Côte d'Ivoire), Libreville (Gabon) et Djibouti, ainsi que des implantations importantes au Tchad.

Ces bases remplissent deux fonctions principales : la formation et le soutien logistique aux opérations militaires. Les installations de Dakar et Libreville sont davantage orientées vers la coopération civile, avec des séjours prolongés pour les troupes françaises et un armement très limité sur place. À l'inverse, les bases d'Abidjan et de Djibouti servent de points d'appui opérationnels, avec des forces qui peuvent être mobilisées sur décision du président de la République, en coordination avec les demandes des États voisins.

La présence des bases française fait l'objet d'un accord avec les autorités locales. Ainsi, l'accord relatif à la base de Djibouti a été récemment renouvelé après une longue négociation portant notamment sur l'aspect financier (le loyer versé est de 85 millions d'euros par an).

Il y a 10 ans, en 2014, dans le cadre des accords de coopération et de défense conclus avec des pays africains, la France entretenait des forces prépositionnées au sein de bases permanentes en trois points du continent : au Sénégal, avec les Éléments français au Sénégal (EFS) basés à Dakar ; au Gabon, avec les Forces françaises au Gabon (FFG) basées pour l'essentiel à Libreville ; à Djibouti, avec les Forces françaises stationnées à Djibouti (FFDj). Des réductions drastiques d'effectifs ayant été prévues par le livre blanc de 2013 et la Loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019, les forces françaises au Gabon sont passées de 900 à 350 hommes pour former les Éléments français du Gabon (EFG), qui couvrent désormais les onze pays de la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC). Par ailleurs, une base permanente a été maintenue en Côte d'Ivoire après la fin de l'opération Licorne en 2015, avec un effectif d'environ 1 000 hommes, permettant à la France de garder une capacité militaire opérationnelle en Afrique de l'Ouest. Enfin, en Afrique de l'Est, les forces françaises à Djibouti, connectées aux bases des Émirats arabes unis, ainsi qu'aux forces armées dans la zone sud de l'océan Indien (FASZOI) à Mayotte et La Réunion, ont également été préservées.

Il convient par ailleurs de rappeler qu'entre 1996 et 2015, la France avait déjà considérablement réduit la taille de ses forces de présence à l'étranger. Les 1 500 soldats des Éléments français d'assistance opérationnels (EFAO), stationnés à Bangui et Bouar en Centrafrique, ont été retirés en 1996. La déflation a également concerné Dakar, Abidjan, Libreville et Djibouti. En conséquence, l'effectif global des forces françaises était passé de 8 000 en 1995 à 5 000 en 2001. La Révision générale des politiques publiques (RGPP) de 2008 et le Livre blanc sur la défense de 2008 avaient accentué la tendance, notamment en raison de la diversification des sources d'approvisionnement stratégique. Ce réajustement s'est traduit par l'ouverture d'une base permanente à Abou Dhabi, aux Émirats arabes unis, en 2009. De même, les 1 200 soldats des Forces françaises du Cap Vert avaient été retirés et remplacés par les Éléments français du Sénégal, avec seulement 350 militaires.

2. Une nouvelle diminution des effectifs à partir de 2023 et une rétrocession des bases au Sénégal et en Côte d'Ivoire

Le président de la République a annoncé, dans un discours du 27 février 2023, une « diminution visible » des effectifs militaires français en Afrique, concernant l'ensemble des bases en Afrique de l'Ouest. Cette réforme ne concerne pas Djibouti, dont la dimension Indo-Pacifique est actuellement considérée comme prioritaire, sans oublier les enjeux actuels au Moyen-Orient-. Il s'agirait ainsi de s'adapter au nouveau contexte géopolitique en étant moins exposé dans le « champ informationnel » et parallèlement de mieux répondre aux attentes des partenaires (par exemple les demandes en matière de renseignement, de développement de capacités aériennes ou de sécurité maritime).

Cette évolution passe par un transfert de responsabilité de certaines entreprises de la France vers les partenaires. Elle doit se traduire par la mise en place d'une dispositif « socle » de taille réduite auquel s'ajouteront des détachements à géométrie variable en fonction des missions (formation, entraînement conjoint, soutien au développement d'une capacité du partenaire, appui opérationnel, intervention). Ces détachements viendront avec leur propre soutien ou bénéficieront du soutien conservé au sein de la base dans le « dispositif socle ». Ainsi, au Gabon, les capacités qui resteront présentes sur la base militaire à l'été 2025, soit moins de 100 militaires, devront permettre d'accueillir 150 militaires détachés en deux semaines et 400 en deux mois.

L'offre de formation serait rénovée, en s'appuyant davantage sur les écoles militaires en France et les écoles nationales à vocation régionale (ENVR) ainsi que les opérateurs extérieurs comme DCI, et en complémentarité avec les offres extérieures (OTAN, PSDC...). Les bases, quant à elle, verront s'installer des écoles et des académies militaires où les partenaires seront appelés à prendre une part croissante.

La réforme passerait également par un accompagnement des partenaires en matière capacitaire (équipement, doctrine, organisation, soutien, maintien en condition opérationnelle...) afin de les aider à développer des réponses adaptées aux enjeux de sécurité actuels.

En décembre 2023 a été prise la décision d'accélérer cette déflation, après le départ précipité du Niger en juillet 2023. En Côte d'Ivoire, les effectifs de la base de Port-Bouët sont ainsi passés en un an de 950 à 400 hommes. Des militaires Ivoiriens s'installent progressivement dans la base de Port Bouet, qui sera rétrocédée au pays en janvier 2025, en replacement des militaires français. De même, les effectifs au Gabon et au Sénégal passeraient de 350 à une centaine d'hommes.

Parallèlement à cette manoeuvre, l'ancien ministre et ancien sénateur Jean-Marie Bockel a été nommé « envoyé personnel du Président de la République pour l'Afrique », afin d'expliquer la réforme aux partenaires africains.

3. Un dispositif qui permettait une grande réactivité

Les forces de présence en Afrique permettent notamment d'intervenir en urgence : pour l'opération Serval, en janvier 2013, les unités prépositionnées au Tchad, en Côte d'Ivoire et au Sénégal ont rejoint le Mali pour former un groupement tactique de circonstance, en liaison avec les forces spéciales et avec le soutien de l'armée de l'air. Cette arrivée a permis, avant de repousser l'offensive djihadiste, de sécuriser des milliers de ressortissants français ou d'autres pays. En République centrafricaine, un scénario comparable s'est déroulé dans une situation humanitaire très dégradée. L'opération Sangaris a ainsi vu se greffer à l'opération Boali préexistante des unités venues du Gabon, du Tchad et de Djibouti, commandées par un état-major armé par les forces françaises du Gabon.

L'opération Sagittaire a également été un succès en grande partie grâce au soutien des forces prépositionnées à Djibouti, la base ayant pu accueillir trois A400M et un C130 de l'armée de l'Air et de l'Espace afin de recevoir les évacués lors de 9 rotations aériennes avec le Soudan. Cette opération a ainsi permis la mise en sécurité de plus de 900 ressortissants, dont plus de 300 étrangers, issus de plus de 80 nations différentes.

Cette capacité à venir en aide aux ressortissants français et européens est ainsi étroitement liée à la capacité des implantations à recevoir en un temps très réduit les matériels nécessaires et à les mettre en oeuvre. En l'occurrence, pendant l'opération Sagittaire, un détachement a pu notamment accueillir et filtrer ces ressortissants avec le renfort du Centre de crise du Quai d'Orsay, tandis que des aviateurs de la base 188 djiboutienne étaient en charge de la coordination de l'escale aérienne escale et de la gestion logistique. L'ensemble des FFDJ ont pu assister les ressortissants, qui étaient dans une situation précaire, lors de leur arrivée sur la base et faciliter leur départ vers la France. Par ailleurs, cette capacité à prendre en charge les ressortissants étrangers rejaillit de manière très positive sur l'image de la France.

Ainsi, selon le colonel François, alors en poste au Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), « le vrai point fort de la manoeuvre, cela a été la situation de nos forces prépositionnées, le fait d'avoir sur place un état-major opératif, qui a des connexions et des liens avec les acteurs sur place, et une véritable capacité de commandement, cela nous a fait gagner plusieurs jours ».

Les forces prépositionnées permettent ainsi de réagir très vite lorsque la situation sécuritaire d'un pays africain impose une mise à l'abri nos ressortissants et de ceux des autres pays européens présents dans ce pays. En 2014 le général Bertrand Ract Madoux, chef d'état-major de l'armée de terre, déclarait à une mission de l'Assemblée nationale que « la protection des 270 000 citoyens français résidant sur le continent africain, et les obligations que nous avons dans ce domaine vis-à-vis des ressortissants étrangers, en particulier européens et nord-américains, imposent que nous disposions de forces implantées et structurées pour pouvoir assumer ce volet essentiel de notre défense ». Le général précisait que « nos forces prépositionnées restent naturellement les mieux placées pour intervenir en premier, et faire face à l'urgence absolue car elles disposent pour cela d'atouts difficilement remplaçables », parmi lesquels la stabilité de leur base logistique, la permanence de leurs moyens de commandement, et la présence en nombre adapté d'unités équipées et entraînées.

4. Une nouvelle réduction qui n'a pas été véritablement négociée avec les partenaires africains

La réduction du format des bases militaires décidée en janvier 2023 concerne les trois bases d'Afrique de l'Ouest en aboutissant à une diminution d'environ deux tiers des effectifs dans chacune d'entre elles, et, à la suite des décisions des autorités de ces deux pays, à une rétrocession des emprises au Sénégal et en Côte d'Ivoire. Motivée par la volonté légitime de « réduire l'empreinte » au sein des capitales des pays partenaires afin de diminuer l'expositions aux critiques formulées contre la présence militaire française, cette déflation peut poser question par ses modalités de mise en oeuvre, notamment l'absence de réelle négociation avec les partenaires africains et l'insuffisante prise en compte des différences importantes entre les contextes respectifs des trois pays concernés.

De ce fait, la réforme a semblé être soit imposée aux partenaires, soit au contraire subie par la France, sans jamais résulter d'une vraie négociation bilatérale, au détriment finalement de l'image et de l'influence de notre pays.

Il existe depuis quelques années au sein des sociétés civiles et des populations d'Afrique de l'Ouest un fort courant néo-souverainiste qui critique les bases militaires françaises en y voyant un reliquat du colonialisme. Ce courant s'exprime fortement sur les réseaux sociaux et dans les médias. Au-delà, il est même devenu une sorte de dénominateur commun à une grande partie de la population, notamment urbaine. Cela explique qu'il soit fréquemment mobilisé à des fins électorales.

En revanche, les bases militaires françaises étaient jusqu'à présent appréciées par les autorités et par les armées des pays partenaires, demandeuses d'actions de formation et de coopération militaire, ainsi que, dans le golfe de Guinée, d'un soutien dans la lutte contre des menaces djihadistes qui persistent, voire se développent.

Cette situation complexe appelait une négociation au cas par cas de l'évolution du format, tenant compte, d'une part, des demandes en matière de coopération des autorités concernées, notamment militaire et, d'autre part, du contexte de l'opinion publique.

Or la décision de réduire drastiquement le format des bases semble avoir été décidée à Paris, de manière verticale, sans négociation préalable avec des partenaires africains auprès desquels était pourtant simultanément proposée une nouvelle approche consistant à les écouter davantage et à mieux répondre à leurs demandes. Dans ce contexte, la nomination d'un émissaire du Président de la république est apparue davantage comme une opération de « service après-vente » que comme la manifestation d'une approche négociée.

Au Sénégal, ce n'est pas tant la présence militaire que celle des grandes entreprises françaises qui suscitait auparavant des critiques, tout comme la forte présence de la France dans le champ culturel et de l'aide au développement33(*). La coopération militaire avec l'armée sénégalaise, fiable et bien entraînée selon les interlocuteurs de la mission, était excellente et appréciée par cette armée et par les autorités. En 2023, une discussion à propos de la déflation de la base avait eu lieu entre l'envoyé spécial du Président de la république Jean-Marie Bockel et le président Macky Sall, mais seulement quelques semaines avec les élections. Il semblerait que les militaires sénégalais aient vivement exprimé leur mécontentement34(*) face à l'absence de négociation préalable, les chiffres de la déflation des effectifs français ayant été publiés dans la presse avant toute discussion bilatérale. De même, lorsque l'actuel ministre des armées s'est rendu au Sénégal en février 2023 afin de tenter l'apaiser la situation, les militaires sénégalais ont regretté l'absence de concertation. Les autorités sont allées jusqu'à refuser de récupérer deux emprises que la France voulait leur rétrocéder. Dès lors, le processus avait été gelé par les autorités françaises. Cependant, en novembre 2024, dans des interviews à la presse35(*), le président Diomaye Faye a finalement estimé, conformément aux positions souverainistes constantes du Pastef, le parti dont il est issu, qu'aucune base militaire étrangère n'avait vocation à rester installée au Sénégal. Le 31 décembre 2024, il a indiqué que ce départ devrait avoir lieu en 2025.

En Côte d'Ivoire, il existe comme ailleurs en Afrique de l'Ouest des critiques à l'encontre de la France. Les autorités ivoiriennes étaient cependant conscientes de la persistance des menaces djihadistes dans le nord du pays, contre lesquelles la France, avec sa base militaire, offrait une aide considérée comme utile. En tout état de cause, alors que la réduction de la présence militaire française avait été initiée par la France, le président ivoirien a finalement repris politiquement (et médiatiquement) la main en annonçant la rétrocession de la base française lors de ses voeux du 31 décembre 2024, ce qui lui a permis de capitaliser sur le courant hostile à la présence française dans l'opinion publique, peut-être en vue de l'élection présidentielle de 2025.

Il n'en va pas de même au Gabon, où, comme la mission a pu le constater lors de son déplacement dans ce pays, les critiques à l'encontre de la France étaient, jusqu'à récemment, plus rares et n'étaient pas instrumentalisés par la classe politique. Ainsi, ni la société civile ni les dirigeants actuels issus du coup d'État ne tiennent un discours critique à l'égard de cette présence des militaires français. Cependant, compte-tenu d'un possible effet de contagion, il ne serait pas étonnant que les dirigeants gabonais finissent par demander à leur tour la rétrocession complète des emprises militaires françaises.

Enfin, au Tchad, contrairement aux autres cas, la France s'est ouvertement investie pour conserver la présence de ses militaires, y compris en manifestant publiquement un fort soutien à une transition non démocratique, ce qui a beaucoup alimenté les critiques. Les circonstances dans lesquelles elle a finalement été forcée de renoncer à cette présence montrent en outre un certain manque d'anticipation. En effet, depuis de longs mois, il existait des signaux d'un rapprochement entre le Tchad et la Russie, avec notamment une visite du président tchadien à Moscou en janvier 2024 et l'ouverture d'une maison de la Russie à Ndjamena. Par ailleurs, l'aide budgétaire massive fournie au Tchad par les Émirats arabes unis et la convergence d'intérêt des deux pays dans la crise soudanaise risquait à l'évidence d'entrer en opposition avec la volonté française d'oeuvrer pour un apaisement de ce conflit. Ces événements ont ainsi conduit de manière assez prévisible à l'annonce par le président tchadien de la fin de la coopération militaire le 28 novembre 2024, puis à la rétrocession de la base de Faya Largeau, dès le 26 décembre de la même année.

Pour résumer l'ensemble de cette séquence, le Gouvernement s'était engagé par anticipation dans une réduction drastique du format des bases françaises au Sénégal, en Côte d'Ivoire et au Gabon pour s'adapter au contexte d'impopularité croissante de la présence militaire française en Afrique francophone, tout en oeuvrant pour conserver une forte présence au Tchad.

A l'arrivée, rien ne s'est passé comme prévu : la déflation en Côte d'Ivoire et au Sénégal, d'abord critiquée par les partenaires africains pour son caractère unilatéral, est devenue une déprise forcée, à la demande d'autorités non dépourvues de visées électoralistes compte-tenu d'opinions publiques de plus en plus souverainistes, tandis que le Tchad, dont la France a pourtant soutenu la « transition » non démocratique, a commencé à glisser vers le camp « pro-russe » et exigé le départ des soldats français.

5. Une déflation qui risque d'avoir un impact négatif à long terme sur les actions de formation et de coopération...

Le discours officiel accompagnant la réduction des effectifs des bases militaires promettait des améliorations futures en termes de formation des militaires des armées partenaires. Au sein des bases ont en effet lieu des actions de coopération et de formation opérationnelle des unités des partenaires, qui s'ajoutent à la coopération structurelle mise en oeuvre par la DCSD du ministère des affaires étrangères, notamment au sein des écoles nationales à vocation régionale (ENVR)36(*).

Lors de son déplacement au Gabon, la mission a pu constater que de nouvelles actions de formation étaient en effet déployées, avec la création d'une École d'administration des forces de défense (qui en réalité prend la suite de l'école de Koulikouro au Mali) et une Académie de protection de l'environnement et des ressources naturelles, dirigée par les militaires gabonais formés par la France.

Toutefois, cet accent mis sur la formation n'a en réalité rien de nouveau. Surtout, il ne pourra empêcher une inévitable diminution globale du nombre de militaires formés compte-tenu de la réduction drastique des effectifs de formateurs. Ainsi, il est peu probable que les éléments français du Gabon puissent continuer à former des milliers de militaires de la région chaque année37(*) . De même, les 400 actions de formation et 12 000 militaires formés au Sénégal en 2025 vont devenir des objectifs impossibles à atteindre.

Au Sénégal, il avait été indiqué aux nouvelles autorités que malgré la réduction des effectifs, le niveau du partenariat serait maintenu. Il a pourtant été confirmé aux membres de la mission que ce maintien était peu probable. De même, le départ des EFS risque de créer un vide en matière de coopération de renseignement, pourtant nécessaire aux autorités sénégalaises.

Au total, les actions de coopération menées dans le cadre du nouveau dispositif seront nécessairement moins réactives et moins adaptables aux besoins de nos partenaires.

6. ... de rendre plus difficile d'éventuelles opérations d'évacuation des ressortissants français ou européens...

Déjà, lors des déflations précédentes, la capacité de la France à mener à l'avenir des opérations d'évacuation de ressortissants avait été mise en doute. Avec la nouvelle réduction des effectifs, de telles opérations vont devenir encore beaucoup plus difficile à réaliser. Elles supposeront l'arrivée rapide de détachements métropolitains. Mais avec moins d'une centaine d'hommes sur chaque implantation, l'appui logistique à ces détachements deviendra une gageure.

Les autres pays européens s'inquiètent d'ailleurs déjà de savoir si la France pourra continuer à aider à l'évacuation de leurs ressortissants après la réforme en cours, comme ce fut le cas au Soudan lors de l'opération Sagittaire en 2023.

...et de laisser le champ libre aux compétiteurs stratégiques

Depuis plusieurs années, les autorités chinoises réfléchissent à l'implantation d'une base militaire sur la façade océanique occidentale de l'Afrique, dans une forme de réponse à la présence américaine dans le Pacifique. Plusieurs pays ont été pressentis pour une telle implantation. Peu avant le coup d'État au Gabon, l'installation d'une base chinoise à Port gentil avait fait même l'objet d'un accord entre Ali Bongo et la Chine. Le président Oligui, issu du putsch, maintient une certaine ambiguïté sur la poursuite de ce projet. Il est clair que le démantèlement de la base française faciliterait une telle implantation.

Outre ce projet de base, la coopération militaire sino-gabonaise se développe, avec des formations en Chine au profit des officiers gabonais, et des projets de casernes sino-gabonaises, un centre de formation à la lutte contre la piraterie à Port-Gentil, un centre de maintien en condition opérationnelle (MCO ) pour patrouilleurs chinois, un centre de formation pour le combat en forêt (situé juste en face d'un centre français similaire). En 2024, près de 150 matériels ont été remis aux forces gabonaises par les forces chinoises.

Les Américains cherchent également à implanter une base militaire sur la façade africaine atlantique. Ayant fermé leur dernière base à Agadez en août 2024, ils ont ainsi engagé récemment des discussions avec plusieurs pays côtiers d'Afrique de l'Ouest : la Côte d'Ivoire, le Ghana et le Bénin, pour continuer à lutter contre le djihadisme. Finalement, Abidjan aurait donné son accord pour l'installation d'une base militaire américaine près de la ville d'Odienné, dans le nord-ouest de la Côte d'Ivoire.

Ainsi, il est clair que les bases françaises occupaient une position considérée comme stratégique par les autres puissances. La réduction ou la suppression des implantations risque d'être perçue par les compétiteurs de la France comme un appel d'air.

E. LA PERCEPTION D'UN « RETRAIT » FORCÉ D'AFRIQUE DE L'OUEST A DES CONSÉQUENCES NÉGATIVES POUR LE STATUT INTERNATIONAL DE LA FRANCE

La capacité de la France à se projeter en Afrique, y compris militairement à la demande de ses partenaires africains ou sous mandat des Nations unies, constitue l'un des éléments de son statut international. L'ancien ambassadeur et géographe Michel Foucher définissait en 2022 la France comme « une puissance moyenne de rang mondial »38(*). Cette capacité fait également partie des éléments qui confèrent sa légitimité à notre pays lorsqu'il tient la plume de nombreuses résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies relatives à des pays africains. Le fait que le poste de Secrétaire adjoint aux opérations de paix de l'ONU soit détenu par un Français participe aussi de ce statut.

La capacité de notre pays à intervenir dans des crises sur le continent est ainsi reconnue par l'Union européenne et par les Etats-Unis, ce qui permet à la France d'en tirer divers avantages sur le plan diplomatique. Le rôle de nation-cadre de la France pour les opérations militaires en Afrique est ainsi reconnu par ses partenaires qui suivent en général ses décisions dans ce domaine.

Cette capacité contribue également à construire le cadre dans lequel les États-Unis et la France échangent des renseignements, y compris directement opérationnels, sur les groupes terroristes agissant en l'Afrique de l'Ouest. Ainsi, le général Michael Langley, commandant d'Africom, a déclaré le 7 mars 2024 devant le congrès américain : « Il est préoccupant de voir se réduire les effectifs de nos alliés internationaux en Afrique », regrettant en particulier que « la présence de la France dans la lutte contre le terrorisme, autrefois considérable », soit désormais « au plus bas ». De même, au Gabon, les Américains ont clairement manifesté qu'ils avaient un intérêt à ce que la France garde des moyens sur place, notamment pour équilibrer une présence chinoise croissante.

Ainsi, la déflation ou la suppression des bases militaires en cours risque d'affecter le statut de la France si elles sont perçues comme une forme de retrait ou de désintérêt de notre pays pour cette région.

Il convient donc de contrer cette perception en montrant que la France est, plus que jamais, prête à coopérer avec ses partenaires d'Afrique de l'Ouest pour les aider à affronter les menaces et les défis à venir.

F. LES DÉFIS LANCÉS PAR LES COMPÉTITEURS STRATÉGIQUES DOIVENT ÊTRE RELEVÉS

De nombreux pays choisissent aujourd'hui d'approfondir leurs relations avec les pays africains, y compris sur le plan de la coopération de défense et de la coopération militaire.

Or cette diversification des partenariats est ambigüe. D'un côté, elle peut refléter la volonté des États d'affirmer davantage leur souveraineté en sortant de relations exclusives parfois déséquilibrées et en faisant davantage jouer la concurrence entre leurs partenaires. Elle traduit également la diversification et l'ouverture accrues des économies et des sociétés. Il est ainsi nécessaire d'échapper à l'écueil fréquent qui consiste à considérer les pays du continent comme passifs dans leurs relations avec les puissances des autres continents, se contentant de subir des politiques menées par celles-ci pour les influencer ou les développer39(*).

D'un autre côté, cette diversification peut aussi traduire le fait que l'Afrique échange une dépendance vis-à-vis de quelques acteurs principaux (comme la France) contre des dépendances nouvelles vis-à-vis de multiples acteurs. Les pays émergents ont tendance à considérer l'Afrique comme le terrain de jeu de leur nouvelle puissance : c'est ainsi que la Chine et la Russie en premier lieu mais aussi le Brésil, la Turquie, l'Inde ou la Corée du Sud organisent des sommets africains pour nouer des relations profitables avec le continent. La Chine est en partie responsable de l'endettement excessif de nombreux pays du continent, tandis que l'aide militaire fournie par les mercenaires russes constitue une autre forme de cette dépendance.

La perte d'influence supposée de la France sur le continent, plus que le reflet d'un déclin en Afrique, apparaît donc en grande partie comme l'envers de la montée en puissance globale des pays émergents40(*), qui tendent à mettre en oeuvre cette puissance récemment acquise sur le continent africain. Dans ce contexte, il convient pour la France de mesurer sans naïveté les tentatives de ces autres puissances pour accroître leur influence, en particulier de celles qui lui sont concurrentes, voire hostiles, et qui pourraient entraver le nouvel élan qu'elle souhaiterait donner à ses relations avec ses partenaires africains.

1. La Russie : un acteur à la progression entravée sur le continent
a) Une volonté de réinvestir des relations avec le continent africain

Dans les années 90 et 2000, plusieurs ambassades russes en Afrique avaient été fermées et le seul secteur de coopération avec l'Afrique qui avait prospéré était celui de la coopération militaro-technique et les ventes d'armes, la Russie restant le premier vendeur d'armes en Afrique, principalement au profit de l'Égypte, de l'Algérie et de l'Afrique du Sud. Dès 2009, les autorités russes ont exprimé une volonté très claire, sous impulsion du président Poutine, de renouer avec la « politique africaine » de l'Union soviétique. La progression de l'influence russe a ainsi été de plus en plus évoquée à partir de la fin des années 2010, notamment à l'occasion du sommet Russie-Afrique à Sotchi en octobre 2019.

Cette stratégie russe en Afrique implique à la fois des acteurs étatiques et non étatiques.

En matière de coopération de défense, les autorités russes ont signé au cours des dernières années des accords avec une vingtaine de pays. Ces accords répondent aux préoccupations propres à chaque pays : ainsi le partenariat avec le Nigeria vise-t-il à lutter contre Boko Haram.

Les acteurs étatiques comme RT et Spoutnik, désormais interdits au sein de l'UE, se déploient en Afrique subsaharienne, avec des audiences à la fois francophones et anglophones. Ces chaînes diffusent des contenus sur les actualités africaines, portant systématiquement depuis 2022 un nouveau récit « anti-colonial » et pro-russe. Ce nouveau modèle de diffusion comporte la signature par ces médias de dizaines d'accord de coopération avec des agences de presse et des médias alternatifs, permettant ainsi de faire une sorte de « blanchiment de propagande », parfois directement en payant ces médias.

Une nouvelle diplomatie culturelle est également déployée par le biais des « centres pour la science et la culture » et du renouveau des « maisons russes ». Parallèlement, alors que 17 000 étudiants africains se rendaient en Russie en 2019, ils sont 35 000 par an aujourd'hui41(*). La diplomatie numérique russe se déploie également de manière très agressive depuis 2022. Enfin, les services de renseignement ont également accentué leur déploiement sur le continent.

La Russie s'est aussi efforcée de développer l'aspect économique de ses partenariats, un accent particulier ayant été mis sur cette dimension à Sotchi en 2019. Ainsi des accords ont notamment été signés par Rosatom pour la création de filières nucléaires dans plusieurs pays, y compris un accord de 25 milliards de dollars avec l'Égypte pour construire une centrale. De nombreux projets miniers et pétroliers ont également été signés et un dispositif d'aide à l'exportation de produits russes vers des pays africains mis en place.

Il existe par ailleurs un deuxième type d'acteurs russes, non étatiques, au premier rang desquels se trouve le groupe Wagner et la galaxie Prigogine42(*), dont le modèle entrepreneurial comporte trois dimensions : mercenariat, extraction minière et influence politique, culturelle et informationnelle notamment via des « usines à trolls » agissant sur le web. Depuis la mort de Prigogine, on observe une recomposition de ces acteurs, avec une tentative de reprise en main de l'héritage des activités du groupe par des acteurs officiels coordonnés par le ministère de la défense et le GRU43(*). Wagner est ainsi devenu « Africa Corps », déployé au Burkina Faso et au Mali, peut-être au Tchad. Le président du Burkina Faso bénéficie d'une garde prétorienne formée par l'Africa Corps.

Celui-ci déploie également l'« African initiative », créée en septembre 2023 à Moscou, dirigée par un ancien membre de Wagner, Viktor Lukovenko. African Initiative se présente comme une « « agence de presse russe sur les événements du continent africain », qui s'intéresse à « l'héritage néocolonial contre lequel les pays africains luttent depuis des décennies » et aux activités des « militaires, hommes d'affaires, médecins et journalistes » russes en Afrique. Elle possède un correspondant basé au Niger et des bureaux au Burkina Faso et au Mali. Dans un communiqué publié le 12 février 2024, la diplomatie américaine indique qu'une des premières campagnes d'African Initiative fut de « propager une théorie de la conspiration selon laquelle les sociétés pharmaceutiques occidentales utilisent l'Afrique pour des expériences de guerre biologique et pour des essais illicites de divers médicaments ». Ainsi, selon le chercheur Maxime Audinet, African Initiative reprend l'héritage de Wagner en captant ses entrepreneurs et ses initiatives de désinformation, tandis qu'Africa Corps s'efforce de récupérer les mercenaires du groupe.

Wagner est par ailleurs toujours extrêmement présent en République centrafricaine, le groupe ayant profondément noyauté le pays. Contrairement aux autres pays où le groupe est déployé, en Centrafrique les militaires russes n'ont pas été obligés de signer de nouveaux contrats avec Africa Corps. La plupart des mercenaires de Wagner refuseraient d'ailleurs de contractualiser avec le ministère de la défense russe pour ne pas être « redéployables » en Ukraine. La présence de Wagner en République centrafricaine est marquée par un nombre particulièrement élevé de massacres et d'exactions dans le cadre du soutien aux forces armées du pouvoir central, permettant ainsi à celui-ci de se maintenir contre les rebelles.

Enfin, des acteurs tiers coopèrent également avec la Russie pour faire avancer leur propre agenda, profitant de la précarité des paysages médiatiques en Afrique de l'Ouest, tels le célèbre influenceur Kemi Seba.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, la Russie a par ailleurs considérablement augmenté son activité diplomatique en direction de l'Afrique, par ses ambassades qui communiquent via les réseaux sociaux et par des visites très fréquentes d'officiels, au premier rang desquels le ministre des affaires étrangères Sergei Lavrov. La Russie se présente comme un pays qui, contrairement aux pays occidentaux, ne serait pas colonisateur mais, au contraire, aurait toujours soutenu la lutte contre la colonisation. Est ainsi régulièrement rappelé le soutien de la Russie à la lutte contre l'apartheid, soutien qui, de fait, explique en partie les bonnes relations qu'entretient avec ce pays l'Afrique du Sud dirigée par l'ANC. La Russie se présente par ailleurs comme un défenseur des valeurs traditionnelles qui seraient celles de l'ensemble de l'Afrique contre les valeurs décadentes de l'Occident. Dans certains cas, elle n'a d'ailleurs eu qu'à réactiver des relations déjà anciennes, comme avec le Mali, proche de l'URSS.

Les moyens ainsi mis en place par la Russie lui permettent de mettre en oeuvre une stratégie offensive à l'encontre de l'occident en général et de la France en particulier.

b) Une « success story » de la « Russafrique » qui doit cependant être relativisée

La Russie est généralement présentée dans les médias comme un acteur en pleine réussite en Afrique, qui progresserait inexorablement, sans jamais rencontrer l'échec, en étendant son pouvoir et son influence au détriment de la France et des autres pays occidentaux. Cette vision permet, en retour, de déplorer une perte d'influence qui serait tout aussi inexorable pour la France.

Ce récit, qui revêt quelque crédibilité s'agissant des pays du Sahel central dirigés par les juntes, ne correspond pas à une réalité sur l'ensemble du continent.

Ainsi, comme le montre le chercheur Thierry Vircoulon44(*), la grande majorité des projets économiques signés à Sotchi se sont révélés tout-à-fait illusoires, à l'exemple de la revitalisation des chemins de fer de RDC. En outre, les sanctions imposées par les Etats-Unis et l'Europe en raison de la guerre en Ukraine ont des effets sévères pour les entreprises russes en Afrique, en restreignant leur accès à des financements et en les rendant infréquentables, que ce soit dans les domaines pétrolier ou minier. Même les ventes d'armes seraient impactées par la guerre en Ukraine, les parts de marché de la Russie étant susceptibles de baisser au profit de la Chine.

Par ailleurs, l'offensive diplomatique tous azimuts lancée depuis l'invasion de l'Ukraine n'a pas permis de faire progresser le soutien à la Russie dans sa guerre d'invasion. Au contraire, le vote du 23 février 2023 a vu l'Assemblée générale des Nations unies voter de nouveau massivement pour le retrait des troupes russes (141 sur 193 pays), comme lors du premier vote qui avait eu lieu le 2 mars 2022. Quant aux pays africains, davantage ont voté pour ce retrait : Madagascar, le Maroc et le Soudan du Sud, qui s'étaient abstenus ou avaient été absents lors du vote un an auparavant. Seul le Mali a changé en faveur du contre, tandis que le Gabon s'est abstenu. Cette évolution traduit ainsi selon Thierry Vircoulon une « légère perte d'influence de la Russie sur le continent ».

De plus, dans le Sahel, le groupe Wagner a subi des revers d'ampleur dans la lutte contre les groupes armées, notamment en juillet 2024 face aux groupes rebelles séparatistes du nord du Mali dans la zone de Tin Zaouatine, à la frontière avec l'Algérie. Le groupe a lui-même reconnu avoir subi de lourdes pertes. La concentration des forces russes en Ukraine peut également constituer un handicap en cas de poussée majeure des rebelles ou des groupes terroristes, comme le montre le cas de la Syrie où l'incapacité de la Russie à soutenir le pouvoir syrien a conduit en décembre 2024 à sa chute très rapide face à une coalition de groupes armés.

Plus globalement, selon plusieurs chercheurs entendus par la mission, les forces militaires déployées par la Russie ou par ses mercenaires ne réunissent pas davantage de facteurs de succès, face aux rébellions et aux groupes terroristes du Sahel, que la France ou les forces mandatées par les Nations unies. Pas plus que ces dernières, elles ne s'attaquent en effet aux causes profondes, essentiellement politiques et sociales, des agissements groupes armés. Un reflux de la présence russe serait dès lors inévitable à moyen terme.

Les conséquences négatives pour Moscou
de la chute du régime de Bachar El Assad en Syrie

La chute de Bachar el Assad pourrait avoir pour conséquence la perte par la Russie de ses deux bases militaires (base aérienne de Hmeimim, dans la région de Lattaquié, et la base navale de Tartous). Or, ces bases étaient utilisées par la Russie et par Wagner ou l'Africa Corps pour se projeter en Afrique, en particulier en Libye et au Sahel.

Il est possible que pour préserver cette capacité de projection, la Russie décide de se réinstaller en Libye, à Tobrouk, Bengazi ou Syrte, auprès des forces du général Haftar qu'elles appuient. En effet, la Russie a formé une alliance stratégique de plus en plus étroite avec ce dernier, et utilisent déjà le port en eaux profondes de Tobrouk pour acheminer du matériel dans les pays du Sahel. La Libye est ainsi une porte d'entrée pour la Russie, lui permettant d'accéder plus facilement au Sahel. La Libye constitue également une plateforme de projection vers le Soudan en pleine guerre civile. Près de 2 000 militaires russes seraient présents en Libye à la mi-2024. L'installation d'une véritable base navale russe sur la côte libyenne constitue une menace substantielle pour les pays occidentaux. En outre, en Libye même, la Russie tente de se rendre incontournable auprès de l'ensemble des acteurs.

Mais, au-delà de cet accroissement de la présence russe en Libye, qui risque de devenir un sujet de discorde avec la Turquie, l'incapacité de la Russie à défendre son allié syrien a un fort retentissement au Sahel, en particulier au Mali, où Moscou doit essuyer une perte de crédibilité auprès du régime. Celui-ci peut en effet légitimement s'interroger, au vu des événements en Syrie, sur la capacité des Russes à assurer sa protection contre les djihadistes et contre les rebelles maliens. Au demeurant, des discussions tendues étaient déjà en cours avec la junte fin 2024 compte tenu de l'incapacité de la Russie à déployer le contingent prévu de l'Africa Corps au 1er janvier 2025 comme il avait été convenu.

2. La Turquie, un acteur en progression constante sur le Continent
a) Une Turquie de plus en plus tournée vers l'Afrique

L'expansion actuelle de la Turquie sur le Continent africain peut être rattachée à un événement fondateur. En effet, en 2005, l'AKP déclare une « Année de l'Afrique » au moment où la Turquie, sous l'impulsion de Ahmet Davutoglu, alors conseiller d'Erdogan, décide de mettre en oeuvre une politique étrangère plus ouverte sur l'environnement du pays dans l'optique de développer une « profondeur stratégique ». La Turquie peut alors compter sur des confréries, au premier rang desquelles la confrérie Güllen, qui dispose d'écoles dans de nombreux pays du continent45(*) (Djibouti, Gabon, Gambie, Guinée, Mauritanie, Niger, São Tomé-et-Prìncipe, Sénégal, Somalie, Soudan, Tchad en Tanzanie, etc). Ainsi, le président Recep Tayyip Erdoðan s'est rendu plus de 40 fois en Afrique depuis 2005.

La « conquête » du continent africain par la Turquie a avant tout des visées économiques : il s'agit d'ouvrir des marchés aux PME turques qui constituent la base électorale de l'AKP. Dans les faits, la présence économique turque est surtout forte en Afrique du Nord.

La Turquie souhaite également se présenter comme une puissance du « Sud global », alors même que ses échanges avec le continent sont tout aussi déséquilibrés que ceux des puissances « occidentales », avec un excédent commercial systématique, comme l'a souligné la chercheuse Élisa Dominguez Dos Santos lors de son audition par la mission. La Turquie exporte essentiellement en Afrique des produits manufacturés et importe des matières premières. En Algérie, il est ainsi parfois reproché aux entreprises turques de textiles de pratiquer une intégration verticale empêchant la valorisation des entreprises algériennes de la filière.

La Turquie fournit également des aides financières, mais l'immense majorité de celles-ci bénéficie à la Syrie, puis à la Somalie, et enfin, mais dans une proportion bien moindre, à la Libye.

Plus globalement, les trois principales caractéristiques de la politique turque sont sa multisectorialité (de la diplomatie publique aux échanges commerciaux et aux investissements, en passant par l'aide à l'éducation au religieux, à l'information et depuis 2016 à la défense) ; la rapidité de son déploiement (de 12 à 44 ambassades entre 2002 et 2022 ; de 5 milliards de dollars d'échanges commerciaux en 2005 à 30 milliards en 2020) et une grande diversité des acteurs (gros conglomérats de BTP, nombreuses PME sous-traitantes, organisations musulmanes gouvernementales, agence turque de coopération et de développement (Tika), fondation Maarif, centre culturels Yunus Emre, chaine en français TRT). La Turquie a également su tirer profit de sa proximité religieuse avec nombre de pays du continent.

b) Une coopération de défense en progression récente

Les coopérations de défense turco-africaines semblent par ailleurs avoir le vent en poupe. Il existe deux bases militaires turques en Afrique (Somalie et Libye) consacrées à l'entrainement et à la formation. Depuis juillet 2024, la Marine turque est déployée au large de la Somalie afin de sécuriser les activités d'exploration off-shore turques prévues dans les eaux territoriales somaliennes à l'issue d'un accord signé entre les deux pays. Un accord signé en février 2024 entre Ankara et Mogadiscio prévoit également que les forces navales turques aident la Somalie à construire une nouvelle flotte somalienne et à défendre l'intégrité territoriale maritime du pays. Par ailleurs, en lien avec leur déploiement en Libye et l'alliance entre Ankara à Tripoli, les forces turques disposent de deux bases en Libye : une base navale et terrestre à Misrata et une base aérienne à Al-Watiya.

La Turquie a coopéré avec plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest et du Sahel pour obtenir leur soutien dans le cadre de la crise libyenne. En mars 2018, le pays a contribué à hauteur de 5 millions de dollars pour soutenir la force conjointe du G5 Sahel afin de renforcer la lutte contre le terrorisme et, en 2020, a signé un accord de coopération militaire avec le Niger, ainsi qu'un pacte de défense avec le Nigeria. Le 9 août 2024, une délégation militaire turque a promis au Mali une « aide pour vaincre le terrorisme ».

L'entreprise de sécurité privée turque SADAT, fondée en 2012 par le général de brigade à la retraite Adnan Tanriverdi et dirigée par son fils Melih Tanriverdi, propose des services sécuritaires, tels que la formation d'unités de l'armée ou de la police et la mise à disposition d'armements. Elle développe par ailleurs un agenda politico-religieux. SADAT aurait soutenu l'action turque au profit de Tripoli en 2019 et 2020 et déploierait des mercenaires syriens au Niger, au Nigeria et au Burkina Faso pour sécuriser des entreprises turques. Elle aurait également en charge la sécurité du chef de la junte malienne, Assimi Goïta.

Au total, plus de 2 000 soldats turcs sont déployés en Afrique, avec en outre plusieurs milliers de mercenaires syriens, répartis dans trois pays, soit désormais une présence militaire supérieure à celle de la France.

Les pays africains figurent désormais par ailleurs parmi les principaux acheteurs de drones turcs, appareils de combat Bayraktar TB2 ou autres  : Libye, Tunisie, Maroc, Niger, Nigeria, Éthiopie, Mali, Burkina Faso, Tchad, Djibouti, Angola ou encore Somalie. D'autres pays, comme le Rwanda, réfléchissent actuellement à en acquérir46(*). La Turquie vend également des véhicules blindés et des avions d'entraînement et de combat. Ces armes sont souvent moins coûteuses et plus libres d'utilisation que celles fournies par les États occidentaux.

De même, la Turquie coopère sur le plan militaire avec plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest dans différents domaines, y compris celui de la formation et du renforcement de capacité de personnels militaires. Le pays a signé des accords de coopération militaire avec le Togo en août 2021 et avec le Sénégal en février 2022.

Au total, la Turquie représente une « troisième voie » de coopération en Afrique qui rencontre de nombreux succès en raison de son approche multisectorielle et partenariale, sans les conditionnalités ou les pressions des autres partenaires du continent. Selon Élisa Domingos Dos Santos, il n'existe pas, pour le moment, d'antagonisme direct entre la France et la Turquie en Afrique, les objectifs, comme la lutte contre le djihadisme, étant plutôt convergents. Néanmoins, il s'agit d'un concurrent économique et commercial et de coopération militaire redoutable pour la France.

3. Des Émirats Arabes Unis de plus en plus présents

En une décennie, les Émirats arabes unis (EAU) sont devenus un acteur majeur en Afrique, notamment grâce à des investissements massifs de 60 milliards de dollars entre 2012 et 2022 dans les infrastructures, l'agroalimentaire, les ports et les télécoms. Les EAU cherchent en effet à diversifier leur économie en dehors des hydrocarbures, à sécuriser leur approvisionnement alimentaire et énergétique et à étendre leur influence stratégique.

Une grande partie de la stratégie des EAU repose sur le contrôle de ports via DP World et Abu Dhabi Ports Group, dominant en Afrique de l'Est (Mozambique, Djibouti, Somaliland). Ils investissent également dans les terres agricoles pour répondre à leurs besoins alimentaires, acquérant des milliers d'hectares, notamment au Nigeria et au Soudan. Certaines de leurs initiatives, comme l'exploitation de crédits carbone au Libéria et en Tanzanie, sont critiqués comme exemples de greenwashing, voire de néocolonialisme.

Depuis les printemps arabes de 2011 et leur implication militaire au Yémen, les priorités des EAU se sont élargies à des objectifs politiques et sécuritaires. Ils soutiennent ainsi des régimes alignés sur leurs intérêts contre les islamistes. En particulier, ils soutiennent le général Hemetti au Soudan contre le général Burhan, et ont joué un rôle clé dans le traité de paix entre l'Éthiopie et l'Érythrée.

Les initiatives des EUA en Afrique, y compris le financement de milices ou l'ingérence politique, fragilisent toutefois leur image. Elles apparaissent ainsi globalement déstabilisatrices et donc opposées à la volonté française de contribuer à la résolution des crises et à la cessation des conflits sur le continent.

4. La Chine : une présence d'abord économique qui évolue vers davantage de présence militaire
a) Un poids économique massif mais désormais en partie contesté

La Chine a déployé de longue date une offensive de séduction en direction de l'Afrique. Elle s'incarne notamment dans la tenue du Forum de la coopération sino-africaine (FOCAC), son grand rendez-vous trisannuel avec l'Afrique, dont l'édition de septembre 2024 a vu la venue à Pékin d'un nombre important de chefs d'État du continent, dont le Nigérian Bola Tinubu, le Sud-Africain Cyril Ramaphosa et le Congolais Félix Tshisekedi. Le président Xi Jinping s'est déjà rendu cinq fois sur le continent. En 2023, vingt chefs d'États africains ont été reçus avec tous les honneurs à Pékin, tandis que le ministre des affaires étrangères chinois se rend toujours en Afrique pour son premier déplacement de l'année.

Lors de ces rencontres, les officiels chinois développent un discours anti-colonialiste et défendent le « Sud global » contre l'occident. La Chine obtient en retour à l'ONU des votes favorables sur la question de la répression des Ouïghours ou sur la reprise en main de Hong Kong. Les échanges culturels et d'étudiants sont également riches et diversifiés.

S'agissant des infrastructures implantées dans de nombreux pays du continent, notamment dans le cadre de l'initiative des « Nouvelles routes de la soie », la situation n'est toutefois pas aussi bonne pour la Chine que par le passé, même si elle reste un partenaire incontournable. En effet, le retour de l'endettement excessif de nombreux pays africains a terni l'image des créanciers chinois, tandis que les capacités de financement de la Chine se sont réduites du fait de la crise économique traversée par le pays. Dès 2021, la Chine avait ainsi annoncé une réduction de son enveloppe de 60 à 40 milliards de dollars pour les trois années suivantes, en particulier pour les prêts aux infrastructures. Elle avait également fait savoir que le pays allait se concentrer sur des projets « petits et beaux » de 50 millions de dollars maximum, axés sur le numérique et l'environnement. Si le montant d'investissements annoncé au FOCAC 2024 est remonté à 50 milliards de dollars, ce chiffre reste inférieur aux meilleures années.

En revanche, la Chine a annoncé une montée en puissance des partenariats sécuritaire avec une promesse de formation de 6 000 professionnels militaires, 1 000 agents de police et une invitation pour 500 jeunes officiers africains à venir en visite en Chine.

Les pays africains, de leur côté, mettent de plus en plus souvent en concurrence leurs partenaires, parfois au détriment de la Chine. À titre d'exemple, en Zambie, en octobre 2023, Landlock Natural Paving Inc., entreprise américaine, a signé un contrat de 725 millions de dollars pour construire un réseau routier à travers les dix provinces de ce pays très fortement endetté auprès de la Chine. De même, au Cameroun, les autorités camerounaises ont retiré à deux sociétés chinoises le projet de construction de l'autoroute Yaoundé-Nsimalen, estimé à 380 milliards de Francs CFA (580 millions d'euros), au profit de la société locale Buns et du français Razel47(*). Enfin, le président kenyan William Ruto joue intelligemment la carte de la proximité avec les pays occidentaux, avec lesquels il noue des relations commerciales plus étroites, tout en tâchant de rééquilibrer sa relation avec la Chine en menaçant de publier les termes de contrats d'infrastructures léonins, puis en accordant certains marchés48(*), obtenant en échange de la souplesse pour le remboursement des 8 milliards de dollars qu'il lui doit.

Par ailleurs, des critiques se font jour sur l'aspect prédateur des menées économiques chinoises en Afrique, notamment dans le domaine minier. En effet, la Chine se développant très rapidement dans les technologies de la transition, les entreprises chinoises accélèrent leurs investissements dans des mines de cobalt en République démocratique du Congo ou de lithium au Zimbabwe, sans que cela bénéficie aux industries de ces pays. La Chine apparaît ainsi finalement comme un fer de lance de l'échange économique inégal entre l'Afrique et le reste du monde, à l'opposé de l'image qu'elle souhaite se donner de défenseuse du « Sud global » contre un occident supposé prédateur et néo-colonialiste.

b) Une présence militaire en progression

Jusqu'à présent, la présence militaire et sécuritaire de la Chine en Afrique visait avant tout à protéger ses intérêts commerciaux et ses ressortissants, notamment grâce à sa grande base de Djibouti.

Toutefois, la Chine s'efforce désormais de participer à la fourniture de « biens publics mondiaux », dont le maintien de la paix, afin de se présenter comme une puissance responsable. La Chine est ainsi devenue l'un des principaux contributeurs en personnel aux opérations de maintien de la paix de l'ONU, en particulier en Afrique. Elle contribue également financièrement à la « Force africaine en attente » de l'Union africaine.

En outre, les exercices militaires menées en Afrique par la Chine progressent en quantité et en intensité depuis une dizaine n'année. Les infrastructures portuaires construite par la Chine dans de nombreux pays africains, comme la Tanzanie, le Ghana, le Nigéria ou le Cameroun ont été utilisées pour accueillir des exercices réalisés par ces pays en coopération avec l'armée chinoise. En juillet et août 2024 ont eu lieu de grands exercices de deux semaines avec la Tanzanie et le Mozambique, démontrant l'amélioration de la capacité chinoise à projeter à longue distance des blindés, des troupes, de l'artillerie et des unités de soutien.

5. De nombreux autres acteurs tentent de développer leurs actions sur le continent

Outre les Émirats arabes unis, les autres pays du Moyen-Orient investissent eux-aussi de plus en plus l'Afrique sub-saharienne49(*).

Les pays du Moyen-Orient et l'Afrique

Israël a amorcé une politique de « retour vers l'Afrique ». Le commerce des armes (armement léger, missiles, drones, retrofit d'aéronefs et de blindés soviétiques) étant très développé avec notamment le Sénégal, le Nigeria, le Cameroun et l'Éthiopie. La coopération de renseignement, les sociétés militaires privées sont d'autres modes d'actions d'Israël dans ce domaine. Le pays est aussi reconnu pour ses formations militaires, Historiquement, à l'exemple de la formation au Cameroun du « Bataillon d'intervention rapide » (BIR), unité d'élite de l'armée camerounaise a été créée dès 1999, calquée sur Tsahal et recopiée par plusieurs armées africaines. Israël n'est cependant pas parvenue à devenir un membre observateur de l'Union africaine. Par ailleurs, certains pays africains ne reconnaissent pas Israël et une grande majorité n'a que très peu condamné les attaques du Hamas du 7 octobre 2023.

L'Arabie Saoudite a depuis plusieurs décennies une forte influence en matière religieuse par le biais de la formation d'imams, véhiculant ainsi la version wahabite de l'Islam. Par ailleurs, le pays essaie désormais de jouer un rôle dans la résolution diplomatique des conflits : accord de paix de Djeddah entre l'Érythrée et l'Éthiopie en 2018, accueil des pourparlers entre les généraux Al Burhan et Hemmeti, etc.

Les relations du Qatar avec les pays africains sont plus récentes et le pays, qui soutient l'Islam politique et les Frères musulmans, a souffert en Afrique entre 2017 et 2021 de la crise diplomatique avec l'Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis. Les enjeux sont particulièrement importants pour le pays dans la corne de l'Afrique où l'Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis sont fortement impliquées dans les crises diplomatiques régionales. Le rôle de médiateur dans les crises du Qatar s'est fortement affirmé au cours des dernières années, en particulier au Soudan du Sud, au Tchad et désormais au Sahel.

Enfin, l'Iran a noué de longue date de fortes relations avec de nombreux pays africains, développant une rhétorique révolutionnaire et anti-impérialiste, notamment pour obtenir leur soutien lors du vote de résolutions aux Nations unies. Le pays s'efforce de contrer les influences de l'Arabie Saoudite et Israël sur le continent. Il a renforcé ses liens avec le Mali depuis le dernier putsch, et tente de faire de même avec le Burkina Faso et le Niger, dans une optique comparable à celle de la Russie.

Malgré ces avancées des puissances parfois hostiles à l'occident, l'influence de l'Union européenne et des pays européens en Afrique reste très importante, notamment les plans économique et commercial. Dans le nouveau contexte du développement de l'économie numérique et de la transition énergétique, l'Europe se trouve par ailleurs en concurrence avec les autres puissances, et en particulier avec la Chine, pour l'accès aux ressources rares (cobalt, le cuivre, lithium, etc. ) indispensables à ce nouveau modèle. Or, si la Chine dispose d'une pratique déjà constituée d'échange infrastructures contre ressources rares, l'Europe doit mettre en place sa propre stratégie. C'est dans cet esprit qu'en décembre 2022, l'Union européenne a dévoilé le projet Global Gateway, qui doit permettre de mobiliser 300 milliards d'euros de financements publics et privés dans les pays émergents pour développer des infrastructures, notamment au Burundi, au Gabon et en Tanzanie.

Sur le plan de la défense et du maintien de la paix, l'Union européenne s'est également investie à travers les missions de formation type EUTM Mali ou le financement de l'architecture de paix et de sécurité de l'Union africaine (APSA) et de ses opérations de paix.

Enfin, les Etats-Unis affichent en Afrique à la fois une présence économique et sécuritaire importante en comparaison des autres acteurs « occidentaux » et un relatif désintérêt pour cette région du monde compte tenu de leur focalisation sur l'indo-pacifique. Ce désintérêt relatif50(*) pourrait s'accentuer lors de la nouvelle présidence de Donald Trump.

Selon une vision des choses inspirée par l'idéologie du « Sud global », la progression de l'influence de l'ensemble de ces puissances moyennes en Afrique et le recul simultané de la France pourrait être interprétée comme une émancipation définitive du continent par rapport à l'une de ses anciennes puissances coloniales, ainsi qu'une profitable diversification de ses relations avec des pays émergents autour d'intérêts partagés et opposés à ceux de l'Occident. Un tel récit pêcherait cependant par son simplisme. Les pays émergents n'ont sans doute pas plus de « bonnes intentions » que les anciens colonisateurs, comme le montrent la prédation économique ou le rôle déstabilisateur joué par certains. La France garde ainsi des atouts et, souvent, la comparaison peut encore jouer en sa faveur. Encore faut-il pour cela affronter sans faiblesse les causes de la dégradation de son image sur le continent.

III. UN OBSTACLE AU RENOUVEAU DES RELATIONS : LA DÉGRADATION DE L'IMAGE DE LA FRANCE SUR LE CONTINENT

Au-delà du « sentiment anti-français », de nombreuses critiques sont formulées à l'encontre de notre pays sur le continent, avec des motivations et des argumentations très variées. Elles traduisent à l'évidence une forme de perte d'influence, ou mieux un défi lancé à la France sur sa capacité à rester un interlocuteur privilégié.

La première marque de respect que notre pays se doit de manifester à l'égard de ses partenaires africains est d'accorder à ces critiques l'attention qu'elles méritent. Il s'agit ainsi de ne pas céder à la tentation d'en faire la pure expression de la propagande de nos concurrents stratégiques ou encore une simple gesticulation politique ou idéologique. C'est à ce prix que des réponses pourront y être apportées.

A. UN PHÉNOMÈNE À NUANCER MAIS À PRENDRE AU SÉRIEUX

Les critiques émises en Afrique contre la France et la politique qu'elle mène sur le continent ne sont évidemment pas nouvelles, mais elles se sont intensifiées ces dernières années, à la fois dans leur fréquence et leur virulence. Ces discours sont souvent accompagnés de manifestations, parfois violentes, contre des intérêts français (entreprises, institutions culturelles, ambassades), et occasionnellement de menaces contre les ressortissants français. Historiquement, ces critiques étaient majoritairement le fait des élites intellectuelles, mais elles ont pénétré les couches populaires, particulièrement en milieu urbain.

D'un point de vue très général, beaucoup d'interlocuteurs de la mission, qu'ils soient des diplomates, des chercheurs ou des chefs d'entreprise, ont souligné que l'Afrique avait changé beaucoup plus vite que la perception de l'Afrique par les dirigeants français. Outre les changements politiques, économiques, sociaux et technologiques causés par une mondialisation accélérée, le taux d'accroissement naturel a conduit à l'émergence d'une population majoritairement très jeune (l'âge médian de la population du continent est d'environ 20 ans). Or, de l'avis même de certains diplomates, la France a continué à parler essentiellement à des classes dirigeantes âgées qu'elle connaissait bien mais qui sont devenues, du seul fait de la dynamique démographique, très minoritaires. D'où une incompréhension croissante des aspirations de la majorité de la population.

Pour être plus précis, il convient de distinguer, selon Alain Antil et Thierry Vircoulon51(*), tous deux entendus dans le cadre de ce rapport, deux grands types de contestations à l'encontre de la France : d'une part, une critique motivée, qui repose sur une analyse des actions de la France perçues comme « néocoloniales », d'autre part, un discours plus virulent, souvent véhiculé sur les réseaux sociaux par les mouvements néo-panafricanistes, qui transforme ces critiques en « diatribes » généralisées.

Ainsi, toute analyse du sentiment anti-français, et toute réponse qui y sera apportée, doit prendre en compte ces deux aspects.

1. Les discours anti-français motivés

S'agissant du premier point, comme l'a souligné une spécialiste de l'Afrique de l'Ouest lors de son audition, l'un des points de crispation entre la France et ses partenaires provient de l'interprétation comme « sentiment anti-français » de critiques qui portent sur des faits précis, par exemple sur l'opération Barkhane. Selon elle, la notion même de « sentiment anti-français » est d'ailleurs, précisément, essentiellement française, ne se rencontrant nulle part dans les analyses effectuées en Afrique.

En ce qui concerne ce premier type de critiques motivées par des arguments, il y a ainsi, selon Alain Antil et Thierry Vircoulon, quatre grandes thématiques récurrentes :

-le franc CFA : malgré la réforme récente, le franc CFA (Communauté financière africaine), utilisé dans plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique centrale, est toujours considéré comme un vestige de la domination coloniale française. La parité fixe avec l'euro et le rôle du Trésor français dans sa gestion sont considérés comme des mécanismes qui maintiennent une dépendance structurelle des pays qui l'utilisent vis-à-vis de la France. Les réformes annoncées en 2019, dont le changement de nom en « Eco » pour les pays d'Afrique de l'Ouest, n'ont pas suffi à désarmer les critiques, une majorité jugeant que ces changements sont superficiels ou dictés par la France. Sur ce sujet, toutefois, il convient de relever que les dirigeants africains se sont gardés, depuis 2019, de se saisir des possibilités dont ils disposent pourtant pour aller plus loin dans cette réforme, étant sensibles à certains avantages du système (notamment la stabilité monétaire) ;

-l'interventionnisme militaire : l'une des critiques les plus fréquentes porte sur la présence militaire française. L'opération Barkhane était particulièrement visée. L'absence d'éradication de la menace djihadiste a en effet conduit à une montée du ressentiment populaire, notamment au Mali. La France a même été accusée d'avoir un agenda caché de collaboration avec les groupes terroristes, quand ce n'était pas au contraire le doute sur l'efficacité de l'armée française qui s'exprimait. Deux autres interventions ayant abouti à un changement de régime suscitent par ailleurs encore aujourd'hui des critiques sévères : celles ayant eu lieu en 2011 en Côte d'Ivoire et en Libye. Le renversement du régime libyen en particulier, par une coalition à laquelle participait l'armée française, eut un fort effet de déstabilisation jusqu'au Sahel, du fait des déplacements de combattants et d'armes en provenance de Libye, ce qui est encore reproché très fréquemment à la France aujourd'hui. Par ailleurs, les bases militaires françaises en Afrique sont souvent considérées comme des symboles de la persistance de l'influence coloniale (cf.ci-dessus) ;

-certains éléments des discours et de l'action françaises récents ont suscité le rejet d'une partie de l'opinion publique africaine, qui critique une forme de « néocolonialisme ». Par exemple, la méthode adoptée par Emmanuel Macron lors du Sommet de Pau fut largement mal perçue par ses partenaires : « Il nous convoque et il n'était pas question de discuter, c'était assez humiliant. » a ainsi indiqué un ministre sahélien au journal Le Monde. Pour Robert Dussey, ministre des affaires étrangères du Togo, cet épisode a illustré combien « Paris n'écoute pas assez les Africains ». Si, sur le fond, le sommet de Pau a permis de réagir face à l'ampleur de la crise sécuritaire au Sahel, avec quelque résultat, sur la forme, cette « convocation » a ainsi froissé les présidents du G5-Sahel ainsi que les opinions publiques des pays de la Région ;

- Enfin, paradoxalement, la mise en oeuvre de l'aide publique au développement est également très critiquée (cf. ci-dessous).

Outre ces quatre motifs évidents, un autre élément de la politique extérieure de la France est très critiquée : la politique des visas.

2. Une politique des visas toujours critiquée

La politique des visas constitue un autre irritant important de la relation entre la France et les pays africains. Il ne s'agit pas de remettre en cause le rôle des visas en matière de politique migratoire et de gestion des flux, mais plutôt de pointer une insuffisante intégration de cette politique avec celles, portées par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères et par le ministère de la culture, qui doivent continuer à assurer le rayonnement de notre pays. En effet, les critères appliqués par le ministère de l'intérieur ont pu conduire au cours des années récentes à des décisions jugées aberrantes, comme des refus de visas pour des Parlementaires africains, des officiels, des personnalités engagées dans des coopérations à divers niveaux avec la France, des artistes reconnus, etc. Ces errements diminuent l'attractivité de notre pays pour les étudiants les plus brillants ou les personnalités de la société civile. En outre, cette situation s'inscrit dans un contexte plus large de crise de la délivrance des visas qui pèse non seulement sur les demandeurs mais aussi sur les personnels consulaires.

Mandaté par le Gouvernement, Paul Hermelin, président de Capgemini, a élaboré un rapport sur ce sujet avec le soutien des inspections générales de l'administration et de celle des affaires étrangères. Dans sa restitution, il indique notamment que « Les délais considérables pour obtenir un rendez-vous, les motivations sommaires en cas de refus, l'extrême difficulté à obtenir des visas de circulation nous portent donc tort et souvent donnent matière à des campagnes violentes de dénigrement. » Le rapport Hermelin, publié en avril 2023, comporte de nombreuses préconisations pour améliorer cette situation.

Au sein du document de politique transversale (DPT) « Politique française de l'immigration et de l'intégration » pour 2025, il est notamment indiqué que « La montée en puissance des moyens de traitement est effective depuis le 1er septembre 2023 et se poursuit en 2024 grâce à la création de nouveaux ETPT et à la rationalisation de l'organisation des services de visas entamée en 2023, notamment dans le cadre de la mise en oeuvre des recommandations du rapport Hermelin. Cette hausse des effectifs entraîne une diminution mécanique du nombre de dossiers traités par les agents. » Le DPT indique par ailleurs que : « la mise en oeuvre du rapport Hermelin se poursuit de manière satisfaisante, pour certaines recommandations, sous le double pilotage du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères et du ministère de l'Intérieur ».

Enfin, la mise en oeuvre de la stratégie « Bienvenue en France », avec un objectif chiffré de 500 000 étudiants internationaux accueillis en France d'ici 2027, se poursuit, s'accompagnant progressivement de la définition de publics prioritaires pour notre attractivité, tant géographiquement que thématiquement, conformément aux recommandations du rapport Hermelin. Toutefois, les progrès restent lents et il est à craindre toutefois que les sévères coupes budgétaires intervenant à l'occasion du PLF 2025 ne remette en cause ces progrès.

3. Les discours politiquement instrumentalisés ou à forme de « diatribe »

Les discours dirigés contre la France ont souvent une fonction politique. Les gouvernements en place peuvent ainsi les utiliser pour souder la population autour d'eux, parfois en détournant l'attention des problèmes internes du pays. Accuser la France de complot ou de manipulation permet de désigner un bouc émissaire, surtout en période de crise, comme ce fut le cas dans les trois pays du Sahel central. Ainsi, au Tchad, en 2017, le président tchadien Idriss Déby, au pouvoir depuis 1990, avait déclaré devant des journalistes français surpris que le changement de la Constitution lui permettant de rester au pouvoir était en réalité une opération menée à son insu par les autorités françaises.

Les discours anti-français peuvent aussi constituer une ressource pour les oppositions politiques. Ils permettent en effet de critiquer les gouvernements en place en les accusant de collusion avec la France et de trahison des intérêts nationaux, ces oppositions pouvant ainsi se présenter comme portant la « voix du peuple » face à des élites complices de l'ancienne puissance coloniale.

Plus généralement, trois phénomènes contribuent à l'existence de ce deuxième type de discours anti-français, virulent et sans nuance :

-la montée en puissance des néo-panafricaniste, qui manient un discours nationaliste et anti-impérialiste. Certaines personnalités comme Kémi Séba, militant panafricaniste radical, sont particulièrement influentes dans la diffusion de ces idées ;

-le développement de campagnes sur les réseaux sociaux. Ces campagnes sont souvent orchestrées de manière professionnelle et permettent de diffuser des messages critiques à l'encontre de la France au sein des populations, en particulier auprès des jeunes ;

-au-delà des acteurs locaux, des puissances étrangères, au premier rang desquelles la Russie, ont également intérêt à alimenter ces discours pour affaiblir l'influence française, surtout lorsqu'elles établissent des partenariats militaires (éventuellement par le biais de Wagner) avec certains régimes, comme c'est le cas au Mali ou en République centrafricaine.

Au-delà de ces aspects faciles à identifier des discours anti-français, trois aspects appellent une analyse plus approfondie car ils suscitent un mélange complexe de critiques : l'aide publique au développement, la question de la démocratie et des « valeurs » et celle des échanges économiques et commerciaux.

B. UNE AIDE AU DÉVELOPPEMENT TOUJOURS CRITIQUÉE DANS SA MISE EN oeUVRE ET QUI NE BÉNÉFICIE QUE MODÉRÉMENT À L'INFLUENCE FRANÇAISE

1. Une aide au développement prise dans un faisceau de contradictions

Lors du sommet Afrique-France de Montpellier d'octobre 2021, l'aide publique au développement a été dénoncée par des représentants choisis de la jeunesse africaine comme « paternaliste » et ayant des arrière-pensées politiques. Plusieurs aspects sont ainsi critiqués :

· l'APD, mise en place dans la continuité du colonialisme, en porterait encore la trace, les donateurs prescrivant de manière plus ou moins autoritaires des programmes de développement entièrement conçus par eux ;

· l'APD va de pair avec des conditionnalités, d'abord financières et de réduction des dépenses publique puis, plus récemment, en termes de gouvernance, de démocratie ou de valeurs « universelles », alors même que les aides de la Chine ou de la Russie sont perçues, à tort, comme totalement non conditionnelles ;

· l'APD répondrait à des intérêts cachés, politiques ou militaires mais surtout économiques, alors que les populations concernées la verraient plutôt comme une juste compensation pour les spoliations de l'époque coloniale ou post-coloniale ;

· l'APD constituerait un soutien aux régimes davantage qu'aux populations, comme le montrerait la persistance des aides, notamment budgétaires, à des régimes corrompus et brutaux, qui n'hésitent pas à en détourner une partie substantielle, comme cela se serait encore produit lors de la crise de la covid-19 ou au Sahel pendant l'opération Barkhane.

Certes, notre pays n'est pas resté sourd à ces critiques. En particulier, le CICID et le Conseil présidentiel de 2023 ont acté un changement de vocabulaire en évoquant au lieu de l'« aide » la notion d'« investissement solidaire et durable » (ISD). Parallèlement, un nouvel agrégat comptable, l'indicateur « TOSSD » (Soutien public total au développement durable ou Total official support to Sustainable Development), a été mis en place pour mesurer cet ISD, afin de valoriser l'ensemble des financements internationaux concourant au développement durable des pays éligibles à l'APD, y compris les financements privés. Il n'est cependant pas certain que ces changements terminologiques et comptables modifient en profondeur les perceptions des pays concernés et de leurs populations.

Par ailleurs, l'objectif d'influence et de défense des intérêts français est désormais plus nettement affiché dans les annonces relatives à l'APD française. Pourtant, la France n'est pas toujours bien identifiée derrière les projets mis en oeuvre par l'AFD. Ainsi, selon une chercheuse entendue par la commission, dans un pays comme le Sénégal, la politique d'investissement solidaire française pâtit d'une absence de « grand récit » qui permettrait de donner en sens global aux divers projets lancés dans ce cadre. Au contraire, le récit des « Routes de la Soie » chinois, quelles que soient les arrière-pensées dont il est le véhicule, fait preuve d'une efficacité certaine.

Au total, la politique d'aide publique au développement est prise dans un faisceau de contradictions qui rendent très difficile d'améliorer son image auprès des partenaires africains. Ainsi, ne pas afficher clairement les intérêts français en jeu - notamment en termes d'influence- peut laisser croire à un agenda caché et inavouable, mais les manifester clairement risque de susciter l'indignation, l'aide étant considérée comme une compensation pour des inégalités mondiales elles-mêmes injustes.

2. Le tournant de la politique de solidarité internationale vers les objectifs de transition énergétique : l'exemple de l'Afrique du Sud

La commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat s'est souvent interrogée, par le passé, sur le sens et sur l'efficacité de l'un des volets de la politique d'aide au développement française : celui qui, s'adressant aux pays à revenu intermédiaire ou aux pays émergents, consiste en l'attribution à ceux-ci de prêts peu ou pas concessionnels (donc à taux de marché) pour des projets de grande ampleur ayant un impact climatique positif.

Cette interrogation est particulièrement forte s'agissant de pays ayant une attitude souvent non coopérative voire hostile à la France, à ses intérêts et aux valeurs qu'elle porte, au premier rang desquels la Chine, d'autant que ce pays apparaissait encore il y a quelques années parmi les pays recevant les financements d'APD les plus importants52(*).

Lors de plusieurs auditions, les membres de la commission avaient interrogé Rémy Rioux, directeur général de l'AFD, à ce sujet. Celui-ci avait rappelé d'une part que, comme pour l'ensemble des pays ayant atteint le niveau intermédiaire supérieur de richesse, l'aide au développement à destination de la Chine ne coûte pas d'argent au contribuable français puisqu'elle consiste en prêts non concessionnels. Au contraire, ces prêts constituent même une source substantielle de bénéfices. D'autre part, ces projets ayant un impact en termes de biodiversité et de lutte contre le réchauffement climatique, ils contribuent aux engagements internationaux de la France dans ce domaine et permettent de financer les biens publics mondiaux que sont la diversité des espèces et la stabilité du climat, au bénéfice de tous. Certains membres de la commission avaient alors objecté qu'il était néanmoins aberrant de soutenir un pays ayant une politique étrangère et une attitude globalement agressive à l'égard de l' « Occident » et de la France. Au demeurant, l'espoir que la coopération de développement avec la Chine pourrait, à long terme, infléchir ses positions dans un sens plus conforme à nos valeurs et à nos intérêts, ne semble plus guère fondé aujourd'hui.

Dans ce contexte, le déplacement de la mission en Afrique du Sud effectué dans le cadre du présent rapport constituait une opportunité d'évaluer le sens et l'efficacité de cette politique d'aide au développement française à destination des pays émergents mise en oeuvre dans une optique d'accélération de la transition énergétique, dans un contexte défavorable sur le plan de l'influence française.

L'Afrique du Sud est en effet loin de partager les options françaises en matière de relations internationales et de constituer pour notre pays un partenaire « facile ». Le pays adhère au BRICS depuis 2011, promeut le concept de « Sud global » et s'efforce de transformer un ordre international perçu comme inféodé à l'Occident. Ainsi, les autorités du pays ont refusé de condamner l'invasion russe de l'Ukraine. Contrairement cependant à la Chine, l'Afrique du Sud adhère profondément aux principes démocratiques.

Dès lors, une triple question peut être posée s'agissant de cette intervention de l'AFD en Afrique du Sud : celle de son efficacité, celle du dialogue politique qu'elle permet ou non d'entretenir et, enfin, celle de son impact final sur les relations entre la France et son partenaire sud-africain, en particulier en termes d'influence.

a) L'efficacité de l'intervention de l'AFD en Afrique du Sud

La délégation de la commission en Afrique du Sud a pu échanger avec les équipes de l'AFD sur le « partenariat pour une transition énergétique juste » (Just Energy Transition Partnerships, « JETP »), ainsi qu'avec une équipe administrative du ministère sud-africain en charge de son application.

Les partenariats « JETP »

Les partenariats « JETP » constituent une forme de coopération multilatérale entre un groupe de pays bailleurs composé de membres du G7+, du Danemark, de la Norvège, des Pays-Bas et de l'Union européenne (l'International Partners Group « IPG »), et des pays émergents et en développement, dans l'optique d'accélérer leur transition énergétique. En effet, ces pays, souvent fortement émetteurs de gaz à effet de serre et très dépendants des combustibles fossiles lourds (charbon, fioul), sont confrontés à d'importantes difficultés financières et humaines qui réduisent leur capacité à réaliser cette transition. Les JETP constituent donc des plateformes permettant de mobiliser un soutien politique et à financer cette transition. Sont concernés les pays qui font preuve d'un engagement politique fort pour accélérer leur transition : ils doivent ainsi indiquer être attentifs à l'implication de la société civile dans le processus, à ce que les bénéfices économiques et sociaux de la transition profitent à la population et à ce que les potentiels effets négatifs sur les populations les plus vulnérables (notamment les travailleurs, les femmes ou les communautés locales) soient atténués. Quatre partenariats sont actuellement à l'oeuvre, avec l'Afrique du Sud, l'Indonésie, le Vietnam et le Sénégal.

L'Afrique du Sud est le 17ème émetteur mondial de GES (alors qu'elle n'est que la trentième économie mondiale) et possède une des parts de mix électrique alimentée par le charbon la plus importante au monde, avec 81,4%. Elle s'est fixée une fourchette d'émissions cible (398-510 Mt CO² en 2025 et 350-420 Mt CO²), dont la plus ambitieuse est compatible avec l'objectif de réchauffement global de 1,5°C, ce qui implique un pic d'émission atteint avant 2030.

La dimension « juste » de cette transition est centrale aux yeux les partenaires occidentaux. Au-delà de la prise en compte de l'impact social sur le secteur du charbon, elle doit permettre la réduction de la pauvreté et des inégalités, le développement de nouveaux secteurs et la création d'emplois qualifiés.

Des engagements financiers massifs de l'AFD en Afrique du Sud

Dans le cadre du JETP conclu lors de la COP 26 (novembre 2021), l'Afrique du Sud s'est engagée en échange d'un soutien financier d'au moins 8,966 Mds$ sur 3 à 5 ans. Depuis, avec la contribution de 338 M€ de nouveaux pays bailleurs (Pays-Bas et Danemark) puis de 2,3 Mds$ USD (Canada, Espagne et Suisse, non membres de l'IPG), les engagements totaux s'élèvent à 11,6Mds USD.

La France s'est engagée à fournir 1 Md€ sur 5 ans dans ce cadre. L'AFD a déjà instruit un prêt budgétaire de 300 M€ au Trésor sudafricain (approuvé, signé et décaissé fin 2022). Des discussions pour un éventuel prêt de 500 M€ avec la compagnie d'électricité sud-africaine Eskom ont toutefois été suspendues compte tenu de la situation financière de l'entreprise publique.

D'autres projets de prêts de l'AFD sont en cours de mise en oeuvre :

-Un financement budgétaire de politique publique de 300/400M€ à destination du National Treasury axé sur la transition juste, passé au conseil d'administration de l'AFD en octobre 2024 ;

-Un prêt de 300M€ pour soutenir la décarbonation de Transnet, entreprise publique de transport, des ports et logistique, lequel a toutefois été reporté à ce stade compte tenu notamment de la situation financière de cette entreprise.

Il s'agit au total d'un projet de grande envergure et d'une grande complexité, ce qui peut susciter des interrogations sur la capacité de l'Afrique du Sud, qui rencontre de très nombreux problèmes économiques et sociaux, à le mener à bien, même si certains progrès ont été accomplis53(*).

Malgré ce projet, le mix énergétique sud-africain de long-terme, entre priorité donnée au nucléaire ou au gaz et stratégie de développement des énergies renouvelables, fait d'ailleurs toujours l'objet de critiques (recours persistant aux énergies fossiles au détriment des énergies renouvelables, manque de transparence sur la modélisation, respect compromis de l'objectif de neutralité carbone en 2050, etc).

Ainsi, l'efficacité globale du dispositif est encore loin d'être garantie, tout comme la dimension sociale, pourtant essentielle dans l'implication de l'AFD et de la France, mais d'autant plus difficile à mettre en oeuvre que l'économique sud-africaine souffre d'un grave sous-emploi, notamment des jeunes, et d'une société parmi les plus inégalitaires du monde.

b) Un dialogue politique en construction

La délégation de la commission en Afrique du Sud a pu rencontrer des membres de l'administration présidentielle et gouvernementale en charge de la mise en oeuvre du JET-P en Afrique du Sud. Il s'avère que ces partenaires ont bien conscience de l'implication plus forte de la France et de l'Allemagne dans le projet, en comparaison d'autres parties prenantes. En outre, le dialogue est approfondi : il ne s'agit pas seulement d'une coopération de « carnet de chèques ». Ce dialogue va au-delà des seuls projets financiers pour devenir un « dialogue de politique publique » entre l'équipe France et le partenaire, permettant à celui-ci, éventuellement, d'infléchir sa trajectoire économique. L'AFD est en outre sollicitée par le ministère des finances sud-africain pour un appui sur les réformes fiscales ou sur la loi de finances dans l'optique d'une réduction des inégalités. L'implication majeure de l'AFD dans le programme JETP constitue ainsi un véritable point d'accroche pour la diplomatie française dans un contexte local difficile (pays non francophone, attitude pro-russe et attachement au « Sud global » des autorités, etc.)54(*).

c) Un impact final en faveur de l'influence française qui reste sujet à caution

La relation avec l'Afrique du Sud représente un enjeu diplomatique important pour la France en raison de l'activisme de ce pays sur la scène continentale, voire mondiale.

En effet, l'Afrique du Sud s'efforce de conserver une visibilité de premier plan après l'isolement de l'apartheid. Le pays défend les peuples marginalisés, les intérêts des pays d'Afrique et des pays en développement, la promotion des droits humains, les principes démocratiques et le multilatéralisme, dans une optique de « non-alignement ». Il s'investit dans les instances des Nations unies, avec un mandat au Conseil de Sécurité des Nations unies en 2019 - 2020, des candidatures fréquentes dans les organisations internationales (récemment, avec succès, à la Cour internationale de Justice), un rôle de négociation actif sur les enjeux globaux, par exemple en matière climatique, ou encore un plaidoyer récurrent pour la réforme du multilatéralisme.

L'Afrique du Sud est par ailleurs le seul pays africain au G20 (et l'un des deux membres africains du fait de l'entrée de l'Union africaine en 2022) mais surtout a intégré les BRICS en 2010 puis a oeuvré à l'élargissement de ce groupe (Arabie saoudite, Iran, Émirats arabes unis, Égypte et Éthiopie ont été récemment intégrés).

En outre, le Président Ramaphosa tente de maintenir un leadership sud-africain sur des enjeux continentaux et s'efforce de concrétiser une diplomatie africaine, que ce soit au sein de l'Union africaine (UA) ou par des initiatives en propre. En matière de paix et de sécurité, l'Afrique du Sud a ainsi occupé de nombreux mandats au Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine depuis 2004 et a poursuivi sa volonté de médiation sur les crises récentes. Le pays s'investit aussi sur les enjeux de santé mondiale et sur la zone de libre-échange continentale africaine.

Tous ces éléments justifient un fort investissement diplomatique français, notamment via l'aide au développement.

Cependant, dans une évidente fidélité à ses anciennes alliances, héritées des soutiens apportés à la Lutte anti-apartheid et du poids des orientations du Congrès national africain (ANC) sur la politique étrangère, l'Afrique du Sud continue actuellement à cultiver une grande proximité avec Moscou, ce qui explique le positionnement du pays sur l'invasion russe de l'Ukraine depuis le début du conflit, le 24 février 2022 : absence de toute condamnation de la Russie sous couvert d'une interprétation ambigüe du droit international, et, en ce qui concerne l'ANC, facilitation du relais de messages pro-russes dans le pays. Certes, le Gouvernement Ramaphosa a également montré quelques signes d'ouverture vis-à-vis de l'Ukraine55(*). Mais globalement, les sympathies de l'Afrique du Sud continuent à aller très nettement vers les principaux compétiteurs stratégiques de la France, au premier rang desquels la Russie.

La délégation du Sénat a pu constater la persistance de cette orientation lors d'une rencontre avec des représentants issus de l'ANC de la Commission parlementaire des Relations internationales et de la Coopération de l'Assemblée nationale, qui ont d'emblée tenu à rappeler fermement à la délégation sénatoriale l'ensemble des attendus idéologiques qui fondent l'adhésion de l'Afrique du Sud au « Sud global » et son opposition aux agissements considérés comme « néo-coloniaux » de l'Occident56(*), France comprise.

Ainsi il ne semble pas que, pour le moment du moins, l'investissement très important de la France auprès de l'Afrique du Sud en matière d'aide au développement permette de faire évoluer ce pays dans un sens favorable à l'influence française, notamment au regard de la position sud-africaine au sein des instances internationales. Le poids des alliances traditionnelles (en l'occurrence avec la Russie) semble devoir résister à toute démarche contraire.

C. LE PIÈGE DES COUPS D'ÉTAT ET L'ACCUSATION DE « DOUBLE STANDARD »

1. Le défi posé par les nombreux coups d'État récents en Afrique de l'Ouest

Depuis 2020, de nombreux coups d'État ont eu lieu en Afrique de l'Ouest : Soudan, Mali, Guinée, Burkina Faso, Niger et Gabon.

S'il y eut de nombreux coups d'État en Afrique par le passé, y compris dans ces mêmes pays, leurs causes varient au fil du temps : ils peuvent être motivés par le refus des distorsions démocratiques liés à la manipulation des constitutions pour prolonger les mandats, par des résultats électoraux frauduleux, par une détérioration de la sécurité dans le pays à la suite d'attaques djihadistes ou encore par la montée d'un sentiment souverainiste. Certains coups d'État, comme en Guinée et au Gabon, ont été présentés par leurs auteurs comme des opérations de rétablissement de la démocratie. Plusieurs ont été dirigés par des membres des gardes présidentielles, unités d'élite de l'armée, ce qui montre la persistance des problèmes posés par la politisation de celle-ci : a contrario le Sénégal, qui jouit d'une armée professionnelle inféodée au pouvoir politique, a connu un changement politique démocratique en 2024. Mais, contrairement à ceux du passé, les récents coups d'État africains ne se sont pas soldés par des bains de sang ni par des atteintes massives aux droits de l'homme.

Or les réactions variables de la France à ces divers coups d'État ont réactivé le procès en « double standard » fait à l'encontre de notre pays.

En effet, si l'ensemble de ces coups d'État ont initialement été condamnés par la France conformément aux standards de la communauté internationale mais aussi à la doctrine de l'Union africaine, cette condamnation de principe a été accompagnée de mesures et de déclarations d'une sévérité variable, ce qui a pu entamer notre crédibilité :

· Au Mali, la France a condamné le premier coup d'État d'août 2020 qui a destitué Ibrahim Boubakar Keita, mais n'a pas mis fin à l'opération Barkhane. La France a ainsi adopté une approche pragmatique, poursuivant sa coopération militaire avec les nouvelles autorités maliennes, tout en maintenant une pression diplomatique pour accélérer la transition vers un gouvernement civil. Cependant, après le second coup d'État de mai 2021, la situation s'est rapidement dégradée et la France a été forcée de mettre fin à la coopération militaire.

· Au Burkina Faso, les deux coups d'État ont également suscité une condamnation, moins forte cependant pour le deuxième du fait de la nécessité de conserver des relations minimales alors que des militaires français étaient toujours présents. En Guinée, le coup d'État de septembre 2021 a été condamné par la France mais celle-ci s'est surtout exprimée en soutien de la CEDEAO, dans un contexte où le président déchu, Alpha Condé, avait été élu pour un troisième mandat après un réforme de la constitution et des élections contestées.

· Au Niger, le coup d'État de juillet 2023 a entraîné une condamnation plus sévère, le soutien des sanctions dures de la CEDEAO, le refus de reconnaître le nouveau pouvoir et le soutien au Président déchu Bazoum, en raison d'un contexte particulièrement hostile à notre pays (présence de Wagner et volonté rapidement exprimée par les putschistes de mettre fin à la coopération avec la France).

· Au Gabon, le coup d'État du général Olighi a été condamné par les autorités françaises mais, contrairement à ce qu'il s'est passé pour le Niger, la France n'a pas suspendu son aide au développement ni sa coopération militaire. En effet, Ali Bongo venait d'être déclaré réélu pour un troisième mandat très controversé après des élections marquées par des accusations de fraude et de manipulation, et la grande majorité de la population soutenait manifestement le coup d'État.

· Enfin et surtout, au Tchad, la France a exprimé un net soutien à la transition non constitutionnelle dynastique qui a suivi la mort d'Idriss Déby. Ainsi que le rappelle le rapport de nos collègues députés Fuchs et Tabarot : « Au Tchad, la présence du président français au premier rang des obsèques d'Idriss Déby, en avril 2021, a été interprétée comme un soutien au général Mahamat Idriss Déby, fils du « chef » disparu et déjà président d'un conseil militaire de transition : quand bien même cette vision serait erronée, le symbole reste et a été extrêmement commenté par la jeunesse africaine sur les réseaux sociaux ». Cette réaction à la transition tchadienne s'est finalement avérée un pari douteux puisqu'en décembre 2024 le Tchad a exigé à son tout le départ des militaires français dans le cadre d'une évolution de ses alliances57(*).

2. Le problème du soutien aux dirigeants vieillissants

Au-delà des réactions aux changements de régimes inconstitutionnels, l'accusation de « double standard » s'adresse aussi au soutien souvent apporté par la France à des régimes vieillissants et autoritaires.

En effet, en théorie, depuis le discours de la Baule prononcé le 20 juin 1990 par François Mitterrand, la diplomatie française conditionne l'aide française aux efforts de démocratisation consentis par les États bénéficiaires. Toutefois, cette ligne a été difficile à maintenir dans la durée. En 2012, François Hollande avait promis de rompre avec la complaisance de la France avec des régimes africains insuffisamment démocratiques. Mais en février 2013, la libération d'une famille de sept Français enlevés par Boko Haram dans le Nord du Cameroun avait bénéficié au crédit de Paul Biya. Au même moment, Denis Sassou-Nguesso, président du Congo, devenait incontournable pour le règlement de la crise en Centrafrique, tandis que l'appui des soldats tchadiens d'Idriss Déby était requis dans le cadre de l'opération Serval lancée début au Mali au début de 2013.

De même, la France a toujours entretenu de bonnes relations avec Ali Bongo au Gabon et Paul Biya au Cameroun, ce dernier étant au pouvoir depuis plus de quarante ans. Certains gestes accomplis par l'actuel Président de la République ont ainsi paru manifester un soutien renouvelé de la France, même s'ils d'inséraient dans un contexte particulier (par exemple, la visite d'Ali Bongo en 2021 lors que le Gabon était membre non permanent du Conseil de sécurité de l'ONU). En même temps, la France protestait contre le troisième mandat du président Alassane Ouattara en Côte d'Ivoire, refusait de rencontrer Teodoro Obiang, le président de la Guinée équatoriale, tout en condamnant des coups d'État contre des dirigeants pourtant considérés comme illégitimes par la majorité de la population de leur pays, comme c'était le cas au Gabon et en Guinée.

Plus généralement, à partir du début des années 2000, lorsqu'après la première vague de démocratisation africaine de nombreux présidents ont entrepris de modifier la constitution de leur pays pour pouvoir candidater pour un troisième mandat58(*), la France n'a généralement pas protesté contre cette manoeuvre.

S'il existe à chaque fois des facteurs circonstanciels ou des intérêts légitimes qui peuvent justifier ces attitudes françaises changeantes, les opinions publiques des pays africains ne les acceptent plus et de nombreux relais d'opinion le font savoir par tous les moyens de communication actuels, ce qui ternit durablement l'image de la France.

D. UN DISCOURS SUR LES « VALEURS » ET LA DÉMOCRATIE SOUVENT MAL REÇU PAR NOS PARTENAIRES

La question de l'attitude à adopter face aux coups d'État et aux régimes vieillissants est plus généralement liée à celle des « valeurs » défendues par la France dans le cadre de ses relations diplomatiques avec les pays africains.

S'agissant des valeurs démocratiques, deux aspects principaux doivent être soulignés.

Le premier problème aux yeux des opinions africaines n'est sans doute pas que la France défendrait trop la démocratie, mais plutôt qu'elle ne la défend pas assez (cf. ci-dessus). Pour résumer la situation, une grande partie des Africains, notamment en Afrique francophone, estime être gouvernée depuis des décennies par des dirigeants incompétents et corrompus (la preuve en est que leurs pays restent pauvres), dans le cadre de pseudo-démocraties pourtant soutenues par une France qui a toujours préféré le statu quo au nom de la stabilité à court terme : c'est la thèse très répandue du « complot de la France contre l'Afrique ».

Dès lors, même les initiatives françaises sincères pour promouvoir la démocratie risquent toujours de paraître suspectes.

D'un autre côté, l'article premier de la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales dispose bien que « la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales a pour objectifs (...) la promotion des droits humains, en particulier des droits des enfants, le renforcement de l'État de droit et de la démocratie». Il convient également de rappeler que l'Acte constitutif de l'Union africaine prévoit dans son préambule que les membres conviennent de promouvoir les objectifs suivants : « (g) promouvoir les principes et les institutions démocratiques, la participation populaire et la bonne gouvernance ; (h) promouvoir et protéger les droits de l'homme et des peuples conformément à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et aux autres instruments pertinents relatifs aux droits de l'homme » et se réfèrent notamment au principe suivant : « Condamnation et rejet des changements anticonstitutionnels de gouvernement ».

Il est donc normal que la France s'efforce, dans ses relations avec les partenaires africains, de s'appuyer sur des valeurs et des principes juridiques qui sont les siens, d'autant qu'ils constituent également des ressources permettant aux sociétés civiles africaines d'exiger davantage de droits et de libertés.

En revanche, il est indispensable de reconnaître que l'application de ces principes requiert un effort de définition, une bonne intelligence des situations et un certain pragmatisme dans la mise en oeuvre.

S'agissant du premier point, il est nécessaire de reconnaître la diversité des traditions démocratiques africaines et, plus généralement, des formes que peuvent prendre la « participation populaire et la bonne gouvernance » selon les termes de l'Acte constitutif de l'Union africaine. Ainsi, pendant la période qui suit immédiatement un coup d'État, l'insistance quasi exclusive sur la tenue d'élections générales est parfois contre-productive, même si elles suivent l'habituel « dialogue national inclusif ». Pour preuve, le triste sort de plusieurs régimes issus de telles élections tenues rapidement à la suite de coups d'Etat :

- Ibrahim Boubacar Keïta a été renversé par le colonel Assimi Goïta en 2020, après avoir été élu président du Mali à l'issue des élections organisées en 2013, au terme de la transition mise en place après le coup d'État de 2012 mené par le capitaine Amadou Haya Sanogo ;

- Au Burkina Faso, Roch Marc Kaboré est devenu président après avoir remporté les élections de novembre 2015 organisées pendant la période de transition qui a suivi le soulèvement populaire de 2014 qui a chassé Blaise Compaoré après 27 ans au pouvoir et après l'échec d'une tentative de coup d'État en septembre 2015 ; il a lui-même été renversé en janvier 2022.

- En Guinée, Alpha Condé a été élu président en 2010 après que Moussa Dadis Camara avait pris le pouvoir en 2008, à la suite du décès du président Lansana Conté. Il a été renversé par un putsch en septembre 2021.

Ainsi, la persistance des coups d'État dans les trois pays en dépit d'élections démocratiques organisées à l'issue de transitions courtes, montre que cette approche traditionnelle échoue souvent à traiter les causes structurelles des crises, qui finiront par provoquer un nouveau coup d'État quelques années plus tard.

Porter une plus grande attention à la réalité de la participation populaire et du respect des droits tout en n'apparaissant pas comme porteur d'une tradition européo-centrée, toujours susceptible d'être considérée comme néo-coloniale, suppose ainsi de s'appuyer autant que possible sur les mouvements et sur les réflexions démocratiques préexistants au sein des pays africains, comme le suggèrent notamment les travaux d'Achille Mbembe, à l'origine de la fondation de l'innovation pour la démocratie issue du sommet de Montpellier en 2021.

S'agissant par ailleurs de la nécessité d'une approche plus pragmatique, elle est apparue clairement lors du récent coups d'État au Niger : la prudence et l'intérêt bien compris auraient dû motiver une réaction moins démonstrative.

Par ailleurs, dans plusieurs pays, notamment en Afrique de l'Ouest, certaines des initiatives françaises en matière de lutte contre les discriminations sont mal reçues par nos partenaires. Lors du déplacement de la mission au Gabon par exemple, le reproche a été fait à la France de tenter d'imposer des « valeurs » qui ne sont pas celles de la société gabonaise. Au Sénégal, le nouveau Premier ministre Ousmane Sonko, dans un discours très suivi à l'occasion de la visite de Jean-Luc Mélenchon, a exprimé des vues similaires en 2024. Au Cameroun, l'ambassadeur français pour les droits des personnes LGBT+ s'est même vu refuser son visa pour assister à une conférence annoncée sur ce sujet en juin 2023.

Au niveau européen également, l'Union européenne engage régulièrement le dialogue politique avec les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) sur des questions portant sur la situation juridique des personnes LGBT. Par ailleurs, certains pays africains s'opposent actuellement au nouvel accord commercial de Samoa, signé le 15 novembre 2023 et qui succède à l'accord de Cotonou, au motif que certaines formulations relatives à l'inclusivité ou à la non-discrimination viseraient à forcer les pays africains à adopter des législation pro-LGBT.

Là encore, il est parfois reproché à la France d'appliquer un « double standard », étant donné la moindre mise en avant de ce type de sujets auprès d'autres partenaires diplomatiques en dehors de l'Afrique.

La nécessaire adaptation au contexte appelle sans doute à une plus grande prudence sur ces sujets. Il convient toutefois sans doute ici de distinguer, dans la réaction des partenaires africains, ce qui relève d'un discours traditionnel plus ou moins actualisé reflétant certains aspects culturels (respect dû à l'aîné et au chef, rôle éventuel des chefferies traditionnelles, etc) et un phénomène beaucoup plus moderne, désigné par Achille Mbembé sous le nom de « néosouverainisme », défini par l'historien et philosophe comme « une version appauvrie et frelatée du panafricanisme ». Selon lui, les adeptes de ce mouvement « s'opposent (...) à la démocratie qu'ils considèrent comme le cheval de Troie de l'ingérence internationale. Ils préfèrent le culte des « hommes forts », adeptes du virilisme et pourfendeurs de l'homosexualité. D'où l'indulgence à l'égard des coups d'État militaires et la réaffirmation de la force comme voies légitimes d'exercice du pouvoir. » Ainsi, au Sénégal, le rejet des minorités sexuelles est un phénomène de fond qui n'a pas attendu les programmes français de lutte contre les discriminations pour se manifester, alors même que ces minorités étaient moins discriminées par le passé dans ce pays. Ce second aspect du rejet des valeurs occidentales trouve un soutien complaisant auprès de la Russie.

E. LA REVENDICATION D'UN ÉCHANGE ÉCONOMIQUE ET COMMERCIAL MOINS INÉGAL

1. Une inégalité structurelle persistante

L'aspect économique est rarement évoqué s'agissant des causes du « sentiment anti-français » en Afrique de l'Ouest. Il s'agit pourtant d'un volet important de la contestation menée au nom du « Sud global » contre l' « Occident », mobilisé par exemple par les autorités sénégalaises, mais pas seulement : dans de nombreux pays s'affirme une volonté de reprendre le contrôle sur les ressources et de construire des filières nationales pour sortir de l'extraversion économique.

Il est vrai que la France n'a plus d'intérêt majeur, par exemple, au Sahel. Ainsi, l'uranium utilisé en France n'est issu qu'à 20% du Niger. La production a d'ailleurs été suspendue en décembre 2024 à la suite de tensions avec la junte, qui, dans l'optique souverainiste déjà évoquée, souhaite modifier ses partenariats économiques. En conséquence, afin de diversifier encore ses approvisionnements, l'entreprise Orano négociait à la fin de 2024 un accord d'exploitation d'uranium avec la Mongolie.

En revanche, les échanges commerciaux entre la France et les pays africains, comme ceux entre l'ensemble des économies développées et l'Afrique, restent bel et bien marqués par une forme d'inégalité structurelle. La majorité des économies africaines est encore largement tributaire de l'exportation de ressources brutes (pétrole, gaz, minerais, produits agricoles), tandis que les pays occidentaux comme la France exportent en Afrique des produits manufacturés et des services à haute valeur ajoutée. Ce déséquilibre structurel entre exportations de matières premières et importations de produits finis, déjà en place pendant la période coloniale, continue de limiter les possibilités de développement économique autonome des pays africains, qui restent vulnérables aux fluctuations des prix des matières premières sur les marchés mondiaux. Ainsi, par exemple, le Gabon (pétrole et minerais), la Côte d'Ivoire (cacao et café) ou le Niger (uranium) dépendent fortement de l'exportation de leurs ressources naturelles vers les marchés européens et asiatiques.

De même, les investissements étrangers en Afrique sont souvent réalisés dans des secteurs où les pays africains ne parviennent à prélever qu'une faible part de la valeur ajoutée. L'essentiel de ces investissements se concentre en effet dans l'extraction des ressources naturelles, avec des bénéfices importants pour les multinationales occidentales et des retombées souvent décevantes pour les économies locales. Cette inégalité n'est d'ailleurs nullement l'apanage des relations entre l'Afrique et l' « Occident », comme peuvent le constater les populations de l'Est de l'est de la RDC avec l'exploitation des métaux rares par les entreprises chinoises.

Par ailleurs, les multinationales françaises jouent un rôle significatif en Afrique dans des secteurs clés tels que l'énergie, les infrastructures, la télécommunication, la finance, et les biens de consommation, ce qui leur donne une grande visibilité : Total, Orange, Bouygues, Vinci, Bolloré, Danone, Société générale, Véolia, Suez, Accor ou AXA sont très présentes en Afrique et offrent une cible facile aux critiques formulées à l'encontre de ce déséquilibre dans les relations économiques et commerciales entre l'occident et l'Afrique. À titre d'exemple, au Sénégal, la présence militaire française est sans doute moins critiquée que la présence économique, matérialisée par les très nombreuses entreprises françaises implantées localement. S'il convient en réalité de relativiser cet aspect, dans la mesure où nombre de ces entreprises se sont déjà transformées en joint-venture avec l'intégration de capitaux locaux et une grande majorité de salariés sénégalais, la perception persiste et peut faire l'objet d'instrumentalisations politiques.

Les échanges commerciaux France-Afrique subsaharienne en 2023

En 2023, les échanges commerciaux entre la France et l'Afrique subsaharienne (48 pays) ont totalisé 24,5 Md€ (11 Md€ d'exportations et 13,5 Md€ d'importations) soit 1,9 % des échanges commerciaux de la France selon les Douanes. L'Afrique subsaharienne représente 1,8 % des exportations françaises et 1,9 % des importations françaises. Si cette part suit une tendance baissière depuis 10 ans, ces échanges sont comparables avec ceux réalisés entre la France et l'Amérique latine (2,0 % du commerce extérieur français et 26,3 Md€ en 2023). Les échanges avec l'Afrique subsaharienne connaissent une hausse en volume, au-dessus de la moyenne sur les dix dernières années (20,9 Md€), portée par la hausse des importations d'hydrocarbures (+70 % par rapport à la moyenne des dix dernières années), en provenance du Nigéria et de l'Angola. En 2023, les principaux partenaires de la France en Afrique subsaharienne sont le Nigéria (5,0 Md€), l'Afrique du Sud (3,3 Md€), la Côte-d'Ivoire (2,4 Md€), l'Angola (2,0 Md€) et le Cameroun (1,5 Md€).

En 2023, la France reste le 8ème pays fournisseur de l'Afrique subsaharienne avec 3,2% des parts de marché (contre 3,3 % en 2022), ce qui est légèrement inférieur aux parts de marché de la France au niveau mondial en 2023 (3,5 % en 2023). Par comparaison, sur les trois premiers trimestres de 2023, la Chine détenait 17,3 % des parts de marché à l'export en Afrique subsaharienne (55 Md$), en hausse continue depuis 10 ans.

L'Afrique subsaharienne reste une région importante pour certains approvisionnements de la France (hydrocarbures, produits agricoles et minerais stratégiques). La France a ainsi importé 11,6 % de son total d'hydrocarbures (7,6 Md€) du continent, principalement depuis le Nigéria et l'Angola qui étaient respectivement les 4ème et 11ème fournisseurs d'hydrocarbures au niveau mondial. La France importe 9 % de ses produits agricoles d'Afrique subsaharienne (9,4 % en 2022) pour 1,6 Md€ (1,7 Md€ en 2022), notamment en provenance de la Côte d'Ivoire (9ème fournisseur, 0,5 Md€) et d'Afrique du Sud (19ème fournisseur, 0,2 Md€). Enfin, 15,1 % des approvisionnements français de minerais stratégiques viennent d'Afrique (0,2 Md€) avec 3 pays subsahariens parmi les 10 premiers fournisseurs de la France.

Enfin, en termes d'investissements, la France reste le 2ème pays pour l'investissement en Afrique avec un stock d'IDE de 38,9 Md€ en 2022 et 2 440 filiales d'entreprises française (hausse de 60% en 10 ans) employant directement 235 000 personnes sur le continent.

Source : Direction générale du Trésor

2. Une dimension européenne en évolution

La question des échanges économiques et commerciaux inégaux doit également être inscrite dans le cadre de l'évolution des accords commerciaux entre l'UE et l'Afrique. Après les accords de Cotonou (2000), par lesquels l'UE accordait un accès préférentiel au marché européen pour les produits des pays ACP sans réciprocité, tout en mettant l'accent sur l'aide au développement, les accords de partenariat économique (APE), dont la négociation a été longue et difficile, se sont conformés aux règles de l'OMC en prévoyant la réciprocité, les pays africains devant progressivement s'ouvrir aux produits européens. Plusieurs communautés régionales africaines ont signé des APE, y compris la Communauté de l'Afrique de l'Est (EAC), la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC), et la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO).

Les APE sont toutefois été critiqués par les pays africains au motif qu'ils mettent en concurrence des économies asymétriques, empêchant le développement de la production de produits manufacturés sur le continent. Ils sont également accusés de réduire les recettes fiscales déjà très faibles en faisant baisser les droits de douane, et de contribuer à fragmenter le continent en instaurant des régimes séparés selon les régions, au détriment de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf).

Le 15 avril 2021, après plusieurs années de négociations, un nouvel accord, dit « l'accord de Samoa », a été signé. Cet accord, qui devrait entrer en vigueur après ratification en 2024, intègre des sujets comme le changement climatique, la gouvernance mondiale et la migration. Il cherche également à promouvoir des relations commerciales plus équitables et une coopération renforcée en matière de paix et de sécurité. Enfin, il vise à mieux aligner les objectifs de l'UE avec les efforts d'intégration régionale en Afrique, notamment en soutenant la mise en oeuvre de la ZLECAf. Par ailleurs l'article 74, qui traite de la coopération en matière de gestion des frontières et de lutte contre le trafic de migrants, prévoit une disposition sur la réadmission. Cet article réaffirme ainsi le droit de tout pays de l'UE ou ACP de renvoyer tout ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier vers son pays d'origine, et surtout l'obligation pour tout pays de l'UE ou de l'OEACP d'accepter le retour et la réadmission de ses ressortissants.

Ce nouvel accord devait entrer en vigueur en 2024 mais 35 pays ACP ayant refusé de le ratifier, son efficacité est remise en cause.

Enfin, l'Union européenne soutient la ZLECAf par la « Facilité européenne d'assistance technique en appui à la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) et à l'intégration économique continentale », programme intégré à la stratégie « Global Gateway » qui vise à renforcer les capacités du continent africain en vue d'atteindre les objectifs de l'Agenda 2063 et de l'Agenda 2030. Elle propose ainsi aux partenaires africains un soutien ciblé pour consolider la mise en oeuvre de la ZLECAf. Ce financement a été engagé entre 2021 et 2024 pour 24.5 M€, fourni par l'Union européenne, l'Allemagne, la France et la Suède. S'agissant de la France, ce soutien technique est notamment mis en oeuvre par Expertise France.

3. Le retour de la dette : un symbole de la tutelle économique de l'Afrique

De nombreux pays africains sont aujourd'hui à nouveau en situation d'endettement excessif et plusieurs se sont même déjà trouvés en cessation de paiement.

À la fin des années 90, une crise de la dette systémique avait déjà frappé de nombreux pays africains, les obligeant à réduire la majeure partie de leurs dépenses sociales. À partir de 1996, le programme pays pauvres très endettés (PPTE) a concerné 42 pays, dont les trois quarts situés en Afrique subsaharienne, et a permis de supprimer une grande partie de cette dette.

On assiste cependant aujourd'hui à un retour de la crise de la dette. Plusieurs pays ont déjà tété obligés de se mettre en cessation de paiement (Zambie, Ghana, Éthiopie...). Les créanciers privés et la Chine, qui prête souvent au travers de banques publiques se comportant comme des créanciers privés, détenaient entre 17% et 32% de la dette totale et plus de la moitié de la dette externe dans deux cas sur trois. Ainsi, hormis le cas du Ghana, la Chine détenait entre les deux tiers et les trois quarts de la dette bilatérale externe, un tiers pour le Ghana.

En dehors du cas de l'Éthiopie, les créanciers multilatéraux détenaient en revanche des niveaux de dette relativement contenus. Les bilatéraux hors Chine (dont le club de Paris mais pas exclusivement) ne représentent ainsi jamais plus de 6% de l'encours total, en général à conditions concessionnelles.

Au total, on peut estimer que la tendance des emprunteurs à privilégier les créanciers privés (domestiques ou étrangers) et à favoriser la Chine parmi des créanciers bilatéraux a constitué un facteur de risque accru.

En raison de cette explosion de la dette, les dépenses publiques sont sous pression, les monnaies sont déstabilisées et l'inflation augmente. Dès lors, une grande partie de l'Afrique est, de nouveau, en train de perdre une partie de sa souveraineté et de sa liberté de mouvement à cause de la dette.

Au total, la perception d'un ordre économique mondial injuste reste, non sans raison, forte en Afrique et explique une partie des critiques anti-occidentales et anti-françaises, même si la situation est très variable selon les pays considérés.

IV. L'ARCHITECTURE AFRICAINE DE PAIX ET DE SÉCURITÉ DE L'UNION AFRICAINE : UNE DIFFICULTÉ À MONTER EN PUISSANCE

La volonté exprimée par les autorités françaises de réduite la dimension sécuritaire et militaire de la présence de notre pays en Afrique va de pair avec la perspective d'une prise en main « par les Africains eux-mêmes » de leur sécurité collective, via l'Union africaine (UA) et les communautés régionales.

La notion de « pax africana », qui fait référence à l'idée que les Africains doivent être responsables de la paix et de la sécurité sur leur continent, a été introduite par Ali Mazrui dans son livre Towards a Pax Africana (1967). Cette notion a influencé la pensée panafricaine et a contribué à façonner les approches des organisations régionales africaines en matière de paix et de sécurité. C'est dans ce contexte que sont nées, à partir des années 1960, l'Organisation de l'unité africaine et plusieurs communautés économiques régionales. Ces différentes organisations ont progressivement investi les domaines de la paix et de la sécurité.

A. L'ARCHITECTURE AFRICAINE DE PAIX ET DE SÉCURITÉ COLLECTIVE REPOSE SUR PLUSIEURS ORGANISATIONS RÉGIONALES COORDONNÉES PAR L'UNION AFRICAINE.

1. Le rôle coordinateur et supranational de l'Union africaine lui confère une légitimité supérieure à celle des organisations régionales.

Née en 2002 sur les cendres de l'Organisation de l'unité africaine (OUA), l'Union africaine (UA) affirme d'emblée une volonté d'assumer davantage de responsabilités en matière de sécurité collective du continent . Elle se démarque de l'OUA en remplaçant le principe de non-ingérence de l'OUA par celui de « non-indifférence », qui lui donne le droit d'intervenir dans un État membre en cas de circonstances graves : crimes de guerre, génocides et crimes contre l'humanité.

L'UA conçoit ainsi l'Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA). Son principal pilier opérationnel est le Conseil de paix et de sécurité (CPS), créé en juillet 2002, en partie calqué sur le modèle du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU). Il est composé de 15 membres élus pour un mandat de deux à trois ans mais qui, contrairement au CSNU, ne disposent pas d'un droit de véto. Ensuite, la Force africaine en attente (FAA) constitue une composante majeure de l'APSA. Elle se décline en cinq états-majors et brigades régionaux qui permettent la mise en place d'une capacité de déploiement rapide, chaque brigade étant formée d'environ 5000 soldats. Les 5 composantes de la FAA ont été fusionnées avec les forces de chaque communauté économique régionale (cf. ci-dessous).

L'UA reconnaît huit Communautés économiques régionales (CER) avec lesquelles elle a signé en 2007 un Protocole. Ce protocole affirme la prééminence de l'UA sur les CER : « Les CER (...) prendront des mesures requises pour réviser leurs traités afin d'établir un lien organique avec l'Union et y prévoir en particulier (...) l'alignement de leurs programmes, de leurs politiques et stratégies sur ceux de l'Union » (article 5).

2. La montée en puissance des organisations régionales sur les enjeux de paix et de sécurité.

Initialement conçues pour favoriser l'intégration économique régionale du temps de l'UOA, les CER sont devenues partie intégrante du dispositif sécuritaire de l'UA.

Toutes les CER disposent de mécanismes destinés à promouvoir la paix et la sécurité dans leurs régions respectives. On retrouve ici les cinq forces régionales en attente intégrées à la Force africaine en attente de l'UA qui sont toutes dotées d'une structure de planification interne. De fait, certaines opérations peuvent être menées par les CER sans qu'elles aient été mandatées par l'UA au préalable. Plusieurs CER étaient d'ailleurs déjà dotées de forces armées avant que l'UA ne constitue les forces régionales de la FAA. Par exemple, la Force en attente de la CEDEAO (FAC) est l'héritière de l'Ecomog, créée en 1990 pour intervenir au cours de la guerre civile au Libéria. Concernant l'Afrique centrale, la CEEAC dispose de la Force Multinationale de l'Afrique Centrale (FOMAC) qui a conduit une opération en 2013 (MICOPAX) en République Centrafricaine.

Enfin, les CER disposent également de structures de discussion et de délibération sur les sujets de la paix et de la sécurité. Ainsi, la SADC crée en 1996 l'Organe de coopération en matière de politique, de défense et de sécurité (OPDS) et la CEEAC se dote en 2004 du Conseil de paix et de sécurité de l'Afrique centrale (COPAX).

En raison des avantages du maintien de la paix par des acteurs régionaux mais aussi du fait des problèmes de financement de l'UA, les opérations menées par les CER ont eu tendance à prendre le pas sur celles décidées d'emblée par l'UA.

Communautés économiques régionales d'Afrique

Source : Rapport « indice de l'intégration économique régionale en Afrique » de l'Union africaine et de la commission économique pour l'Afrique des Nations unies, éditions 2019, p. 15.

3. Les problèmes de chevauchement entre l'échelon continental et l'échelon régional

En 1980, l'Acte final de Lagos a eu pour objectif de limiter le chevauchement institutionnel, la dispersion des ressources et les querelles de légitimité entre les institutions régionales. Ce processus s'est poursuivi avec le Traité d'Abuja (1991) qui inaugure la Communauté économique africaine et reconnaît le statut de CER à 14 organisations - limité à 8 en 2006. Depuis la création de l'UA en 2002, le Protocole de 2007 est venu encadrer les relations entre l'UA et les CER autour de deux principes.

D'une part, le Protocole affirme la supériorité de l'échelon continental en visant à s'assurer que les activités des CER soient conformes objectifs et principes de l'UA. Par ailleurs, le CPS de l'UA doit être pleinement informé des activités des CER et s'assurer qu'elles soient coordonnées et harmonisées avec lui. Cette supériorité se retrouve dans les instruments juridiques des CER qui reconnaissent leur attachement aux principes de l'UA.

D'autre part, la division du travail, guidée par les « principes de subsidiarité, de complémentarité et d'avantage comparatif en vue de permettre aux CER de mettre en oeuvre l'agenda d'intégration régionale ».

La subsidiarité signifie que la gestion des conflits est de la responsabilité première des CER et que l'UA ne peut intervenir qu'en cas d'inaction ou d'incapacité de celles-ci. La crise centrafricaine en constitue un bon exemple : entre juillet 2008 et août 2013, la CEEAC a déployé la Mission de consolidation de la paix en Centrafrique (MICOPAX) qui s'est ensuite, après les difficultés rencontrées, transformée en Mission internationale de soutien à la Centrafrique (MISCA) sous conduite de l'UA. C'est finalement l'ONU qui a pris le relais fin 2014 via la MINUSCA.

La complémentarité implique que les liens entre l'UA et les CER en matière de paix et sécurité soient établis selon la politique continentale : les CER doivent harmoniser leurs mécanismes ainsi que leurs programmes pour suivre ceux de l'APSA. Le CPS est, entre autres, chargé de la coordination des mécanismes régionaux afin de les conformer aux objectifs de l'UA.

Enfin, l'avantage comparatif impose, dès lors que plusieurs organisations sont engagées sur un même terrain, de confronter leurs forces et faiblesses de sorte à identifier celle dont l'action est la plus efficace.

En réalité, l'application de ce cadre juridique apparemment clair n'a cessé de poser des problèmes à l'UA et aux CER.

4. L'évolution des menaces a mené à la création d'initiatives de sécurité ad hoc (ASI).

Face à des menaces sécuritaires transnationales - criminalité, djihadisme ou piraterie - qui ne recoupaient pas les limites des communautés régionales, les dirigeants africains ont de plus en plus fait le choix de recourir à des coalitions ad hoc (ASI - ad hoc security intitiative). La première ASI fut ainsi l'Initiative de coopération régionale pour l'élimination de l'Armée de résistance du Seigneur (RCI-LRA) en Afrique centrale, créée en 2011 et qui s'est vue confier par l'UA un mandat pour combattre le mouvement rebelle chrétien sur un théâtre d'opération à cheval sur plusieurs États. Par ailleurs, afin de lutter contre le groupe islamiste Boko Haram, la Commission du bassin du Lac Tchad (CBLT) a mis en place en 2014 la Force multinationale mixte (FMM), composée de militaires du Niger, du Nigéria, du Tchad et du Cameroun. Enfin, le G5-Sahel (G5S), créé à Nouakchott en 2014, avait pour objectif de lutter contre le terrorisme au Sahel en se dotant de la Force conjointe du G5 Sahel (FCG5S).

Quatre éléments distinguent ces initiatives ad hoc des opérations de maintien de la paix menées par l'UA ou les CER. D'abord, elles répondent à une menace transnationale partagée et sont amenées à gérer un défi sécuritaire situé dans au moins deux États. Ensuite, elles sont composées de forces armées qui opèrent dans leur propre territoire, avec des dérogations pour poursuivre les groupes dans les territoires frontaliers, ceci étant gage d'une meilleure efficacité opérationnelle. En effet, les opérations internationales posent des difficultés juridiques relatifs aux dérogations accordées à une force étrangère intervenant dans un État tiers. Troisièmement, elles sont coordonnées par un QG commun dont le but est de faciliter la coordination et de planifier la stratégie, les pays participant à une ASI conservant le commandement opérationnel de leur force. Enfin, l'opération n'a pas besoin d'être préalablement autorisée en vertu de l'article 51 de la Charte de l'ONU, puisqu'elle se déroule au sein de cadres juridiques nationaux et sur la base d'accords bilatéraux entre des pays qui coopèrent pour faire face à une menace commune.

B. CETTE ARCHITECTURE A PROGRESSIVEMENT PERMIS AUX ORGANISATIONS AFRICAINES DE PRENDRE EN MAIN LEUR SÉCURITÉ COLLECTIVE.

1. Des interventions multiples aux mandats divers et avec des résultats contrastés.

À partir des années 2000, une nouvelle mutation des conflits à conduit les Nations unies et l'Union africaine à revoir leur doctrine d'intervention. En effet, des groupes terroristes, d'abord au Nigeria et en Algérie puis, à la suite des attaques du 11 septembre 2001 et du début de la « guerre contre la terreur », dans plusieurs régions d'Afrique, ont émergé, en faisant fonds sur les situations d'injustice, de conflit centre-périphérie, de sous-développement économique et de marginalisation politique. Leur objectif était généralement de contrôler des parties de territoires à cheval sur plusieurs États afin de pouvoir y bénéficier des trafics transfrontaliers, tout en exerçant une violence indiscriminée contre les civils.

En réponse à ce nouveau défi, les Nations unies et l'Union africaine ont autorisé un nouveau type d'opérations, plus offensives, comprenant l'emploi de forces spéciales. En général, ces opérations sont prises en charges par les acteurs africains eux-mêmes, que ce soit un pays ou une organisation régionale. Elles ne sont pas fondées sur un accord de cessez-le-feu, en général inexistant. Surtout, à l'inverse des opérations de maintien de la paix « classiques », elles ne peuvent plus être considérées comme impartiales, puisqu'elles défendent l'État contre des agresseurs.

À partir de 2008, avec la crise financière et un retour de la compétition entre grandes puissance, les opérations de maintien de la paix de l'ONU ont été réduites. Après la fin des grands déploiements onusiens en Côte d'Ivoire (2017), au Liberia (2018) et au Soudan (2020), les interventions de l'ONU ont eu lieu dans le cadre plus modeste du « programme 4P », avec un accent mis sur le politique plutôt que sur le militaire. L'accent a donc encore davantage été mis sur les opérations de paix et de sécurité menées par les acteurs africains. On observe parallèlement un mouvement d'autonomisation des CER par rapport à l'UA.

Depuis l'an 2000, 38 opérations de paix dirigées par des organisations africaines ont été déployées dans 25 pays, dont 25 qui ont été mandatées par l'UA (3 par l'OUA entre 2000 et 2002), 12 par des organisations régionales et une par une initiative de sécurité ad hoc, l'initiative d'Accra. Au fil des années, les opérations ont eu tendance à se régionaliser puisque sur les dix missions actuellement en cours, seules trois sont mandatées par l'UA.

Les opérations de paix en Afrique ont ainsi mis en oeuvre un large éventail de mandats et d'objectifs, qui peuvent se classifier en cinq catégories.

-obtenir un un cessez-le-feu ou favoriser/garantir des accords de paix. C'est le cas des opérations de la CEDEAO au Libéria (ECOMIL, 2003) et en Côte d'Ivoire (ECOMICI, 2003) et des opérations mandatées par l'UA au Soudan (AMIS 1 et 2, 2004-2007) ;

-soutenir des élections ou des processus de transition politique : mission de la CEDEAO en Guinée-Bissau (ECOMIB, 2012-2020) ; force multinationale en République Centrafricaine de la CEEAC (FOMUC, 2002-2008) ; mission d'assistance électorale et sécuritaire de l'UA aux Comores (MAES, 2007-2008) ;

-assurer la protection de dirigeants confrontés à des troubles internes : intervention de la CEDEAO en Gambie (ECOMIG, 2017-) ; mission de préventions de la SADC au Lesotho (SAPMIL, 2018) ;

-stabiliser ou imposer la paix contre des insurrections ou des groupes armés rebelles. La mission de l'UA en Somalie (AMISOM, 2007-2022), par son ampleur et sa durée, illustre ce volet, mais aussi la force conjointe du G5-Sahel, initiative de sécurité ad hoc qui a été mandatée par l'UA en 2017 ;

-lutter contre les crises sanitaires et les pandémies : missions de soutien de l'UA à l'épidémie d'Ébola en Afrique de l'Ouest (ASEOWA, 2014-2015) et en RDC (ASEDCO, 2019).

2. De nombreux défis qui persistent

La diversité des opérations menées depuis vingt ans permet de faire un bilan significatif des réussites et des échecs de ces dernières.

D'un point de vue global, la régionalisation des opérations militaires s'est avérée efficace. En effet, les acteurs régionaux peuvent se déployer plus rapidement et à moindre coût que les forces internationales. Plusieurs opérations africaines se sont ainsi intégrées ou transformées en missions des Nations unies, dont l'opérationnalisation est plus longue. Ces missions ont permis de garantir le respect d'accord de paix en attendant qu'une mission internationale s'organise et prenne le relais. Ce fut notamment le cas de l'ECOMIL qui s'est transformée en une mission de l'ONU un mois plus tard et des opérations AMIS 1 et 2, tout comme de la MISCA en République centrafricaine en 2013-2014 et de la MISMA au Mali, qui ont permis des interventions rapides avant la relève des Nations unies. Le processus de génération de force peut en effet prendre trois mois pour UA ou les CER contre 6 ou 9 mois pour l'ONU : c'est là une vraie valeur ajoutée des organisations africaines.

La régionalisation des opérations a également permis davantage de souplesse doctrinale que les missions de maintien de la paix de l'ONU, qui se déploient rarement en l'absence d'un processus de paix. Ainsi, six des dix-sept opérations menées dans la dernière décennie ont été mandatées pour lutter contre des groupes terroristes qui s'étaient désengagés de tout règlement politique du conflit. La création de la Force multinationale mixte en 2015, sous les ordres de la CBLT et un mandat de l'UA, illustre cette flexibilité. De ce fait, les opérations régionales ont souvent adopté une doctrine de contre-insurrection visant à « gagner les coeurs et les esprits » en protégeant les civils contre les insurgés.

Ensuite, les initiatives de sécurité ad hoc ont permis une coordination entre des pays africains pour relever des défis transfrontaliers. Par exemple, la Force conjointe du G5S a créé un droit de poursuite afin de permettre à des forces de sécurité d'un des pays du G5S de poursuivre les groupes au-delà des frontières nationales. Enfin, certaines opérations ont contribué à la stabilisation politique et institutionnelle d'États africains, comme la mission de soutien de la CEDEAO en Gambie (ECOMIG) qui a permis une transition pacifique du pouvoir en sécurisant l'investiture de Adama Barrow en 2017.

Plus généralement, l'UA et les CER sont parvenues à régler les crises de petites tailles, à l'instar de l'action de la CEDEAO en Guinée Bissau en 2016, en Gambie en 2017, de la SADC au Lesotho en 2018 ou de l'UA aux Comores en 2007.

Cependant, la persistance des menaces dans le long-terme liée à la présence de groupes rebelles ainsi que le retour de l'instabilité politique tendent à nuancer le constat de réussite de ces opérations.

D'abord, l'UA s'est montrée incapable d'intervenir de manière décisive dans certains conflits majeurs du continent. La crise libyenne en 2011 a été prise en main par les Européens qui sont intervenus par le biais de l'OTAN et qui ont favorisé la Ligue arabe comme partenaire local. Les organisations africaines ont été incapables d'intervenir pour poser leurs conditions et pour endiguer la guerre civile. De même, l'UA et la CEDEAO n'ont pas su apporter une réponse au coup d'État au Mali en 2012 et à la progression des groupes islamistes au nord du pays (AQMI). C'est finalement l'intervention militaire de la France en janvier 2013 (opération Serval) qui a permis de reprendre le contrôle du nord du pays.

Ensuite, la non-conduite de certaines opérations montre que le principe fondateur de l'UA de non-indifférence à l'égard des dirigeants qui abusent de leurs citoyens est difficilement mis en oeuvre, aboutissant à un constat d'inaction de l'UA et des CER. Ainsi, beaucoup de critiques ont-elles été émises à l'encontre du CPS, incapable d'approuver une intervention à la suite de la crise déclenchée par la décision du président burundais Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat en 2015. Le même constat s'applique aux CER et notamment à la CEDEAO qui s'est révélée impuissante face aux coups d'État successifs au Mali (2020 et 2021), au Burkina Faso (deux en 2022) et au Niger (2023).

La sécurité collective exige en effet que les États membres acceptent que les entités régionales et continentale agissent dans l'intérêt de la collectivité, ce qui suppose d'abandonner une partie de leur souveraineté. Ainsi, le Soudan, en proie à une guerre civile depuis 2021, a récemment rejeté une proposition de l'IGAD de déployer une force africaine, estimant qu'il s'agissait d'une atteinte à sa souveraineté.

En outre, les opérations militaires africaines n'ont pas toujours suscité l'adhésion des populations locales. Un manque de professionnalisme a souvent été relevé, notamment dans les opérations de lutte contre Boko Haram où des violences contre les civils ont été attribuées aux forces de sécurité, suscitant la colère des communautés et, dans certains cas, renforçant le soutien aux insurgés. Le Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l'homme a ainsi estimé qu'en Somalie, 11% des victimes civiles entre 2016 et 2017 étaient attribuables aux acteurs étatiques somaliens et 4% à la mission de l'UA en Somalie (AMISOM).

Par ailleurs, le niveau d'intégration et d'efficacité des communautés économiques régionales est variable. La CEDEAO a montré une certaine efficacité, notamment au début des années 90 en Sierra Léone, au Libéria et en Gambie. Toutefois, le retrait politique et militaire du Nigeria l'a en partie dévitalisée et ses échecs lors des récents coups d'État au Sahel ont acté son affaiblissement. La SADC également, grâce au poids politique de l'Afrique du Sud, est apparue comme prometteuse, mais la baisse de qualité de l'armée sudafricaine obère son avenir. Quant à l'IGAD, ses États membres se neutralisent les uns les autres, de même que dans le cas de l'EAC et de la CEEAC.

De manière plus générale, les missions de paix et de sécurité menées par les Africains ont été, et de plus en plus en fil du temps, des opérations à dominante très nettement militaire, centrées sur la sécurité et la stabilité, au détriment des aspects civils de la résolution des conflits, et ce même lorsqu'elles ont été menées dans sous le chapeau de l'Union africaine et de sa Force africaine en attente, qui inclut en principe un large volet civil. La coordination de ces opérations avec les agences civiles, les acteurs humanitaires, les dirigeants locaux est restée jusqu'à présent limitée.

Dans plusieurs pays (Somalie, Mali, République centrafricaine ou RDC), les États sont faibles et dirigés par un groupe qui peine à représenter l'ensemble de la population et se voit contester par d'autres groupes. Les groupes périphériques y sont souvent marginalisés politiquement et économiquement, victimes d'institutions prédatrices et privés des services publics nécessaires. Ce sont ces groupes marginalisés qui forment le terreau des insurrections et des groupes terroristes. Par conséquent, les interventions de paix et de sécurité ne permettent pas d'agir sur les causes profondes du conflit, d'où une perpétuation des troubles et une absence de terme clair qui pourrait déclencher la fin de la mission.

Un autre élément entravant l'UA et les CER est leur manque de moyens financiers et opérationnels. Certains États participent sans doute à trop de missions sans en avoir pleinement les ressources et les capacités. Ainsi, le Tchad était membre à la fois de mission ad hoc ( G5 Sahel et MNJTF contre Boko Haram) mais aussi de la MINUSMA et de Takuba, outre sa coopération avec Barkhane !

Enfin, la participation des États voisins dans les opérations est parfois problématique, comme la mission AMISOM en Somalie l'a montré, ces États voisins pouvant ne pas être neutres dans le conflit concerné et être engagés dans d'autres conflits régionaux.

Le conflit en cours dans l'est de la RDC cumule une grande partie de ces différents obstacles au succès d'une intervention de l'UA. Deux processus de médiation régionaux ont été expérimentés depuis novembre 2022 : celui dit de Nairobi, impulsé par la Communauté d'Afrique de l'est (CAE) et focalisé sur les groupes armés ; et celui de Luanda, visant à restaurer le dialogue politique entre la RDC et le Rwanda. Sur le terrain toutefois, la force détachée par la CAE a été critiquée dans sa composition et accusée par le président congolais Tshisekedi de passivité à l'égard du M23, et son mandat a pris fin au bout d'un an, en septembre 2024.

L'avancée des négociations politiques dans le cadre du processus de Luanda achoppe, d'une part, sur l'absence dans les discussions des acteurs régionaux de second plan, à commencer par les voisins, l'Ouganda et le Burundi. Plusieurs milliers de soldats burundais sont en effet engagés sur le terrain du côté de Kinshasa, et l'Ouganda est également un allié militaire de la RDC, tout en jouant un jeu plus ambigu sur le plan opérationnel. Le rapprochement de Kinshasa et de Kampala nourrit les craintes, et donc la détermination au soutien du M23, de Kigali, qui redoute l'instrumentalisation par la RDC des troupes de la Sadc, déployées en remplacement de celles de la CAE. D'autre part, le processus de Luanda fait l'impasse sur la dimension économique du conflit : celui-ci s'alimentant par l'exploitation frauduleuse des ressources minières congolaises, la sécurisation des corridors commerciaux de la région semble aux yeux de beaucoup un impératif pour parvenir à une issue.

Faiblesse des États, inadéquation du format des enceintes de dialogue aux intérêts en cause, opérations militaires mal calibrées, absence de prise en compte des intérêts économiques et des populations civiles... Le cessez-le-feu signé le 31 juillet 2024 sous l'égide du président angolais a été rompu en janvier 2025.

L'exemple de la réaction de l'UA au coup d'État nigérien (26 juillet 2023)

Le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine (CPS) a mis huit jours, après sa réunion du 14 août 2023, pour publier un communiqué condamnant sans équivoque le coup d'État au Niger du 26 juillet 2023, exprimant sa préoccupation face à la résurgence des coups d'État en Afrique de l'Ouest. Le CPS a décidé de suspendre immédiatement la participation du Niger à toutes les activités de l'UA jusqu'au rétablissement de l'ordre constitutionnel.

Les débats lors de la réunion du 14 août ont duré plus de sept heures. Les membres du CPS ont divergé sur les sanctions et l'option militaire proposées par la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao). Certains pays d'Afrique australe et centrale ont estimé que les sanctions étaient trop larges et risquaient d'affecter davantage les Nigériens que les membres de la junte. Le Burundi, par exemple, s'est opposé à une intervention militaire. La diplomatie burundaise avait déjà exprimé ses réticences lors des sommets de la Cedeao.

Dans son communiqué du 22 août, le CPS a ainsi exprimé son soutien aux efforts de la Cedeao tout en demandant une application progressive des sanctions pour minimiser leur effet sur les citoyens. Il n'a pas tranché sur l'intervention militaire, préférant encourager les efforts diplomatiques comme première option.

Le CPS a ensuite demandé à la Commission de l'UA d'évaluer les implications économiques, sociales et sécuritaires d'un déploiement de la Force en attente au Niger. Le CPS a prévu de tenir une nouvelle réunion si les efforts de médiation échouent et que l'intervention militaire devient une option sérieuse.

Au total, cette crise a illustré la complexité des processus de l'UA et les divisions internes du CPS face au coup d'État au Niger, ainsi que les défis de coordination avec une organisation régionale telle que la Cedeao.

C. DES DÉFAUTS STRUCTURELS QUI APPELLENT DES RÉFORMES

1. L'union africaine reste une organisation internationale à faible niveau d'intégration

Le pouvoir de l'Union africaine n'est pas comparable, vis-à-vis des États qui la composent, à l'Union européenne ou même à l'ONU. Les intérêts des États membres se neutralisent. Le pouvoir du président de la commission de l'UA, Moussa Faki, n'est que celui que les États membres lui laissent. La relation entre le président et les commissaires n'est guère hiérarchique.

En outre, il existe des blocs au sien de l'Union. L'Algérie et l'Afrique du Sud, qui contribuent le plus, tout comme les autres gros contributeurs que sont l'Égypte, le Congo, l'Éthiopie et le Nigéria, sont assez réticents à donner plus de pouvoir à l'UA et de contribuer encore davantage. Il existe aussi dans une certaine mesure un bloc des pays francophones qui s'oppose à un bloc des pays anglophones.

Par ailleurs, certains « leaders naturels » sont de plus en plus en retrait. En particulier, on observe depuis 10 ans un grand retrait, à la fois politique et militaire, du Nigeria, dont les autorités ont ainsi perdu une partie de leur expertise sur les pays voisins. De même, si l'Afrique du Sud manifeste toujours une forte volonté d'intervention dans les crises régionales, elle n'en a plus nécessairement les moyens militaires, sont armée étant sensiblement affaiblie depuis quelques années.

2. Les relations entre l'UA et les CER restent complexes au détriment de l'efficacité

La relation entre l'UA et les CER, bien qu'encadrée par le Protocole de 2008, censé établir un cadre de coopération, peut néanmoins virer à la compétition. Un obstacle à cette coordination est le mimétisme institutionnel qui existe entre les structures politiques, militaires et diplomatiques. En effet, chacune des CER dispose d'un organe politique, équivalent du CPS de l'UA, tels l'Organe de la troïka au niveau des chefs d'État, chargé de la coopération en matière de politique, de défense et de sécurité (SADC), le Conseil de médiation et de sécurité (CEDEAO) ou encore le Conseil de paix et de sécurité de l'Afrique centrale (CEEAC). Si elles existent, les coopérations sont sporadiques, la tendance étant plutôt au chevauchement des compétences et des activités.

Par ailleurs, l'application des trois principes (subsidiarité, complémentarité, avantage comparatif) censés régir la division du travail entre l'UA et les CER reste très difficile.

L'application du principe de subsidiarité est remise en cause par le manque d'impartialité des CER en raison de leur lien étroit avec les parties respectives à un conflit.

Le Protocole de 2008 contient également des paradoxes normatifs à l'origine d'imbroglios entre l'UA et les CER. S'il souligne expressément le principe de subsidiarité, il rappelle cependant que les initiatives régionales ne sauraient aucunement porter préjudice à la compétence principale de l'UA en la matière.

Ce manque de clarté empêche toute objectivation du sens et de la portée des trois principes dans la gestion des crises. La cacophonie entre l'UA et la CEDEAO dans la gestion du conflit ivoirien en 2011 et la contestation du leadership de l'UA par la Ligue arabe dans le cadre du conflit qui a éclaté en 2011 en Libye, en sont une illustration.

Enfin, la prolifération des organisations régionales et sous-régionales constitue un défi, tant d'un point de vue hiérarchique que du financement. Ainsi, bien qu'engagés dans le cadre de la FAC, le Burkina Faso, le Niger et le Mali privilégiaient (jusqu'aux coups d'État qu'ils ont connu) le G5 Sahel comme cadre de coopération militaire face aux menaces terroristes partagées. Étant donné les moyens que requiert la gestion des conflits, le recours aux coalitions ad hoc contribue à créer une surenchère humaine (recrutement et financement de postes par les partenaires techniques et financiers) logistique (achat de matériels), politique (recherche de visibilité) et financière, qui alimente la compétition entre les États et les institutions. Le recours à ces coalitions favorise in fine les intérêts des États, qui choisissent celle qui sert le mieux leur agenda politique. De fait, malgré leurs faibles capacités et leur léthargie, certaines organisations, à l'image de la CBLT, ont bénéficié d'une impulsion politique suffisante pour servir de cadre au déploiement de l'opération militaire conduite par la FMM.

3. La dépendance économique et capacitaire de ces organisations vis-à-vis de la communauté internationale pose des questions quant à leur marge de manoeuvre.

Les capacités opérationnelles et expéditionnaires propres aux organisations africaines sont très limitées. Elles dépendent le plus souvent des bailleurs étrangers avec l'Union européenne et les Nations unies en tête.

L'Union Européenne (UE) joue un rôle crucial en tant que principal bailleur de fonds pour les initiatives de paix et de sécurité en Afrique. Son engagement se manifeste principalement à travers deux mécanismes majeurs la Facilité de soutien à la paix pour l'Afrique transformée en Facilité européenne de paix et le Programme d'appui en matière de paix et de sécurité (PAPS) (voir encadré ci-dessous).

Ainsi, l'UE est le principal contributeur au budget de l'UA et en 2023, plus de 60% du budget de celle-ci provenait de sources extérieures.

L'UA a certes commencé à développer ses propres capacités avec le Fonds pour la paix, inauguré en 2013 et qui s'est structuré suite à la décision de Kigali en 2016. Elle a permis de fixer l'objectif de 25% d'autofinancement, notamment en établissant un prélèvement de 0,2% sur certaines importations qui a été consenti par 16 pays de l'UA. Cependant, à ce jour, les États n'ont alimenté ce fonds qu'à hauteur de 60 millions de dollars par rapport à l'objectif de 400 millions de dollars. Par exemple, le manque de moyens logistiques n'a pas permis aux troupes déployées par l'UA pour veiller au processus de paix au Burundi d'assurer leur mission. C'est ainsi que l'ONU a pris le relais à partir de juin 2004 en déployant plus de 5000 casques bleus.

Les lacunes financières et capacitaires de l'UA sont aussi l'une des causes qui explique l'éparpillement des fonds destinés aux opérations de paix et de sécurité en Afrique. Ce sont les intérêts des bailleurs internationaux qui déterminent l'organisation qui sera financée, plaçant l'UA - et les CER - en position de faiblesse. De fait, la Facilité européenne de soutien à la paix permet de financer directement un large éventail d'opérations continentales de soutien à la paix, y compris celles qui ne sont pas autorisées par le CPS de l'UA. Il s'agit notamment de coalitions militaires africaines, d'armées nationales comme au Nigeria et au Mali, ainsi que d'armées de terre et de marines d'États côtiers du golfe de Guinée. Cette pratique rompt avec la norme qui consistait à faire transiter les fonds par l'UA.

Le même constat s'applique aux CER, dont le financement par les États membres ne permet pas de déployer des capacités opérationnelles d'ampleur et dans la durée. Ainsi, les échecs de la MICOPAX et de la MISCA, respectivement sous conduite de la CEEAC et de l'UA, à ramener la paix en République Centrafricaine ont poussé l'ONU à mettre en place une mission multidimensionnelle intégrée, la MINUSCA.

Dans ces conditions, les États africains ne sont pas en mesure d'agir de façon autonome. C'est ainsi que l'importance, la durée et le mandat des missions de paix africaines sont déterminées par le niveau et la nature du soutien externe. Il y a donc une tension liée au décalage entre les ambitions et objectifs portés par l'UA et les CER et leurs ressources et capacités.

Cependant, une étape importante, soutenue par la France, a été franchie avec l'adoption de la résolution 2719 (2023) qui prévoit la possibilité d'une contribution de l'ONU aux opérations de soutien à la paix menées par l'UA pouvant aller jusqu'à 75% de leur budget annuel. Cette réforme constitue potentiellement une avancée vers des opérations de la paix africaines bien plus efficaces.

Les mécanismes de soutien financier aux opérations de paix africaines

Le premier mécanisme est la Facilité de soutien à la paix pour l'Afrique (APF). Créée en réponse à une demande de l'UA, l'APF a fourni 2,7 milliards d'euros entre 2004 et 2019. Les financements de l'APF sont répartis dans trois domaines essentiels sous l'égide de l'UA. Le premier concerne les opérations de soutien à la paix sous conduite africaine, qui ont reçu 93% des fonds déboursés. Ces financements ont permis de soutenir 16 missions, dont la Mission de l'UA au Soudan, la Mission de consolidation de la paix en République Centrafricaine, la Mission de la CEDEAO en Gambie et la Mission de l'Union Africaine en Somalie (AMISOM). L'AMISOM, en particulier, a bénéficié d'un soutien financier à hauteur de 1,9 milliard d'euros entre 2007 et 2019, faisant de l'UE le principal bailleur de fonds de cette mission.

L'APF a été remplacée par la Facilité Européenne pour la Paix (EPF). Cette nouvelle facilité est dotée d'un budget de 5 milliards d'euros pour la période 2021-2027 et ne se limite pas au continent africain. L'EPF, financée par les contributions annuelles des États membres de l'UE, vise à offrir davantage de flexibilité en soutenant directement des coalitions régionales sans passer par l'UA. Cette transition vise à réduire la dépendance des opérations de maintien de la paix au financement de l'UE tout en encourageant les États africains à engager davantage de moyens militaires et financiers. Le deuxième domaine de financement concerne l'APSA. Entre 2004 et 2018, l'UE a alloué 172 millions d'euros pour la formation, les salaires du personnel de la Commission de l'UA, l'infrastructure de communication et informatique, ainsi que l'appui technique au Système continental d'alerte rapide de l'UA. Le troisième domaine de financement est le Mécanisme de réponse rapide de l'APF, qui a mobilisé 28 millions d'euros entre 2009 et 2018 pour soutenir environ 40 initiatives africaines de prévention des conflits et de médiation.

En plus de l'APF, remplacée par l'EPF, l'UE a également financé les initiatives africaines de paix et de sécurité via le Programme d'appui en matière de paix et de sécurité (PAPS). Ce programme verse des fonds aux organisations sous-régionales africaines. Par exemple, dans le cadre du dixième Fonds Européen de Développement (FED), le PAPS a attribué une allocation de 14,2 millions d'euros à la CEEAC.

L'Organisation des Nations unies soutient financièrement plusieurs missions de maintien de la paix en Afrique. La résolution 2719 (2023) prévoit la possibilité d'une contribution de l'ONU aux opérations de soutien à la paix menées par l'UA pouvant aller jusqu'à 75% de leur budget annuel. L'ONU a souvent recours à des contributions obligatoires pour financer certaines missions africaines, telles que la mission de l'UA en Somalie. Par ailleurs, des efforts sont en cours pour autoriser l'utilisation des contributions statutaires de l'ONU afin de cofinancer les opérations de maintien de la paix menées par l'UA, ce qui permettrait de diversifier les sources de financement.

D'autres États jouent également un rôle significatif dans le soutien des initiatives africaines de paix et de sécurité. Les États-Unis, par exemple, ont fourni plusieurs dizaines de millions de dollars en équipements militaires entre 2004 et 2015, notamment via le programme African Contingency Operations Training and Assistance (ACOTA), pour soutenir des missions comme la MINUSMA (Mali) et la MINUAD (Darfour). La Turquie a également apporté une contribution financière en soutenant la mission AMISOM en Somalie. La France, de son côté, a mis en place le programme de Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix. Ce programme a permis à la France de prendre en charge 30% du budget de la Mission de Consolidation de la Paix en Centrafrique (MICOPAX) et de fournir un soutien logistique et administratif.

4. Une contribution à la paix au total mitigée

En conclusion, le bilan de la contribution des organisations régionales africaines à la paix et à la sécurité sur le continent est mitigé. Il est indéniable que ces organisations ont développé des structures institutionnelles importantes, comme l'Architecture africaine de paix et de sécurité de l'Union africaine, et ont joué un rôle croissant dans la gestion des conflits. Elles ont également permis une meilleure appropriation africaine des enjeux sécuritaires. Il ne fait pas négliger, par ailleurs, le fait que ces communautés régionales ont par ailleurs connu un certain succès dans le domaine économique en termes de libre-circulation, de réduction des tarifs douaniers ou d'infrastructures énergétiques.

Cependant, leur efficacité reste limitée par des contraintes financières et opérationnelles, ainsi que par des difficultés de coordination entre les différents niveaux d'intervention (continental, régional, sous-régional). La dépendance envers les moyens attribués par des puissances extérieures constitue sans nul doute le plus gros talon d'Achille de la « Pax Africana ».

La dissonance entre le cadre normatif - parfois contradictoire - et les volontés des États affecte l'efficacité et la crédibilité des organisations existantes (UA, CER), aboutissant à un foisonnement d'initiatives.

De fait, les organisations régionales peinent encore à intervenir de manière décisive dans les conflits majeurs et à mettre en oeuvre pleinement leurs mécanismes, comme le montre l'échec récent de la CEDEAO face au coup d'État au Niger, ou encore l'échec de la prise de position lors des récentes élections au Tchad : alors que le communiqué de la 1152ème réunion du CPS indiquait que les responsables des autorités de transition ne pouvaient pas participer aux élections, ceux-ci n'en ont pas tenu compte (et les ont gagnées).

Les perspectives d'avenir reposent sur le renforcement des capacités propres de ces organisations, notamment à travers des mécanismes d'autofinancement comme le Fonds pour la paix de l'UA et le développement de fonds propres aux CER ainsi que le nouveau mécanisme issu de la résolution 2719 des Nations unies une meilleure coordination entre les différents acteurs, et une approche plus globale intégrant les dimensions politiques, économiques et sociales de la sécurité. L'évolution vers une véritable « Pax Africana » reste ainsi un défi majeur pour les années à venir.

Les effets potentiels de la perte de majorité absolue de l'ANC en Afrique du Sud sur la politique menée par la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC)

L'African national congress (ANC) a échoué à obtenir une majorité des voix lors des élections du 29 mai 2024 pour la première fois en 30 ans, ce qui pourrait bouleverser les dynamiques régionales et le fonctionnement de la SADC.

L'ANC, autrefois un pilier des mouvements de libération en Afrique australe, a joué un rôle clé dans le soutien à des régimes similaires dans la région, notamment la Zanu-PF au Zimbabwe. Cependant, l'incapacité de l'ANC à maintenir ses positions pourrait être vu comme un signe d'affaiblissement des mouvements de libération. Ce déclin s'inscrit ainsi dans une tendance observée précédemment en Zambie et au Malawi, où les partis issus des mouvements de libération ont également perdu de leur influence. Ces mouvements, autrefois essentiels dans la lutte pour l'indépendance, ont en effet progressivement perdu de vue leurs objectifs initiaux et ne parviennent plus à répondre aux attentes des populations.

Le déclin de l'ANC pourrait ainsi conduire à l'émergence d'une nouvelle génération de dirigeants en Afrique australe, moins attachés aux anciens mouvements de libération et plus ouverts à des réformes démocratiques dans les autres pays de la région.

La perte d'influence de l'ANC pourrait également entraîner un changement dans la manière dont la SADC aborde les questions politiques régionales. Jusqu'à présent, l'Afrique du Sud, en tant que moteur économique de la région, a pu imposer ses vues, notamment en soutenant des régimes contestés comme celui de la Zanu-PF au Zimbabwe. Par exemple, lors des élections de 2008 au Zimbabwe, Thabo Mbeki, alors président sud-africain et leader de l'ANC, a soutenu la formation d'un gouvernement d'unité nationale après des élections contestées, empêchant ainsi un changement politique significatif dans ce pays. En 2023, malgré les critiques de la mission d'observation électorale de la SADC concernant les élections au Zimbabwe, l'ANC, sous la direction de Cyril Ramaphosa, a félicité la Zanu-PF pour sa victoire.

Avec la chute de l'ANC, on pourrait ainsi observer un changement dans l'attitude de la SADC, qui pourrait devenir moins encline à soutenir ces régimes et plus proactive dans la promotion de la démocratie.

D. L'ACTIVISME MILITAIRE DU RWANDA : UNE MENACE POUR LA STABILITÉ RÉGIONALE ?

Le Rwanda contemporain résulte de la victoire de l'armée patriotique rwandaise (APR), commandée par Paul Kagame, sur le régime à domination hutue responsable du génocide des Tutsis. Renommée Forces Rwandaises de Défense (FRD) par l'incorporation de l'APR dans l'ancienne armée du Rwanda, l'armée du pays pèse encore lourd non seulement dans la légitimation du régime, mais encore dans sa politique étrangère dans son environnement régional. Le ministre d'État chargé de la Coopération régionale depuis septembre 2023 n'est d'ailleurs autre que James Kabarebe, ancien aide de camp de Paul Kagame, qui fut chef d'état-major de l'armée congolaise après le renversement de Mobutu, puis chef d'état-major de l'armée rwandaise après son éviction de l'entourage du président congolais, avant d'exercer les fonctions de ministre de la défense du Rwanda.

Les FRD, incarnation de la réunification, de la reconstruction et de la modernisation du pays après le génocide, sont ainsi un pilier du régime rwandais et de sa politique étrangère. Le pays dispose de son propre centre de formation militaire aux opérations de maintien de la paix, financée par le PNUD. Inaugurée en 2012, la Rwandan Peace Academy (RPA) forme au maintien de la paix les officiers rwandais ainsi que des militaires étrangers. Cet engagement a donné lieu à l'adoption des Principes de Kigali, adoptés par les principaux contributeurs aux OMP en 2015.

Les FRD, réputées pour leur discipline et leur efficacité, sont désormais présentes sur une partie significative du continent. Le Rwanda est ainsi le principal fournisseur de troupes pour les opérations de maintien de la paix en proportion de sa population : il talonne en effet, en valeur absolue, le Népal et le Bangladesh avec près de 6 000 militaires déployés, alors sa population est, respectivement, deux et douze fois moindre.

Classement des principaux pays contributeurs aux OMP (au 31 août 2024)

Source : Nations unies.

Le Rwanda s'est ainsi fortement impliqué dans la force d'interposition envoyée au Darfour en 2007, puis, en 2011, au sein de la MINUSS au Soudan du Sud et en 2014 en République centrafricaine au sein de la MINUSCA. Depuis 10 ans, plus de 40 000 soldats ont ainsi été déployés, dont plusieurs centaines de femmes. Les contingents rwandais sont souvent parmi les plus importants au sein des opérations où ils interviennent. Cet activisme leur fait bénéficier des programmes de formation des armées étrangères, tel l'Africa Contingency Operations Traigning and assistance program des Etats-Unis, ou bien le programme Reinforcement of Peacekeeping Capacities (RECAM) délivré par la France.

L'efficacité de la diplomatie militaire du Rwanda s'illustre aussi par sa faculté à projeter des forces dans le cadre d'accords bilatéraux. Ainsi, fin 2020, le président centrafricain Faustin Archange Touadéra a sollicité les forces spéciales rwandaises pour réduire la menace des groupes rebelles aux portes de Bangui. En 2021, le Mozambique a demandé l'aide du Rwanda face à l'avancée des Chebabs, effectivement contenue par le déploiement d'un millier de soldats. En avril 2023, un accord de coopération militaire a été signé avec le Bénin pour lutter contre les menaces djihadistes.

Déploiements des militaires rwandais en Afrique (février 2005 - juin 2024)

Source : Acled, 2024.

Mais cet activisme militaire est aussi un risque pour la sécurité régionale. D'une part, il n'est pas mu que par l'attachement à des principes ou le souci de faire profiter d'un savoir-faire, mais aussi par une volonté politique justifiée par une forme de nécessité. Le Rwanda, pays enclavé et le plus densément peuplé d'Afrique avec une densité environ quinze fois supérieure à la moyenne subsaharienne, cherche des débouchés et la sécurisation de ses voies d'approvisionnement. Les interventions militaires en Centrafrique et au Mozambique ont ainsi été aussi des moyens de servir ses intérêts économiques. Les gérants du fonds Crystal Venture, très proches du pouvoir rwandais, sont également désireux de diversifier leurs investissements59(*).

D'autre part, son interventionnisme, en particulier chez son voisin congolais, est une source de déstabilisation régionale majeure, à l'origine d'une crise humanitaire grave. Depuis les révélations de la presse, assises sur un rapport confidentiel des Nations unies de l'été 202260(*), le soutien apporté par l'armée rwandaise à certains groupes armés présents dans l'est de la RDC, à commencer par le M23, est désormais bien étayé. Le dernier document des Nations unies disponible, publié le 27 décembre 202461(*), estime que le M23 et l'Alliance Fleuve Congo - dernier avatar de la coalition armée des opposants au régime congolais - « ont activement poursuivi leurs objectifs expansionnistes », un « nombre croissant » de groupes armés s'étant rangés derrière eux ; qu'ils ont conquis la plus grande mine de coltan de la région et sont parvenus, en exportant frauduleusement 150 tonnes vers le Rwanda, à « la plus vaste contamination de la chaîne d'approvisionnement » de ce minerai jamais enregistrée dans la région ; qu'enfin « le soutien systématique de [l'armée rwandaise] au M23 et son contrôle de facto sur les opérations du M23 s'est poursuivi »62(*).

Les auteurs les moins contestés du monde universitaire n'ont pourtant jamais eu de mal à qualifier ce volet de la politique étrangère rwandaise. L'historien britannique Stephen Ellis estimait ainsi en 2012 que « le Rwanda a manipulé pendant des années la violence chez son voisin géant, le Congo, en soutenant et même en lançant des campagnes à grande échelle, dans ce qui a probablement été la guerre la plus meurtrière des soixante-cinq dernières années. Malgré cette agression, le Rwanda a reçu le soutien constant des Etats-Unis et du Royaume-Uni, tous deux gênés d'avoir fait si peu pour arrêter le génocide de 1994 et décidés à s'absoudre avec une politique de soutien inconditionnel en faveur du gouvernement de Kigali »63(*).

En 2009, l'africaniste René Lemarchand, s'appuyant pour étayer son propos sur des rapports variés du tournant des années 2000, notait que les « inquiétudes sécuritaires [de Kigali] sont de plus en plus supplantées par les énormes bénéfices tirés de l'exploitation de la richesse minérale du Kivu », et estime en dernière instance qu'« il est difficile d'éviter la conclusion qu'en fermant les yeux sur les profits tirés du pillage des richesses congolaises, la communauté internationale - c'est-à-dire non seulement l'Union européenne et les Etats-Unis, mais aussi la Banque mondiale et le FMI - encourage tacitement une entreprise coloniale dans la meilleure tradition de l'impérialisme européen »64(*).

Gérard Prunier n'hésitait pas, la même année, à voir dans la décision prise par les armées menées par le Rwanda de renverser le président zaïrois en 1996 « la première occurrence connue de conquête impériale postcoloniale en Afrique par un pays africain ». La singularité de la situation provenait de ce que les locuteurs kinyarwanda du Congo « n'étaient pas une tribu partagée entre deux États mais un groupe national issu d'un État-nation qui s'était étendu jusqu'au territoire d'un État voisin multiethnique ». Les allégeances des Banyarwanda du Congo étaient à la fois « étatiques et non étatiques, puisqu'une de leurs composantes venaient de se faire massacrer par une autre [...] Dans un tel contexte, le nouveau régime rwandais pouvait prétendre garantir la sécurité de ses frères non rwandais - mais Banyarwanda. Telle était la situation, rare à l'échelle mondiale et sans précédent en Afrique »65(*).

Cette complexité masque difficilement la ténuité de l'argumentaire du gouvernement rwandais au soutien de son engagement militaire chez son voisin. Jason K. Stearns fait observer que, la dernière incursion significative des FDLR en territoire rwandais remontant à 2001 - bien que des victimes civiles causées par des incidents aient été à déplorer depuis -, l'argument de la lutte contre les génocidaires ne peut être autre d'un autre ordre que symbolique, et renvoie pour expliquer l'activisme militaire rwandais à l'idéologie constitutive du régime ainsi qu'aux intérêts économiques servis par le désordre entretenu en territoire congolais66(*).

Quoi qu'il en soit au juste, et aussi bien fondées soient, du point de vue français, les justifications au resserrement des relations avec l'Etat rwandais, il demeure que le pourrissement de la situation sécuritaire à l'est de la RDC, auquel participe activement le Rwanda, fait peser une grave menace sur l'équilibre régional et la situation des populations civiles.

L'Union européenne a certes gelé à l'été 2024 son soutien financier à l'intervention rwandaise au Mozambique - avant toutefois de consentir une seconde tranche de 20 millions d'euros le 18 novembre -, elle a condamné « fermement »67(*) la présence militaire rwandaise dans l'est de la RDC, et a pris des sanctions individuelles contre neuf personnes et une entité responsables d'actes constituant de graves violations des droits de l'homme en RDC et accusées d'entretenir le conflit armé, l'instabilité et l'insécurité dans l'est du pays.

Il reste surtout que, vu de Kinshasa, l'Union européenne est aussi la signataire, en février 2024, d'un « protocole d'accord sur les chaînes de valeur durables pour les matières premières », à peine un mois après que le Rwanda eût signé un accord avec le géant minier anglo-australien Rio Tinto pour l'exploitation d'étain, de tantale, de tungstène, de lithium et de métaux associés. La prétention à vouloir exclusivement lutter contre les trafics, et la circonstance qu'un accord analogue a été signé avec la RDC ne peut lever le soupçon d'un soutien, par l'Union européenne, à l'exportation par le Rwanda de minerais qui sont réputés abonder surtout chez son voisin.

La faiblesse de l'intérêt stratégique manifestement conféré par la diplomatie française et européenne au soutien de la RDC dans son bras-de-fer avec le Rwanda pour recouvrer sa souveraineté dans ses trois régions orientales, semble aux rapporteurs très contestable compte tenu de la taille du pays, de sa situation géographique, de son importance en termes de ressources essentielles et, accessoirement, de son titre de premier pays francophone du monde.

V. LE BILAN GLOBALEMENT DÉCEVANT DES OPÉRATIONS DE MAINTIEN DE LA PAIX DES NATIONS UNIES EN AFRIQUE

A. DES MISSIONS SOUVENT CRITIQUÉES POUR LEURS RÉSULTATS INSUFFISANTS

Actuellement, plus de 15 000 casques bleus sont déployés en Afrique dans des opérations de maintien de la paix des Nations unies.

Depuis de nombreuses années, ces opérations de paix de l'ONU font l'objet de vives critiques. La dénonciation de la « crise » ou du « déclin » de ces OMP est ainsi devenu un lieu commun des discours politiques.

Plusieurs missions de maintien de la paix ont été, il est vrai, assez largement considérées comme des échecs : il en va ainsi, dans les années 1990, de l'ONUSOM I et II en Somalie, de la Mission des Nations unies pour l'Assistance au Rwanda (MINUAR I), créée après la Mission d'Observation des Nations unies en Ouganda-Rwanda (MONUOR), ou de l'UNAVEM I et l'UNAVEM II en Angola. De même, après 2000, la Mission des Nations unies en RCA-Tchad (MINURCAT) n'a jamais atteint ses objectifs, tandis que la MONUSCO n'a pas réussi à stabiliser la situation dans l'est de la RDC depuis sa création en 2010.

Les réussites apparaissent moins nombreuses. Ainsi, en Sierra Leone, la Mission des Nations unies en Sierra Leone (MINUSIL), créée en 1999 après l'échec de la MONUSIL, s'achève en décembre 2005 dans un pays globalement pacifié. De même, l'Opération des Nations unies au Mozambique (ONUMOZ) est parvenue à surveiller le cessez-le-feu pour faciliter la mise en oeuvre de l'accord de paix général de Rome signé le 4 octobre 1992 entre le gouvernement et la Résistance nationale du Mozambique (RENAMO).

La plupart des autres opérations de maintien de la paix en Afrique ont un bilan qui peut être qualifié de mitigé, voire très mitigé. À leur crédit peut être porté le fait que les violences et le nombre de morts, notamment parmi les civils, aurait très probablement été beaucoup plus important sans leur présence68(*). Pour autant, elles n'ont généralement pas permis de mettre fin durablement à la crise qui a motivé leur création.

Ces dernières années, le bilan des grandes interventions à même tendance à se dégrader, que ce soit pour la MINUSMA au Mali, la MINUSCA en RCA ou la MONUSCO en RDC. Les mandats pas assez robustes, les exactions et les violences sexuelles commises par certains contingents, le manque de coopération des autorités des pays ont réduit l'efficacité de ce mode de maintien de la paix, malgré plusieurs réformes.

Ainsi, en RDC, la MONUSCO a fait l'objet d'attaques et n'a pas montré de grande efficacité contre les groupes armés qui mettent le nord-est du pays à feu et à sang. Trois casques bleus ont été tués. Au Mali, la MINUSMA n'est pas parvenu à mettre en oeuvre l'accord de paix de 2013 et a fini par être congédiée par les putschistes arrivés au pouvoir en 2021, appuyés par la Russie et par les mercenaires de Wagner. Enfin, en RCA, l'exécution du mandat a été gravement entaché par de nombreuses allégations de viols et d'abus sexuels et la MINUSCA a rencontré de nombreuses difficultés dans ses relations avec le gouvernement, qui a fait appel à Wagner. Le groupe mercenaire exerçait toujours sa domination, à la fin de 2024, sur une partie importante du pays et était plus que jamais accusé d'exactions que la mission des Nations unies n'était pas en mesure d'empêcher.

B. DES MISSIONS QUI DOIVENT AFFRONTER DES DIFFICULTÉS CROISSANTES

La première des difficultés rencontrées par les missions de l'ONU réside dans la complexité des situations qu'elles doivent affronter. La tâche à remplir va désormais le plus souvent largement au-delà des missions traditionnelles que sont la protection des civils, la surveillance du respect d'un cessez-le-feu et d'un accord de paix entre deux belligérants ainsi que l'aide à la préparation d'élections. La plupart du temps, il n'y a pas de paix à préserver : il s'agit d'abord de l'imposer avant de supprimer les causes du conflit. Depuis les années 2000, les OMP sont ainsi devenues de plus en plus dangereuses pour les soldats de la paix, les policiers et le personnel civil.

Ces mandats complexes, parfois qualifiés de « mandats sapin de Noël », impliquent en outre une coopération approfondie avec le gouvernement en place, ce qui risque souvent de faire sortir les casques bleus de l'impartialité à laquelle ils sont en principe tenus. Il en résulte qu'ils sont directement pris pour cible par les opposants au régime tout en étant utilisés comme bouc-émissaires par celui-ci pour s'exonérer de ses insuffisances. En outre, lorsqu'elles restent trop longtemps sur place, les OMP font l'objet de critiques de la part des populations qui y voient un instrument bureaucratique au bénéfice de l'administration des Nations unis plus que de leur pays, perception dûment alimentée sur les réseaux sociaux par les acteurs qui y ont intérêt.

Par ailleurs, les casques bleus sont régulièrement accusés de ne pas s'interposer lorsque des civils sont pris pour cibles, alors même que leur mandat le leur permettrait69(*). Cette situation est parfois due à un conflit entre le commandement de la force par les Nations unies d'une part, et certains pays contributeurs de troupes d'autre part. En outre, les casques bleus considèrent parfois qu'ils ne disposent pas des forces suffisantes, ou bien craignent au contraire que la manière dont ils mettent en oeuvre la force ne soit jugée excessive et ne les mette en risque sur le plan pénal.

Les allégations relatives à des abus sexuels commis par les casques bleus ont également particulièrement terni l'image de certaines OMP, par exemple au Liberia ou en République centrafricaine. Ces faits nuisent considérablement à l'accomplissement du mandat, étant évidemment diamétralement opposé à l'impératif de protection des civils. En outre, si les enquêtes des Nations unies sur ces allégations sont de plus en plus fréquentes, elles n'ont que rarement donné lieu à des poursuites et aucune n'a abouti à une condamnation.

Certains des problèmes rencontrés par les opérations de maintien de la paix sont liés à une qualité insuffisante des troupes, c'est-à-dire au fait qu'elles sont insuffisamment entraînées et équipées. De manière attendue, les troupes de meilleure qualité sont celles des pays occidentaux riches, qui ont les moyens de fournir cet entraînement et cet équipement, tandis que les pays africains, qui fournissent eux-mêmes une part croissante des troupes des missions ayant lieu sur le continent, ne disposent pas de moyens comparables.

De nombreuse réformes des opérations de maintien de la paix ont été menées au fil des années. En 2018 a été lancée par le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, l'initiative « Action pour le maintien de la paix » (A4P), afin d'aboutir à des mandats de maintien de la paix plus ciblés, avec des stratégies politiques plus claires, de mieux garantir la sécurité des casques bleus et des civils et de mieux former les troupes. Le Conseil de sécurité a également adopté une résolution visant à améliorer l'encadrement et la responsabilité. Il est cependant encore difficile de dire si ces réformes ont apporté des améliorations concrètes.

Le bilan de quelques OMP en Afrique

La mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental (MINURSO), créée en 1991, a joué un rôle important dans le maintien du cessez-le-feu au Sahara occidental, mais elle n'a pas réussi à organiser le référendum prévu en raison de la stagnation politique.

La mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (MINUSCA), créée en 2014, est parvenue à sécuriser des processus électoraux et à créer des zones de protection pour les civils. Toutefois, la persistance de la violence dans le pays et les accusations d'abus, notamment sexuels, à l'encontre des casques bleus ont entaché son mandat. Elle a en outre été en butte à des campagnes de désinformations orchestrées par le groupe Wagner dans le pays.

La mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA, 2013-2023), malgré un rôle important dans la stabilisation de certaines régions du Mali et dans le soutien au processus de paix, a fait l'objet de critiques pour son incapacité à protéger efficacement les civils dans d'autres régions. Elle a dû affronter une situation très complexe, avec des autorités peu soucieuses de faire respecter l'accord d'Alger et la multiplication des violences dues aux groupes djihadistes. En 2023, le gouvernement malien a officiellement demandé la fin de la mission.

La Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en république démocratique du Congo (MONUSCO, depuis 2010) est critiquée depuis plusieurs années pour son incapacité à protéger efficacement les civils dans certaines régions du pays où la violence reste endémique. Le président Félix Tshisekedi a demandé son départ. En 2023, la décision a été prise de de mettre en oeuvre un plan de retrait de la MONUSCO, en transférant progressivement ses responsabilités aux autorités congolaises et en renforçant les capacités locales. La mission la plus ancienne et la plus chère de l'histoire de l'ONU, avec un budget d'un peu plus d'un milliard de dollars par an, a quitté le Sud-Kivu en juin 2024, demeurant au Nord-Kivu et en Ituri.

La Mission des Nations unies au Libéria (UNMIL, 2003-2018) a réussi à stabiliser le Libéria après des années de guerre civile, en désarmant plus de 100 000 combattants et en facilitant leur réintégration dans la société. La mission a également joué un rôle important dans la promotion de la démocratie, en soutenant les élections de 2005 et de 2011. En outre, l'UNMIL a contribué à la reconstruction des infrastructures et à la restauration de l'ordre public, en travaillant étroitement avec les forces de sécurité libériennes. Cependant, des accusations d'abus de pouvoir et de mauvaise conduite par certains membres des forces de l'UNMIL ont terni la réputation de la mission.

La Mission des Nations unies au Soudan du Sud (MINUSS, depuis 2011) a protégé les civils et facilité la signature de l'Accord de paix revitalisé de 2018. La mission a également assuré la fourniture de l'aide humanitaire, garantissant la sécurité des travailleurs humanitaires dans des zones difficiles d'accès. Elle a cependant été critiquée pour son incapacité à prévenir les violences de masse en dehors des sites de protection. Des accusations d'abus de pouvoir par certains membres des forces ont également entaché sa réputation.

VI. LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION

1. Ne pas chercher à élaborer une nouvelle « politique africaine » unique mais s'efforcer de reconstruire des relations à partir des acquis

Il ne peut être plus être question d'élaborer une politique africaine unique de la France, pas plus qu'il n'y a une politique asiatique ou une politique américaine de notre pays. Ce truisme prend un sens particulier en ce qui concerne l'Afrique en raison de l'approche souvent globalisante des réalités de ce continent, pourtant d'une extrême diversité. Pour la même raison, l'affirmation selon laquelle, de manière générale, « l'influence française a diminué en Afrique », doit être relativisée, tout comme le récit d'un déclin irrémédiable de cette influence au profit d'autres puissances : tout dépend de quel pays et de quelle dimension (diplomatique, économique, culturelle, militaire etc.) l'on parle.

Ainsi, les échecs et les déconvenues sévères indubitablement rencontrés dans les relations avec les pays du Sahel ne doivent pas se solder par un « retrait » généralisé de l'Afrique ou même de l'Afrique de l'Ouest. En effet, la France dispose encore de nombreux atouts sur le continent, que ce soit sur le plan des échanges économiques et de la coopération culturelle, éducative ou encore de santé, ainsi que de la coopération de défense. En revanche, il convient de reconnaître que, conformément à un souhait exprimé fortement par l'ensemble des interlocuteurs africains de la France, ces échanges et ces partenariats ne peuvent plus être marqués, comme par le passé, par une forme d'exclusivité : la France est devenue un partenaire parmi d'autres, à hauteur de ses capacités d'influence propres et en fonction de ce qu'elle peut offrir à ses partenaires.

Dans ce contexte, la volonté de diversifier la géographie des partenariats qui a marqué les dernières législatures est une démarche positive, dès lors qu'elle ne conduit pas à une sorte d'effacement volontaire de la France en Afrique de l'Ouest et dans le reste de l'Afrique francophone, et à une forme d'abstention devant les problèmes que les pays de cette région doivent affronter, en particulier dans le domaine sécuritaire.

Ne pas élaborer une « politique africaine » unique mais continuer à développer des relations multiples avec les pays africains en s'appuyant sur les nombreux liens construits au fil du temps. Continuer à entretenir et à développer des relations avec l'ensemble des pays du continent, notamment en Afrique de l'Ouest.

2. Réduire la « centralisation » présidentielle du discours sur l'Afrique et sa mise en scène lors d'événements organisés par la France

Les relations de la France avec les pays africains sont élaborées par plusieurs acteurs qui coopèrent et échangent des informations au quotidien : Quai d'Orsay, ministère des armées, État-major des armées, Élysée avec le conseiller « Afrique » du président, cabinet des ministères sectoriels en fonction des sujets.

Cependant, le rôle essentiel joué par l'Élysée, hérité de l'époque de la cellule africaine, a perduré, voire s'est accentué dans la période récente. La parole présidentielle, mise en scène lors de nombreux sommets France-Afrique, a pris une importance sans doute excessive dans cette définition des relations franco-africaines. Chaque faux pas lors de l'un de ces nombreux discours présidentiels a en effet immédiatement un immense retentissement, au risque de ruiner, en un moment, les efforts accomplis par la diplomatie française pendant des années. Cette pratique donne en outre un aspect trop personnel et souvent paternaliste aux relations franco-africaines et ne laisse pas suffisamment de place à l'expression diplomatique passant par les autres canaux, et notamment par les ambassades.

Par ailleurs, comme l'a montré la chercheuse Sonia Le Gouriellec, entendue par la commission, contrairement aux autres continents, l'Afrique est le plus souvent évoquée, non seulement dans les médias mais aussi dans les discours officiels, comme une entité unique et cohérente, à propos de laquelle on n'hésite pas à formuler des sentences générales, négligeant ainsi son immense diversité. Ainsi, au lieu d'évoquer des événements se déroulant « au Mozambique », « au Burkina Faso » ou « en Angola », les discours parlent d'événements « en Afrique » ou, au mieux, s'agissant du Mali, du Burkina Faso, du Niger ou du Tchad, « au Sahel », alors même que cette dernière expression ne correspond pas à une réalité géographique ou politique précise. A titre d'exemple, le discours présidentiel de Ouagadougou de 2017, après avoir précisément dénoncé cet écueil du discours globalisant sur l'Afrique, n'évite pas de nombreuses affirmations généralisantes sur le continent. Une telle généralisation est en réalité indissociablement liée à ce type de discours ex cathedra prononcés par les chefs d'état français en Afrique et censés redéfinir la politique française en Afrique, comme le fut par exemple le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar en 2007.

Ainsi, la diversification des expressions publiques sur les pays africains, qui ne doivent plus se limiter à celles du Président de la République, doit aller de pair avec la fin des « grandes messes » ou des sommets sur l'Afrique organisés par Paris, lors desquels sont prononcés des discours se voulant « fondateurs » d'une nouvelle relation.

« Décentraliser » et diversifier le discours sur les pays africains en laissant davantage d'acteurs officiels s'exprimer sur le sujet. Faire preuve de plus d'humilité en limitant le nombre de grands sommets organisés par Paris où la seule parole présidentielle prétend redéfinir la relation globale France-Afrique.

3. Continuer à jouer le rôle d'avocat au sein des instances internationales en faveur d'une solidarité accrue envers les pays africains et pour la paix et la sécurité en Afrique

La France a tenu la plume de plusieurs dizaines de résolutions du Conseil de sécurité relatives à des pays africains. Elle défend également de longue date, aux côtés de l'Allemagne, du Japon, de l'Inde et du Brésil, le renforcement de la représentation de ces pays au sein du Conseil de sécurité, en demandant que deux sièges de membres permanents soient octroyés à des États africains ainsi qu'un plus grand nombre de membres élus. Cette position doit continuer à être portée.

Il convient également de continuer à défendre au sein de la communauté internationale la montée en puissance des financements destinés au développement durable et à la transition énergétique de l'Afrique, ainsi que la renégociation des dettes des pays africains actuellement en situation d'endettement excessif : un tel plaidoyer permet en effet de contribuer à lutter contre l'inégalité économique mondiale qui alimente le discours en faveur de l'opposition du « Sud Global » et de l' « Occident ».

Continuer à plaider pour une réforme du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU), afin d'avoir deux sièges de membres permanents pour des pays africains ainsi qu'un plus grand nombre de membres élus. Soutenir les demandes africaines visant à augmenter le financement du développement durable sur le continent ainsi que sa transition énergétique. Soutenir les pays africains dans leurs efforts pour sortir du piège de la dette.

4. Ne pas laisser le champ libre aux compétiteurs stratégiques de la France en Afrique de l'Ouest

La Russie pratique en Afrique de l'Ouest une stratégie des « dominos » pour contrecarrer la présence française et plus largement occidentale.

Après le Mali, le Burkina Faso et le Niger, la montée en puissance de la Russie au Tchad a été documentée plusieurs mois avant la décision de se pays de cesser sa coopération militaire avec la France, même si l'influence russe n'est pas le seul facteur ayant conduit à cette décision.

Or, la Russie compte sans doute poursuivre cette stratégie gagnante dans d'autres pays d'Afrique de l'Ouest. A titre d'exemple, une configuration pro-russe et anti-française semble s'ébaucher en Côte d'Ivoire de manière indirecte, dans la perspective de l'élection présidentielle de 2025, par l'entremise des juntes de l'AES. D'une part, le Mali et le Burkina Faso ont multiplié les gestes hostiles envers la Côte d'Ivoire au cours des derniers mois et, d'autre part, selon certains analystes, par le biais de l'action de Guillaume Soro, ancien premier ministre ivoirien en exil condamné par la justice ivoirienne et premier opposant du président ivoirien, Alassane Ouattara70(*). Cette stratégie passe notamment par la diffusion d'un discours hostile à la coopération de la Côte d'Ivoire avec la France sur certains réseaux sociaux.

De même, dans le contexte de la crise dans l'Est de la RDC, il existerait une pression de certaines parties de l'armée congolaise pour faire appel à la Russie pour lutter contre le M23, la France et les pays occidentaux étant perçus comme trop alignés sur la position du Rwanda. Parallèlement, sur les réseaux sociaux, les « trolls » russes appellent à mettre fin à un supposé génocide mené par le Rwanda contre les Congolais dans le nord-est du pays. Compte-tenu des richesses naturelles de la RDC, une telle poussée de la Russie en RDC constituerait une avancée tactique importante.

Pour autant, la poussée de l'influence russe n'est pas inéluctable, ni au Sahel ni ailleurs. Pas davantage que les casques bleus ou que les soldats français, les mercenaires de Wagner ne seront en mesure de venir à bout des groupes djihadistes ou des rébellions politiques qui déstabilisent certains États. Tôt ou tard, ils devront donc affronter le mécontentement des pays sahéliens et de leur population.

Dès lors, il convient pour la France de poursuivre son engagement multiforme dans la région.

Ceci vaut en particulier pour le Sahel, où la décision de suspendre toute aide au développement a été contreproductive, alors que des projets pouvaient se poursuivre sur le terrain, notamment par le biais des ONG ou des collectivités territoriales, malgré l'hostilité à la France des autorités gouvernementales.

Par ailleurs, dans le cadre du nouvel élan de la relation franco-marocaine, la France peut tenter de s'appuyer sur le Maroc, qui a récemment développé une initiative en direction du Sahel. Les autorités marocaines considèrent en effet que leur pays doit se projeter vers l'Afrique subsaharienne, et notamment le Sahel et le golfe de Guinée. Récemment, celle volonté a pris la forme de l'« Initiative Atlantique en faveur des pays du Sahel » du Roi Mohammed VI, visant à renforcer l'accès des nations sahéliennes à l'océan Atlantique, à travers le lancement de grands projets. Pour la France, l'initiative du Maroc pourrait constituer une opportunité de garder une forme de présence dans la région, en quelque sorte par partenaire interposé.

Ne pas se désintéresser des pays du Sahel et faire preuve à leur égard de « patience stratégique » face aux menées prédatrices de la Russie ; tenter de rétablir une coopération avec des ONG ou des collectivités territoriales dans la région. S'appuyer sur le nouveau partenariat franco-marocain pour rétablir des canaux de communication avec les pays du Sahel.

5. Continuer à investir le champ informationnel en mobilisant des moyens extra-institutionnel et en investissant plus, pour répondre au bon niveau aux acteurs de la désinformation

La France a été visée au Sahel par de nombreuses campagnes informationnelles hostiles, souvent orchestrées par le groupe Wagner. Elle a parfois su répliquer, comme lorsque des mercenaires du groupe ayant enterré des dépouilles à Gossi pour faire croire à un massacre perpétré par les forces françaises, elle a fait parvenir aux médias une vidéo filmée par drone.

La désinformation n'est pas à l'origine des grands événements tels que les putschs au Sahel, qui ont des causes plus profondes. Il convient ainsi de ne pas surestimer l'impact de ce phénomène : ce n'est pas parce qu'un contenu est massivement diffusé qu'il est massivement cru ; souvent, ces contenus ne font que renforcer la croyance de ceux qui étaient déjà convaincus. Néanmoins, il convient de prendre en compte ce phénomène et de construire des réponses.

La France a déjà mis en place plusieurs éléments d'une stratégie d'influence dans ce domaine :

• la diplomatie publique et l'influence sont considérées comme une fonction stratégique dans la nouvelle Revue Nationale Stratégique 2022 ;

• une nouvelle sous-direction de la veille et de la stratégie du Quai d'Orsay a été mandatée pour conduire la réponse française aux défis informationnels ;

• la France dispose d'un ambassadeur dédié à la diplomatie publique en Afrique et d'un ambassadeur pour le numérique, chargé de promouvoir nos valeurs et notre culture dans le monde numérique ;

• le ministère des armées a adopté une doctrine de « lutte informatique d'influence » en octobre 2021 et une cellule Anticipation, stratégie et orientation (ASO) fonctionne désormais au sein de l'État-major des Armées.

• Le MEAE et les armées souhaitent également exploiter davantage l'OSINT (Open Source Intelligence), dont la guerre en Ukraine a montré l'utilité pour déconstruire les récits promus par la Russie.

Par ailleurs, un fonds de communication des postes a été mis en place en 2023 afin de soutenir les projets les plus ambitieux en matière d'actions de communication, pour un montant de plus de 1,2 million d'euros. Ce fonds a notamment permis de financer des actions de communication ambitieuses en Afrique.

Les autorités française, du ministre des affaires étrangères aux ambassades, sont chargées de diffuser un narratif plus en phase avec les sociétés africaines actuelles, mettant en valeur des réussites de la coopération entre la France et les pays africains dans les domaines autres que militaire, assumant le passé mais en se projetant vers l'avenir, tenant à distance toute position de surplomb, faisant passer la notion d'« aide » derrière cette de partenariat ou d'alliance, en s'efforçant de ne jamais se prononcer sur les questions de politique intérieure des pays partenaires.

Les ambassades s'efforcent par ailleurs de passer autant que possible par des relais d'information extérieurs plutôt que par des canaux institutionnels identifiés comme français, par exemple par des artistes qui, ayant été soutenus par un programme financé par la France, vont porter un message positif sur notre pays.

Toutefois, la première réponse à la désinformation dirigée contre la France réside dans la confiance qui peut se nouer au niveau de chaque pays entre, d'une part, les représentants de celle-ci, que ce soit les personnels des ambassades, de l'AFD ou de tout autre membre de l'« équipe France », et, d'autre part, les sociétés civiles et les diverses communautés. Cette confiance se construit elle-même sur le long terme et suppose des moyens humains suffisants. Or la diplomatie française a connu une baisse massive de ses effectifs, notamment en Afrique, au cours des dernières années. Les services de presse et de communication ont d'ailleurs été particulièrement touchés par cette diminution.

Il s'agit également d'utiliser l'outil de l'APD pour renforcer l'éducation et en particulier l'éducation à l'information. Seule une résilience durable des populations face à la désinformation est en effet susceptible de réduire ce phénomène sur le long terme. Il est aussi indispensable d'aider à renforcer les médias indépendants, qui sont dans une situation de faiblesse en Afrique, notamment en Afrique de l'Ouest, étant souvent dotés de peu de moyens et faisant l'objets de nombreuses attaques des pouvoirs en place.

Il convient par ailleurs de souligner l'initiative positive qu'a constitué l'appel de Villers-Cotterêts « Pour un espace numérique intègre et de confiance dans l'espace francophone » lancé par les chefs d'État lors du 19ème sommet de la francophonie d'octobre 2024, par lequel ils appellent les plateformes numériques à amplifier leurs efforts et leurs engagements en faveur d'un espace numérique inclusif, pluraliste, de qualité et de confiance, en assurant une plus grande transparence, diversité et proximité ; en contribuant à mieux protéger les sociétés et les espaces informationnels francophones des risques liés à l'utilisation de leurs services ; en contribuant à la diversité culturelle et linguistique et à la juste rémunération de la création ; enfin en contribuant à l'inclusion numérique et à la formation des usagers pour l'avènement de citoyens. Ces objectifs sont en effet cohérents avec l'objectif de lutte contre la désinformation dans les pays francophones.

Poursuivre la mise en oeuvre de la stratégie informationnelle de la France en maintenant les moyens des ambassades et en recrutant davantage de spécialistes, notamment en matière de contre-influence et de lutte contre la désinformation. Augmenter la part de l'aide à l'éducation dans l'APD et introduire une dimension plus importante d'éducation à l'information et au numérique dans les projets d'éducation financés par l'AFD. Responsabiliser les plateformes numériques pour qu'elle mettent en oeuvre « l'appel de Villers-Cotterêts » du sommet de la francophonie du 4 octobre 2024.

Par ailleurs, l'audiovisuel extérieur de la France constitue évidemment un outil de première importance, les médias de France Média Monde (FMM) réalisant une audience de près de 80 millions de personnes en Afrique subsaharienne. RFI a récemment diversifié ses langues d'émission afin de toucher un plus large public. FMM prévoit en outre de lancer une offre numérique panafricaine pour les jeunes destinée aux réseaux sociaux pour offrir des contenus constructifs et lutter contre les infox, tandis que le pôle de Dakar poursuivra le développement de la production africaine de contenus.

Or si une augmentation des moyens de FMM était prévue était envisagée, permettant notamment sa transformation numérique, l'annulation de crédits intervenue en 2024 et au sein du PLF 2025, qui prévoit une baisse importante de crédits alors que les moyens, de l'ordre de 280 millions d'euros, sont déjà inférieurs à ceux des homologues de FMM, rendent la situation plus difficile pour l'opérateur. Il est sans doute peu pertinent de faire porter un tel effort sur ce média aux moyens déjà modestes au moment où la guerre informationnelle bat son plein. Par ailleurs, après la réforme de la redevance, il serait préférable de financer en partie FMM par une taxe affectée afin de conforter l'indépendance de l'audiovisuel extérieur.

Renforcer les moyens de France Média Monde et assurer la pérennité de son financement pour garantir son indépendance.

6. Poursuivre et diversifier la coopération militaire en compensant la fin des bases ou leur déflation par un renforcement des moyens de la coopération de défense

Les modalités de la poursuite de la coopération militaire dans un contexte de rétrocession ou de déflation des bases doivent être soigneusement pesées en fonction des circonstances.

Il est évident que la fin des bases « 100% françaises » dotées de plusieurs centaines de militaires aura pour conséquence une perte de souplesse et d'efficacité immédiate pour les opérations éventuelles d'évacuation des ressortissants.

Au-delà, et malgré des annonces gouvernementales optimistes, elle risque également de nuire aux partenariats, aux formations et plus généralement à toutes formes d'échanges entre les militaires français et leur homologues africains. Pour minimiser ce risque, il apparaît nécessaire de sanctuariser une partie des gains budgétaires réalisés à l'occasion de la diminution du format des bases ou de leur rétrocession pour augmenter le format des missions de défense dans les pays concernés.

Récemment, les postes d'attachés de défense à Khartoum, au Burkina Faso, au Niger et au Mali ont été supprimés. Des postes ont été en revanche ouverts aux Comores et au Ghana ou l'attaché de défense est actuellement conseiller militaire pour le Mali et le Burkina et placé auprès de l'ambassadeur au Niger. Le dispositif actuel couvre 48 pays avec 25 attachés, dont certains non-résidents (Ainsi l'attaché de défense en CI est non résident pour le Libéria et la Sierra Léone).

À terme, il sera d'abord nécessaire de rouvrir des missions de défense dans les pays du Sahel, ainsi qu'au Soudan, lorsque la situation le permettra.

Dans le golfe de Guinée, il convient d'envisager d'augmenter la taille des missions de défense dans chaque pays afin d'avoir un attaché par armée (terre, air, marine) et non plus un attaché interarmées. En effet, dans les pays partenaires, l'approche interarmées n'est pas très développée. Au Gabon et au Sénégal par exemple, la présence d'un membre de la mission de défense spécialisé « marine » serait très utile compte-tenu des problématiques du golfe de Guinée (piraterie, pêche illégale, trafic de drogue...). De même, en Côte d'Ivoire, la construction d'une armée de l'air en coopération avec la France était envisagée et un attaché de défense pourrait avantageusement être y dédié.

Au-delà, il est plus que jamais nécessaire, dans la période actuelle, de montrer à nos partenaires gabonais, sénégalais et ivoirien que la France souhaite continuer et développer la coopération militaire, notamment en matière de formation, mais aussi de fourniture de moyens spécialisées (par exemple en renseignement).

Compenser la déflation des effectifs ou la suppression des bases militaires françaises par une augmentation du volume des missions de défense afin d'enrichir les partenariats militaires ; spécialiser les attachés de défense par armée (terre-air-marine) pour tenir compte de la structuration des armées des partenaires ; montrer à ceux-ci la détermination de la France à continuer à fournir un appui efficace en matière de sécurité.

7. Reprendre le renforcement de la diplomatie française

Pendant l'opération Barkhane, la stratégie dite « 3D » entendait mettre en exergue une nouvelle synergie entre la diplomatie, la défense et l'aide au développement. Toutefois, la réussite de cette ambition a notamment achoppé sur la relative faiblesse des moyens de la diplomatie française. En effet, au cours des 20 dernières années, les effectifs du Quai d'Orsay ont baissé d'environ 30 %. En Afrique, la diminution a été de 40 % entre 2006 et 2017. Pendant la même période, les pays émergents, notamment la Turquie, l'Inde et la Russie, ont multiplié les ouvertures de postes diplomatiques sur le continent.

La loi de finance pour 2021 avait stabilisé les effectifs du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. L'agenda de la transformation annoncé par le Président de la République à l'issue des états généraux de la diplomatie, en mars 2023, prévoyait de poursuivre cette tendance, notamment par le recrutement de 700 ETP d'ici 2027, dont 46 postes pour la consolidation des capacités d'analyse et d'anticipation et 25 postes pour la communication et la stratégie de riposte dans le champ informationnel. Toutefois, le PLF 2025 a mis un coup d'arrêt à cette progression. De même, si le nombre des experts techniques internationaux (ETI), gérés par Expertise France, avait recommencé à croître (pour atteindre environ 300), la poursuite de cette hausse risque d'être remise en cause.

Le « réarmement » de la diplomatique française est une nécessité et le continent africain ne doit pas être délaissé au profit de la zone indopacifique. La mise en oeuvre de la stratégie d'influence, la connaissance approfondie des pays supposent la préservation de cet « outil » parfois passé au second plan derrière l'outil militaire au cours des dernières années. Ceci suppose notamment une revalorisation globale du ministère des affaires étrangères face à l'Élysée, qui semble être resté le principal acteur des relations franco-africaines au cours des dernières années.

Renforcer la diplomatie française pour rééquilibrer son rôle dans l'élaboration et la mise en oeuvre des relations entre la France et les pays africains face à l'Élysée et au ministère des armées.

8. Améliorer l'aide publique au développement

Les modalités de mise en oeuvre de l'Aide publique au développement n'échappent pas aux critiques à l'encontre des interventions françaises, et plus largement occidentales, sur le continent africain. Elle s'inscrirait dans la continuité de la domination coloniale et serait infantilisante en prétendant donner un mode d'emploi du développement et en appliquant toujours les mêmes référentiels internationaux technocratiques. Elle serait verticale, car élaborée sans véritable concertation avec les populations concernées. Elle serait également contradictoire, car se voulant désintéressée mais favorisant les entreprises françaises (plus de la moitié des appels d'offres de l'AFD étant remportés par ces entreprises) et ayant des objectifs d'influence de plus en plus assumés.

L'aide publique au développement a toujours été un « objet » complexe répondant à des intentions diverses, comme en témoigne la loi du 4 août 2021 d'orientation et de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Cependant, quelques grands axes et des priorités plus spécifiques peuvent être mis en avant pour une amélioration de cette politique, dans l'optique notamment d'une amélioration de son image auprès des populations.

Tout d'abord, les efforts pour une meilleure appropriation de l'aide par les partenaires africains, impératif ancien et bien connu mais toujours insuffisamment appliqué, doivent être poursuivis. Dans un contexte de forte hausse des moyens de l'AFD au cours des dernières années, cet impératif a en effet pu passer au second plan derrière la nécessité de trouver de nouveaux projets à financer. Ces projets doivent plus que jamais être co-construits avec les partenaires, États ou collectivités territoriales, en consultant, autant que possible, les populations directement concernées.

En second lieu, la lutte contre la grande pauvreté ainsi que l'aide humanitaire doivent rester des axes centraux de cette politique. À titre d'exemple, les besoins humanitaires dans le nord-est de la RDC ou au Soudan sont actuellement immenses et ne sont pas suffisamment couverts par la solidarité de la communauté internationale. Ceci suppose de conserver des moyens budgétaires significatifs. À cet égard, la diminution drastique des crédits prévus au sein du PLF pour 2025, certes dans un contexte d'austérité générale, paraît disproportionnée par rapport à la part de l'APD dans le budget général.

En troisième lieu, les projets de développement en coopération avec les pays émergents, qui ne concernent pas directement la lutte contre la grande pauvreté, doivent être réévalués au regard de l'influence qu'ils permettent à la France d'acquérir ou de conserver. Plusieurs de ces pays émergents exercent actuellement une politique de puissance sur le continent africain et manifestent une attitude négative à l'égard de la France, et ce malgré l'investissement de la France dans des projets qui leur bénéficient ; il convient d'en tenir compte.

Poursuivre l'objectif d'appropriation de la politique de solidarité internationale par les populations des pays partenaires. Malgré les réductions budgétaires, préserver les moyens nécessaires aux projets visant à lutter contre la grande pauvreté et aux actions humanitaires, notamment en RDC et au Soudan. Réévaluer l'aide aux pays émergents au regard de l'influence que la France en retire et de l'attitude de ces pays à son égard.

Par ailleurs, dans une optique « paix et sécurité », il serait pertinent de mettre davantage l'accent sur certains secteurs d'intervention insuffisamment traités actuellement.

D'abord, l'analyse des conflits en Afrique de l'Ouest mais aussi dans d'autres régions du continent met en exergue l'importance que jouent le déficit de justice et d'État de droit dans les causes profondes de ces conflits. Du Sahel à la corne de l'Afrique en passant par le lac Tchad, de nombreuses populations souffrent d'un accès très limité à la justice et doivent subir de constantes violations des droits humains. L'absence d'institutions judiciaires efficaces alimente la corruption et notamment la collusion entre des responsables publics et des réseaux criminels. Les conflits récurrents entre agriculteurs et éleveurs constituent une autre cause importante de conflit et sont souvent liés à des problèmes de propriété de la terre et de manque d'institutions judiciaires capables de trancher les différends. Cette situation permanente de déni de justice est exploitée avec efficacité par les groupes djihadistes.

Ainsi, comme l'indique un document de l'AFD71(*), l'accès à la justice est le « Trait d'union du nexus sécurité-développement, corollaire de la réforme des systèmes de sécurité (RSS) ».

Dans de nombreux pays, des initiatives ont déjà été prises pour renforcer la gouvernance et la justice afin, notamment, de s'attaquer aux causes profondes du terrorisme. Ainsi, au Niger, un comité de coordination pour la lutte contre le terrorisme et le crime organisé transnational a été mis en place. Ce comité réunit militaires, policiers, gendarmes, procureurs et juges pour renforcer les procédures judiciaires et faire respecter les droits humains. Des programmes similaires ont été mis en place en République centrafricaine, en RDC ou encore en Sierra Leone pour fournir une aide juridique et des tribunaux itinérants afin d'améliorer l'accès à la justice et de traiter les violences sexuelles en temps de guerre.

Ainsi, les politiques de lutte contre le terrorisme et contre l'insécurité doivent davantage inclure cette dimension de justice. L'AFD n'a reçu la compétence « gouvernance » que récemment. Elle consacrait en 2023 environ 400 millions d'euros au renforcement de l'État de droit et de l'action publique, l'accès à la justice ne représentant qu'une fraction de ce montant. Elle peut donc encore largement développer son rôle dans ce domaine. Il en va de même pour Expertise France.

Encourager les interventions de l'AFD et d'Expertise France en matière d'accès à la justice et intégrer systématiquement cette dimension dans les efforts de résolution des crises et des conflits.

Ensuite, l'agriculture joue un rôle essentiel dans la stabilité des sociétés africaines, en particulier au Sahel et en Afrique de l'Ouest. Outre son rôle alimentaire, elle continue à employer la majorité de la population active dans de nombreux pays, étant source de revenu principale de 80 % de la population rurale ouest-africaine, et devra donc « absorber » une grande partie de la nombreuse jeunesse de ceux-ci. Or les crises sont exacerbées par la marginalisation des populations rurales, l'insécurité alimentaire, la faiblesse des infrastructures et la pauvreté persistante. Comme l'a souligné le chercheur Jonathan Guiffard lors de son audition, l'agriculture est actuellement le secteur économique le moins soutenu par l'aide internationale ; en outre, alors que l'Union européenne a mis en place une politique agricole commune (PAC) et que les USA ou l'Inde subventionnent massivement leur agriculture, il n'existe aucun mécanisme comparable en Afrique. On observe par ailleurs une chute drastique des dépenses d'APD dans ce secteur depuis 1980 : de 17-18% à l'époque à 4% à peine aujourd'hui.

Ainsi, de nombreuses mesures devraient être prises pour améliorer le cadastre, structurer les filières, développer les infrastructures nécessaires à l'acheminement de la production, diffuser les intrants, développer les compétences agricoles, etc.

A l'instar de ce que propose Jonathan Guiffard dans son rapport «  Sécurité en Afrique de l'Ouest, investir la filière agricole »72(*), il est donc nécessaire de faire remonter en puissance la part de l'aide au développement française consacrée à l'agriculture.

Fixer un objectif de part de l'APD française ou de part du RNB consacrée au développement agricole en Afrique de l'Ouest (de l'ordre de 0,1% du RNB)..

Enfin, un soutien plus important au secteur de l'enseignement supérieur aurait sans doute des retombées positives pour l'image de la France. En effet, c'est au sein des élites urbaines éduquées que le jugement sur notre pays est le plus sévère. Un soutien accru au développement de formations en Afrique ou en France, des échanges de professeurs facilités via des partenariats universitaires plus riches, pourraient ainsi, dans un contexte d'explosion du marché de la formation universitaire en Afrique, avoir des effets favorables.

Soutenir davantage l'enseignement supérieur, les échanges d'enseignants et de chercheurs et les partenariats universitaires.

9. Mettre fin au « double standard », s'efforcer de renforcer la démocratie en profondeur et faire preuve de discernement dans l'affirmation des « valeurs » démocratiques et sociétales

Malgré la fin des stigmates les plus visibles de la « Françafrique », il est toujours reproché à la France d'appliquer un « double standard » en Afrique. La doctrine du « discours de la Baule » de François Mitterrand a, de fait, donné lieu à une mise en oeuvre variable selon les temps et les pays, avec des contradictions, réelles ou apparentes, ayant fait perdre beaucoup de crédit à la France dans les opinions africaines. Loin de disparaître, ces épisodes ont été nombreux au cours des dernières années.

En outre, du fait de la prolifération des moyens d'informations numériques, tous les gestes des autorités françaises sont désormais immédiatement révélés et commentés au sien de populations globalement beaucoup plus informées (et en même temps désinformées) que par le passé, notamment sur les réseaux sociaux. Le cas échéant, les faux pas sont immédiatement exploités par les concurrents stratégiques de la France. Ainsi, comme la mission a pu s'en convaincre lors de ses contacts avec les représentants des sociétés civiles dans les pays où elle s'est rendue, les épisodes où les autorités françaises ont manifesté un soutien à l'égard de dirigeants globalement rejetés par les populations ont été jugés et condamnés par l'opinion.

Il n'est sans doute pas souhaitable d'élaborer une nouvelle « doctrine » précise détaillant l'attitude à adopter en la matière, la diplomatie devant garder une capacité à s'adapter aux circonstances. Toutefois, de grandes lignes peuvent être proposées, guidées par la nécessité de prendre davantage en compte l'ensemble des acteurs de la société, en particulier la jeunesse, et non plus seulement des autorités politiques souvent très impopulaires.

Tout d'abord, l'ensemble des changements non constitutionnels doivent faire l'objet d'une condamnation de principe, conformément au droit international et aux principes de l'Union africaine, y compris lorsque ce changement semble favorable à première vue aux intérêts français.

Cependant, au-delà de cette première condamnation de principe, la situation doit être appréciée au cas par cas, à l'aune du type de régime auquel ce changement met fin (avait-il lui-même été prolongé par des manoeuvres anti-démocratiques, était-il notoirement répressif et rejeté par la majorité de la population ?), de la réaction de la majorité de la population et des intérêts français en jeu, au premier rang desquels la sécurité de nos ressortissants dans le pays concerné, ainsi que des choix d'alliances du nouveau pouvoir (a-t-il décidé d'emblée de demander le soutien d'une puissance concurrente, voire hostile à la France ?) Ainsi, il est clair que, dans le cas d'un changement mettant fin à un pouvoir autoritaire et corrompu, la condamnation doit rapidement laisser la place à des discussions sur la transition vers la légalité et sur le renouveau des partenariats.

Dans le même ordre d'idées, il convient de mettre fin à la focalisation exclusive sur le déroulement de la transition, censée se conformer aux étapes standard (dialogue nationale inclusif, assemblée constituante, loi électorale et élections générales). De nombreuses transitions de ce type ont conduit à l'établissement d'un pouvoir instable à son tour balayé par un coup d'État, en particulier au Sahel, car tout en se déroulant formellement selon les principes démocratiques, elles n'ont donné lieu à aucun progrès de fond. Ainsi, Ibrahim Boubacar Keïta a été renversé par le colonel Assimi Goïta en 2020, après avoir été élu président du Mali à l'issue des élections organisées en 2013, au terme de la transition mise en place après le coup d'État de 2012 mené par le capitaine Amadou Haya Sanogo. La France a soutenu ce président malien bien après qu'il est devenu clair qu'il ne comptait pas mettre en oeuvre l'accord d'Alger ni oeuvrer pour une vraie réconciliation nationale.

En conséquence, la diplomatie française doit plutôt se focaliser sur les indices indiquant qu'une véritable transformation démocratique est à l'oeuvre, tandis que l'aide française doit monter en puissance en matière de gouvernance, de renforcement des institutions, de participation démocratique et plus généralement de soutien à toutes les formes de participation populaire. Le fait que l'AFD n'a été dotée qu'en 2016, soit très récemment, de la compétence « Gouvernance », montre qu'il s'agit encore d'un sujet relativement neuf.

Il convient également, s'agissant des changements de régime, de se coordonner autant que possible avec l'Union africaine et avec les communautés économiques régionales. Toutefois, là encore, une approche prudente et au cas par cas est nécessaire, comme l'ont montré les conséquences négatives de l'attitude trop offensive face au Niger et trop confiante envers la CEDEAO lorsque celle-ci a menacé d'intervenir militairement contre le coup d'État de juillet 2023 dans ce pays.

En revanche, en dehors de ces moments de changement de régime, il doit être entendu que la France n'intervient pas dans les affaires intérieures des pays africains. La difficulté vient toutefois ici de la définition de ce qu'est une telle intervention : aux yeux de son opposition politique, des marques de déférence envers un dirigeant vieillissant à l'approche d'élections constituent bien une forme d'ingérence du fait de l'influence, réelle ou supposée, encore prêtée à la France. Là encore, il est donc nécessaire de faire preuve de discernement en évitant tout geste qui pourrait être interprété comme un soutien ou une condamnation d'un camp ou de l'autre.

Condamner tout changement de régime anticonstitutionnel afin de maintenir une attitude cohérente et d'éviter l'accusation de “double standard”, tout en tenant compte des aspirations des populations concernées. Encourager davantage la reconciliation nationale et la consolidation durable des institutions que le respect formel des étapes obligées de la transition. Le cas échéant, concourir à ces transformations par une aide publique au développement renforcée en matière de gouvernance. Se coordonner avec l'Union africaine (UA) et avec les communautés économiques régionales (CER). Se garder de toute position pouvant être interprétée comme un soutien à des chefs d'État très contestés. Anticiper les évolutions politiques possibles et mieux appréhender les transitions.

S'agissant par ailleurs des « valeurs » portées par la France, force est de constater qu'il existe une contestation de plus en plus forte à l'encontre d'une supposée volonté de la France, comme des autres pays « occidentaux », d'imposer aux pays africains des valeurs qui leur seraient étrangères.

Concernant les « valeurs démocratiques », comme cela a déjà été souligné, le problème n'est pas tant en réalité celui d'une affirmation qui serait excessive de ces principes que celui d'un écart entre ceux-ci et la réalité de la politique menée par la France en Afrique. La mise en oeuvre de la précédente recommandation apparaît donc comme un préalable indispensable à la tenue des discours exhortant à davantage de démocratie, sous peine de ne pas être pris au sérieux. En revanche, les initiatives africaines dans ce domaine doivent continuer à être financées par l'APD française, qu'il s'agisse d'initiatives comme la Fondation de l'innovation pour la démocratie ou des projets portés par des ONG au sein des pays partenaires.

S'agissant de l'approche anti-patriarcat ou de la défense des droits des personnes LGBT+, il existe effectivement une contestation des discours occidentaux. Ce phénomène comporte trois dimensions liées entre elles : il s'agit d'abord d'une figure renouvelée de la contestation de la domination occidentale, s'ajoutant à celles qui portent sur l'échange économique inégal ou les interventions militaires ; ensuite d'un nouveau phénomène, lié tant à une forme de souverainisme et de nationalisme qu'à une version ultra-conservatrice du panafricanisme ; enfin cette contestation est encouragée et alimentée par des régimes « illibéraux » comme la Russie qui partagent les mêmes options et font feu de tout bois pour mettre en difficulté la France et les autres pays occidentaux. La « diplomatie féministe » de la France fait face aux mêmes critiques de la part de certaines autorités ou de certains activistes.

Le caractère composite de ce phénomène empêche d'y apporter une réponse unique. Le respect dû aux valeurs et aux manières de vivre de l'ensemble des partenaires de la France doit avoir pour conséquence une approche prudente des questions sociétales, loin de toute apparence d'imposition d'une « conditionnalité » dans le secteur de la politique de solidarité ou dans d'autres domaines. Une telle conditionnalité est en effet condamnée à apparaître comme un nouvel avatar du colonialisme.

Pour autant, il ne peut s'agir de renoncer à affirmer les valeurs de tolérance et de lutte contre les discriminations contre les excès d'un néo-souverainisme qui caricature parfois le panafricanisme, ni de s'abstenir de condamner certains discours complotistes parfois instrumentalisés par la Russie ou d'exprimer un désaccord face à des législations criminalisant certaines parties de la population.

Abandonner les approches « conditionnelles » s'agissant de la promotion de la démocratie et des valeurs humanistes, au profit d'une attitude globalement plus cohérente à l'égard des dirigeants africains. Continuer cependant à soutenir financièrement les initiatives africaines dans ce domaine et à effectuer des démarches auprès des autorités pour lutter contre les discriminations. Contrer fermement les diatribes anti-occidentales souvent soutenues par la Russie dans le cadre de sa guerre hybride.

10. Poursuivre et amplifier la mise en oeuvre des mesures réformant la politique des visas

La délivrance des visas reste un irritant majeur des relations entre la France et les pays africains. Le durcissement des dernières années ne semble pas avoir permis de lutter efficacement contre l'immigration irrégulière, mais il a détérioré l'image de la France et nuit aux échanges économiques et culturels. La mise en oeuvre du rapport Hermelin se poursuit mais les changements mis en oeuvre ne semblaient pas suffisants, début 2025, pour inverser la tendance. Lors de la conférence des ambassadeurs de janvier 2025, le président de la République a d'ailleurs reconnu cette difficulté.

Les recommandations du rapport Hermelin, qui visent à un meilleur équilibre entre les objectifs de sécurité et de maîtrise migratoire et l'attractivité de la France, doivent être mieux appliquées. Il s'agit en particulier de mieux cibler les talents dont notre pays à besoin, qui circulent souvent entre leur pays de départ et la France, et d'améliorer la gestion administrative des visas, en regroupant les agents dans des pôles plus importants.

Par ailleurs, il est impératif de préparer la mise en oeuvre de la nouvelle plateforme de visas numérisés EU VAP au niveau de l'espace Schengen, qui va progressivement aboutir à une rénovation complète du processus de délivrance des visas.

Poursuivre la mise en oeuvre du rapport Hermelin pour mettre en place un traitement des visas plus cohérent avec la préservation de l'attractivité et du rayonnement de la France. Préparer la mise en place future du visa Schengen numérisé EU VAP.

11. Soutenir les progrès de l'architecture de paix et de sécurité de l'Union africaine (APSA)

Malgré des progrès réels, l'architecture de paix et de sécurité de l'Union africaine (APSA) reste souvent inefficace.

D'un côté, de trop nombreux acteurs et des intérêts divergents génèrent de multiples rivalités, que ce soit au niveau global de l'Union africaine ou de celui des communautés économiques régionales. La mise en oeuvre du principe de subsidiarité entre ces deux niveaux reste à l'état d'ébauche. De l'autre, l'APSA manque de moyens financiers propres pour mettre en oeuvre ses missions de paix : ainsi la mission de l'UA en Somalie est-elle financée par l'Union européenne. L'UA, avec le budget dont elle dispose à cette fin (400 millions de dollars en 2024) ne peut au total financer qu'une demi mission en Afrique. Seule une minorité de pays paie ses cotisations à l'Union africaine. En outre, les forces armées des pays contributeurs sont souvent d'une qualité médiocre en raison d'une insuffisance de financements pour les matériels et la formation.

Pourtant, la commission est convaincue que, dans un contexte de perte de vitesse des Nations unies, le développement des capacités de maintien de la paix proprement africaine est la seule voie possible pour augmenter les chances de la paix sur le continent.

À cet égard, l'adoption en décembre 2023 de la résolution 2719 du CSNU permettant le financement par les Nations unies d'opérations de paix de l'UA (cette résolution prévoit que les Nations unies contribueront à hauteur de 75 % et que les 25 % restants seront mobilisés conjointement par les deux organisations) constitue une bonne nouvelle et une étape importante qui doit pouvoir donner lieu à une mise en oeuvre prochaine.

Certains membres du Conseil de paix et sécurité de l'UA (CPS) souhaitent que la Somalie soit le premier pays à bénéficier des fonds mis à disposition par les Nations unies dans le cadre de cette résolution 2719, alors qu'il est prévu que l'ATMIS quitte le pays en décembre 2024. Toutefois, la situation est quelque peu confuse du fait que le CPS et le gouvernement fédéral somalien soutiennent tous deux le retrait, mais en même temps demandent le déploiement d'une nouvelle opération. La nature que revêtirait une telle nouvelle mission, imposition de la paix contre les Shebabs ou maintien de la paix et renforcement des institutions, n'est pas claire non plus pour le moment.

D'autres pays sont des candidats crédibles pour la mise en oeuvre de cette résolution, notamment la RDC et le Soudan. En particulier, en RDC, la résolution 2719 permettrait de financer une opération plus robuste de la communauté des États d'Afrique australe (SADC) que celle actuellement mise en place.

Par ailleurs, l'APSA réserve une part insuffisante à la prévention des conflits. Le système continental d'alerte précoce et le Groupe des sages, qui a un rôle consultatif auprès du CPS, doivent être renforcés, tout comme le rôle d'envoyé spécial de l'UA.

Enfin, les missions de paix et sécurité de l'UA comportent des volets civils insuffisants, notamment en ce qui concerne les approches de police de communauté, dont l'efficacité contre le radicalisme djihadiste a pourtant été démontrée. Il convient donc de développer au sein des intervention de l'UA et des CER ces approches en complément des volets militaires au sein des opérations de maintien de la paix.

Le 29 novembre 2024 s'est tenue la deuxième session du dialogue stratégique entre l'Union africaine et la France au siège de l'Union africaine. À cette occasion, le Ministre français des affaires étrangères a souligné la poursuite de la mobilisation de l'assistance technique française au profit de l'Union africaine et de ses organes, notamment dans les domaines de l'innovation, du climat, de la communication, de la cybersécurité et du spatial. Cette coopération doit être poursuivie et approfondie.

Pour tenter de dépasser les difficultés rencontrées par les efforts de paix de l'UA, plaider pour la mise en oeuvre de la résolution 2719 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui permet le financement des opérations sous mandat de l'UA par l'ONU, afin de mettre sur pied une opération de paix de l'UA en RDC et/ou au Soudan. Plaider pour un renforcement des institutions de prévention des conflits au sein de l'APSA et pour un développement des aspects civils et de police communautaire des interventions de paix de l'UA.

12. Favoriser la zone de libre-échange continentale africaine

La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), lancée en 2019, constitue l'un des moyens potentiellement les plus puissants pour augmenter la prospérité des pays africains73(*), sans commune mesure avec, par exemple, l'aide publique au développement. En abaissant les barrières commerciales à l'intérieur du continent, elle peut contribuer à réduire l'extraversion des pays africains et permettre le développement d'économies plus diversifiées : en 2019, le commerce intra-africain ne représentait en effet que 14,4 % du total des exportations africaines, alors que le commerce intra-asiatique se monte à 52 % du total, et le commerce intra-UA à 73 %. Selon des experts de l'Institut d'études de sécurité (ISS Africa), la ZLECAF serait également l'une des mesures les plus efficaces pour réduire le nombre de conflits sur le continent.

En conséquence, la France doit contribuer à lutter contre les nombreux obstacles qui freinent la mise en oeuvre de la ZLECAf : manque d'infrastructures (notamment frontalières), réticences à la baisse effectif des tarifs douaniers, multiplication récente des coups d'État, etc. En outre, certains pays africains sont tentés de négocier des accords séparés avec d'autres entités régionales et de profiter ensuite de la ZLECAf pour devenir un hub régional, comme le Kenya qui a signé en décembre 2023 un accord de partenariat économique (APE) avec l'Union européenne contre l'avis des autres États membres de la Communauté d'Afrique de l'Est (CAE). Il convient de s'opposer à cette tendance.

Continuer à soutenir la mise en oeuvre de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), notamment via Expertise France. Éviter les accords commerciaux séparés pays par pays avec des pays membres de la ZLECAf.

13. Soutenir davantage la francophonie

En 2022, l'Afrique concentrait plus de 60 % des locuteurs quotidiens de français. L'OIF estime que 715 millions d'individus seront francophones d'ici 2050, avec près de 90 % de la jeunesse francophone en Afrique. La plupart de ces jeunes sont cependant plurilingues.

La francophonie est étroitement liée à la mobilité étudiante. Or l'introduction pour la rentrée universitaire 2019 de frais d'inscription différenciés pour les étudiants extracommunautaires n'a pas été bien reçue. En outre, il semble que la simplification de la politique de visas pour les étudiants, qui constituait l'un des axes de la stratégie « Bienvenue en France », n'ait pas véritablement abouti à une amélioration de la situation, avec des traitements de dossiers parfois perçus comme vexatoires.

Dans ce domaine, une récente initiative semble aller dans le bon sens. Lors du sommet de la francophonie de Villers-Cotterêts de novembre 2024, le Secrétaire d'État chargé de la Francophonie et des Partenariats internationaux a annoncé la création d'un « Programme international mobilité employabilité francophone » (PIMEF), s'adressant à la jeunesse et visant à mettre en réseau 1 100 universités et centres de recherche membres de l'Agence universitaire de la Francophonie dans 120 pays (étudiants, enseignants, chercheurs, administratifs). Il devrait être mis en place à partir de la rentrée universitaire 2025-2026. Les jeunes francophones des universités partenaires pourront bénéficier de programmes de mobilité centrés sur la professionnalisation et/ou l'employabilité. Ce programme fonctionnera sur un principe de réciprocité : les universités et établissements fixeront le nombre d'étudiants envoyés au sein des structures partenaires qui sera identique à celui du nombre d'étudiants reçus.

Par ailleurs, au moment où la Chine, la Russie ou encore la Turquie multiplient les nouveaux instruments de soft power, il convient plus que jamais de soutenir le réseau des écoles françaises, des instituts français et des Alliances françaises, dont les moyens n'ont cessé de se dégrader au fil du temps.

Pourtant, la subvention du MEAE aux Alliances françaises diminuera de 45 % en 2025, passant de 7,5 M€ à 4,1 M€, dans un contexte de fragilité persistante du réseau à la suite de la pandémie. Dans leur avis budgétaire pour le PLF 202574(*), les membres de la commission Catherine Dumas et Didier Marie regrettent ainsi que la Fondation des Alliances françaises ne soit pas a minima informée des arbitrages afin de mettre en cohérence les stratégies respectives de la fondation et du MEAE, ce qui n'est pas le cas actuellement. En outre, la subvention versée à la Fondation des alliances françaises et les crédits dédiés à la coordination et à la modernisation du réseau seront également en diminution de 124 100 euros. Les crédits d'intervention des postes à l'étranger et en administration au titre de la promotion du français seront également en forte baisse (- 4 M€).

L'intention louable du Gouvernement de donner un nouvel élan à la francophonie achoppe donc pour le moment sur les réalités budgétaires.

Mettre en oeuvre le « Programme international mobilité employabilité francophone » (PIMEF) annoncé lors du sommet de Villers-Cotterêts de novembre 2024, s'attacher à faire remonter, le moment venu, les moyens du réseau culturel et éducatif français à l'étranger.

14. S'appuyer sur la relance des relations avec le Maroc pour améliorer et développer les relations avec les pays d'Afrique de l'Ouest

La capacité de la France à renouer une relation approfondie avec le Maroc, sur de nouvelles bases, apparaît comme un test pour le renouveau de nos partenariats en Afrique subsaharienne. Comme les autres pays du continent, le Maroc souhaite en effet une relation d'égal à égal avec la France, sans doute moins exclusive, mais finalement plus productive en termes d'échanges économiques, culturels ou militaires.

Il est indispensable de concrétiser la reprise des relations avec le Maroc et le lancement du « partenariat d'exception renforcé ». Une nouvelle réunion de haut niveau pourrait ainsi avoir lieu, la dernière remontant à 2019, pour lancer le travail des deux administrations afin de mettre en oeuvre les nouveaux accords bilatéraux. Des visites ministérielles pourraient être lancées dans les domaines de l'énergie, des transports et de la culture. Il conviendrait également de communiquer sur les réussites des partenariats, par exemple en matière de transports, afin de présenter une image attractive aux autres pays avec lesquels la France coopère. Enfin, une coopération de défense plus étroite pourrait être engagée.

Concrétiser la reprise des relations avec le Maroc et la mise en place du « partenariat d'exception renforcé » par une réunion de haut niveau, des visites ministérielles dans les domaines de l'énergie, des transports et de la culture, une communication spécifique sur les partenariats, et la relance de la coopération de défense.

Par ailleurs, le Maroc se conçoit comme une plateforme africaine et considère que son rôle est de se projeter vers l'Afrique subsaharienne, et notamment le Sahel et le golfe de Guinée, tant d'un point de vue économique et commercial que sur le plan de la coopération militaire. Cette projection s'incarne déjà dans les succès des banques et des assurances marocaines dans la région ou dans des projets d'infrastructures tels que le gazoduc Maroc-Nigeria.

La volonté marocaine de se rapprocher des pays du Sahel a déjà été évoquée. De même la relation très développée du Maroc avec le Sénégal peut constituer un point d'appui au moment où le Sénégal souhaite réaffirmer sa souveraineté et réviser ses partenariats. Dans cet ordre d'idées, un format « 3 +3 » France-Espagne-Portugal / Maroc-Mauritanie-Sénégal pourrait être lancé pour traiter de multiples sujets d'intérêt commun (pêche illégale, migrations, lutte contre le terrorisme, contre le trafic de drogue, etc...).

Par ailleurs, à la suite de la visite présidentielle, l'AFD travaille également sur son positionnement au Sahara occidental. L'agence prévoit en particulier de soutenir la projection du Maroc en Afrique subsaharienne via des partenariats avec l'Office chérifien des phosphates (OCP). La production d'engrais vert et d'hydrogène vert est ainsi envisagée pour les prochaines années. Le Maroc dispose en effet de gisements d'énergies renouvelables parmi les plus importants du monde. Il s'agit de l'ensoleillement, mais surtout du vent, puisque le rendement des éoliennes atteint 70 à 80% dans certaines régions, c'est-à-dire un fonctionnement au maximum de leurs capacités pendant 70 à 80% du temps, l'un des meilleurs au monde. L'AFD soutient également les projets marocains de développement des filières agricoles dans les pays d'Afrique de l'ouest, comme la noix de cajou en Côte d'Ivoire ou le maïs au Bénin. Elle entretient aussi un partenariat avec l'Agence nationale des eaux et forêts marocaine pour mettre en oeuvre des projets de conservation de la forêt dans le bassin du Congo.

Grâce à ces projets, l'AFD envisage se projeter dans des pays d'Afrique subsaharienne en s'appuyant sur le Maroc, ce qui constituerait pour l'agence une modalité nouvelle et originale d'intervention et permettrait sans doute de diminuer certaines critiques actuelles à l'encontre d'une aide au développement jugée trop « occidentale ».

Valoriser la relance du partenariat franco-marocain en s'appuyant sur la capacité grandissante du Maroc à se projeter en Afrique de l'Ouest dans le domaine économique. Lancer des projets conjoints dans la région, mis en oeuvre le cas échéant par l'AFD. Mettre en place une nouvelle coopération en format 3+3 France-Espagne-Portugal / Maroc-Mauritanie-Sénégal pour traiter les nombreux sujets d'intérêt commun.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 29 janvier 2025, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport d'information M. Ronan Le Gleut, Mme Marie-Arlette Carlotti et M. François Bonneau, rapporteurs : « l'architecture de sécurité africaine et le renouveau des relations de la France avec les pays africains ».

M. Cédric Perrin, président. - Je vous propose d'aborder à présent le rapport d'information sur l'architecture de sécurité africaine et le renouveau des relations de la France avec les pays africains.

M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, je voudrais d'abord brièvement rappeler les modalités d'élaboration de ce rapport sur la question de l'architecture de paix et de sécurité en Afrique et sur l'évolution de nos relations avec les pays du continent.

Des déplacements ont été organisés dans cinq pays africains. Marie-Arlette Carlotti, Jean-Luc Ruelle et François Bonneau se sont ainsi rendus au Kenya et au Rwanda, Pascal Allizard et Alain Joyandet au Maroc et enfin Patrice Joly et moi-même au Gabon et en Afrique du Sud. En revanche nous n'avons pas pu nous rendre au Sénégal comme initialement prévu.

Ces cinq pays étaient très complémentaires pour cerner les enjeux de notre sujet : certains sont francophones, d'autres anglophones, certains sont des pays quasi émergents, d'autres des pays à revenu plus faible. Cette diversité permet d'éviter un écueil : considérer l'Afrique comme un tout uniforme alors que ce continent compte 54 pays. Imaginerait-on de rénover les relations franco-asiatiques ou franco-américaines ?

Au début du premier mandat de l'actuel Président de la République, une nouvelle approche de nos relations avec les pays africains avait été annoncée. Elle visait à nouer davantage de liens avec les sociétés civiles et les diasporas, à régler des sujets de « mémoire », à privilégier le « soft power ».

L'idée était aussi de profiter des opportunités économiques offertes par les pays anglophones tels que le Kenya, le Nigeria ou l'Afrique du Sud et en même temps de « démilitariser » notre image sur le continent pour conjurer sa dégradation.

Force est de reconnaître que cela n'a pas fonctionné. Je ne m'étends pas sur le volet « soft power », qui a connu des difficultés, par exemple avec l'Algérie ou le Sénégal sur les questions de mémoire. Sur les aspects économiques, l'idée de se tourner vers le Kenya, l'Éthiopie ou le Nigeria n'était pas non plus une solution miracle, compte tenu de l'état des finances, des problèmes de corruption ou des conflits dans ces pays.

Mais surtout, la question de la présence militaire n'a pas été correctement gérée et nous y avons laissé beaucoup de plumes. D'abord, l'opération Barkhane a sans doute duré trop longtemps, même s'il était difficile de trouver une bonne porte de sortie. Il n'empêche que le fiasco diplomatique final n'est pas dû qu'à la Russie et à l'ingratitude des pays du Sahel. Notre diplomatie, en partie faute de moyens, n'a jamais été en mesure de capitaliser sur les succès militaires réels de Barkhane.

Surtout, la manoeuvre de déflation des bases militaires au Sénégal, en Côte d'Ivoire et au Gabon nous aura finalement coûté beaucoup en termes d'image et d'influence.

Il faut rappeler que c'est la France qui a pris cette initiative. L'idée était qu'il risquait d'y avoir une sorte de contagion du Sahel et donc d'anticiper, en proposant nous même une réduction des effectifs, pour redescendre à une centaine d'hommes dans chacune des deux bases au Sénégal et au Gabon et un peu plus en Côte d'Ivoire. Finalement, non seulement nous avons donné l'impression d'avoir été chassés du Sénégal et de Côte d'Ivoire, mais nous avons dû en outre quitter le Tchad, où nous avions pourtant soutenu la transition, ce qui nous a beaucoup coûté en termes d'image sur le continent.

Déjà, avoir le même plan dans les trois pays était sans doute une erreur. Seule la situation au Sénégal a été finalement correctement évaluée, car la nouvelle équipe dirigeante tenait un discours souverainiste et opposé aux présences militaires étrangères. Mais au début, aussi bien dans ce pays que dans les deux autres, les dirigeants civils et militaires étaient plutôt mécontents d'entendre que, pour mieux répondre à leurs demandes de coopération, on allait commencer par diviser notre présence par trois ou quatre !

Par ailleurs, cette réforme va avoir trois conséquences négatives.

D'abord, la diminution de nos capacités de formation et de coopération. Avec ces effectifs réduits, il ne sera plus possible de former comme aujourd'hui environ 10 000 militaires africains par an au Gabon, dont 40 % venus d'autres pays d'Afrique centrale, ni 7 000 militaires au Sénégal. Cela ne sera pas compensé par la modeste hausse en cours des effectifs invités dans les écoles en France ni par l'ouverture de nouvelles structures de formation dans les bases restantes, comme nous l'avons vu au Gabon. C'est pourquoi il est contradictoire d'affirmer à nos partenaires que nous allons à la fois réduire la voilure et faire davantage de coopération. Ils ne pourront qu'être déçus.

Ensuite, cette réduction rendra presque impossible deux types d'intervention. D'une part, celles pour évacuer nos ressortissants en cas de crise. Ainsi la réussite de l'opération Sagittaire est liée à la présence de la base de Djibouti, qui a permis de mettre en place des rotations aériennes vers Khartoum. D'autre part, d'éventuelles interventions conjointes avec nos partenaires pour repousser une offensive djihadiste, ce qui reste un vrai danger actuellement dans le golfe de Guinée. Ainsi, le déclenchement de l'opération Serval en 2013 avait été permis par la présence des unités prépositionnées au Tchad, en Côte d'Ivoire et au Sénégal.

Enfin et surtout, le retrait des bases a des implications géopolitiques très lourdes pour notre pays. Ces implantations militaires et ces capacités d'intervention faisaient partie des éléments qui font de la France une « puissance moyenne de rang mondial », selon l'expression de l'ancien ambassadeur Michel Foucher. Cela va de pair avec notre siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU et avec le rôle incontournable que nous y jouons sur les questions de sécurité en Afrique en « tenant la plume » des résolutions, ou encore avec le fait que le poste de Secrétaire général adjoint des opérations de paix est attribué à un Français. De même, ces capacités militaires françaises nous valaient d'être nation-cadre pour les interventions européennes en Afrique. Nos partenaires européens appréciaient d'ailleurs notre capacité à contribuer à l'évacuation de leurs ressortissants. Quant aux États-Unis, il y avait une sorte de répartition géographique des champs de compétences entre eux et nous, et en conséquence un échange de renseignement sur les sujets d'intérêts communs. Tout ceci est aujourd'hui remis en cause.

Par ailleurs, alors que nous sommes dans un contexte mondial de plus en plus multipolaire et concurrentiel, il est clair que nous faciliterons grandement la tâche de la Chine et de la Russie en quittant nos implantations : ces deux pays n'ont pas de base militaire sur l'Atlantique pour le moment, mais la Chine au moins cherche à en installer une.

Il s'agit désormais de limiter les conséquences de ces événements. Nous préconisons pour cela de tout faire pour rassurer nos partenaires, et d'abord le Gabon, sur notre volonté de continuer à coopérer de manière efficace, que ce soit pour la formation ou le soutien capacitaire. Ensuite, il convient de renforcer nos missions de défense auprès des pays du golfe de Guinée. Cela peut passer par la nomination d'un attaché de défense pour chaque armée, terre, air et Marine, car nos partenaires sont moins organisés au niveau interarmées. Un attaché spécialisé de marine serait ainsi utile pour le Gabon ou le Cameroun au vu des problématiques du golfe de Guinée ou encore un attaché « air » pour la Côte d'Ivoire, qui souhaiterait se doter d'une aviation de chasse. Les moyens dégagés par la réduction des bases devraient permettre une telle réforme.

Nous perdons donc de l'influence en Afrique. Mais cette situation doit aussi être regardée de manière plus large, à l'échelle mondiale. Depuis une vingtaine d'années, nous avons été en partie rattrapés par toute une série de pays émergents qui ont connu une croissance économique plus forte que la nôtre. Ces pays, devenus des puissances moyennes, tendent à exercer cette puissance nouvelle sur le continent africain. C'est ainsi que se multiplient les sommets bilatéraux Russie-Afrique, Inde-Afrique, Brésil-Afrique, et même Corée du Sud-Afrique. Les puissances du Moyen-Orient, comme la Turquie, les Émirats arabes unis ou l'Arabie Saoudite font la même chose. Du point de vue africain, ce n'est pas forcément une évolution positive, car cela peut créer de nouvelles dépendances. Pour la France, c'est d'autant plus de concurrence, et donc un déclin relatif, car nous sommes forcément « dilués ».

Il faut l'accepter, mais sans naïveté et sans complexes. Ces pays aussi pourraient être accusés tôt ou tard de néocolonialisme. La Chine l'est déjà à cause de la dette ; la Turquie essuie les premières critiques, tout comme les Émirats arabes unis ou la Russie. Face à ces pays, nous gardons des atouts, et notamment le capital de tous les échanges culturels et éducatifs construits au fil des décennies, la francophonie et aussi les dizaines de milliers de Français installés en Afrique, qui y vivent et y travaillent chaque jour. Encore faut-il le faire valoir auprès de nos partenaires africains, et pour cela il est nécessaire de continuer à renforcer notre diplomatie. Il faut également mieux traiter la question des visas, en favorisant des pays-clefs pour notre présence actuelle, comme Djibouti ou le Gabon. C'est un levier majeur.

Je voudrais enfin souligner un élément relatif à notre aide au développement, à savoir le manque de retombées pour la France de notre aide aux pays émergents. Nous avons pu observer la mise en place du projet « Just energetic transition », ou JET, en Afrique du Sud, financé massivement par la France. Notre pays s'est engagé à fournir 1 milliard d'euros sur cinq ans. L'Afrique du Sud est le 15ème émetteur mondial de gaz à effets de serre, avec son mix énergétique « tout charbon ». Du point de vue de l'intérêt général, ce projet a donc du sens. Mais tout cet engagement ne débouche pas sur des gains stratégiques dans nos relations bilatérales avec l'Afrique du Sud. L'ANC, qui reste le premier parti de gouvernement dans le pays, voit toujours la France comme un État plus ou moins néocolonial hostile au « Sud global » qu'elle défend. Le nouvel élan donné récemment aux « BRICS + » s'inscrit dans cette attitude d'hostilité à l'Occident. Et si notre aide au développement n'a pas d'impact politique sur l'Afrique du Sud, je ne pense pas qu'elle en ait davantage sur la Chine ou sur la Turquie. Il est donc temps de revoir ses priorités.

Mme Marie-Arlette Carlotti. - Monsieur le président, Mes chers collègues, face à la situation que vit la France en Afrique, le Président de la République a voulu diversifier les relations avec les pays africains dans le cadre de ce qui a été baptisé « agenda transformationnel ».

Mais cela a eu des résultats jusqu'à ce jour assez limités. Les projets engagés dans le domaine de la culture, du sport, de la formation professionnelle ou de l'entrepreneuriat se sont limités à maintenir des liens avec les sociétés civiles africaines. Le travail de mémoire, s'il a posé des jalons pour l'avenir, n'a pas été un plein succès. Certes les relations avec le Rwanda se sont améliorées, grâce au rapport de la commission Duclert, reconnaissant la part de responsabilité de la France, si bien que nous sommes aujourd'hui les meilleurs amis de Kagamé.

Mais jusqu'alors rien n'y a fait pour débarrasser la France de sa réputation d'arrogance, bien au contraire. Selon nous, cette situation est due à une « personnalisation » excessive des relations diplomatiques avec l'Afrique. Lorsque la France veut peser davantage dans l'Indopacifique, le Président de la République se rend au sommet du forum de Coopération économique pour l'Asie-Pacifique (APEC). Lorsque nous voulons améliorer notre image en Afrique, Paris organise un sommet France-Afrique auquel nous « convoquons » les chefs d'État africains pour leur délivrer la bonne parole. Tous les chercheurs que nous avons auditionnés nous ont dit qu'il y avait : « un problème avec la parole sur l'Afrique » et « qu'aucun Président de la Vème République n'a pu se départir d'une forme de paternalisme arrogant ».

Les discours ex cathedra, qui se veulent tous fondateurs sur la relation franco-africaine, se multiplient et sont désormais perçus comme arrogants, quel que soit le contenu du message. Ils émanent tous d'une seule source, d'un seul canal de communication : l'Élysée. Et chaque faux pas devient un incident diplomatique. La multiplication des maladresses a sapé les efforts de rapprochement avec nos partenaires. Or il y en a eu beaucoup au cours des dernières années, de la blague sur le Président Kaboré à Ouagadougou à la convocation des chefs d'État africains à Pau.

Nous préconisons donc de rendre toute sa place à notre diplomatie, à la parole de nos ambassadeurs, aux acteurs des relations internationales, aux Parlementaires et, pourquoi pas, au ministre des Affaires étrangères.

Le deuxième aspect qui a ruiné les efforts de renouveau, c'est la poursuite de l'opération Barkhane. L'aspect militaire appelle peu de commentaires : nos armées ont obtenu des succès tactiques unanimement reconnus. Et il faut leur rendre hommage. Ce fut donc, non pas un échec militaire, mais bien un échec politique : celui de ne n'avoir pas su partir à temps et de n'avoir pas cherché des solutions alternatives à ces conflits extrêmement meurtriers.

Car la France, et l'ensemble de ses partenaires, se sont trompés sur l'analyse des causes du conflit, en les ramenant au seul terrorisme international. Alors qu'il s'agissait d'un phénomène enraciné localement, alimenté par l'abandon ou la prédation des États, par les exactions des armées régulières et par l'extrême pauvreté.

L'approche dite « 3D » a été un fiasco. L'aide publique au développement aurait pu contribuer à lutter contre les causes profondes du conflit, mais certainement pas dans le temps court de l'action militaire. Pire, pour les ONG, se mettre dans les pas de l'armée était un non-sens extrêmement dangereux.

Après les putschs au Sahel, la réaction de la France a été d'arrêter soudainement toute coopération, ce qui est apparu comme une punition des populations plus que des dirigeants putschistes.

Nous avons cru pouvoir nous servir de l'aide au développement comme d'une arme. Nous avons assisté à l'effacement de la diplomatie française au profit du sécuritaire. Ce fut là une double erreur.

Nous plaidons pour un rééquilibrage en faveur de notre diplomatie. Elle a manqué de moyens, de personnel et de capacité pour lutter contre la désinformation, contre les accusations fantaisistes alimentées par les trolls russes, nouveaux soldats de la guerre hybride, et par les diatribes anti-occidentales des influenceurs qui en ont fait leur fonds de commerce.

Mais des faits précis nous sont aussi reprochés. Notre interventionnisme militaire, nous l'avons vu à propos de Barkhane ou de l'implantation de nos bases. Je n'y reviens pas. Le franc CFA fait toujours l'objet de multiples critiques, 75 ans après sa création. Instrument de stabilité pour les uns, vestige colonial lié aux élites pour les autres. Pour certains, son existence même prouve que le processus de décolonisation n'a pas été achevé. Une réforme est en discussion depuis en 2019, mais elle n'est toujours pas actée par les chefs d'État africains eux-mêmes. La question qui se pose est, non pas pour ou contre le franc CFA, mais de quelle monnaie les pays africains ont-ils besoin pour transformer leurs économies et leurs sociétés ?

La question des visas reste un irritant majeur, elle engendre d'énormes frustrations à l'égard de la France, particulièrement parmi les jeunes. Une réforme est en cours sur la base du rapport Hermelin. Mais si l'on veut engager une relation renouvelée avec l'Afrique, il faudra revenir à une politique des visas plus souple.

Nous sommes accusés de « double standard » à l'égard des gouvernances africaines. En effet, on condamne le pouvoir militaire au Mali, mais on l'accepte au Tchad. Au fil du temps, le double langage nous a fait perdre beaucoup de crédibilité.

La France prétend soutenir les démocraties, mais elle n'est pas toujours regardante quant à la gouvernance de quelques autocrates. Car concilier principes fondamentaux et intérêts de la France relève parfois de la gageure.

Certes, Emmanuel Macron a compris qu'il fallait s'adresser à la jeunesse et à la société civile. Mais il a continué à se ranger aux côtés des représentants de la « Francafrique », les vieux dinosaures ou de leurs successeurs dynastiques. Souvent au nom d'une stabilité illusoire, car nous avons trop souvent appelé « stabilité » ce qui n'était en fait qu'un statu quo dont les populations ne voulaient plus.

Au Tchad, par exemple, notre pari a été clairement perdant. En revanche nous avons su être un peu plus perspicaces au Gabon.

Alors que les combats meurtriers continuent à l'Est de la RDC, que le soutien du Rwanda au M23 est désormais avéré et documenté, la France devrait davantage agir pour la paix. Or je la trouve très silencieuse.

Nous l'avons déjà dit dans notre rapport, suite à notre déplacement dans ce pays, dans lequel nous préconisions d'adopter une approche plus « mesurée » vis-à-vis du Rwanda.

Certes, le Rwanda a un outil militaire efficace, peut-être utile dans le règlement de certaines crises régionales, mais son agenda économique et géopolitique est expansionniste et déstabilisateur.

Beaucoup nous reprochent de trop insister sur les principes démocratiques et les valeurs humanistes. La France doit rester fidèle à ses valeurs, au respect des droits humains, du droit des peuples et de l'universalisme. Mais nous devrions nous attacher davantage au contenu de la démocratie plutôt qu'au suivi formel des étapes standard de la transition et à l'exigence d'un calendrier électoral. Le défi est donc le suivant : ne pas imposer une tradition « européocentrée » perçue comme néocoloniale, mais porter une plus grande attention à la réalité des aspirations populaires.

Pour cela, il faut s'appuyer autant que possible sur les mouvements et sur les réflexions démocratiques endogènes, comme le suggèrent notamment les travaux d'Achille Mbembe, que mes collègues ont rencontré en Afrique du Sud et qui a créé une fondation de l'innovation pour la démocratie à la suite du sommet de Montpellier en 2021.

Les nouvelles générations ne veulent plus des effets nocifs de la dépendance. Elles veulent tisser avec le reste du monde des relations qui libèrent et pensent que la Russie ou la Chine vont leur permettre de rompre avec le passé. La société civile africaine a changé et nous n'avons pas compris qu'une époque s'achevait à nos dépens. Nous préconisons donc de condamner tout changement inconstitutionnel, mais de ne plus imposer de conditionnalités, notamment en matière d'aide publique au développement.

Premièrement, les modalités de notre aide au développement sont aussi très critiquées. On leur reproche d'imposer des programmes technocratiques standardisés et on suppose un agenda caché à notre profit. Pour sortir de cette situation, il ne suffira pas de rebaptiser l'aide en « partenariat solidaire ».

Il faut vraiment basculer dans une approche partenariale, avec des programmes beaucoup plus souples, où l'on réserve au partenaire africain une réelle marge de manoeuvre, ce qui n'est pas le cas.

Deuxièmement, l'autre reproche qui est fait à la France, mais aussi à l'Occident dans son ensemble, est l'inégalité des échanges commerciaux et le fait que les investissements directs dans les pays africains ne leur profitent pas assez. En effet, une bonne partie de l'Afrique reste essentiellement exportatrice de matières premières et importatrice de produits finis, ce qui l'empêche de se développer et la rend extrêmement sensible aux fluctuations des prix mondiaux.

Nous préconisons de soutenir davantage la mise en oeuvre de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) en évitant les accords commerciaux séparés, car la ZLECAf a un gros potentiel pour relocaliser la valeur ajoutée au sein du continent.

Accepter que les pays africains aient le droit de diversifier leurs relations et de choisir leurs partenariats, de décider de la ligne politique et économique qu'ils veulent suivre, éviter les prises de paroles condescendantes depuis l'Élysée, mettre fin au double standard : telles sont quelques-unes de nos recommandations pour changer notre approche en Afrique et enrayer la spirale de la dégradation de l'image de la France. N'abandonnons pas l'Afrique, mais trouvons un chemin entre renoncement et acharnement.

M. François Bonneau. - Monsieur le président, mes chers collègues, la France a indéniablement subi une séquence très défavorable en Afrique de l'Ouest ces dernières années.

Au Sahel, la Russie s'est quasiment substituée à notre pays en matière d'action militaire. Son intervention a combiné opérations de désinformation et puissance militaire via le groupe Wagner, constituant ainsi un bel exemple de guerre hybride. La coopération entre la Russie et le Mali est encore en pleine évolution. La Russie a des difficultés pour remplacer Wagner par l'Africa Corps, ayant été incapable de déployer le contingent promis au 1er janvier 2025. Par ailleurs, un énorme convoi de véhicules russes est arrivé au Mali le 17 janvier depuis des cargos ayant abordé en Guinée.

Toutefois la poussée de la Russie au Mali et plus largement dans le Sahel n'est pas inexorable. Wagner a subi des défaites face aux groupes armés. Les négociations avec les Maliens sont difficiles, peut-être encore plus après la chute de Bachar el-Assad, qui montre que Moscou n'est pas une assurance-vie parfaite. En outre, il faut se souvenir que le Mali est en réalité toujours resté proche de la Russie : ce que l'on observe n'est donc pas une totale nouveauté.

Par ailleurs, la Russie est loin d'être le seul pays qui avance ses pions en Afrique. C'est là l'un des enseignements de notre rapport, déjà évoqué par mes collègues : de nombreux pays font des offres de coopération aux pays africains, mais ont parfois aussi un rôle déstabilisateur. Les puissances du Moyen-Orient sont ainsi très actives : Turquie, Israël, mais aussi Arabie Saoudite et Iran. Les Émirats arabes unis sont également en plein essor, de manière souvent problématique à la fois pour la paix et pour nos intérêts. Le soutien de ce pays au général Hemetti au Soudan via des matériels qui passeraient par le Tchad non seulement entretient le conflit, mais est aussi l'une des causes de notre rupture avec Ndjamena.

Plusieurs de ces pays sont donc susceptibles d'alimenter des conflits déjà très nombreux sur le continent. Ces conflits sont une entrave majeure au développement, puisqu'à cause d'eux la croissance économique est freinée, des millions de personnes sont forcées à l'exil, comme on le voit actuellement au Soudan ou en RDC, et des milliers d'écoles restent fermées alors que le défi de l'éducation de la jeune génération est immense.

Quelles que soient les critiques faites à son encontre, la France a tenté de combattre au Sahel des groupes terroristes qui constituent l'une des principales menaces contre les populations. Or dès le début de l'opération Barkhane, la France a encouragé la formation d'une force autonome des cinq états du Sahel, le G5 Sahel, afin que ces pays puissent prendre en main leur sécurité. La France n'est toutefois pas parvenue à faire mandater le G5 Sahel par l'ONU, ce qui n'a pas permis de lever le problème crucial du financement de sa force conjointe. Celle-ci n'a ainsi été en mesure d'effectuer aucune opération d'ampleur contre les djihadistes avant les putschs qui ont signé sa fin.

Il faut dès lors s'interroger sur l'avenir de cette idée d'une sécurité collective assurée par les États africains eux-mêmes, en particulier via l'architecture de paix et de sécurité de l'Union africaine (APSA).

Il faut souligner au préalable que les autres modes de maintien de la paix ont des inconvénients majeurs. D'abord, les opérations de maintien de la paix de l'ONU sont en perte de vitesse. Certaines opérations du passé ont certes réussi à mettre fin à des crises ou à conduire à des transitions politiques et elles ont globalement permis d'épargner de nombreuses vies humaines. Toutefois, le bilan des dernières grandes interventions est plus que mitigé, que ce soit la MINUSMA au Mali, la MINUSCA en RCA ou la MONUSCO en RDC. Les obstacles sont nombreux : mandats insuffisamment robustes pour protéger efficacement les civils, absence d'accord à faire respecter entre les belligérants, qualités insuffisantes des troupes fournies par les États membres... Des abus sexuels commis au cours de certaines missions ont beaucoup dégradé l'image des Nations Unies. Les relations conflictuelles avec les gouvernements des pays où se déroulent les missions sont devenues très fréquentes. Le fait que ces missions s'éternisent les transforme aussi en cibles faciles pour des campagnes de dénigrement instrumentalisées par certains acteurs. Pour garantir une meilleure acceptation de ces missions, de nouvelles réformes seraient donc nécessaires, que notre pays se doit de soutenir, ce qui suppose de leur confier des mandats plus réalistes et mieux assumés par les contingents des pays concernés.

Une deuxième solution possible est de s'en remettre à des puissances régionales disposant de moyens militaires suffisants pour contribuer à la sécurité dans leurs régions respectives. Le Rwanda joue actuellement un peu ce rôle en intervenant dans de nombreux pays : il est le plus gros fournisseur de troupes pour les opérations de maintien de la paix en proportion de sa population. Il intervient également dans le cadre d'accords bilatéraux en République centrafricaine ou encore au Mozambique où il a combattu avec succès les Chebabs. Il a même signé un accord militaire avec le Bénin. L'envers de cet activisme, déjà évoqué par ma collègue Marie-Arlette Carlotti, c'est bien entendu ce qui est en train de se passer en RDC et qui s'est encore accéléré cette semaine avec l'entrée des troupes du M23 dans Goma. Ainsi, seule la sécurité collective peut constituer une solution durable pour faire avancer la paix sur le continent et instaurer des « solutions africaines aux crises africaines ».

L'Union africaine a donc développé toute une « architecture de paix et de sécurité », l'APSA, avec un Conseil de paix et de sécurité, un système continental d'alerte rapide et une force africaine en attente formée des contingents des Communautés économiques régionales telles que la CEDEAO à l'Ouest ou la SADC au Sud. Depuis l'an 2000, 38 opérations de paix dirigées par des organisations africaines ont été déployées dans 25 pays, avec parfois quelques résultats, comme au Liberia, en Guinée-Bissau, au Lesotho ou encore en Gambie. Ces opérations sont plus souples et plus rapides à mettre en place que celles des Nations Unies. D'autres types d'opérations, validées ou non par l'Union africaine, s'y sont ajoutés hors du cadre institutionnel de l'APSA pour affronter des insurrections transfrontalières, comme la force multinationale mixte contre Boko Haram ou le G5 Sahel.

Le bilan global de la contribution de ces organisations régionales à la paix et à la sécurité sur le continent est cependant très décevant. Leur efficacité reste limitée, pour deux raisons principales.

D'abord, leur financement dépend essentiellement de la communauté internationale. La Facilité européenne pour la Paix (EPF) fournira ainsi 5 milliards d'euros à l'Union africaine pour la période 2021-2027.

En second lieu, les États sont souvent trop jaloux de leur souveraineté pour accepter les interventions collectives.

De fait, les organisations régionales peinent encore à intervenir de manière décisive dans les conflits majeurs, comme le montre l'échec récent de la CEDEAO face au coup d'État au Niger ou encore l'absence totale de réaction à la guerre civile éthiopienne, qui a fait des centaines de milliers de morts. Un autre exemple est la mission de la communauté des États d'Afrique australe, la SADC, en RDC, qui semble assez mal préparée.

Au total, les organisations régionales africaines ont encore un long chemin à parcourir.

En attendant, il reste nécessaire de les consulter systématiquement sur les sujets de paix et de sécurité afin de marquer notre souhait de les voir monter en puissance.

Il existe par ailleurs des raisons d'espérer, du fait de l'adoption de la résolution 2719 du Conseil de sécurité de l'ONU en novembre 2023. Celle-ci prévoit en effet la possibilité d'une contribution directe de l'ONU aux opérations de soutien à la paix menées par l'UA, pouvant aller jusqu'à 75 % de leur budget annuel. La France a beaucoup plaidé pour l'adoption de cette résolution.

Il nous semble ainsi nécessaire d'oeuvrer pour une première utilisation de cette résolution 2719. Deux conflits paraissent être des candidats idéaux : d'une part, la guerre civile au Soudan. D'autre part, le conflit dans le nord-est de la RDC, où la mission de la Communauté des États d'Afrique australe, sous la direction de l'Afrique du Sud, semble pour le moment avoir aucun d'effet sur le déroulement des événements.

Dès 1967, l'intellectuel kenyan Ali Mazrui avait publié un livre intitulé Towards a Pax Africana, Vers une pax africana, défendant l'idée que les Africains doivent être responsables de la paix et de la sécurité sur leur continent. Cette notion a profondément influencé le meilleur de la pensée panafricaine et s'avère encore d'actualité aujourd'hui. La France a été certes été contrainte de mettre fin à la partie la plus visible de son action directe en faveur de la sécurité sur le continent. Mais elle peut continuer à fournir des aides ciblées à ses partenaires, tout en soutenant fortement cet objectif de « pax africana » collective pour les décennies à venir.

M. Cédric Perrin, président. - Merci pour votre remarquable travail. Le report de sa présentation a permis d'approfondir l'analyse dans un contexte d'évolution constante de la situation.

Concernant le budget, nous avons réussi à atténuer les coupes prévues dans le domaine de la diplomatie, initialement de 42 millions d'euros. Des amendements ont permis de maintenir certains crédits, notamment pour le SGDSN. Nous avons également obtenu le transfert de 2 millions d'euros des agences indépendantes vers le SGDSN, soulignant l'importance de cette mission. Les débats de la semaine dernière ont été enrichissants sur ces questions budgétaires.

M. Rachid Temal. - Merci pour la qualité de ce rapport. Je souhaite aborder plusieurs points concernant notre stratégie en Afrique. J'observe que les positions françaises en Afrique ont clairement reculé entre 2017 et aujourd'hui. Cela représente l'un des principaux échecs de la double mandature du Président actuel. Nous devons développer des stratégies spécifiques pour chaque État, au-delà d'une approche globale. Concernant notre présence ministérielle, il faut envisager d'impliquer non seulement le ministre des Affaires étrangères, mais aussi des ministres ou secrétaires d'État spécialisés par zone.

Je voudrais également attirer l'attention sur la situation en République démocratique du Congo. Ce pays représente quatre fois la superficie de la France et il est le premier pays francophone au monde. Un rapport des Nations Unies démontre clairement que le M23, responsable de violences et de pillages, est armé et financé par l'armée rwandaise. Le Rwanda est également directement présent dans l'est de la RDC.

Dans ce contexte, il est paradoxal que l'Union européenne finance l'armement de l'armée rwandaise via une convention. Nous devrions demander la suspension de cet accord.

M. Roger Karoutchi. - Je rappelle qu'il y a trois ans, nous avions déjà alerté le Gouvernement sur le fait que la France perdait son influence en Afrique. Le ministre de la Défense m'a alors objecté qu'au contraire, nos positions s'y renforçaient. Notre approche en Afrique a été erronée depuis des années. Sous la période De Gaulle et Pompidou, les dirigeants africains étaient formés par la France, francophones et francophiles. La situation a commencé à basculer sous Giscard d'Estaing. Avec l'arrivée de Mitterrand au pouvoir, nous avons mis fin à la « Françafrique » sans pour autant mettre fin au paternalisme néocolonialiste ni adapter notre stratégie sur le continent. Nous n'avons pas su nous adapter à la nouvelle génération de dirigeants africains, qui n'étaient plus formés par la France. Nous aurions alors dû passer à une influence culturelle, philosophique et idéologique, mais nous avons continué comme précédemment, maintenant une présence militaire et une approche qui n'était plus adaptée.

Nos erreurs incluent la réduction des moyens pour les médias francophones en Afrique, le manque d'investissement dans les lycées français et les centres culturels. Nous aurions dû passer à un échange culturel, économique et diplomatique renforcé.

Le résultat est que les jeunes Africains ne sont plus francophones et rejettent la France. Nous avons été supplantés par les médias russes et chinois, qui nous dépeignent comme des colonialistes. Il faut repenser entièrement notre politique africaine, nos relations avec les dirigeants et les peuples africains. Nous devons passer d'un lien entre dirigeants à un lien entre peuples. L'arrogance et la condescendance vis-à-vis des chefs d'états africains et des dirigeants africains en général n'est pas la bonne solution et ne grandit pas l'image de la France.

Concernant l'aide au développement, il serait plus judicieux de concentrer nos efforts sur les pays francophones, plutôt que d'investir dans des pays où nous n'avons pas d'influence historique. Le financement de 1 milliard d'euros de l'AFD en Afrique du Sud n'est ainsi pas opportun.

M. Olivier Cadic. - Il fallait assister au 30ème anniversaire du génocide à Kigali pour mieux comprendre la situation avec le Rwanda. Ayant visité la région du Kivu avant le génocide, je connais bien ce problème. Il y a des génocidaires dans les rangs de l'armée de la RDC, et la crainte d'un nouveau génocide est réelle. Il faut écouter les deux côtés et connaître le dossier en profondeur.

À écouter certains d'entre vous, la France aurait toujours tort, mais la réalité est plus complexe. Notre difficulté réside dans notre vision. Si nous soutenons les démocraties, pourquoi ne les protégeons-nous pas ? Par exemple, au Burkina Faso, après l'élection démocratique de Roch Kaboré, pourquoi n'avons-nous pas agi pour empêcher le coup d'État militaire, puisque nous protégeons les démocraties ? Vladimir Poutine, lui, est prêt à soutenir les régimes militaires. Nous affirmons soutenir la démocratie, mais nous n'agissons pas pour la protéger. Pendant ce temps, Wagner agit ouvertement et ne se contente pas de changer les gouvernements : Wagner menace nos entreprises en Afrique. J'ai constaté en RDC que Wagner a incendié une usine Castel, tout en développant sa propre activité concurrente. Leur stratégie vise à nous faire perdre nos marchés.

Concernant la désinformation, nous rencontrons les mêmes difficultés que les Nations Unies, notamment sur la question de la démocratie. Notre position sur le Somaliland est totalement inaudible, alors qu'il s'agit d'un pays de facto indépendant, avec sa propre armée et sa propre monnaie. La Chine et la Turquie soutiennent la Somalie face au Somaliland démocratique, sans que nous intervenions.

Malgré ces défis, la France connaît des succès en Afrique, notamment au Kenya, au Rwanda et en Tanzanie. L'organisation de notre action extérieure manque cependant de lisibilité, avec un certain parasitage entre l'Élysée et le Quai d'Orsay. Il est temps de clarifier nos structures d'intervention.

Je suis d'accord avec mon collègue Roger Karoutchi sur les marges de progrès possibles de l'AFD. Nous finançons encore des programmes qui bénéficient au développement de la Chine en Afrique, ce qui pose question. Même l'Élysée peine à piloter l'AFD dans ce domaine.

Je propose de nous concentrer sur de grands projets fédérateurs, comme l'Agence africaine du médicament. Les Africains meurent plus d'ingestion de faux médicaments que de maladie. Il faut donc lutter contre les faux médicaments. Nous pourrions les aider à mettre en place cette agence continentale ainsi que des agences nationales du médicament. Cela donnerait une image très positive de notre action.

M. Alain Cazabonne. - Vous n'avez pas mentionné les États-Unis dans votre intervention sur les acteurs étrangers en Afrique. Est-ce que cela signifie que ce pays n'intervient pas en Afrique ?

M. Akli Mellouli. - Je me réjouis du maintien des financements pour notre diplomatie, malgré la baisse de 37 % des crédits dédiés à l'aide au développement. Nous avons tenté de faire passer le taux de la taxe sur les transactions financières de 0,3 à 0,5 %, mais nous n'avons obtenu que 0,4 %. C'est paradoxale par rapport à nos ambitions.

L'AFD joue un double rôle, de banque et d'agence d'aide au développement. Il faudrait clarifier sur quel volet nous devons la réorienter.

La vraie question est de savoir si nous sommes capables de rivaliser avec nos concurrents et adversaires sur la scène internationale. Nous devons changer de paradigme et parler de coopération plutôt que de partenariat. La coopération implique des synergies et un travail différent, dans une logique gagnant-gagnant.

Je soutiens la demande de suspension de l'accord européen avec le Rwanda. Nous devons défendre fermement la paix et la justice internationale, quels que soient les auteurs des méfaits.

M. Patrice Joly. - Je partage les points soulevés précédemment. Concernant l'aide publique au développement, la réduction des crédits envoie un message contradictoire. Nous ne comprenons pas bien cette décision, alors que cette aide publique au développement constitue un outil important pour défendre nos valeurs et aider des populations qui souffrent parfois des décisions de leurs dirigeants.

Il est crucial de développer un partenariat spécifique avec l'Afrique du Sud, pays influent en Afrique australe et au sein des BRICS. Ce pays exprime une forme de contestation des valeurs occidentales et de l'impérialisme culturel, ce qui mérite notre attention. Mon expérience en Afrique du Sud m'a montré qu'il existait une certaine fascination de ce pays pour le boom économique de la Chine. Cependant, je n'ai pas perçu une préférence pour le régime politique chinois. Il est dans notre intérêt de maintenir des relations avec ce type de pays, compte tenu de son poids et de son potentiel. Nous pouvons avancer ensemble. De plus, sur ce territoire, l'intellectuel Achille Mbembe développe, avec la Fondation Démocratie financée en partie par la France, la diffusion des principes et valeurs démocratiques depuis l'Afrique. Son réseau, qui s'étend à travers l'Afrique, est un atout à cultiver.

M. Cédric Perrin, président. - Je rappelle que le choix que nous avons fait en sélectionnant ces six pays africains avait pour but d'élargir notre vision au-delà de nos destinations habituelles. Il est important de se rendre dans d'autres pays pour comprendre des perspectives différentes. De ce point de vue, je pense que notre mission a été réussie.

M. Rachid Temal. - Certes, je n'étais pas présent à Kigali pour le trentième anniversaire du génocide. Cependant, je m'appuie sur un rapport de l'ONU concernant l'implication de l'armée rwandaise dans l'est de la République démocratique du Congo. Je réaffirme qu'il est légitime de s'interroger sur nos actions et de demander la suspension de l'accord d'armement entre l'Union européenne et le Rwanda, compte tenu des morts et de l'exploitation illégale des ressources de la République démocratique du Congo par le Rwanda.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Je remercie mes collègues, pour leurs rapports lucides et politiques, qui contrastent avec les bilans habituels des rapports parlementaires du Sénat. La situation mérite cette approche. Je rejoins Roger Karoutchi sur l'idée d'un travail de prospective : que faisons-nous avec ces informations ? Pouvons-nous faire mieux ?

Concernant le Rwanda, la situation est complexe. L'exécutif français a réalisé un important travail mémoriel, contrairement à d'autres pays européens, comme la Belgique et le Royaume-Uni. Cependant, je partage l'inquiétude qui a été exprimée sur l'accord entre le Rwanda et l'Union européenne, alors qu'un pays sans ressources minières exporte des minerais potentiellement pillés dans un pays voisin. Dans ce contexte, nous devrions remettre en question nos accords de défense, notamment s'agissant de la fourniture d'armes. Il serait pour le moins incorrect de fermer les yeux sur l'achat de minerais pillés. Nous avons certes besoin du Rwanda pour sa capacité militaire, notamment dans des opérations de maintien de la paix, mais cela ne justifie pas d'ignorer ces problèmes. Cette situation mérite une attention particulière de notre commission.

M. Ludovic Haye. - Je remercie les rapporteurs et nos collègues pour leurs propos pertinents et complémentaires. J'insiste sur l'implication et l'image positive de nos armées depuis plusieurs décennies. Leur savoir-faire et leur engagement sur les théâtres africains sont reconnus mondialement. Nous devons en être fiers.

J'exprime deux regrets : d'abord, pour les promoteurs d'une défense européenne, dont je fais partie, la fin de certaines coopérations comme la Task force Takuba au Mali est regrettable. Ensuite, il est dommage que les pays ayant pacifié certaines zones ne soient pas ceux qui en bénéficient économiquement aujourd'hui.

Mme Marie-Arlette Carlotti. - Je rassurerai Olivier Cadic quant au fait que notre rapport cible les domaines prioritaires de l'aide au développement, notamment le soutien aux démocraties et aux institutions. Je souligne que la baisse des crédits de l'aide au développement envoie un signal négatif aux pays africains. L'AFD, créée comme un outil d'aide au développement, risque de devenir une simple banque, faute de moyens suffisants pour aider les pays les plus pauvres. Cette situation est regrettable et contraire à l'objectif initial de l'AFD.

M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Concernant la RDC et le Rwanda, il est crucial de noter que le Rwanda ne possède pas de coltan, un minerai stratégique pour les composants électroniques, alors qu'à l'inverse le Kivu détient 60 % à 80 % des réserves mondiales. Le Rwanda exporte pourtant du coltan.

S'agissant de la démographie africaine, la population d'Afrique subsaharienne a quintuplé entre 1960 et 2020, atteignant 1,52 milliard d'habitants, et devrait atteindre 2,5 milliards d'euros en 2050, alors que, dans le même temps, l'Asie, les Amériques et l'Europe font face à une dénatalité. Cette croissance démographique aura des conséquences considérables.

Enfin, la priorité des États-Unis concerne l'Indo-Pacifique, mais ce pays reste vigilant en Afrique face à la stratégie chinoise d'implanter une base militaire navale sur la côte atlantique africaine, notamment dans le golfe de Guinée. Pour préserver une forme d'équilibre des puissances, dès lors que les États-Unis sont présents dans le Pacifique, la Chine considère qu'elle doit être présente sur la façade atlantique.

M. François Bonneau. - Je souligne trois points importants. Premièrement, l'armée française est actuellement perçue négativement. Deuxièmement, l'avenir de la francophonie est en Afrique. Troisièmement, l'âge moyen des Africains, 19 ans, est une donnée fondamentale à prendre en compte. Au Niger, avant le coup d'État, les parlementaires étaient conscients du rôle de la France. La jeunesse nigérienne, bien que peu formée, est très connectée et reçoit des messages de nos contradicteurs. Nous devons nous adresser à cette jeunesse malgré les contraintes budgétaires.

Le rapport d'information est adopté à l'unanimité.

M. Olivier Cadic. - Concernant le sujet de notre responsabilité dans le génocide au Rwanda, je recommande d'écouter Rémi Maréchaux, notre ambassadeur à Kinshasa, et Antoine Anfré, notre ambassadeur au Rwanda. Tous deux proposent une perspective équilibrée sur la problématique à laquelle nous sommes confrontés. Ce sujet fait même l'objet de débats au sein du Quai d'Orsay.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Rémi Maréchaux, ambassadeur de France en Éthiopie (désormais en RDC)

Emmanuel Besnier, directeur adjoint de l'Afrique et de l'Océan indien, Ministère de l'Europe et des affaires étrangères

Colonel Laurent Vieillefosse, chef du département Afrique, et Colonel Guirec Fauchon, chef du département Afrique du Nord/Moyen Orient, Direction générale des Relations internationales et de la Stratégie, ministère des armées

Jean-Marie Bockel, Envoyé personnel du président de la République pour l'Afrique

Thierry Vircoulon, chercheur associé au Centre Afrique subsaharienne de l'institut français des relations internationales (Ifri), coordonnateur de l'Observatoire de l'Afrique centrale

Alain Antil, Directeur du Centre Afrique subsaharienne de l'Ifri

Sonia le Gouriellec, chercheuse, docteur en science politique, maîtresse de conférences à l'Université catholique de Lille, spécialiste de la Corne de l'Afrique

Maxime Audinet, chercheur « stratégies d'influence » à l'IRSEM, spécialiste de l'influence russe

Jonathan Guiffard, chercheur en relations internationales, expert associé défense et Afrique à l'Institut Montaigne

Elisa Domingues Dos Santos, chercheuse associée, Centre Afrique subsaharienne et Programmes Turquie / Moyen Orient de l'Ifri

Nyagalé Bagayoko, présidente de l'African Security Sector Network (ASSN)

Carole Roussy, directrice de recherche à l'institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), Université catholique de Lille

LISTE DES DÉPLACEMENTS DE LA MISSION

Kenya (avril 2024)

Rwanda (avril 2024)

Afrique du Sud (septembre 2024)

Gabon (septembre 2024)

Maroc (novembre 2024)


* 1 ACLED, 2024.

* 2 Selon l'expression de l'ancien ambassadeur Michel Foucher.

* 3 Voir Lise Lesigne et Alain Antil, Le voyage d'Emmanuel Macron en Afrique centrale, retour sur un exercice diplomatique difficile, Briefing de l'Ifri, 10 mai 2023.

* 4 Discours d'Emmanuel Macron à l'université de Ouagadougou, 28 novembre 2017.

* 5 À la suite des travaux de Jean-François Médard, dans L'État néo-patrimonial en Afrique noire, Paris, Karthala, 1991 ; voir aussi « Le Nigeria, incontournable géant de l'Afrique », rapport de groupe interparlementaire d'amitié du Sénat n° 87 - 26 novembre 2009, p. 15. Sur le cas kenyan, voir Alexia Van Rij, La corruption au Kenya. Décryptage d'un phénomène aux multiples facettes, Note de l'Ifri du 8 septembre 2021.

* 6 Voir Frederick Cooper, L'Afrique depuis 1940, Paris, Payot, 2008, et L'Afrique dans le monde. Capitalisme, empire, État-nation, Paris, Payot, 2015.

* 7 Ces oeuvres, incluant des statues royales, des trônes et d'autres objets de grande valeur culturelle et historique pour le Bénin, avaient été prises lors de l'expédition militaire de 1892 par les forces coloniales françaises.

* 8 Loi n° 2020-1673 du 24 décembre 2020 relative à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal.

* 9 Dans une interview à la chaîne algérienne Echorouk News, diffusée mardi 14 février 2017.

* 10 A la date du 25 septembre, jour d'hommage aux harkis et autres membres de formations supplétives dans la guerre d'Algérie, ou bien du 17 octobre 1961, à propos de la répression des travailleurs algériens en France.

* 11 Les membres français de la commission ont ainsi été reçus par le président de la République le 19 septembre 2024.

* 12 Tels l'épée, le burnous, le Coran, la tente et les canons de l'émir, la tente d'Ahmed Bey, la clé et les étendards de Laghouat, les canons, etc.

* 13 Voir notamment la réaction du porte-parole du gouvernement algérien, Ammar Belhimer, au journal algérien TSA le 8 février 2021, ou celle de l'Organisation des moudjahidine dans une vidéo publiée sur Youtube le 30 janvier 2021.

* 14 « La France, le Rwanda et le génocide des Tutsis (1990-1994), rapport remis au Président de la République par la commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsis, le 26 mars 2021.

* 15 Rapport précité, pp. 971-972.

* 16 Entretien à France 24 et RFI, le 17 mai 2021.

* 17 Discours du Président Emmanuel Macron depuis le Mémorial du génocide perpétré contre les Tutsis en 1994, le 27 mai 2021, sur le site de l'Elysée.

* 18 La nouvelle institution a son logo, sa directrice (la journaliste et réalisatrice Liz Gomis), quelques salariés et une partie de son budget mais attend toujours un arbitrage sur l'emplacement de ses locaux. La Monnaie de Paris est évoquée, mais ce choix est très contesté.

* 19 Le président de la République avait fait une plaisanterie à propos du président burkinabé un moment sorti de la salle en suggérant qu'il était « parti réparer la climatisation ».

* 20 Cf. ci-dessous la partie relative au « sentiment anti-français ».

* 21 Voir par exemple les rapports annuels de l'IISS, du SIPRI, ou encore le rapport Alert 2024 ! de l'Université autonome de Barcelone.

* 22 Eighteenth report of the Secretary-General on the threat posed by ISIL (Da'esh) to international peace and security and the range of United Nations efforts in support of Member States in countering the threat, 31 janvier 2024.

* 23 Résolution 2767 (2024) du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée le 27 décembre 2024.

* 24 Les ouvrages suffisamment généraux et récents sur ces conflits sont ainsi très peu nombreux en langue française. Voir par exemple Filip Reyntjens, La grande guerre africaine : instabilité, violence et déclin de l'État en Afrique centrale (1996-2006), Paris, Les belles lettres, 2012 ; en anglais, voir par exemple Gérard Prunier, Africa's World War, Oxford University Press, 2008, republié sous le titre From genocide to continental war, C Hurst & Co Publishers Ltd, 2009 ; René Lemarchand, The dynamics of violence in central Africa, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2009 ; plus récemment : Jasons K. Stearns, The war that doesn't say its name : the unending conflict in Congo, Princeton University Press, 2022.

* 25 Le rapport Mapping des Nations unies, quoique controversé, estime à 4 à 5 millions le nombre de victimes du conflit jusqu'au début des années 2000.

* 26 Gérard Prunier, From genocide to continental war, C Hurst & Co Publishers Ltd, 2009, p. 333.

* 27 Audition du 13 décembre 2023.

* 28 Intervention de Bintou Keita au Conseil de sécurité des Nations unies, le 8 juillet 2024.

* 29https://www.institutmontaigne.org/expressions/de-la-crise-la-prospective-pour-une-politique-etrangere-de-temps-long

* 30 Par exemple un accès adapté à l'éducation pour les nomades.

* 31 En septembre 2017, le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, le Ghana et le Togo ont ainsi lancé l'« Initiative d'Accra » pour partager des renseignements, former leurs personnels et mener des opérations militaires conjointes au-delà de leurs frontières. Ce cadre a permis de renforcer le dialogue et la confiance régionale sans toutefois réussir à supprimer la menace. Sur le plan économique et social, ces pays ont accompli des efforts significatifs pour traiter les causes du terrorisme, en s'efforçant de réduire les vulnérabilités socio-économiques. En parallèle, ils collaborent avec des chefs religieux pour contrer la radicalisation.

* 32https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/structures-temporaires/commissions-denquete/commission-denquete-sur-limpact-du-narcotrafic-en-france-et-les-mesures-a-prendre-pour-y-remedier.html

* 33 Ce qui conduit actuellement à des réflexions pour concentrer davantage ce type d'interventions sur un moindre nombre de projets.

* 34 Le chef d'État-major des armées sénégalais aurait montré l'accord militaire de 2011 en déclarant « ne nous faites pas le coup de 2011 ! », faisant référence à la réaction très négative d'Abdoulaye Wade lorsque le président Sarkozy avait décidé une réduction de l'empreinte militaire française.

* 35 Notamment dans Le Monde : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/11/28/bassirou-diomaye-faye-il-n-y-aura-bientot-plus-de-soldats-francais-au-senegal_6419413_3212.html

* 36 Les ENVR permettent de contribuer à forger une culture commune parmi les cadres africains repérés comme prometteurs, à la France de conserver un levier d'influence appréciable et à moindre coût, à l'heure où elle n'a plus les moyens de former en masse les officiers africains dans ses propres écoles. Comme elles permettent d'accueillir un grand nombre de stagiaires (environ 3000 par an), elles auraient au total un impact plus important que l'accueil des officiers africains dans les écoles en France.

* 37 40% des formations se font au profit d'autres pays d'Afrique centrale que le Gabon : la mission du Sénat a pu rencontrer un détachement rwandais lors de sa visite de la base française.

* 38 Ce qui correspond à la définition suivante : « Puissance en raison de son passé, de sa langue, de son influence culturelle, de la connaissance que l'on a d'elle à l'extérieur, de son indépendance stratégique. Moyenne en raison de sa démographie et de son économie, par comparaison aux États-Unis et Chine, et même à l'Allemagne. De rang mondial avec le 4° réseau diplomatique, sa place au Conseil de sécurité des Nations unies et dans les institutions internationales et son influence dans l'Union européenne ».

* 39 Ce n'est plus vrai actuellement, et en réalité cela ne l'a jamais été : même la « Françafrique » comportait des dépendances réciproques, certains dirigeants africains sachant parfaitement faire jouer à leur profit les rouages de la politique française.

* 40 Cette montée en puissance prend notamment la forme des BRICS+ qui s'élargissent progressivement.

* 41 Dont certains auraient été enrôlés dans l'armée russe sous la menace d'un non renouvellement de leur visa.

* 42 Evgueni Viktorovitch Prigojine, oligarque russe, né le 1er juin 1961 à Léningrad et mort le 23 août 2023 dans le crash de son avion, cofondateur et chef du Groupe Wagner.

* 43 Direction générale des renseignements de l'État-Major des Forces armées de la fédération de Russie.

* 44 La RussAfrique à l'épreuve de la guerre, juillet 2023, IFRI.

* 45 Après le coup d'État manqué de 2016, le durcissement du régime qui s'ensuit et la « dégüllénisation » de l'ensemble des administrations, la fondation Maarif a récupéré ces écoles après des négociations avec les pays concernés.

* 46 Cf. Article de Émile Bouvier : https://www.lesclesdumoyenorient.com/La-Turquie-nouvelle-puissance-regionale-en-Afrique-3-3-La-presence-militaire.html

* 47 https://www.jeuneafrique.com/1563292/economie-entreprises/quand-les-pays-africains-tournent-le-dos-aux-prets-de-pekin/

* 48 Le marché de l'autoroute Nairobi-Malaba a été attribué à un opérateur chinois en septembre 2024, après avoir été promis à un consortium composé notamment du groupe Vinci.

* 49 Présence et influence des puissances moyen-orientales en Afrique sub-saharienne, Niagalé Bagayoko, 31 janvier 2024, FMES : https://fmes-france.org/presence-et-influence-des-puissances-moyen-orientales-en-afrique-sub-saharienne/#elementor-toc__heading-anchor-2

* 50 Le président Joe Biden a tout de même présenté une nouvelle stratégie pour l'Afrique en août 2022, explicitement en réponse à l'activisme chinois et russe sur le continent, et a accueilli de nombreux chefs d'État africains lors du U.S.-Africa Leaders Summit en décembre 2022 ainsi que lors du sommet d'affaires États-Unis Afrique de mai 2024.

* 51 Ils ont notamment publié sur cette question, avec François Giovalucchi, le rapport « Thématiques, acteurs et fonctions du discours anti-français en Afrique francophone » ( juin 2023, IFRI)

* 52 Ainsi, l'AFD indique sur son site internet que depuis 2004, elle a financé en Chine 48 projets pour un montant de 2,2 milliards d'euros.

* 53 Réaffirmation constante du président sudafricain que la transition énergétique juste constitue un projet de société, institutionnalisation d'une Commission présidentielle pour le climat, adoption de cadres stratégiques, adoption de la loi sur le climat, etc., peuvent rassurer quant à la trajectoire prise par le pays. Les réformes du secteur de l'électricité se poursuivent avec la publication, en août 2024 de la loi sur la réglementation de l'électricité (dégroupage d'Eskom, l'électricien public, et soutien renforcé aux investissements privés). Le nouveau gouvernement en place depuis juin 2024 dispose d'un ministre chargé de l'électricité et de l'énergie auquel est rattaché Eskom.

* 54 Enfin, le projet JET-P a vocation à devenir un exemple pour d'autres programmes de transitions énergétique, par exemple au Kenya ou, hors d'Afrique, au Vietnam.

* 55 Avec notamment la mise en oeuvre d'une « Initiative de paix » toutefois avortée en juin 2023, conduite par le président sud-africain aux côtés de six chefs d'État et de Gouvernement et représentants africains (Égypte, Sénégal, Congo-Brazzaville, Zambie, Ouganda, Comores).

* 56 On relève cependant un discours différent porté par d'autres membres de la coalition au pouvoir depuis les élections législatives de mai 2024, qui ont vu pour la première fois l'ANC perdre sa majorité absolue.

* 57 Le Tchad s'est notamment rapproché de la Russie mais surtout des Émirats Arabes Unis qui lui ont fourni un prêt budgétaire particulièrement massif.

* 58 Cette évolution est d'ailleurs toujours en cours.

* 59 Voir les dossiers consacrés par Jeune Afrique à ces questions en mai 2023 et décembre 2023.

* 60 Voir par exemple « RDC : un rapport confidentiel de l'ONU apporte des « preuves solides » de l'implication du Rwanda dans l'Est », dans Le Monde du 4 août 2022.

* 61 Letter dated 27 December 2024 from the Group of Experts on the Democratic Republic of the Congo addressed to the President of the Security Council, le 27 décembre 2024.

* 62 Ibid., pp. 12-13.

* 63 Stephen Ellis, La saison des pluies - L'Afrique dans le monde, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l'homme, 2023.

* 64 René Lemarchand, The dynamics of violence in central Africa, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2009, p. 255.

* 65 Gérard Prunier, op. cit., p. 333.

* 66 Jason K. Stearns, The war that doesn't say its name, Princeton University Press, 2022, chapitre 4.

* 67 Par exemple, le 7 juillet 2023, ou encore le 5 janvier 2025.

* 68 . Une étude de Lise Howard de l'université de Georgetown a constaté une corrélation entre la présence de casques bleus et une diminution du nombre de victimes civiles, et entre un plus grand nombre de casques bleus et une diminution du nombre de morts civiles et de morts militaires. Par ailleurs, les coûts évités sont souvent sous-estimés. Le « Government Accountability Office » des Etats-Unis a estimé qu'il serait huit fois plus rentable pour les États-Unis de soutenir financièrement les opérations de maintien de la paix de l'ONU que d'envoyer directement des troupes américaines dans une zone de conflit.

* 69 Un rapport de 2014 rédigé par des enquêteurs internes de l'ONU estime ainsi que les forces de maintien de la paix n'ont réagi que dans un cas sur cinq lorsque des civils étaient menacés.

* 70 Afrique : les rivalités stratégiques - Tchad, Côte d'Ivoire, RDC : dans le viseur de Moscou, Jonathan Guiffard, Institut Montaigne : https://www.institutmontaigne.org/expressions/tchad-cote-divoire-rdc-dans-le-viseur-de-moscou

* 71 https://www.afd.fr/fr/ressources/droits-humains-et-developpement-acces-la-justice

* 72 Institut Montaigne, septembre 2023 : https://www.institutmontaigne.org/publications/securite-en-afrique-de-louest-investir-la-filiere-agricole

* 73 La création de ce marché unique doit permettre d'augmenter le PIB africain de 7%, soit 450 milliards de dollars à horizon 2035 selon la Banque mondiale.

* 74 https://www.senat.fr/rap/a24-146-2/a24-146-26.html

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page