III. ADAPTER LES POLITIQUES PUBLIQUES AUX BESOINS DES TERRITOIRES, LA CONDITION D'UNE RÉINDUSTRIALISATION RÉUSSIE

Six ans après le lancement du programme Territoires d'industrie, et un an après le lancement de la deuxième phase, les rapporteurs souhaitent, en outre des recommandations d'amélioration opérationnelles évoquées ci-dessus, proposer des évolutions structurantes du programme. Il s'agit de construire les conditions pour que cette politique industrielle territorialisée puisse devenir un vecteur et un levier d'innovation et de compétitivité, compatible et complémentaire des priorités nationales en matière de politique industrielle, sans toutefois en être exclusive. Dans cette logique, les rapporteurs proposent de renforcer les diagnostics territoriaux, en faisant fonds sur le travail déjà accompli dans les Territoires d'industrie, pour adapter les politiques publiques nationales et les outils pertinents.

A. COMPÉTENCES ET ATTRACTIVITÉ : DES BESOINS TERRITORIAUX DIFFÉRENCIÉS, INSUFFISAMMENT SOUTENUS PAR LE PROGRAMME

1. L'augmentation des compétences : des actions locales en manque de relais et de coordination nationale

L'ampleur des besoins en compétences dans les années à venir, dans le secteur de l'industrie, est bien documentée : la dernière évaluation globale en date sur ce sujet les estime à 110 000 par an en moyenne jusqu'en 2035100(*), avec une tendance à une baisse de l'emploi industriel dans les secteurs de basse technologie et au contraire la création de niveaux de qualification élevés101(*). Au total, les difficultés de recrutement devraient continuer à s'accentuer d'ici 2030 - 40 % des métiers en tension aujourd'hui continueront de l'être) -, avec cependant une grande hétérogénéité territoriale (accentuation des difficultés au Sud et à l'Ouest, amélioration dans la partie nord--est de la France). Ce double constat appelle à une politique de formation aux métiers de l'industrie proactive, couplée à une approche territorialisée de l'emploi, qui prenne en compte les spécificités des bassins d'emploi et des régions en matière d'emploi et de compétences industrielles.

De fait, l'étude de Bpifrance précitée102(*) montre que la question des compétences devient déterminante pour le choix des futures implantations industrielles (pour 50 % d'entre eux, contre 25 % pour les implantations existantes), ce qui représente la plus forte progression parmi les facteurs pris en compte par les industriels pour décider de leur future implantation. Interrogée par les rapporteurs, Intercommunalités de France place également ce critère de disponibilité de main-d'oeuvre formée et disponible en second parmi les besoins des industriels, juste derrière les besoins en foncier. Or selon les informations fournies par Bpifrance aux rapporteurs, « les territoires couverts par le dispositif Territoires d'industrie [en deuxième phase] sont moins pourvus en talents, qui se dirigent vers des territoires plus métropolitains ».

a) Des actions proactives au niveau local, souffrant d'un manque de structuration au niveau national

De fait, cette dimension, affichée comme priorité dans les deux temps du programme, n'est pas absente des Territoires d'industrie, au niveau local.

Dans le Territoire d'industrie de la Vallée de la Maurienne, par exemple, a été créé pendant la première phase du programme un organisme de formation en usinage et chaudronnerie à destination d'adultes demandeurs d'emploi ou en reconversion professionnelle (la « Fab'Académie »), portée par l'UIMM Savoie et un groupement d'entreprises et répondant aux besoins des industriels locaux. Cofinancée par les entreprises partenaires et, pour environ 45 %, par les fonds ayant transité par Territoires d'industrie (issus de France Relance), elle a déjà formé 7 promotions de 6 à 8 personnes chacune.

Le Territoire d'industrie Albert-Amiens a également travaillé sur l`offre de formation disponible, avec une évolution du service accueil-mobilité d'Amiens vers la recherche proactive de talents, une adaptation des offres de formation locales à l'industrie, la promotion des compétences recherches (Campus des métiers et qualifications (CMQ) Chimie, CMQ Métallurgie et Plasturgie, CMQ Transport et logistique) et la création à la rentrée 2023 d'un bachelor « Ingénierie numérique ». Le Territoire entend, en phase 2, consolider et développer cette offre locale de formations aux métiers de l'industrie (fiche-action 8) et valoriser et promouvoir la filière industrielle sur les territoires (fiche-action 7), même si les projets ne sont pas précisément définis à ce stade.

Le Territoire d'industrie du Grand Chalon se distingue également par une politique de formation volontariste, qui le place dans les premiers rangs nationaux des territoires ayant le plus fort taux d'étudiants dans les filières industrielles (deux fois la moyenne nationale)103(*), avec notamment le développement d'une offre de formation centrée sur le numérique, du bac + 1 au doctorat, en passant par le diplôme d'ingénieur, dans l'optique de proposer des offres de formation postbac de haut niveau afin d'éviter une « fuite des cerveaux » vers la métropole de Lyon pour leurs études supérieures et de former de la main-d'oeuvre pour les industries locales104(*).

Au final, cependant, les rapporteurs font le constat d'un déficit de liens, au niveau local, avec les acteurs de la formation initiale et professionnelle. Pour ne prendre qu'un exemple, sur les quelque 2700 projets remontés à Intercommunalités de France (temps 1 et 2), moins d'une centaine mentionnent explicitement parmi leurs partenaires l'Éducation nationale, les collèges ou lycées ou les rectorats, et un quart seulement des Territoires d'industrie citent les universités parmi leurs partenaires pour au moins un projet.

b) Une nécessaire stimulation des services en charge de la formation au niveau national

Pour les rapporteurs, ces difficultés procèdent en grande partie d'un manque de mobilisation de ces acteurs au niveau national. De fait, ni le ministère de l'éducation nationale, ni celui de l'enseignement supérieur et de la recherche ne sont institutionnellement parties prenantes au programme.

De même, alors même que France Travail (à l'époque Pôle emploi) a été engagé dès les origines dans le programme, aucune concertation préalable n'avait été menée avec la délégation générale de l'emploi et de la formation professionnelle (DGEFP) du ministère du travail105(*), ce qui a abouti, au moins dans un premier temps, à un manque de coordination des actions menées dans les Territoires - alors que la DGE et la DGEFP collaborent par exemple au suivi des filières industrielles dans le cadre du Conseil national de l'industrie (CNI).

La DGEFP, auditionnée par les rapporteurs, reconnaît d'ailleurs que, si des actions partenariales en matière de développement des compétences et de l'emploi dans l'industrie sont bien mises en place dans les Territoires d'Industrie avec l'appui du réseau des délégués à l'accompagnement des reconversions professionnelles (Darp) au sein des services déconcentrés de l'État, le paysage demeure contrasté, avec des territoires bénéficiant d'une dynamique partenariale forte (Territoires d'industrie de Bourg-en-Bresse ou de Terres de Montaigu par exemple), mais aussi d'autres bassins où les travaux sont moins dynamiques. Pour la DGEFP, les freins ne seraient d'ailleurs pas à chercher uniquement du côté de l'administration, mais aussi d'une insuffisante implication globale des acteurs des Territoires d'industrie (collectivités et industriels) et des services déconcentrés de l'État, y compris les sous-préfets ; d'un déficit d'identification des moyens financiers ou en ingénierie pourtant disponibles et d'un manque de lisibilité du dispositif Territoires d'industrie par rapport aux autres dispositifs territoriaux, notamment les contrats de relance et de transition écologique (CRTE...) ; des difficultés à atteindre et travailler avec les TPE/PME ; et surtout, de fortes réticences de certains partenaires locaux et entreprises à travailler spécifiquement sur les enjeux d'accompagnement des reconversions professionnelles des salariés fragilisés. Ce dernier point a été confirmé, localement, par les représentants de l'UIMM rencontrés à Chalon-sur-Saône, qui tirent un bilan en demi-teinte de leurs efforts pour recruter, face à la pénurie de main-d'oeuvre, des personnes issues de l'insertion (chômage de longue durée, sorties de prison...) grâce à des dispositifs financés par la région ou France Travail, mais ont dit se heurter à la réticence des entreprises.

Les rapporteurs rappellent également que plusieurs appels à manifestation d'intérêt (AMI) portant sur le développement des compétences ont bénéficié en tout ou partie aux Territoires d'industrie, notamment, dans le cadre du FAIIT, l'AMI visant à appuyer le déploiement d'écoles de production (34 lauréats en 2021) et celle visant à anticiper les compétences « 4.0 » de demain (41 lauréats en juillet 2022).

L'AMI « Cnam dans les Territoires », déployé dans le cadre du Plan de relance, a également permis de proposer une offre d'enseignement supérieur et de recherche (ESR) dans des territoires industriels en manque de formation, et de mettre un coup d'arrêt à une longue période de concentration de l'ESR dans les grandes métropoles, au risque d'une déconnexion de l'offre et de la demande en populations formées. Si la reconduction d'un tel AMI, dans le contexte budgétaire actuel, paraît illusoire, il est essentiel qu'une meilleure collaboration au niveau local entre les acteurs de l'ESR, les industriels et les élus locaux permette de secouer les pesanteurs et de mettre en oeuvre rapidement des formations universitaires répondant aux besoins du territoire.

Recommandation n° 3 : Renforcer la collaboration avec les acteurs de la formation et de l'emploi : au niveau local, mieux associer les établissements d'enseignement (secondaire et supérieur) ainsi que les services déconcentrés de l'État et les opérateurs en charge de l'emploi et de la formation professionnelle ; au niveau national, intensifier le dialogue entre les ministères en charge de l'éducation, de l'enseignement supérieur et de la formation professionnelle, initiale et continue, et les ministères de l'économie et en charge de la cohésion des territoires.

c) Affermir le modèle des écoles de production

Écoles techniques privées, reconnues par l'État depuis 2018, les écoles de production dispensent à des jeunes de 15 à 18 ans, sous statut scolaire, un parcours de formation alliant enseignement général, enseignement technologique et enseignement professionnel, dans des conditions réelles de production, en atelier (la formation se répartit généralement en deux tiers de formation pratique et un tiers d'enseignement théorique), à quoi s'ajoute un accompagnement personnalisé. Les maîtres de production sont des professionnels du secteur.

Elles préparent à l'obtention d'une qualification sanctionnée par un diplôme à finalité professionnelle, au minimum en 2 ans pour le certificat d'aptitude professionnelle (CAP) ou en 3 ans pour le baccalauréat professionnel (baccalauréat professionnel). Les principales activités enseignées dans les écoles de production sont en lien avec l'industrie (usinage, chaudronnerie, métallerie, polissage, mécanique automobile...). Les productions des élèves sont vendues dans les conditions du marché aux entreprises partenaires de l'école, assurant des recettes pour l'établissement.

Les écoles de production, un réseau en plein développement

En fort développement depuis 2016, les écoles de production sont reconnues par l'État depuis la loi du 5 septembre 2018 (« liberté de choisir son avenir professionnel »).

Au 1er septembre 2024, le réseau des écoles de production était composé de 46 écoles reconnues par l'État (et environ 70 au total), accueillait au total plus près de 2000 élèves. Chaque école de production est gérée par une association régie par la loi de 1901 ; sa gouvernance est assurée par un conseil d'administration composé de 3 collèges : entreprises, territoire, équipe enseignante.

Selon la Fédération nationale des écoles de production (FNEP), depuis 2021, 25 écoles de production industrielle ont été créées dans des territoires d'industrie (Industrie 21 dans le Territoire d'industrie de Dijon Comté, École Flamme dans le Territoire d'industrie Haute-Picardie...), des écoles existantes ayant en outre été développées. Elles ont tout particulièrement bénéficié de l'AMI « Écoles de production », lancé en mai 2021 avec une enveloppe de 5 M€. Selon Intercommunalités de France, cet AMI a permis de plus que doubler le nombre d'écoles de production au niveau national.

La FNEP vise une centaine d'écoles et 4 000 élèves formés à l'horizon 2028.

Toutefois, l'annonce faite par l'ancien ministre de l'industrie Roland Lescure, en octobre 2023, de lancer une nouvelle AMI « Écoles de production », n'a pas été suivie d'effet, fragilisant cet objectif.

Source : éléments transmis par la Fnep

Les rapporteurs soulignent le double bénéfice apporté par ce modèle des écoles de production, qui apportent davantage de souplesse qu'une formation professionnelle classique et permettent de répondre aux besoins d'une partie des presque 100 000 jeunes qui sortent chaque année du système éducatif sans diplôme, tout en structurant une offre de main d'oeuvre pour les entreprises.

Si l'AMI a permis d'enclencher la création de nouvelles écoles de production, en particulier dans les Territoires d'industrie - l'École de production de Chalon, visitée par les rapporteurs, a par exemple bénéficié de fonds France Relance, complétés par une dotation aux investissements de la part du Grand Chalon, ainsi que par la Fondation Total, très investie dans le modèle des écoles de production, et des industriels locaux -, la soutenabilité des dépenses de fonctionnement n'est pas toujours assurée. Les écoles de production reconnues par l'État bénéficient en effet d`une subvention allouée par le ministère du travail, dans le cadre d'une convention pluriannuelle (2022-2025), et qui peut atteindre jusqu'à un tiers de ses ressources106(*), le reste étant couvert par les recettes des ventes de la production des élèves et la taxe d'apprentissage. La subvention étatique peut être complétée par des subventions de la région. Alors que les trois types de financement (taxe d'apprentissage, subventions publiques et recettes des ventes) devraient dans l'idéal se répartir à égalité, la direction de l'École de production de Chalon a indiqué aux rapporteurs que ses ressources provenaient très majoritairement des subventions de la région et de l'État (60 %), complétées à 20 % par la taxe d'apprentissage et à 20 % par les recettes des ventes des plus de 17 000 pièces produites annuellement par les élèves aux 25 entreprises clientes.

Ce modèle de formation, qui, comme l'ont constaté les rapporteurs, répond à un véritable besoin, doit être soutenu. Dans le contexte budgétaire actuel, il ne leur apparaît toutefois pas opportun de relancer une AMI - des aides à l'ouverture d'écoles de production pouvant d'ailleurs être sollicitées par d'autres biais107(*) - mais bien de consolider les écoles de production existantes. À cette fin, les rapporteurs estiment que le programme devrait permettre de couvrir une partie des frais de fonctionnement des écoles de production, de manière sécurisée, au moins pendant la période d'amorçage de un à cinq ans forcément nécessaire aux écoles de production pour atteindre l'équilibre budgétaire, du fait de la montée en charge relativement lente des effectifs, de délais d'obtention de subventions du ministère du travail et des commandes clients relativement faibles en phase de lancement.

L'attention des rapporteurs a également été attirée sur le coût de ces études pour les élèves, qui, contrairement aux apprentis sous statut, ne sont pas rémunérés : les rapporteurs appellent donc à étudier les conditions d'une extension du statut d'apprenti aux élèves d'écoles de production, ou à défaut à mettre en place une aide à destination des élèves, afin de leur assurer un revenu décent. Ils rappellent que les écoles de production jouent un rôle de cohésion sociale important, puisque, selon les chiffres fournis par la FNEP, 30 % des jeunes intégrés en 2023 étaient porteurs d'un handicap, et 14 % étaient sous statut protégé (mineurs non accompagnés, accompagnés par l'aide sociale à l'enfance ou la protection judiciaire de la jeunesse). Face aux difficultés pécuniaires récurrentes rencontrées par leurs élèves, les écoles de production ont instauré un fonds de solidarité, financé principalement par mécénat, afin de répondre aux urgences financières qui pourraient entraver la scolarité des jeunes ou les faire renoncer à intégrer une école de production. Au titre de l'année 2023, ce sont ainsi près de 50 000 € qui ont été versés à 93 élèves dans ce cadre, pour couvrir des besoins en nourriture, en logement, transports ou l'achat de produits d'hygiène de base.

Recommandation n° 4 : Faire évoluer le statut des écoles de production pour le rendre plus attractif, notamment en pérennisant la participation de l'État aux frais de fonctionnement, et en garantissant aux élèves le nécessitant une dotation financière leur permettant de couvrir leurs besoins de première nécessité.

2. Disponibilité des logements et attractivité du territoire : un continuum à réinvestir
a) La disponibilité en logements de proximité, un déterminant majeur du recrutement

Tous les acteurs des Territoires d'industrie avec lesquels les rapporteurs ont échangé au cours de leurs travaux ont souligné le caractère déterminant, pour permettre le recrutement, de logements abordables, à proximité des usines. Ce lien géographique domicile-travail est naturellement encore plus déterminant sur des postes de production, exigeant une présence sur site.

Ce point est également mis en évidence dans l'étude précitée de Bpifrance108(*) : outre la disponibilité en foncier et autres aménités, la capacité d'un territoire à s'industrialiser ou se réindustrialiser passe également par son attractivité générale, et notamment résidentielle. L'éloignement du domicile est en particulier perçu comme un frein au choix d'une carrière dans l'industrie109(*). Paradoxalement, ce point n'a pourtant pas fait l'objet d'une attention particulière dans le temps 1 du programme, malgré l'association dès 2019 d'Action Logement au programme. Ainsi, seuls 1,1 % des projets remontés en 2021 abordaient cette thématique110(*).

Les Territoires d'industrie visités par les rapporteurs leur ont pourtant donné à voir des actions très concrètes dans ce domaine. Dans le Territoire d'Industrie Albert-Amiens par exemple, le service « S'installer à Amiens », co-financé par Amiens Métropole et la CCI Amiens-Picardie Hauts-de-France, se mobilise pour accompagner les nouveaux arrivants et leurs conjoints, et le Territoire d'Industrie a indiqué travailler avec les agences immobilières et les notaires pour faciliter de nouvelles installations à Albert et aux alentours. Les rapporteurs ont également visité, à Albert, une résidence étudiante, jeunes actifs et alternants (résidence Antoine de Saint-Exupéry) développée dans le cadre du plan d'action de la phase 1 de Territoires d'industrie et inaugurée en 2022 : gérée par l'association Accueil & Promotion, elle est composée de 28 studios meublés et équipés, ainsi que d'espaces collectifs, elle héberge des jeunes de 16 à 30 ans salariés, stagiaires, apprentis, étudiants ou en recherche d'emploi, pour une durée de quelques mois à maximum deux ans, avec des préavis d'arrivée et de départ réduits.

Ce type de résidences se rapproche, par sa vocation et sa nature des « résidences à vocation d'emploi » (RVE) déployées par Action Logement. Ces RVE, composées de logements autonomes meublés, loués avec ou sans service pour une occupation d'une durée limitée d'au moins une semaine à des locataires justifiant d'un lien entre l'occupation du logement et l'emploi. Elles peuvent être particulièrement utiles pour des salariés en mobilité, ou concernés par des contrats de travail de courte ou moyenne durée (stages, formations en alternance, intérim, contrats à durée déterminée, ...). Les rapporteurs rappellent que dans le projet de loi relatif au développement de l'offre de logements abordables, dont l'examen a été reporté sine die à la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale en juin 2024, la commission des affaires économiques avait proposé de doter ces RVE, qui sont actuellement déployées sous divers régimes imparfaitement adaptés à leur vocation111(*), d'un régime juridique propre. Ce dernier, les assimilant à du logement locatif intermédiaire (LLI) et permettant de déroger à la durée minimale d'un mois requise pour l'utilisation du bail mobilité, permettrait aux employeurs de sous-louer des logements en RVE à leurs salariés, et de lever ainsi le frein de la disponibilité en logements pour l'accueil de nouveaux salariés. Ces dispositions pourraient avec profit être réintroduites dans les textes dont l'examen sera prochainement soumis à l'examen du Parlement, tout comme un certain nombre d' autres avancées législatives introduites par la commission des affaires économiques à l'article 10 du projet de loi relatif au développement de l'offre de logements abordable, consistant notamment à ouvrir la possibilité, pour un employeur, de recourir à l'usufruit locatif social (ULS) pour assurer le logement des salariés, à élargir les possibilités de délégation du contingent préfectoral pour loger les travailleurs prioritaires dans le cadre de conventions avec les bailleurs sociaux, Action Logement et les sociétés d'économie mixte (SEM) ainsi qu'avec des entreprises bénéficiant de réservations, et à permettre à des employeurs de garantir les emprunts des bailleurs et d'acquérir les droits de réservation associés, ainsi qu'à sécuriser la possibilité pour une personne morale de prendre à bail « en bloc » des logements intermédiaires en vue de les sous-louer - faculté particulièrement précieuse pour les entreprises désireuses de proposer des logements à leurs salariés à un raisonnable.

De manière plus générale, les rapporteurs tiennent à souligner les capacités d'action, dans le domaine du logement des salariés, d'Action Logement, désormais officiellement opérateur de la deuxième phase du programme, et saluer les capacités d'innovation et d'adaptation de cet opérateur, appuyées par une connaissance fine de la situation et des besoins des territoires112(*), ce qui permet à Action Logement d'intervenir en priorité sur les secteurs à enjeux, avec une capacité d'adaptation aux enjeux locaux y compris démographiques : Action Logement a ainsi mis en place un prêt spécifique à l'accession à la propriété, en Martinique, pour encourager les moins de 40 ans à revenir s'installer et travailler sur l'île, notamment pour tenir compte des besoins identifiés consécutivement à la labellisation comme Territoire d'industrie de la Communauté d'agglomération Centre Martinique (CACEM) et de la communauté d'agglomération du Pays Nord Martinique et a exposé aux rapporteurs ses efforts pour développer une offre d'hébergement temporaire de qualité peu onéreuse, dans les zones tendues ou des bassins économiques dynamiques, accessibles pour une durée limitée, uniquement sur justificatif d'un lien entre occupation et emploi (« résidences à vocations d'emploi » (RVE)), ou encore spécifiquement à destination des Territoires d'industrie, l'extension à titre expérimental aux jeunes en VTE-TI de l'aide mobilité et recrutement mobili-jeune (subvention pouvant aller jusqu'à 100 € par mois, dans la limite de 1 100 euros, pour aider les jeunes à supporter les dépenses liées à l'accès ou au changement de logement pour les besoins de leurs formations), mesure particulièrement pertinente dans la mesure où un tiers des jeunes en VTE l'effectuent hors de leur région d'origine113(*).

Les rapporteurs souhaitent appeler les acteurs des Territoires d'industrie à exploiter pleinement ces capacités d'Action Logement, en anticipant au maximum les besoins, gardant à l'esprit que la temporalité du développement de l'offre de logement à grande échelle demeure différente de celle des implantations industrielles, et également à faire fonds sur les synergies possibles avec d'autres programmes, notamment ACV, dont Action Logement est d'ailleurs aussi un opérateur essentiel. Le rôle des élus et leur lien avec les industriels du territoire dans le cadre du pilotage mixte du programme pourraient, sur ce sujet, être particulièrement précieux.

b) Accessibilité et mobilités, deux axes complémentaires de l'attractivité

Les retours d'expérience locaux suggèrent aux rapporteurs qu'à défaut de capacités immédiates de l'élargissement de l'offre de logements, ou en complément d'un tel élargissement, l'amélioration des conditions de mobilité des salariés de l'industrie et des personnes en formation pourrait être davantage étudiée par les Territoires d'industrie.

Ainsi, dans le Territoire d'industrie Albert-Amiens, la Communauté de communes du Pays du Coquelicot a développé en première phase un axe de réflexion sur les mobilités domicile-travail qui a débouché, par exemple, sur la mise à disposition de vélos électriques pour relier la gare d'Albert à IndustrieLAB, non desservie par les transports en commun.

Dans le Territoire d'industrie du Grand Chalon, c'est à destination des élèves et apprentis du secteur industriel que l'UIMM propose, au cas par cas, le financement de véhicules, afin d'éviter que des freins à la mobilité n'entravent leur formation.

c) Penser l'attractivité comme un tout : un axe du programme à renforcer

Pour Intercommunalités de France, « la capacité du territoire à proposer un écosystème, c'est-à-dire des partenaires locaux, un réseau d'écologie industrielle, une offre de services aux salariés (restauration, accompagnement du conjoint, mobilité), devient un argument différenciant pour attirer l'industrie à haute valeur ajoutée pour le territoire. In fine, l'enjeu n'est pas tant d'attirer de l'industrie sur le territoire, car en proposant du foncier économique à bas coût une grande majorité des territoires peuvent attirer des entreprises, notamment de logistique. La concurrence se joue sur l'attraction d'entreprises ayant un fort impact territorial : des salaires élevés, une identité technologique ou environnementale de marque, etc. ».

Pour cela, les collectivités se doivent de développer un véritable « marketing territorial », expression à la mode qui exprime bien la nécessité d'améliorer l'image du territoire dans son ensemble, pour en assurer l'attractivité. On la retrouve d'ailleurs dans le plan d'action du Territoire d'industrie de la Vallée de la Maurienne, qui vise, pour la phase 2 du programme, parmi ses quatre actions prioritaires au-delà du soutien de projets industriels particuliers, à « miser sur le marketing territorial afin d'être plus attractif et attirer des talents et de nouveaux habitants en Maurienne en menant une étude stratégique d'attractivité offensive »114(*) - cet élément est tout particulièrement important en Maurienne, où le taux de chômage est particulièrement bas et où les besoins en main-d'oeuvre qualifiée sont donc particulièrement difficiles à couvrir.

Au-delà des caractères d'attractivité proprement économiques, c'est tout le cadre de vie qui doit être pris en compte pour favoriser l'accueil de nouveaux salariés. Cela recouvre l'offre de logement, mais aussi la qualité de l'offre de soin et l'accueil des professionnels de santé, les infrastructures d'accueil de jeunes enfants et l'offre culturelle et sportive : M. Christophe Buisset, vice-président de la communauté de communes du Pays du Coquelicot en charge du développement économique (Territoire d'industrie Albert-Amiens), citait par exemple la programmation des bibliothèques ou des cinémas d'Albert comme des facteurs d'attractivité et partie intégrante de son action en faveur de l'industrie.

Recommandation n° 2 : Refaire de l'attractivité un axe du programme Territoires d'industrie, dans toutes ses dimensions, en insistant notamment sur les volets logement et mobilité ; en particulier, associer le plus en amont possible les acteurs locaux du logement pour créer les meilleures conditions d'attractivité (diagnostic des besoins, développement d'une offre adaptée en fonction des profils et des besoins).


* 100 Basset G. et Lluansi O., « Pénuries de compétences et réindustrialisation : un étonnant paradoxe », Les Synthèses de La Fabrique, n° 27, juillet 2023.

* 101 Rapports coréalisés par France Stratégie et la Dares « Prospective Métiers et Qualifications 2030 ».

* 102 Bpifrance, « Industrie et territoires. Comment gagner la bataille de la réindustrialisation ? Regards croisés entre territoires, industriels et société civile. », 15 mai 2014.

* 103 Bpifrance, « Industrie et territoires. Comment gagner la bataille de la réindustrialisation ? Regards croisés entre territoires, industriels et société civile. », 15 mai 2014, p. 42.

* 104 D'autres Territoires d'industrie mènent une politique particulièrement proactive et offensive dans le domaine de la formation et du développement des compétences, comme par exemple celui Montaigu, en Vendée, qui décline ses actions du secondaire au supérieur.

* 105 Cour des comptes, La Direction générale des entreprises : une réorganisation aboutie, un rapport aux territoires à renforcer, octobre 2024, p. 75.

* 106 En LFI 2024, les crédits ouverts à cette fin étaient de 13,24 M€ ; le PLF 2025 présenté à l'automne 2024 par le Gouvernement, et non adopté en raison de la censure de ce dernier par l'Assemblée nationale, prévoyait une subvention de 15,5 M€ pour 2025.

* 107 L'Ademe, interrogée par les rapporteurs, a par exemple cité le cas du Territoire d'industrie Sèvres-Niortais, qui a déposé un dossier pour une école de production sur la géothermie, dans le cadre des « Territoires d'industrie en transition écologique ».

* 108 Bpifrance, « Industrie et territoires. Comment gagner la bataille de la réindustrialisation ? Regards croisés entre territoires, industriels et société civile. », 15 mai 2014, p. 44.

* 109 Enquête Portloc réalisée auprès de 5 000 représentants de la société civile en décembre 2023, citée par l'étude Bpifrance précitée.

* 110 Territoires d'industrie - une usine à projets au coeur de la relance - point d'étape à trois ans, 2021, p. 14.

* 111 Régime hôtelier ou régime des résidences hôtelières à vocation sociale (RHVS).

* 112 Action Logement Services mène régulièrement des études territoriales permettant d'appréhender les besoins en des entreprises et de la facilité d'accès à un logement abordable dans le territoire concerné, en croisant les données propres à Action Logement et les données publiques plus larges, et Action Logement cofinance également sur sa ligne budgétaire d'ingénierie territoriale des études pour connaître les conditions des salariés d'un territoire pour mieux affiner la demande potentielle de logements à court, moyen et plus long termes.

* 113 Chiffre fourni par Bpifrance.

* 114 Document fourni lors de l'audition.

Partager cette page