IV. LES PROPOSITIONS DE L'OFFICE
Le rapport propose 18 recommandations, dont cinq sont consacrées à la préparation du futur sommet de l'IA qui se tiendra à Paris les 10 et 11 février prochain.
LES PROPOSITIONS À SOUTENIR DANS LE CADRE DU FUTUR SOMMET DE L'IA
1°. Faire reconnaître le principe d'une approche transversale de l'IA et renoncer à l'approche exclusivement tournée vers les risques
Cinq thèmes seront l'objet du sommet (l'IA au service de l'intérêt public avec la question des infrastructures ouvertes ; l'avenir du travail ; la culture ; l'IA de confiance ; et la gouvernance mondiale de l'IA). Il faudra que le sommet aille plus loin et permette d'inscrire solennellement le principe d'une approche transversale des enjeux de l'IA au sein d'une déclaration des participants. Les cinq thèmes retenus pour le sommet éludent deux dimensions qu'il faudrait prendre en compte de manière prioritaire :
- l'éducation, qui pourrait être ajoutée à la verticale culture avec pour intitulé « éducation et culture » ;
- la souveraineté numérique, qui pourrait être ajoutée à la verticale « l'IA au service de l'intérêt public » avec pour intitulé « souveraineté numérique et intérêt général ».
2°. Proposer de placer la gouvernance mondiale de l'IA sous l'égide d'une seule organisation internationale
Le sommet doit être l'occasion de clarifier et rationaliser la dizaine de projets visant à créer une gouvernance mondiale de l'IA. Aussi, il est proposé de placer la gouvernance mondiale de l'IA sous l'égide d'une seule organisation internationale, à savoir l'ONU, seule organisation pleinement légitime sur le plan multilatéral.
3°. Initier le cadre d'une régulation globale et multidimensionnelle de l'IA en s'inspirant des travaux de l'OCDE et de l'UE
L'approche de la régulation mondiale de l'IA doit être multidimensionnelle, afin de traiter la question de l'ensemble de la chaîne de valeur de l'IA et comme le montrent les travaux de l'OCDE et de l'UE.
4°. Annoncer un programme européen de coopération en IA
Ce programme doit associer plusieurs pays dont au moins la France, l'Allemagne, les Pays-Bas, l'Italie et l'Espagne, ces pays partageant une vision similaire de l'IA et de ses enjeux.
5°. Associer plus étroitement le Parlement à son organisation
Afin de garantir une plus grande légitimité du futur sommet, l'Office demande que le Parlement soit plus étroitement associé à son organisation. La présence d'un député et d'un sénateur au sein du comité de pilotage du sommet serait un gage de crédibilité. Elle marquerait l'attention portée par les pouvoirs publics à l'indispensable dimension démocratique d'un encadrement de l'IA à l'échelle internationale.
LES PROPOSITIONS EN FAVEUR D'UNE VÉRITABLE POLITIQUE NATIONALE DE L'IA
6°. Développer une filière française ou européenne autonome sur l'ensemble de la chaîne de valeur de l'intelligence artificielle
Un objectif doit mobiliser les pouvoirs publics nationaux et locaux, les décideurs économiques, les associations et les syndicats : viser le développement d'une filière française ou européenne autonome sur l'ensemble de la chaîne de valeur de l'intelligence artificielle, même sans chercher à rivaliser avec les puissances américaine et chinoise.
En effet, mieux vaut une bonne IA chez soi qu'une très bonne IA chez les autres. Que ce soit au niveau européen, dans le cadre de l'UE ou avec une coopération renforcée entre quelques pays, ou directement au niveau national, la France doit relever ce défi de construire pour elle, en toute indépendance, les nombreux maillons de la chaîne de valeur de l'intelligence artificielle.
7°. Mettre en place une politique publique de l'IA avec des objectifs, des moyens et des outils de suivi et d'évaluation
Pour être efficace, la stratégie nationale pour l'IA ne peut se passer d'objectifs clairement définis, de moyens réels dont une gouvernance digne de ce nom, et d'outils de suivi et d'évaluation. Ces éléments sont aujourd'hui cruellement absents des politiques publiques menées en France en matière d'IA. Plus largement, la politique de la Start-up Nation avec son bras armé la French Tech, trop élitiste et souvent inadaptée, est à abandonner au profit d'une politique de souveraineté numérique, cherchant à construire notre autonomie stratégique et à mailler les territoires.
8°. Organiser le pilotage stratégique de la politique publique de l'IA au plus haut niveau
La stratégie nationale pour l'IA ne dispose pas d'une gouvernance digne de ce nom, il faudra mieux coordonner la politique publique nationale de l'intelligence artificielle et lui donner une réelle dimension interministérielle.
9°. Former les élèves de l'école à l'Université, former les actifs et former le grand public à l'IA
Il est indispensable de lancer de grands programmes de formation à l'IA à destination des scolaires, des collégiens, des lycéens, des étudiants, des actifs et du grand public. Les politiques conduites en ce domaine par la Finlande sont des modèles à suivre. La démystification de l'IA est une première étape importante et nécessaire pour favoriser la diffusion de la technologie.
10°. Accompagner le déploiement de ces technologies dans le monde du travail et la société, notamment par la formation permanente
S'il est difficile de prévoir l'impact précis que l'IA aura sur le marché du travail, il faut tout de même accompagner le déploiement de ces technologies, notamment l'IA générative, dans le monde du travail, en particulier par des programmes de formation permanente ambitieux. Des études qualitatives et quantitatives sur l'impact de l'IA sur l'emploi, le tissu social (dont les inégalités) et les structures cognitives devront également être régulièrement menées.
11°. Lancer un grand dialogue social autour de l'intelligence artificielle et de ses enjeux
Le dialogue social par la négociation collective peut être renouvelé par l'introduction de cycles de discussions tripartites autour de l'IA et de ses enjeux. Une opération d'envergure nationale, comme un Grenelle de l'IA, pourrait également être organisée. Le dialogue social autour de l'IA devra se décliner dans les entreprises pour permettre une meilleure diffusion des outils technologiques et un rapport moins passionné à leurs conséquences.
12°. Mobiliser et animer l'écosystème français de l'IA
Tous les acteurs de l'IA, la recherche publique et privée, les grands déployeurs de systèmes mais aussi l'ensemble des filières économiques doivent s'insérer dans une grande mobilisation générale. Le rapport préconise aussi des pôles d'animation régionaux. Des expériences étrangères peuvent être des sources d'inspiration comme la structure NL AI Coalition, créée par le gouvernement néerlandais, qui rassemble depuis cinq ans l'écosystème public et privé de l'IA aux Pays-Bas, avec le concours du patronat, des universités et des grands centres de recherche. Elle s'appuie sur sept centres régionaux.
13°. Reconduire le programme « Confiance.ai » ou mettre en place un projet équivalent
Le programme « Confiance.ai » réunissait dans une logique partenariale de grands acteurs académiques et industriels français dans les domaines critiques de l'énergie, de la défense, des transports et de l'industrie et avait pour mission de permettre aux industriels d'intégrer des systèmes d'IA de confiance dans leurs process. Il ne coûtait pas cher et était efficace. Or il s'est interrompu en 2024. Il est proposé de le reconduire ou de mettre en place un projet équivalent.
14°. Soutenir la recherche publique en intelligence artificielle selon des critères de transversalité et de diversification des technologies
La recherche privée en intelligence artificielle a pris beaucoup d'avance sur la recherche publique, mais cette dernière doit revenir dans la course. La soutenir davantage est un impératif. L'Office juge pertinent de l'orienter vers des activités transdisciplinaires et, plus globalement, transversales autour de « projets de recherche » en IA.
La diversification des technologies est également fondamentale : les avancées en IA se font par la combinaison et la recomposition de savoirs et de savoir-faire, pas par l'enfermement dans un modèle unique.
Par exemple, l'IA symbolique ne doit pas être abandonnée, elle peut s'hybrider avec les IA connexionnistes pour forger de nouvelles approches logiques, imbriquant le signifiant et le signifié, plus proches des raisonnements humains.
D'autres technologies permettant d'apporter plus de logique aux systèmes d'IA générative peuvent également inspirer de nouvelles perspectives pour la recherche, comme les modèles Mixture of Experts (MoE), des modèles de représentation du monde (World Models), la génération augmentée de récupération ou Retrieval Augmented Generation (RAG) ou encore les arbres de pensées ou Trees of Thoughts (ToT).
Pour paraphraser Rabelais qui écrivait que « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme », on peut affirmer que « l'IA sans logique n'est qu'illusion d'intelligence ».
15°. Relever le défi de la normalisation en matière d'intelligence artificielle
Il faut permettre à la France de défendre au mieux l'intérêt national ainsi que les intérêts de ses entreprises nationales en matière de normalisation de l'IA, ce qui implique de mobiliser davantage l'Afnor et le Cofrac.
La France doit également inviter ses partenaires européens à faire preuve d'une plus grande vigilance dans le choix de leurs représentants dans les comités responsables de la normalisation en IA : s'appuyer sur des experts issus d'entreprises extra-européennes, le plus souvent américaines ou chinoises, n'est pas acceptable.
16°. S'assurer du contrôle souverain des données issues de la culture française et des cultures francophones et créer des bases de données autour des cultures francophones
Il s'agit d'un acte de résistance face à la domination linguistique et culturelle américaine, qui caractérise l'IA aujourd'hui et qui fait courir un risque grave d'uniformisation culturelle et d'appauvrissement linguistique. Les initiatives conduites par certains pays, en particulier l'Espagne, peuvent inspirer notre pays.
17°. Préparer une réforme des droits de propriété intellectuelle, dont le droit d'auteur, pour les adapter à l'IA et surtout aux usages de l'IA générative
L'objectif d'une telle réforme sera à la fois de clarifier les régimes juridiques applicables, de protéger les ayants droit des données ayant servi à l'entraînement des modèles mais aussi les créateurs d'oeuvres nouvelles grâce à l'IA.
18°. Confier à l'OPECST le suivi et l'évaluation régulière de la politique publique conduite par le Gouvernement
Les aspects scientifiques et technologiques de l'intelligence artificielle ainsi que les enjeux qu'ils soulèvent appellent une expertise à la croisée des mondes politique et scientifique, ce qui est la mission de l'OPECST. C'est pourquoi, comme l'avait d'ailleurs proposé la commission des lois de l'Assemblée nationale dans un rapport, il semble judicieux de confier à l'OPECST le suivi permanent des questions relatives à l'intelligence artificielle.