RAPPORT

I. LES LOIS EGALIM FACE AU CONTEXTE DE VOLATILITÉ DES PRIX ET AU DÉCROCHAGE DE LA FERME FRANCE

A. UNE LOGIQUE EGALIM MISE À L'ÉPREUVE EN 2022 ET 2023 PAR LA VOLATILITÉ DES PRIX

Les trois derniers cycles de négociations commerciales entre industriels et distributeurs ont représenté une rupture avec la stabilité de la décennie de quasi-déflation des tarifs, postérieure à la loi de modernisation économique du 5 août 20085(*).

À la suite du cycle de négociations commerciales de 2021-2022, les tarifs « 3x nets »6(*) négociés à partir du 1er mars 2022 étaient en hausse de 3,5 % par rapport aux tarifs de l'année précédente. Ces tarifs ont rapidement été frappés d'obsolescence en raison de l'effet conjugué de la reprise économique mondiale, des événements climatiques extrêmes, du contexte international de repli commercial et de la guerre en Ukraine. De nouvelles négociations ont été ouvertes à partir d'avril 2022.

En 2023, le mécanisme inverse s'est produit :

- les négociations menées entre décembre 2022 et mars 2023 ont abouti à une hausse des tarifs, sans précédent, de 9 % en moyenne par rapport à l'année 2022. La demande des industriels, qui s'élevait à 14 % en moyenne, était justifiée par une explosion des coûts des matières premières industrielles, notamment ceux relatifs à l'énergie, au transport, aux emballages, au coût de la main d'oeuvre lié à la hausse du SMIC et à la pâte à papier. Selon l'Observatoire des négociations commerciales, en prenant en compte les hausses résultant du cycle de négociations de l'année précédente (3,5 %) et des revalorisations intermédiaires intervenues entre mars et novembre 2022, la hausse des tarifs a atteint 16 % entre mars 2022 et mars 2023 ;

- ces hausses ont rapidement été remises en cause par le ralentissement de l'inflation7(*), notamment au niveau des cours mondiaux de certaines matières premières. Le Gouvernement a donc appelé à la réouverture des négociations à l'été 2023. Dès avril 2023, le ministre de l'économie a appelé les plus grands industriels à s'inscrire dans une perspective volontaire de renégociation infra-annuelle pour revoir les prix à la baisse. Les plus grandes associations d'industriels de l'agroalimentaire se sont ainsi engagées à inviter les 75 plus grands industriels parmi leurs adhérents à rouvrir ces négociations dès lors qu'ils remplissaient certaines conditions - avoir vu le prix de cession de leurs produits augmenter de plus de 10 % dans les conventions signées au 1er mars 2023 et avoir connu une baisse du coût de l'un de leurs intrants de plus de 20 % depuis le 1er mars 2023. Néanmoins, peu d'industriels semblent avoir renégocié dans ce cadre, faute de remplir les critères. Quelques-uns ont renégocié leurs tarifs sur une base volontaire tandis que d'autres ont consenti à de nouvelles promotions.

Le Gouvernement a ensuite déposé un projet de loi visant à avancer les négociations pour obtenir des baisses de prix un mois plus tôt que prévu - le 1er février au lieu du 1er mars 2024. Ce texte a été promulgué le 17 novembre 20238(*).

Tous les acteurs auditionnés par le groupe de suivi ont fait le constat d'un climat de négociations particulièrement délétère au cours de ce cycle 2023-2024.

Selon eux, il a été caractérisé par le retour du rapport de force « pur et dur » : la pression déflationniste du Gouvernement de l'époque a conforté les demandes de baisses de tarifs des distributeurs. Pour les rapporteurs, la méthode illustrée en 2023-2024, partant du prix aval en déflation pour obtenir le tarif de l'industriel, est aux antipodes de la logique Egalim qui construit le prix « marche en avant » afin de préserver la rémunération de l'amont agricole.

Les demandes des fournisseurs s'établissaient à + 4,5 % en moyenne, avec des demandes de hausses particulièrement importantes sur des produits comme les huiles, le chocolat, le café, la biscuiterie, les boissons sucrées et les sauces. Les contre-propositions des distributeurs étaient principalement en déflation pour l'ensemble des catégories (- 3,5 % en moyenne) et pour une grande majorité de fournisseurs. À l'issue des négociations, l'évolution globale des tarifs convenus était de + 0,08 %, selon la DGCCRF. Les industriels et les distributeurs auditionnés par le groupe de suivi ont, quant à eux, rapporté des tarifs négociés globalement, en moyenne entre - 1 % et + 1 %.

Au total, il ne semble pas que ces négociations anticipées aient entraîné des baisses de prix significatives : en mars 2024, l'inflation à un mois était de - 0,2 % sur les produits de grande consommation frais et libre-service, au sein des grandes surfaces alimentaires, soit un niveau comparable à celui constaté les six mois précédents9(*).

Les rapporteurs tirent de ces trois cycles de négociations commerciales atypiques que le cadre issu des lois Egalim, tel qu'appliqué actuellement, n'est pas adapté à la période de volatilité des prix récente. Ils mettent en garde contre le renversement de la logique Egalim en 2024, où la pression déflationniste tout au bout de la chaîne agricole a remis en cause le principe de construction du prix « marche en avant ».


* 5 Loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie.

* 6 Prix du tarif diminué des ristournes et rabais du fournisseur et du montant des prestations commerciales facturées par l'acheteur.

* 7 De + 5,6 % sur un an en mars 2023, l'inflation générale est passée à + 4,5 % en juin 2023 et + 4,3 % en juillet 2023. L'inflation alimentaire dans la grande distribution est quant à elle passée de 15,9 % sur un an en mars 2023 à 14,4 % en juin 2023 et 13,1 % en juillet.

* 8 Loi n° 2023-1041 du 17 novembre 2023 portant mesures d'urgence pour lutter contre l'inflation concernant les produits de grande consommation.

* 9 Baromètre inflation Circana-LSA de mars 2024.

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