D. DES CLAUSES CONTRACTUELLES PEU PROTECTRICES DES INTÉRÊTS DE L'ÉTAT CONCÉDANT
1. Ni définition de l'équilibre financier des concessions ni encadrement sérieux de leur rentabilité
La commission d'enquête sénatoriale l'avait mis en évidence en 2020, contrairement aux contrats des concessions les plus récentes, l'équilibre financier des concessions historiques n'est pas défini. Cette situation complique singulièrement l'exercice de suivi de la rentabilité des concessions. Le rapport de la commission soulignait en effet que « si l'équilibre des contrats a bien été défini pour les nouvelles concessions, celui des concessions historiques n'est nulle part précisé, en raison de leur ancienneté et des nombreuses modifications apportées à leur périmètre et à leur durée. En l'absence de définition de cet équilibre, qui met en regard les investissements réalisés et futurs avec les recettes perçues et prévisionnelles, il n'est pas possible d'évaluer, à un instant donné, l'évolution de la rentabilité des concessions par rapport à celle initialement prévue par les contrats ».
Le rapporteur observe ainsi que, faute de définition de l'équilibre financier des concessions historiques, les enjeux relatifs au suivi et à l'encadrement de leur rentabilité ont trop longtemps été totalement ignorés. Jusqu'en 2015, les contrats des concessions historiques ne comportaient ainsi aucun dispositif de nature à encadrer la rentabilité des sociétés concessionnaires.
En réponses au questionnaire du rapporteur, la direction générale du Trésor a souligné cette carence : « les contrats n'étaient pas conçus à l'origine dans une logique d'encadrement de la rentabilité puisque les concessionnaires étaient des sociétés publiques. Ils présentaient donc des clauses qui peuvent apparaître aujourd'hui défavorables au concédant ».
La loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite « loi Macron » a imposé que toutes les concessions soient assorties de clauses d'encadrement de la rentabilité des concessionnaires. Ainsi, l'article L. 122-4 du code de la voirie routière prévoit-il désormais les dispositions suivantes : « le cahier des charges prévoit un dispositif de modération des tarifs de péages, de réduction de la durée de la concession ou d'une combinaison des deux, applicable lorsque les revenus des péages ou les résultats financiers excèdent les prévisions initiales. En cas de contribution de collectivités territoriales ou de l'État au financement de la concession, ce dispositif peut, à la place ou en complément, prévoir un partage d'une partie des résultats financiers de la concession au profit de l'État et des collectivités territoriales contributrices ».
Pour répondre aux exigences formulées par la Commission européenne, dans le cadre des négociations du plan de relance autoroutier de 2015, des clauses d'encadrement de la rentabilité ont été introduites dans les contrats des concessions historiques. Cependant, ces clauses, partielles, sont loin d'être aussi exigeantes que celles qui ont été intégrées dans les contrats des concessions les plus récentes (voir infra).
Elles sont de deux ordres :
- des clauses dites de « péage endogène », qui prévoient une modération des tarifs de péages (diminution, gel ou moindre augmentation) en cas de dépassement de seuils de revenus perçus par le concessionnaire, mais dont la portée ne concerne que les investissements intégrés dans le plan de relance autoroutier ;
- des clauses dites de « durée endogène » qui prévoient une fin anticipée des concessions si leurs chiffres d'affaires cumulés depuis la privatisation de 2006 venaient à dépasser de 30 % ceux qui étaient prévus dans le plan d'affaires d'origine.
Le rapporteur note qu'en pratique, ces clauses, introduites dans les contrats historiques « sous une forme dégradée »32(*), n'auront, si elles en ont, qu'un impact extrêmement faible sur la rentabilité des concessions. C'est tout du moins l'analyse qu'en fait l'ART dans son rapport de janvier 2023 consacré à l'économie des concessions autoroutières33(*), qualifiant de « mineure » leur incidence potentielle sur la rentabilité des concessions historiques. Si elle considère que la probabilité de déclenchement des clauses de péages endogènes est élevée, elle ajoute qu'en toute hypothèse, leur impact sera « faible ». S'agissant des clauses de durée endogènes, elle estime que la probabilité de leur déclenchement est « quasi-nulle ». Cela supposerait en effet que des hauses de trafic annuel comprises en 13 % et 26 % soient observées jusqu'à la fin des concessions.
2. Des contrats quasi muets sur les enjeux et procédures liés à l'achèvement des concessions
À l'issue des concessions, le patrimoine autoroutier concerné doit revenir gratuitement et en « bon état » à l'État. Cette perspective représente des enjeux techniques et financiers absolument considérables qu'il aurait été raisonnable d'anticiper. En effet, aujourd'hui la valeur du patrimoine autoroutier concédé est estimée à environ 194 milliards d'euros.
Or, malgré ces enjeux, et contrairement aux contrats des nouvelles concessions (voir infra), les contrats des concessions historiques étaient étonnamment muets quant aux procédures relatives à l'échéance des concessions.
Notamment la notion fondamentale du « bon état » des « biens de retour », c'est à dire des infrastructures qui reviendront à l'État à l'issue des concessions, n'était pas définie dans les contrats d'origine. Ils n'évoquaient que l'expression vague de « bon état d'entretien » sans expliciter ce qu'elle recouvrait concrètement.
Les cahiers des charges des concessions historiques prévoyaient tout de même la réalisation d'un inventaire contradictoire du patrimoine des concessions à la clôture des comptes 2006. Cet inventaire devait ensuite faire l'objet d'une actualisation tous les cinq ans. Pourtant, comme le regrettait notamment l'ART dans la première édition de son rapport sur l'économie des concessions en 202034(*), cet inventaire n'a jamais été réalisé et l'administration a finalement décidé de ne faire procéder à celui-ci que dans le cadre des procédures de fin des concessions (voir infra).
3. Des clauses de stabilité du paysage fiscal renforcées en 2015
Les contrats de concessions autoroutières comportent une clause dite de « stabilité du paysage fiscal ». Cette clause à vocation à neutraliser au moins partiellement les conséquences économiques pour les concessionnaires d'évolutions des prélèvements spécifiques qui pèsent sur eux. Cette clause figure à l'article 32 des contrats. Jusqu'en 2015, la garantie de stabilité des prélèvements spécifiques aux concessions n'était que partielle en ce sens qu'elle ne valait que dans l'hypothèse où les évolutions considérées conduisaient à « gravement compromettre » l'équilibre économique et financier de la concession.
Dans le cadre des négociations du plan de relance autoroutier de 2015, les sociétés concessionnaires ont obtenu une révision de la formulation de la clause prévue à l'article 32 des contrats dans un sens beaucoup plus strict. Désormais la clause garantit la neutralisation pour les concessionnaires de toute évolution des prélèvements qui leur sont spécifiques et, ce même en l'absence de remise en cause grave de l'équilibre économique et financier des concessions.
En vertu de cette nouvelle formulation, toute évolution des prélèvements spécifiques aux concessionnaires doit être compensée si elle modifie, même de façon marginale, l'équilibre économique et financier de la concession.
L'article 32 des contrats des concessions historiques stipule ainsi désormais que « en cas de modification, de création ou de suppression (...) d'impôt, de taxe ou de redevance, y compris non fiscale, spécifique aux sociétés concessionnaires d'autoroutes, les parties se rapprocheront, à la demande de l'une ou de l'autre, pour examiner si cette modification, création ou suppression est de nature à dégrader ou améliorer l'équilibre économique et financier de la concession, tel qu'il existait préalablement à la création, modification ou suppression dudit impôt, taxe ou redevance. Dans l'affirmative, les parties arrêtent, dans les meilleurs délais, les mesures de compensation, notamment tarifaires, à prendre en vue d'assurer, dans le respect du service public, des conditions économiques et financières ni détériorées ni améliorées ».
* 32 Formule retenue par la commission d'enquête sénatoriale en 2020.
* 33 L'économie des concessions autoroutières, 2ème édition, ART, janvier 2023.
* 34 L'économie des concessions autoroutières, 1ère édition, ART, novembre 2020.