IV. LES FAIBLESSES DES CONTRATS HISTORIQUES NE DOIVENT PAS FAIRE OUBLIER LES ATOUTS DU MODÈLE CONCESSIF
A. LES DÉFAUTS DES CONTRATS HISTORIQUES NE DISQUALIFIENT PAS LE MODÈLE CONCESSIF EN LUI-MÊME
Les contrats de concessions historiques présentent de nombreux défauts. Leurs clauses ne sont pas suffisamment protectrices des intérêts publics et leurs modifications successives se sont fondées sur des paramétrages économiques et financiers défavorables à l'État concédant ainsi qu'aux usagers. Aucun suivi sérieux et aucun encadrement véritable de la rentabilité des concessions autoroutières historiques n'a été mis en oeuvre ce qui se traduira très vraisemblablement, pour certaines d'entre elles, par des taux de rentabilité effectif sensiblement supérieurs à ceux qui résultaient des plans d'affaires initiaux et des niveaux de rémunération raisonnable estimés par l'administration au moment de la privatisation de 2006.
Le rapporteur tient néanmoins à souligner que tous ces défauts ne disqualifient pas pour autant le modèle concessif en lui-même. Ces lacunes qui sont à juste titre mises en exergue ne doivent pas faire oublier les atouts et les réalisations du modèle concessif en France en matière autoroutière comme dans d'autres champs.
B. LE MODÈLE CONCESSIF REPOSE SUR DES PRINCIPES ÉCONOMIQUEMENT RATIONNELS
Le modèle concessif a permis de construire en quelques dizaines d'années un des réseaux autoroutiers les plus vastes et les plus denses au monde59(*). Ce premier résultat objectif et concret mérite d'être rappelé en préambule.
Par ailleurs plusieurs caractéristiques inhérentes au modèle de la concession reposent sur des principes dont les fondements apparaissent économiquement rationnels.
Le premier de ces principes est celui de la logique « d'utilisateur-payeur » à travers le financement du réseau autoroutier via la tarification des usagers au moyen de péages. Si cette caractéristique n'est pas exclusive au seul modèle concessif, elle lui est inhérente. Une concession autoroutière, qui suppose le transfert au concessionnaire du risque d'exploitation, ne pourrait fonctionner sans un système de tarification des usagers.
Ce principe de financement revêt une indéniable légitimité dans la mesure où seuls les usagers des autoroutes, et non les deniers publics, c'est à dire l'ensemble des contribuables, financent celles-ci. Au contraire, comme décrit supra, le modèle concessif en matière d'autoroutes génère même des recettes publiques significatives, à hauteur d'environ 5 milliards d'euros par an.
Le système de financement par péage se justifie d'autant plus pour un pays comme la France, à la fois carrefour géographique incontournable pour le transport routier de marchandises en Europe de l'Ouest et pôle d'attractivité touristique international. Ainsi, poids lourds comme véhicules légers, de très nombreux étrangers utilisent chaque année le réseau autoroutier français. Il apparaît très rationnel économiquement de les faire contribuer au financement de l'entretien de ce réseau plutôt que de faire uniquement reposer les investissements autoroutiers sur les contribuables français. À titre d'exemple, on estime aujourd'hui qu'environ 30 % des péages autoroutiers en France sont acquittés par des poids lourds étrangers. Au-delà même du fait qu'il est économiquement parfaitement légitime que ces usagers contribuent aussi à l'entretien du réseau, pour le rapporteur, il serait tout à fait irrationnel de se passer d'une telle manne, en particulier dans l'état actuel de nos finances publiques.
Cette logique de financement par l'usager est également très vertueuse au sens où elle participe à sécuriser les investissements d'entretien du réseau et donc la qualité de ce dernier (voir infra).
Par ailleurs, le financement par l'usager présente un autre avantage loin d'être négligeable. Il contribue à rationaliser les décisions d'investissements. En effet, en théorie, comme l'a souligné l'ART auprès du rapporteur, les choix d'investissements portant sur le réseau autoroutier concédé doivent être « encadrés par l'intérêt qu'ils présentent pour les usagers, leurs coûts et la propension à payer de ces derniers »60(*).
Le principe du modèle concessif a aussi cela de vertueux qu'il permet de mobiliser des financements privés pour réaliser des investissements d'intérêt général et construire des infrastructures qui seront ensuite remises à l'État gratuitement et font partie du patrimoine public.
Par ailleurs, le système de concession permet à la personne publique de transférer à des opérateurs privés certains risques et leurs potentielles conséquences financières défavorables. Même si ce transfert doit être optimisé dans son périmètre, rémunéré à sa juste valeur et encadré pour ne pas conduire à léser l'État et les usagers, il peut permettre de faire assurer aux concessionnaires des risques qu'ils sont plus à même de maîtriser que ne peuvent l'être les personnes publiques. Par ailleurs ces transferts de risque sont vecteurs d'incitations à la performance pour les concessionnaires encouragés à améliorer leur niveau de service et à réaliser des gains de productivité pour améliorer leur rentabilité. Dans ces conditions, le coût global de ces risques pour la collectivité peut s'en trouver réduit, ce qui se traduit par une augmentation nette du « bien-être » collectif au sens économique.
* 59 Le quatrième plus long du monde après la Chine, les Etats-Unis et l'Allemagne.
* 60 Réponses de l'ART au questionnaire du rapporteur.