III. INSTITUTIONNALISER LES ALLIANCES EUROPÉENNES POUR INSCRIRE CETTE INITIATIVE DANS LE TEMPS LONG ET INCLURE À TERME TOUS LES ÉTABLISSEMENTS VOLONTAIRES, EN CONSERVANT UNE SOUPLESSE DE MISE EN oeUVRE
Paroles des établissements français...
« Toute coopération institutionnelle, active et dynamique à plusieurs niveaux et multidisciplinaire se construit sur le temps long. Tout bilan de la première période doit prendre en compte ces réalités et sortir de ce qui peut parfois ressembler à une « pensée magique » sur la capacité et rapidité d'action des alliances. Pour tirer pleinement le bénéfice du potentiel, il faudra que les alliances arrivent à bien s'installer dans les activités de base des institutions, avec une perspective de développement sur dix ans, voire plus ».
« Il y a une nécessité d'un message fort, vers les personnels, de « durabilité » de l'initiative, condition de leur engagement. Il manque un signal clair de la part de la Commission et des États membres selon lequel les universités européennes ne sont pas seulement un projet pilote ou un projet d'innovation. Que nous mettons en oeuvre un changement dans nos organisations qui vise à les transformer à long terme, pour le mieux. Il est important d'obtenir l'acceptation - et l'adhésion - des enseignants et du personnel, au-delà des quelques innovateurs et pionniers habituels ».
Source : Réponses au questionnaire adressé par les rapporteurs aux établissements français, membres des alliances.
Comme les établissements auditionnés et sollicités, les rapporteurs estiment que cette initiative des universités européennes doit sortir de la logique projet pour s'inscrire dans une logique de long terme. Il s'agit de mettre en oeuvre une approche plus structurante.
Inscrire cette initiative dans le temps long requiert ainsi une pérennisation des financements et une simplification de la coopération, en levant les obstacles bloquants auxquels les établissements font face (diplôme conjoints, gouvernance, outils numériques...), tout en gardant une souplesse de mise en oeuvre.
Pour les rapporteurs, pérenniser cette initiative signifie également l'élargir en incluant, à terme, tous les établissements qui veulent rejoindre une alliance.
Le paquet de textes présenté par la commission le 27 mars dernier - et notamment la proposition d'un diplôme européen commun - peut y contribuer, selon les rapporteurs, même si certains points méritent d'être clarifiés.
L'enjeu est ainsi de passer à un acte II des alliances européennes, six ans après leur création.
La France soutient la consolidation des alliances
Le président de la République dans son discours prononcé à la Sorbonne le 25 avril 2024 a souhaité, sept ans après le lancement des alliances européennes, « passer à une deuxième étape : consolider les financements, mais renforcer leur intégration et que nous allions vers des diplômes européens pleinement conjoints (..). »
La France soutient ainsi la « deuxième étape » des alliances universitaires européennes à travers la mise en place d'un diplôme conjoint européen et d'un financement pérenne pour les alliances d'universités.
...comme y encourage aussi le récent rapport d'Enrico Letta68(*)
Dans son rapport publié en avril dernier, E. Letta appelle à « la pleine réalisation des espaces européens de l'éducation et de la recherche ». Il estime ainsi que « l'espace européen de l'éducation, qui encourage la collaboration entre les États membres de l'Union européenne afin de mettre en place des systèmes nationaux d'éducation et de formation plus résistants et plus inclusifs, sera une dimension essentielle de la cinquième liberté ».
Il considère ainsi le projet de diplôme européen comme « la pierre angulaire de la réalisation de cette cinquième liberté », qui permettra notamment de stimuler davantage la mobilité transnationale des apprenants.
Selon E. Letta, « les 60 alliances entre universités européennes qui existent aujourd'hui (à la date de la publication du rapport), soutenues par le programme Erasmus+, joueront un rôle central dans la réalisation de cette ambition. Il est essentiel qu'elles bénéficient d'un financement à la hauteur de leur rôle essentiel dans la transformation de l'espace européen de l'enseignement supérieur et l'introduction d'un diplôme européen ». Il propose ainsi une augmentation de 10 millions d'euros par an pour chaque alliance, soit 600 millions d'euros par an pour l'ensemble des 60 alliances actuelles. Cet investissement serait financé pour les deux tiers par Erasmus+, complété par un ensemble de programmes de l'UE.
A. PÉRENNISER ET SIMPLIFIER LE MODÈLE DE FINANCEMENT DES ALLIANCES
Paroles des établissements français...
« Afin d'assurer une continuité des activités initiées depuis ces cinq dernières années, développer de nouvelles initiatives et asseoir la collaboration de l'alliance dans le temps, il est indispensable de sortir du modèle de financement par projet pour aller à un modèle de financement stable et durable. La logique d'appels à projets compétitifs est délétère sur le long terme puisqu'elle empêche les alliances d'anticiper et se projeter sur le temps long (stratégie de l'établissement, personnel pérenne, etc.) ».
« Il est évident que les financements doivent être pérennisés si on veut maintenir le niveau d'ambition actuel (création de l'université européenne avec des unités de gestion communes ; mobilité renforcée d'étudiants, d'enseignants et d'administratifs ; programmes de recherche et de formation hautement intégrés ; mise en place d'une politique commune d'enseignement supérieur). Avec ce type de financement, le management pourrait être davantage centralisé (grant office, communication, mobilité, gouvernance, stratégie). De plus, plusieurs formations conjointes pourraient être financées dans la durée ».
« Les partenaires de l'alliance ont déjà eu l'occasion d'exprimer leur plein soutien à la nécessité de synergies, de simplification et de durabilité d'une trajectoire d'investissement post-2027 ».
Source : Réponses au questionnaire adressé par les rapporteurs aux établissements français, membres des alliances.
1. Pérenniser les crédits nationaux et européens, pour permettre aux alliances de s'institutionnaliser, voire de s'élargir...
La quasi-totalité des établissements consultés par les rapporteurs ont indiqué que la pérennisation des financements des universités européennes constituait le principal défi auxquels ils étaient confrontés.
Les rapporteurs sont convaincus de la nécessité d'un signal clair de la part de la Commission européenne et des États membres affirmant que les universités européennes ne sont pas seulement un projet pilote ou d'innovation, mais bien un projet d'avenir structurant. Ce changement d'échelle nécessite ainsi un modèle de financement européen et national durable, pour financer les activités en cours et les investissements supplémentaires pour parvenir à une transformation et une institutionnalisation pérenne.
Le maintien de financement européen est, par ailleurs, essentiel en ce qu'il a « un effet hautement symbolique », comme relevé par certains établissements, en favorisant la mobilisation de la communauté universitaire.
Cette pérennisation des financements à l'échelle nationale et européenne est également nécessaire pour la création de nouvelles alliances et/ou leur élargissement, que les rapporteurs appellent de leurs voeux. Pour le moment, comme indiqué précédemment, il n'y a plus d'appels à projet prévus par la Commission européenne dans le cadre financier pluriannuel actuel (2021-2027). Mais il sera nécessaire, sous forme d'appels à projet ou sous une autre forme, de maintenir un financement durable pour que les établissements qui le souhaitent puissent créer ou rejoindre une alliance, avec un financement associé sans attendre l'adoption d'un nouveau cadre financier pluriannuel.
La Commission a annoncé lancer un « European degree pathway project » en 2025 pour proposer de nouvelles incitations financières pour les États membres. Les rapporteurs y seront attentifs. La France devra en tout cas porter cette demande de financement pérenne durant les prochaines négociations concernant le programme Erasmus +, et le futur cadre budgétaire pluriannuel.
2. Donner une meilleure prévisibilité financière aux établissements : allonger la durée des financements par appels à projet ou par subvention en l'alignant sur la durée du prochain cadre financier pluriannuel (2028-2034)
Cette pérennisation des financements doit passer par une meilleure prévisibilité financière pour les établissements.
Il pourrait être envisagé de prévoir - comme proposé par certains établissements - les financements européens et les financements nationaux sur une durée plus longue, calquée sur la programmation pluriannuelle Erasmus+ et sur celle des projets d'excellence français, c'est-à-dire 7 à 8 ans.
Il semblerait que la Commission réfléchisse à cette piste d'ouvrir un financement sur la durée de la prochaine programmation (2028-2034) : les rapporteurs ne peuvent que l'y encourager.
3. Simplifier l'accès aux financements : un guichet unique européen par le biais d'un contrat pluriannuel avec l'UE ?
a) Un financement via un contrat pluriannuel avec l'UE ?
Comme indiqué précédemment, les établissements font face à une segmentation des financements, achoppant sur le fonctionnement en silo des institutions européennes. Si les rapporteurs sont conscients que les domaines de la recherche et de l'enseignement supérieur peuvent relever de logiques institutionnelles différentes, ils estiment qu'un rapprochement doit être amorcé entre les volets recherche et formation de l'initiative des universités européennes, afin de simplifier l'accès aux financements des établissements.
Cela passe notamment par un renforcement des liens et une meilleure communication entre les deux directions de la Commission européenne concernées, que sont la DGRTD et la DGEAC.
Certains établissements souhaitent ainsi une approche systémique des fonds européens, avec la constitution d'un guichet unique européen. Il s'agit effectivement de passer d'une logique d'appels à projets sectorisés (Erasmus+, Horizon Europe...) à une approche par programme. Les rapporteurs sont ainsi favorables à la proposition du ministère français de l'enseignement supérieur de mettre en place des contrats pluriannuels : les alliances pourraient ainsi être financées sur la base d'un contrat pluriannuel, mêlant formation et recherche, avec l'UE et les États membres réunis au sein d'un « partenariat institutionnalisé ».
b) Et conditionné à une évaluation ?
Les rapporteurs sont convaincus que de la confiance accordée à ces alliances, peuvent découler des financements. Autrement dit, évaluer ces alliances, montrer qu'elles fonctionnent, et les appuyer dans la durée incitera les financeurs publics à les subventionner.
Ainsi, il pourrait être envisagé de conditionner les financements alloués aux alliances par la Commission européenne, à une évaluation par une agence d'évaluation nationale enregistrée à l'EQAR, qui serait reconnue par les autres agences, comme proposé dans la recommandation de la Commission européenne sur l'assurance qualité. Toutefois, cette évaluation ne pourrait être possible qu'à moyen/long terme, une fois que les alliances auront atteint un degré de maturité suffisant.
Ce système de contrat pluriannuel pourrait ainsi, à terme, remplacer le financement par appels à projets, qui n'est pas optimal.
Mieux suivre les alliances : un objectif à atteindre, pas seulement dans une visée budgétaire
1/ Développer le suivi qualitatif et quantitatif des universités européennes
Cela semble une nécessité, notamment si l'on souhaite conditionner le financement des alliances à une évaluation, mais pas seulement. Les rapporteurs estiment nécessaire que les instances européennes et nationales tiennent à jour un tableau d'indicateurs qualitatifs et quantitatifs pour suivre et évaluer au mieux le dispositif.
Ainsi, par exemple, il faudrait que les autorités françaises soient en mesure, pour les questions de mobilités, d'identifier les montants qui ont été utilisés pour financer les mobilités réalisées dans le cadre des alliances, par le biais de ces financements Erasmus + classiques, ce qui n'est pas le cas actuellement.
2/ Institutionnaliser une structure de soutien auprès des alliances, au plan national et européen
Des groupes de coordinateurs d'alliances existent et permettent aux alliances d'avoir des échanges informels afin de partager leurs expériences et leurs réponses apportées face à des problématiques communes. Les rapporteurs considèrent ces structures comme essentielles, et estiment qu'il faudrait aller plus loin en les institutionnalisant au plan européen, mais également national.
4. À défaut, mieux prendre en compte l'appartenance à une alliance dans l'attribution des financements européens
Les rapporteurs sont favorables à la remise en cause du système de financements via les appels à projet pour assurer la stabilité des financements. Si toutefois, la décision était de maintenir un financement par appels à projet, les rapporteurs jugent nécessaire de flécher certains financements vers les alliances, ou au moins de mieux prendre en compte l'appartenance à une alliance pour attribuer ces financements.
Ce fléchage des financements doit concerner des fonds européens supplémentaires pour les alliances. Sinon, à budget constant, ce fléchage des financements devra être conditionné à un objectif d'élargissement des alliances à tous les établissements qui le souhaitent. En effet, cette condition d'élargissement doit être respectée, au risque de favoriser une politique européenne d'enseignement supérieur asymétrique, écartant des financements européens les établissements non membres des alliances.
Les établissements rencontrés ont fait plusieurs propositions en ce sens : certains estiment qu'il faudrait qu'un nombre plus important d'appels à projet soient dédiés aux alliances, sur des axes spécifiques, et que les modalités de candidature et de gestion soient simplifiées.
Par exemple, un volet spécifique aux « alliances » pourrait être dédié au sein de l'action clé 131 d'Erasmus + afin de couvrir l'augmentation souhaitée des mobilités, sans modalité supplémentaire de candidature ou de rapport que celles déjà prévues pour cette action.
Selon la même logique, il serait intéressant de développer les synergies entre Horizon Europe et les alliances d'universités européennes, pour diriger davantage de financements « recherche » vers les alliances. Ainsi, certains appels à projet lancés au titre d'Horizon Europe pourraient être dédiés aux alliances pour développer par exemple des réseaux doctoraux sur des thématiques moins précises que celles demandées actuellement, avec une grille d'évaluation propre, et pourraient prendre en compte l'appartenance à une « université européenne » dans l'évaluation des projets. Ainsi certains établissements proposent que certains programmes, comme les actions Marie Skodowska-Curie, puissent prendre en compte, dans l'évaluation, la présence de partenaires d'une même alliance d'universités européennes (ou les synergies entre plusieurs alliances), à l'exemple de ce qui est fait pour les programmes Erasmus Mundus.
Par ailleurs, les rapporteurs estiment également que doivent être encouragés les reportings financiers demandés aux établissements, moins lourds et complexes - comme cela a pu être le cas lors des premiers appels à projets Erasmus + des universités européennes - et les modalités de financement permettant plus de souplesse aux établissements (modèle budgétaire fondé sur une dotation forfaitaire). Les établissements, durant la première phase des alliances, ont de fait dû faire face à des procédures très complexes (cf. encadré infra).
Paroles des établissements français...
« Le reporting assuré dans le cadre de la coordination de la phase pilote du projet a été une expérience édifiante pour notre université. Le processus fut long, et la phase du reporting financier notamment (incluant les processus d'audits internes du projet) fut très longue et laborieuse, impliquant un nombre considérable de demandes de justifications dans le cadre dudit audit et une grande complexité pour l'équipe de coordination de notre université. La nouvelle phase du projet devrait être plus légère pour le reporting financier étant donné que le modèle budgétaire est de type « lump sum ».
Source : Réponses au questionnaire adressé par les rapporteurs aux établissements français, membres des alliances.
Si la logique des appels à projets était maintenue, elle nécessiterait de doter les établissements français d`équipes formées pour y répondre, comme dans d'autres pays européens
Répondre et suivre des appels à projet requiert du personnel disponible et compétent, souvent trop peu nombreux dans les établissements français, à la différence de certains établissements européens.
Certaines universités européennes sont très performantes en termes de « captation de financements européens », et les établissements français pourraient s'en inspirer. L'Université de Bordeaux indique ainsi que la pratique d'une université belge « est source d'inspiration tant par sa force de frappe impressionnante (10 personnes dédiées au montage de projets européens Horizon Europe), que pour ses actions amont de lobbying et d'insertion dans les réseaux européens (2 chargés d'affaires publiques/lobbying dédiées) ».
Ainsi, certains établissements français tentent de s'organiser : une université interrogée a indiqué ainsi « mettre en place une cellule Europe (avec une équipe de plusieurs personnes) au sein de sa direction de la recherche et de la valorisation (...) afin d'accompagner efficacement les porteurs de projet dans la rédaction de la demande, son dépôt et la gestion du contrat correspondant », estimant que « le comparatif avec le fonctionnement des services respectifs des établissement partenaires est précieux ». Il s'agit d'initiatives qu'il faut encourager.
5. Encourager les alliances à trouver d'autres sources de financement
Bien qu'appelant à une pérennisation des fonds nationaux et européens, les rapporteurs sont conscients qu'un risque existe de diminution de ces derniers. En complément de ces financements, les rapporteurs encouragent ainsi les établissements, membres des alliances, à s'ouvrir à d'autres sources de financements.
Les rapporteurs encouragent ainsi les établissements à mobiliser davantage les soutiens d'entreprises privées. Celles-ci figurent déjà, la plupart du temps, comme des partenaires des alliances.
Les rapporteurs sont convaincus qu'en se développant, les alliances vont faire grandir cet écosystème autour d'elles, et mieux intégrer les partenaires économiques dans leur projet. Ils encouragent toutes les initiatives qui iraient dans ce sens. Ces financements auraient vocation à compléter les financements nationaux, et non à s'y substituer.
* 68 Enrico Letta, « Much more than a Market - speed, security, solidarity: empowering the Single Market to deliver a sustainable future and prosperity for all EU Citizens», Avril 2024.