EXAMEN EN COMMISSION

(Mercredi 16 octobre 2024)

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin pour examiner les conclusions de la mission d'information sur les politiques publiques de contrôle du traitement des eaux minérales naturelles et de source, par notre collègue Antoinette Guhl.

Avant de lui laisser la parole, je souhaiterais rappeler le contexte ayant présidé à la création de cette mission d'information. Celle-ci fait écho à l'enquête Le Monde - Radio France publiée à la fin du mois de janvier dernier. Cette enquête révélait que des eaux minérales naturelles et de source avaient fait l'objet pendant des années de traitements non autorisés, remettant en cause leur qualification réglementaire, sans que le consommateur n'en soit informé, mais sans que la sécurité sanitaire ne soit mise en cause.

Ce travail de contrôle avait été initialement prévu comme une « mission flash » s'achevant mi-juillet. Néanmoins, ses travaux ont été interrompus par la dissolution du mois de juin dernier. Notre collègue rend donc ses conclusions aujourd'hui.

Je souhaite rappeler à tous que des actions judiciaires ont eu lieu au plan pénal et que d'autres sont en cours, avec constitution de parties civiles à l'encontre de Nestlé Waters et de Sources Alma. En particulier, le 10 septembre 2024, le parquet d'Épinal a conclu une convention judiciaire d'intérêt public avec Nestlé Waters Supply East. Cette convention éteint toute l'action judiciaire concernant les pratiques commerciales trompeuses sur les marques Vittel, Contrex et Hépar commercialisées par cette branche de Nestlé Waters.

Comme convenu lors de sa création et comme la rapporteure nous l'expliquera, la mission d'information s'est concentrée sur la gestion par les pouvoirs publics de cette séquence. En effet, ces pratiques n'ont pas été portées à la connaissance du consommateur, mais elles étaient connues de l'État, notamment grâce à un autosignalement de Nestlé Waters.

Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - Les Français ont une relation toute particulière avec les eaux minérales naturelles et de source. Ils en consomment environ 9 milliards de litres par an, qu'il s'agisse de marques haut de gamme comme Évian ou Perrier, plus accessibles comme Cristaline ou de marques régionales comme Quézac. En Europe, il n'y a guère que les Italiens ou les Allemands qui en consomment plus que nous.

Mais la France est aussi le premier exportateur au monde d'eaux embouteillées. En particulier, nos eaux minérales sont plébiscitées pour leur composition et leur aspect thérapeutique essentiel à l'économie thermale. Leurs effets bénéfiques pour la santé peuvent être reconnus par l'Académie nationale de médecine, et certaines d'entre elles sont même labellisées comme adaptées à l'alimentation de nos nourrissons.

Ces spécificités découlent d'une définition très stricte des eaux minérales et de source. Évidemment, une eau minérale naturelle se distingue par sa minéralité, c'est-à-dire sa teneur en minéraux et en oligoéléments. Mais elle se définit aussi par sa naturalité, c'est-à-dire le fait qu'elle émane d'une source d'eau souterraine tenue à l'abri de toute pollution. Il s'agit du principe de pureté originelle, qui s'applique également aux eaux de source. Ces eaux sont donc supposées potables à la source, sans besoin de traitement de désinfection, contrairement à l'eau du robinet !

Ces éléments sont un fort argument de vente pour les minéraliers. Ils justifient un prix du litre d'eau minérale naturelle 200 fois plus élevé que l'eau du robinet - hors coût de l'assainissement. Mais ils génèrent également des recettes fiscales pour les communes concernées, qui peuvent instaurer une surtaxe sur les eaux minérales naturelles.

La pureté originelle est aussi une exigence environnementale : elle implique les minéraliers dans la protection de la ressource à l'égard des pollutions, par exemple via des conventions avec des agriculteurs locaux, des partenariats avec les communes sur l'assainissement, la gestion des déchets ou le développement du bâti.

La pureté originelle des eaux minérales naturelles a donc un triple intérêt : économique - compte tenu de leur prix -, thérapeutique - cet intérêt est reconnu par l'Académie nationale de médecine - et environnemental - il s'agit de mettre la ressource à l'abri des pollutions.

En janvier 2024, une enquête Le Monde - Radio France a bousculé cet équilibre. Elle a révélé que, pendant des années, des eaux minérales naturelles et de source ont subi des traitements explicitement interdits. De fait, ces eaux ne remplissaient donc plus les conditions pour être qualifiées de minérales naturelles ou de source. Soyons clairs, la sécurité sanitaire des produits finis n'a pas été remise en cause : 99,8 % des analyses des eaux étaient conformes aux exigences sanitaires au point d'embouteillage en 2022. Mais c'est un sujet majeur de confiance du consommateur et de loyauté économique des produits.

Les deux plus gros industriels des eaux minérales et de source en France sont concernés : le groupe Sources Alma, qui commercialise notamment Cristaline et détient 28 % de parts de marché, et Nestlé Waters, qui commercialise notamment Vittel, Contrex, Hépar et Perrier et détient 23 % de parts de marché.

Ces pratiques ont fait l'objet de suites judiciaires sur lesquelles mon rapport ne revient pas.

Ce qui est frappant, c'est que, sans l'enquête journalistique, le grand public et nous-mêmes n'en aurions probablement jamais été informés. Pourtant, l'État avait connaissance de ces pratiques, au moins depuis 2020 pour le groupe Alma, grâce au signalement d'un salarié, et depuis 2021 pour Nestlé Waters, qui s'est « autosignalé » auprès du ministère de l'industrie pour convenir avec l'État d'une voie de mise en conformité.

C'est la raison pour laquelle la mission d'information se concentre sur la gestion de la séquence par les pouvoirs publics. Comment expliquer que des pratiques explicitement interdites aient pu perdurer pendant des années, malgré les contrôles ? Qu'ont fait les pouvoirs publics depuis le moment où ils ont été informés de ces pratiques ? Comment en tirer les enseignements ?

Pour répondre à ces questions, j'ai mené 24 auditions : j'ai entendu des industriels, concernés comme non concernés, des experts hydrologues, les administrations compétentes, des ministres et membres de cabinets ministériels, la Commission européenne, des associations, mais aussi les journalistes à l'origine de l'enquête.

Au gré de ces auditions, j'ai conduit un travail d'assemblage d'informations et de reconstitution de tous les épisodes de la séquence. C'est, selon moi, un des premiers apports de cette mission d'information : faire la lumière sur la gestion somme toute confidentielle de cette séquence par les pouvoirs publics. Certaines administrations ont été particulièrement constructives et nous ont transmis de nombreux documents : arrêtés préfectoraux, notes d'expertise de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), compte-rendu de contrôles... Cela a permis de compenser le manque de transparence d'autres acteurs.

Je vais donc tenter de vous restituer l'enchaînement de ces événements.

En 2020, un salarié du groupe Alma signale le recours à des traitements interdits à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Son Service national d'enquêtes mène alors une enquête qui débouche sur un signalement au procureur en juillet 2021. En août 2021, Nestlé Waters sollicite le cabinet de la ministre de l'industrie pour un rendez-vous qu'il qualifie d'urgent, afin d'aborder des questions de conformité et de lecture de la réglementation. Ce rendez-vous a lieu le 31 août 2021 en présence de membres du cabinet de la ministre. Nestlé reconnaît alors avoir recours à des traitements interdits - lampes à ultra-violet et filtres à charbon actif - et demande la validation de l'administration pour utiliser un traitement alternatif.

La ministre saisit alors la DGCCRF, qui lui remet ses conclusions au cours de la deuxième quinzaine de septembre. Elle recommande notamment d'associer le ministère de la santé, compte tenu de sa compétence en matière de contrôle des eaux avant embouteillage. Plusieurs réunions entre les deux ministères ont alors lieu, avant que ne soit signée, le 19 novembre 2021, une lettre de mission saisissant l'inspection générale des affaires sociales (Igas) pour mener une inspection des usines de conditionnement d'eau.

Les conclusions de cette mission, remises en juillet 2022, révèlent des non-conformités entre les pratiques des industriels et les conditions d'exploitation prévues par arrêté dans près de 30 % des cas. Ces non-conformités englobent aussi bien des imprécisions des arrêtés préfectoraux que des traitements explicitement interdits et délibérément dissimulés. Il ne s'agit donc pas de 30 % des eaux qui font l'objet de traitements interdits.

Dans tous les cas, cela démontre les limites des contrôles, fragmentés entre les agences régionales de santé (ARS) et la DGCCRF, qui ont été impuissants face à des pratiques délibérées de dissimulation. Des services m'ont indiqué que les traitements interdits étaient si bien dissimulés - parfois dans des armoires électriques - qu'il aurait été impossible, même pour un expert, de les voir ! De plus, ces traitements étaient placés en amont des prélèvements du contrôle sanitaire : les prélèvements réalisés sur ces eaux, même proches de la source, étaient donc conformes aux limites réglementaires.

Le rapport de l'Igas souligne aussi la généralisation d'un traitement au statut spécifique : la microfiltration. Elle n'est pas interdite sur les eaux minérales naturelles et les eaux de source, mais la taille des filtres ne doit pas conduire à modifier le microbisme de l'eau, c'est-à-dire la composition microbiologique de l'eau à la source. Sinon, cela s'apparente à une désinfection. Or ni la réglementation européenne ni la réglementation nationale ne fixent clairement de seuil à partir duquel la microfiltration est acceptable. En l'absence de norme, c'est le seuil de 0,8 micron, mentionné dans un avis de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments de 2001 qui a longtemps été considéré comme acceptable par les autorités. Dans ses conclusions, la mission de l'Igas recommande de préciser la règle, compte tenu de la généralisation de la microfiltration à des seuils inférieurs.

Sollicitée par les administrations sur ce sujet, l'Anses n'a pas fait évoluer l'avis de 2001. Néanmoins, le ministère de la santé a modifié la doctrine qui prévalait jusqu'alors : il a préconisé aux ARS d'autoriser les microfiltrations pratiquées à un seuil inférieur à 0,8 micron sous réserve que l'exploitant apporte la preuve que ce traitement n'est pas désinfectant. Cette décision a été avalisée par une réunion interministérielle de février 2023. Mais attention, loin d'apporter des précisions sur le seuil pertinent, ces décisions ont reporté la responsabilité sur les ARS qui instruisent les demandes d'autorisation d'exploitation.

Or le plan de transformation de Nestlé Waters mis en oeuvre en 2023 sous l'égide des services de l'État repose sur la microfiltration. Il prévoit l'abandon des traitements de désinfection interdits en contrepartie de la mise en place d'une microfiltration inférieure à 0,8 micron et de la reconfiguration de certaines exploitations.

Dans le Grand Est, les traitements interdits positionnés en amont des prélèvements du contrôle sanitaire cessent à la fin de l'année 2022. Faute de respect des critères de pureté originelle des eaux, deux forages de la source Contrex sont mis à l'arrêt à cette époque, de même que deux forages de la source Hépar en mai 2023. Des demandes de modification des conditions d'exploitation de ces sources, déposées en mai 2023, mentionnent une microfiltration à 0,45 micron. Pour Vittel « Bonne Source » et « Grande Source », les arrêtés préfectoraux d'autorisation ont, quant à eux, été révisés le 4 juillet 2023 pour mentionner une microfiltration à 0,45 micron. Le 29 mars 2024, l'exploitant a déposé une nouvelle demande de révision des arrêtés de ces quatre sources - les deux sources Vittel, Contrex et Hépar - portant la microfiltration à 0,2 micron. Ces demandes sont toujours en cours d'instruction.

Dans le Gard, l'arrêt des traitements interdits est constaté le 10 août 2023 sur le site de Vergèze par l'ARS Occitanie. Plusieurs niveaux de microfiltres allant de 0,2 à 3 microns sont alors mis en place pour sécuriser la production. L'exploitation de la source Perrier a, quant à elle, été reconfigurée : un arrêté du 22 décembre 2023 prévoit que deux forages sont déclassés en « eau de boisson », désormais vendue sous la marque « Maison Perrier » et retirée du mélange source Perrier, en raison d'un taux élevé de non-conformité des eaux à l'émergence. Une demande de révision de l'arrêté d'exploitation de la source Perrier est déposée en octobre 2023. Elle mentionne une microfiltration à 0,2 micron et est toujours en cours d'instruction, malgré l'utilisation de ces filtres.

Ce plan de transformation s'achève fin 2023.

Entre l'information « spontanée » de Nestlé fin août 2021 au cabinet de la ministre de l'industrie et l'arrêt total des traitements de désinfection interdits, il s'écoule donc plus de deux ans ! Laps de temps durant lequel des eaux minérales naturelles sont vendues, alors même qu'elles ne méritaient pas cette dénomination. Certes, l'accompagnement vers la mise en conformité de l'industriel a nécessité beaucoup d'expertise et d'arbitrages internes. Énormément de choses ont été faites. Mais ce délai de mise en conformité est particulièrement long et ce plan a été mis en oeuvre dans une totale confidentialité. Pendant ce temps, les consommateurs achetaient des eaux rendues potables par traitement au prix d'eaux minérales naturelles ! Aucune mesure plus volontariste de l'État n'a cherché à éviter cela, alors même que notre arsenal juridique le permet. Seules des mises en demeure ont été prononcées par les préfets sur recommandation des ARS, une fois celles-ci informées à la suite de la mission d'inspection de l'Igas, alors que les ministères étaient au courant des pratiques depuis plusieurs mois.

Je vous présente donc dix recommandations pour clarifier le cadre juridique ; renforcer la fréquence, l'intensité et le caractère dissuasif des contrôles ; mieux informer le consommateur ; élever notre niveau de connaissances sur l'état de la ressource.

S'agissant du premier axe, notons que de cette séquence ressortent deux sujets majeurs à clarifier : d'une part, la microfiltration ; d'autre part, la traçabilité des eaux, puisqu'il y a dans certaines usines à la fois des eaux minérales naturelles et des eaux de boissons.

L'un des principaux enseignements de cette mission d'information est effectivement la position totalement ambiguë, voire contradictoire, des autorités vis-à-vis de la microfiltration.

Je préconise de la préciser urgemment. L'ambiguïté de la réglementation est inconfortable pour les autorités de contrôle, pour les services d'instruction, mais aussi pour les industriels dont les produits sont commercialisés sur le marché européen : or la microfiltration est autorisée jusqu'à 0,4 micron en Espagne, tandis qu'elle n'est quasiment pas tolérée en Allemagne par exemple. La direction générale de la santé de la Commission européenne a quant à elle affirmé, au cours d'un audit, que la microfiltration à 0,2 micron n'était pas conforme à la législation européenne, car « on ne peut exclure une modification du microbisme de l'eau » avec des pores aussi fins. Quant à l'Igas, elle a rappelé que la microfiltration pour garantir la sécurité sanitaire d'eaux non conformes était une « fausse sécurisation ». Mais aucune décision à valeur normative n'a été prise pendant cette séquence ! Il est donc urgent de préciser la situation.

C'est pourquoi je recommande qu'un dialogue européen soit engagé entre autorités compétentes, avec la Commission européenne et éventuellement l'autorité européenne de la sécurité sanitaire, afin de poser une règle claire pour tous les pays européens. Cela doit être fait sans délai, notamment parce que la microfiltration est la pierre angulaire du plan de transformation de Nestlé Waters. Ainsi, les choses n'ont pas été faites dans l'ordre ; on a d'abord autorisé le plan de transformation avant de trouver une solution à cette question de la microfiltration ; c'est regrettable !

Je ne m'aventurerai pas sur le niveau de seuil pertinent, n'étant pas une technicienne de la microfiltration. Sa détermination doit reposer sur l'expertise de l'Anses, de la direction générale de la santé (DGS), voire d'autorités européennes.

J'en viens au sujet crucial de la traçabilité de nos eaux minérales naturelles et de source. Les exploitants doivent garantir cette traçabilité, a fortiori lorsqu'ils produisent différents types d'eaux sur la même chaîne de production : les caractéristiques et les contrôles sanitaires ne sont en effet pas les mêmes. C'est par exemple le cas à Vergèze depuis le déclassement de deux forages d'eaux minérales naturelles de la source Perrier en « eaux de boisson » pour la production de la marque Maison Perrier. La question se pose aussi lorsque des eaux exportées hors de l'Union européenne, où les traitements autorisés ne sont pas les mêmes, sont produites sur les mêmes lignes que des eaux minérales naturelles. Par exemple, aux États-Unis, les dénominations « mineral water » et « spring water » n'induisent pas les mêmes caractéristiques qu'en Europe en matière de pureté originelle.

Même si elle n'est pas explicitement prévue au code de la santé publique, cette pratique est règlementaire dès lors que l'exploitant apporte la preuve à tout moment de la nature de l'eau conditionnée au regard de son étiquetage. Or, au cours des auditions, des services m'ont alertée sur les difficultés dans le contrôle de cette traçabilité, la preuve étant difficile à apprécier sur place au regard de la complexité des installations hydrauliques et du niveau de transparence de certains exploitants.

Ce sujet majeur pour la confiance des consommateurs et la loyauté des produits doit absolument être éclairci. Je préconise de réaliser une campagne de contrôles ciblés sur la traçabilité, afin d'évaluer l'opportunité de compléter la règlementation. Il est aussi nécessaire de préciser quelles preuves de traçabilité doivent être fournies par l'exploitant et de s'assurer que ces preuves soient mentionnées dans les arrêtés d'autorisation d'exploitation afin de faciliter le travail des services de contrôle.

Le deuxième axe a trait au renforcement de l'intensité, de l'efficacité et du caractère dissuasif des contrôles. Je tiens à préciser que l'engagement des autorités à l'échelle locale n'est pas à questionner. Néanmoins, l'audit de la Commission européenne, tout comme mes auditions, ont mis en évidence un manque de collaboration entre autorités compétentes, tant au niveau central que local.

Les ARS concernées ont découvert l'existence des traitements interdits tardivement, parfois bien après la remise du rapport de l'Igas. L'Anses, aussi, témoigne dans ses avis d'un besoin d'informations supplémentaires. Enfin, la DGCCRF, directement concernée, a indiqué ne pas avoir eu connaissance du rapport de l'Igas avant sa publication en février 2024.

Je recommande de développer considérablement le travail en réseau entre les autorités compétentes pour le contrôle des eaux minérales naturelles et des eaux de source, à savoir la DGS, la direction générale de l'alimentation (DGAL), la DGCCRF ainsi que les services déconcentrés et les ARS, afin de mieux identifier les risques à la suite des contrôles.

La collaboration entre ces autorités implique aussi de mener davantage d'inspections conjointes, notamment pour que les ARS disposent des pouvoirs d'enquête élargis de la DGCCRF. Il faut que ces inspections soient inopinées afin d'être véritablement efficaces. À ce sujet, j'attire votre attention sur le fait que des services m'ont indiqué avoir dû patienter environ une heure et demie avant de pouvoir pénétrer sur le site d'un exploitant, lors d'une inspection inopinée. Ce n'est pas acceptable. Que se passe-t-il pendant cette heure et demie ? On peut se poser la question. Il faut réaffirmer avec force que les inspecteurs doivent pouvoir mener leurs contrôles immédiatement.

Enfin, pour être plus dissuasifs, il faut encourager le recours à des mesures correctives assorties de mesures de publicité en cas de non-conformité des exploitants. Ce sont des mesures d'ordre réputationnel qui ont montré leur efficacité dans d'autres domaines du droit de la consommation ou du droit commercial.

Le troisième axe est celui de l'information du consommateur, qui a été totalement négligée lors de cette séquence. Malgré l'absence de risque sanitaire sur les produits finis, il me semble que la loyauté économique et la confiance du consommateur auraient mérité une réponse de l'État. C'est pourquoi je préconise de renforcer l'étiquetage des eaux conditionnées en prônant l'indication de tous les traitements pratiqués, y compris la microfiltration, qui est de plus en plus fréquente.

Il faut également mieux informer le consommateur sur les distinctions entre les différentes qualifications des eaux afin d'éviter toute confusion : eaux minérales naturelles, eaux de source, eaux rendues potables par traitement et « boissons rafraîchissantes sans alcool », dénomination réglementaire quand l'eau est utilisée comme ingrédient, par exemple dans une boisson aromatisée.

Le quatrième et dernier axe concerne l'état de la ressource en eau minérale naturelle et en eau de source. Sa pureté originelle est-elle menacée ? Il n'était pas possible de ne pas traiter ce sujet, car c'est la question que se posent tous les services de l'État avant d'autoriser une exploitation d'eau minérale naturelle et de source.

En octobre 2023, l'Anses préconise une surveillance renforcée des ressources sur les sites de Nestlé Waters, incluant des paramètres bactériologiques et virologiques non prescrits par la règlementation. Elle le justifie par un « niveau de confiance insuffisant » dans l'évaluation de la qualité des ressources. Cette surveillance renforcée a été imposée à l'exploitant, mais n'a pas levé les doutes quant au respect, en toute circonstance, des critères de pureté originelle. En mars 2024, à la suite d'un épisode cévenol, la qualité microbiologique d'un forage de la source Perrier s'est dégradée. Par précaution, parce que le risque viral ne pouvait être exclu, le préfet du Gard a pris un arrêté de suspension de l'exploitation du captage. 2,9 millions de bouteilles de Perrier ont été détruites.

Cet épisode me semble révélateur de l'intérêt qu'il y a à poursuivre cette surveillance renforcée. Aujourd'hui, le postulat de l'excellent état des nappes d'eaux minérales naturelles ne conduit pas à des contrôles portant sur des paramètres virologiques - on teste la bactériologie, mais pas la virologie. Je préconise d'étendre cette surveillance renforcée en favorisant la montée en compétence des laboratoires agréés et des exploitants sur des paramètres encore peu surveillés aujourd'hui.

Lorsque j'ai interrogé des experts et des services de l'État sur les causes profondes du recours aux traitements, beaucoup ont mentionné la dégradation de la qualité de la ressource, susceptible d'être affectée par différentes pressions : prélèvements excessifs, artificialisation des sols, émission de polluants issus des activités humaines, industrielles et agricoles. Le changement climatique, avec des phénomènes intenses de plus en plus fréquents, apparaît, quant à lui, comme un facteur aggravant de la vulnérabilité des sources. C'est une question importante pour l'économie de nos territoires. L'Académie nationale de médecine, elle aussi, défend la préservation de la pureté originelle à l'égard des pollutions qui pèsent sur la ressource. En effet, si la ressource en eau minérale était polluée, qu'adviendrait-il du thermalisme ?

Pour cette raison, je m'inscris en défenseure de la pureté originelle, qui a une valeur patrimoniale au titre de son intérêt économique, environnemental et thérapeutique. C'est important à l'heure où de nombreux industriels souhaitent que la directive sur les eaux minérales soit révisée afin d'aménager le contenu de la pureté originelle à l'aune des contraintes pesant sur la ressource.

Afin de disposer d'une meilleure information sur la soutenabilité et la vulnérabilité de la ressource, je préconise de lancer une campagne d'étude des hydrosystèmes exploités par les industriels, de rendre publiques les quantités d'eau prélevées par les exploitants, mais aussi d'actualiser le plan d'action sur les micropolluants en y incluant les eaux conditionnées afin de disposer d'une information complète sur ces polluants émergents.

Tels sont les enseignements de cette séquence particulièrement complexe. J'espère que ce travail aura eu le mérite de faire connaître des événements peu documentés et bénéficiant d'une faible publicité. J'espère également que les recommandations formulées permettront d'éviter que de tels épisodes ne se reproduisent. (Applaudissements)

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci pour ce rapport très complet.

M. Jean-Marc Boyer. - Madame la rapporteure, vous êtes partie des événements survenus chez Nestlé Waters. Convient-il de généraliser le diagnostic à toutes les sources ? En matière de normes et d'harmonisation souhaitable de ces normes, pouvez-vous nous dire si toutes les sources respectent les mêmes seuils de microfiltration ? À partir du moment où il y a conformité au code de la santé publique, faut-il différentes normes pour différents types de sources ? Enfin, vous préconisez une surveillance renforcée de la ressource, mais quand certaines sociétés ou collectivités territoriales envisagent un projet d'embouteillage, elles doivent produire une quantité d'études considérable, avec un cahier des charges et des études d'impact très précis. Une autorisation prend plusieurs mois, voire années à obtenir. Il est difficilement envisageable qu'un exploitant mette de l'eau en bouteille s'il n'a pas l'assurance de la quantité et de la qualité de la ressource. Faut-il étendre vos recommandations à toutes les sources françaises, y compris à celles qui respectent une réglementation très stricte ?

Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - Je ne me suis pas concentrée sur Nestlé Waters. J'ai entendu en audition tous les minéraliers : Danone, Sources Alma, les syndicats des eaux minérales naturelles... Ce sont les contrôles de la DGCCRF et des ARS qui pointent Nestlé Waters du doigt. Au début de mes travaux, je n'étais pas tout à fait certaine que le problème concernait uniquement cette entreprise. J'avais notamment en tête les constats du rapport de l'Igas. Au fil des contrôles, tout renvoyait vers Nestlé Waters.

La règle générale est un seuil de microfiltration à 0,8 micron. Cela représente la très grande majorité des pratiques. Mais tout dépend, en réalité, de la composition de la ressource - par exemple, la présence de microparticules qu'il est nécessaire d'enlever. La réglementation française autorise d'enlever certains minéraux et oligo-éléments présents en trop grande quantité. L'Espagne autorise le seuil jusqu'à 0,4 micron. Ce seuil peut être autorisé aussi en France pour des dérogations bien spécifiques. En revanche, le seuil de 0,2 micron fait débat. L'Igas estime qu'il ne permet pas de rendre potable des eaux polluées. Selon la direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire de la Commission européenne, il n'est pas conforme à la réglementation européenne.

M. Denis Bouad. - Merci, madame la rapporteure pour ce rapport très complet, que je partage en quasi intégralité.

Perrier, dans le Gard, représente 1 000 employés, un investissement de 40 millions d'euros au cours des six dernières années, environ 800 emplois directs toute l'année. Nous parlons d'une usine qui produit plus de 1,7 milliard de bouteilles par an, deux tiers partant à l'export - principalement vers les États-Unis, dont les services, voilà quelques années, avaient trouvé des traces de benzène... Un problème dont on ne parle plus aujourd'hui.

L'usine est entourée de 200 hectares de terres clôturées, où les agriculteurs cultivent en bio et sont rassemblés au sein de la plus grande cave coopérative bio viticole de France, voire d'Europe. C'est une exploitation sur sept forages : quatre sur la commune de Vergèze et trois sur celle d'Aubord. Dans cette dernière, un épisode cévenol a fait apparaître des matières fécales dans l'eau d'un forage, dont l'exploitation a été arrêtée.

Sur les quatre forages de Vergèze, deux servent à pomper l'eau de Perrier, et deux autres l'eau servant à la fabrication des produits de la marque Maison Perrier. À la dégustation, il est difficile de voir la différence, d'autant que les puits tirent l'eau de la même nappe !

Là où je ne vous rejoins pas, c'est que la marque Maison Perrier est le fruit d'une stratégie commerciale visant à mettre en circulation des produits aromatisés, et non forcément d'une volonté politique de filtrer l'eau. Cette stratégie a été élaborée avant les problèmes dont nous parlons. Vos conclusions sur ce sujet me laissent donc un peu sceptique.

La question de la filtration pose effectivement problème, mais les réglementations ne sont pas les mêmes aux plans national et européen, et certaines règles évoluent dans le temps. Il faut donc s'interroger sur le seuil de microfiltration qui pourrait être autorisé, tout en observant - je pense à l'instant au cas de l'usine Solvay de Salindres, qui rejetait des polluants éternels dans le milieu naturel et dont la fermeture prochaine entraînera la perte de près de 80 emplois - que dans une société de plus en plus exigeante sur le plan normatif, nous autoriserons peut-être la filtration dans un avenir proche... N'est-ce pas la qualité de l'eau qui importe avant tout ?

Je partage votre analyse, madame la rapporteure : Nestlé a péché, sans conteste ! Je rappelle que les recettes pour la collectivité ne sont pas les mêmes : Perrier, c'est 58 centimes l'hectolitre, et les produits de la marque Maison Perrier, 54 centimes l'hectolitre. Encore que, sous cet angle, on pourrait aussi s'interroger sur les quantités d'eau réellement pompées !

Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - Exactement !

M. Denis Bouad. - Autrement dit, il y a des choses à faire, mais ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain. Nous avons un bel outil. Prenons garde à ne pas tuer la notoriété de Perrier, au risque de favoriser des boissons italiennes, que je vois sur les tables des restaurants et qui sont bien moins bonnes.

Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - La marque Maison Perrier n'est pas tout à fait étrangère à la séquence que nous venons de vivre. Le plan de transformation transmis aux autorités incluait en effet sa création, dans le cadre d'un processus couvrant les années 2022 à 2024, donc tout à fait concomitant à l'affaire qui nous occupe. C'est normal : constatant la dégradation de la qualité de la ressource, l'entreprise Nestlé Waters a choisi d'inventer une nouvelle marque d'eau de boisson aromatisée.

M. Denis Bouad. - De quelle dégradation parlez-vous ? Sur les sept puits existants, un seul a été incriminé par l'ARS.

Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - Les deux puits désignés pour le captage de l'eau servant aux produits de la marque Maison Perrier ont fait l'objet d'un même constat de dégradation de la qualité de la ressource. C'est pour cela qu'ils ont été transformés. Il y a donc bien un lien.

Certes, il s'agit également d'une stratégie commerciale - Perrier, qui vend beaucoup aux États-Unis, cherchait à y commercialiser une boisson aromatisée. Mais Évian vend aussi des boissons aromatisées, y compris aux États-Unis, et celles-ci sont produites à partir de l'eau minérale naturelle d'Évian, non filtrée et non traitée, et aromatisée si elle doit être aromatisée. D'autres groupes industriels ou d'autres marques - c'est aussi le cas de Volvic - mènent donc des stratégies plus conformes à la réalité des eaux minérales naturelles.

M. Yannick Jadot. - Le sujet que nous étudions recouvre des enjeux économiques majeurs. Pour ma part, le fait que des bouteilles d'eau traversent le monde m'a toujours paru un peu aberrant...

Des procédures juridiques sont-elles en cours dans d'autres pays européens où l'on aurait détecté une semblable fraude aux consommateurs ?

Le risque réputationnel associé est très lourd et peut être instrumentalisé par des concurrents. Les États-Unis ont ainsi pu se servir de ce type de dossier pour favoriser les produits américains par rapport aux produits européens.

Enfin, est-on certain que la fraude est terminée ?

Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - J'ai entendu en audition les services de la Commission européenne chargés de la question des eaux, qui conduisaient un audit sur la France en raison des événements survenus avec Nestlé Waters durant la période 2021-2024. Cet audit, très sévère à l'égard de l'action de la France, a été publié en juillet 2024. La France n'a pas informé la Commission européenne de la fraude dont elle avait connaissance. Cette dernière n'a donc pas pu prendre les mesures nécessaires. Le rapport d'audit détaille précisément ce point.

Je n'ai pas eu vent d'autres cas de fraude dans d'autres pays. Cependant, si d'autres pays adoptent la même attitude envers la Commission européenne que nous, nous n'en aurons pas connaissance, sauf s'il en est fait état dans la presse.

Selon le constat des ARS, la fraude avait cessé à la fin de l'année 2022 dans les Vosges et en août 2023 dans le Gard. Toutefois, en l'absence d'information sur la nature réelle de l'eau contrôlée - eau de boisson ou eau minérale naturelle -, la question de l'efficacité des contrôles se pose. C'est pourquoi la traçabilité est essentielle. Le Gouvernement doit s'emparer de ce sujet et mener les inspections nécessaires pour confirmer que l'eau contrôlée est bien une eau minérale naturelle. En effet, si celle-ci est filtrée et traitée, les conclusions des analyses sanitaires seront forcément bonnes.

M. Vincent Louault. - Je suis un peu stupéfait. Le sujet dont nous discutons soulève la question de l'autocontrôle des industriels. Souvenons-nous des lasagnes de boeuf à la viande de cheval !

Les recommandations visant à renforcer l'efficacité, la fréquence et le caractère dissuasif des contrôles et à développer le travail en réseau des autorités compétentes me donnent envie de pleurer. L'activité en silo doit-elle ainsi se poursuivre, sans aucun échange d'informations entre les services ? J'ai été responsable de l'eau potable dans mon intercommunalité : l'ARS apporte une fonction d'alerte et de contrôle pour les élus locaux. Cela ne fonctionnerait donc pas pour l'eau en bouteille ? C'est incroyable ! La DGCCRF semble passer plus de temps à ennuyer les viticulteurs pour des broutilles que les producteurs d'eau en bouteille. Tout le monde doit faire son travail. Cet élément doit être encore davantage mis en avant dans la communication du rapport. Il en va de la responsabilité de l'État !

Certes, comme Denis Bouad l'a dit, nos territoires recèlent des pépites industrielles. Cependant, si la survenue d'un problème temporaire de pollution, traité avec des filtres spécifiques, peut se comprendre, comment accepter sa persistance pendant plusieurs années, alors même qu'on veut nous faire croire à l'absence de toute traçabilité sur l'eau ? On se moque de nous ! En réalité, si vous visitez une usine industrielle, vous voyez bien que le niveau de technologie permet bien d'assurer une traçabilité des produits. Si une bouteille de Perrier provoque un jour deux morts, soyez certains qu'elle sera identifiée immédiatement, ainsi que le lot d'où elle provient. La production ne sera pas arrêtée six mois ! La traçabilité existe bel et bien ; il n'y a que les gens de l'ARS pour croire le contraire - défiants à l'égard des collectivités territoriales, ils croient en revanche les industriels sur parole.

Assumons notre appareil normatif, français et européen, et mettons en avant la responsabilité de nos administrations dans ce problème.

Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - Les ARS ont mené un travail considérable sur ce dossier. Les analyses sur les émergences d'eau minérale naturelle n'ont jamais été aussi nombreuses, pour tous les industriels, que durant ces trois dernières années.

La DGCCRF a transmis deux dossiers au procureur, comme elle en a la compétence. Elle a donc fait son travail, à l'instar de l'ensemble des services. Cependant, un laisser-faire malheureux a prévalu depuis trois ans. Le Gouvernement a été informé de cette fraude en 2020 et 2021. Mais la fraude remonte à bien plus loin : la DGCCRF la fait remonter à 2005, date de l'achat des premiers filtres par Nestlé. C'est donc une fraude ancienne, pour laquelle le Gouvernement a été informé en 2020 et en 2021, pour Alma puis Nestlé Waters.

À la suite des épisodes de pluies cévenoles survenus dans le sud de la France, les industriels ne sont pas à l'abri d'une demande nouvelle de destruction des productions de la part des préfectures, par mesure de précaution, pour pallier tout risque de pollution.

Monsieur Bouad, la question de l'emploi a été malgré tout un axe constant de mon travail. De l'ordre de 1 200 personnes travaillent chez Nestlé dans le Gard et 850 dans les Vosges : c'est donc un sujet important pour ces deux départements, où l'activité industrielle n'est pas très intense. Cela, sans compter l'importance pour les collectivités locales d'avoir des eaux minérales naturelles, en raison des recettes fiscales associées.

Mme Martine Berthet. - Ma question porte sur l'axe 2 de vos recommandations. Les industriels sont-ils tenus de transmettre régulièrement leurs analyses bactériologiques, virologiques, physicochimiques aux services compétents ?

Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - Des obligations existent en effet.

Mme Martine Berthet. - Concernent-elles les captages ?

Plus à la marge, l'Académie nationale de médecine est-elle consultée de nouveau après avoir validé les allégations thérapeutiques de certaines eaux ?

Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - Il existe deux types de contrôle : les autocontrôles effectués par les industriels, transmis aux autorités compétentes, et les contrôles réalisés par l'État, inopinés ou sur rendez-vous.

Comme je l'ai souligné, les services peinent à faire des contrôles inopinés. Ils ont dû, dans le cas que j'ai cité, attendre longtemps devant la porte de l'usine pour, ensuite, se voir accompagnés de l'avocat de l'industriel contrôlé. Cela soulève évidemment la question de la bonne volonté et de la transparence, surtout si l'on sait que ledit industriel a dissimulé des pratiques frauduleuses pendant vingt ans.

Je demande donc le renforcement des contrôles chez les industriels, notamment inopinés, avec obligation pour ces derniers de laisser faire.

Je ne peux répondre à la question sur l'Académie de médecine ; je crois qu'elle valide les allégations thérapeutiques une fois pour toutes. Cette question est très liée au thermalisme et au patrimoine.

M. Daniel Salmon. - Merci pour cet excellent travail. Nous devons clairement poursuivre les investigations. Il existe une pollution généralisée qui percole. Ces eaux minérales ont des parcours longs, sur plusieurs dizaines, centaines voire milliers d'années, et se retrouvent contaminées par de nombreux polluants. On peut traiter le symptôme, mais il faut surtout traiter le fond. Des analyses précises identifient les polluants. Il faut déterminer l'origine des pollutions dans l'air, le sol. La société est plus exigeante, mais nous constatons aussi une dégradation des eaux. Aujourd'hui, bon nombre d'entre elles sont traitées par charbon actif : or, désormais, 100 % du charbon actif utilisé en Europe provient de Chine. Il y a là un sujet de souveraineté.

Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - Je demande d'informer le public sur les pressions affectant la ressource, donc de réaliser des études. Dans les eaux minérales, des substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS), des pesticides et des matières fécales ont pu être retrouvés.

Selon les marques, les nappes phréatiques sont situées à différentes hauteurs. La source Perrier se trouve à moins de 200 mètres du sol, soit assez haut. Des pluies ruisselantes venant d'épisodes cévenols s'infiltrent assez rapidement. Une eau de nappe, y compris dans des nappes anciennes, peut être polluée par des pollutions contemporaines provenant de la surface. Il faut limiter au maximum les pollutions. Les industriels doivent s'assurer que les zones de captage sont suffisamment protégées pour qu'il n'y ait pas d'infiltration de pollutions.

M. Daniel Gremillet. - Il est important de rappeler que 99,8 % de l'eau consommée est parfaitement conforme aux normes, pour ne pas laisser croire que les consommateurs sont exposés à des risques sanitaires. Votre travail a confirmé qu'effectivement ils ne l'étaient pas lors de la séquence examinée.

Que l'Union européenne fasse d'abord le ménage pour harmoniser les différentes règles existant sur son territoire avant de faire de l'ingérence pays par pays. Je partage votre recommandation.

J'ai le même avis que Vincent Louault sur la traçabilité. Le législateur a changé les choses. Auparavant, les pouvoirs publics assuraient la mise en marché. Depuis la décision de l'Union européenne, la charge de l'analyse et de la preuve que le produit est conforme est transférée à celui qui met en marché, à savoir l'industriel - cela vaut aussi pour les producteurs fermiers, et nous ne sommes pas à l'abri un jour d'un problème, y compris sanitaire. La traçabilité n'est pas un sujet à prendre à la légère. Je partage votre recommandation, qui n'est pas difficile à appliquer, sans surcharge pour les autorités. Mais les sites industriels doivent disposer de processus pour que sur la même ligne, ils puissent embouteiller de l'eau minérale naturelle, et ensuite une eau de boisson. Le dire rassurerait les consommateurs.

Je suis réservé sur la recommandation n° 4 sur le contrôle inopiné immédiat. Certes, il est anormal qu'un contrôleur attende durant une heure et demie : il doit être accueilli par l'industriel. Mais ne systématisons pas le soupçon... Si ce genre de problème survient, le contrôleur peut engager un nouveau contrôle inopiné et exiger d'entrer sur les lieux immédiatement. N'en rajoutons pas !

En ce qui concerne la recommandation n° 9, visant à systématiser l'étude des hydrosystèmes, je connais le dossier au travers d'autres responsabilités. Cela fait vingt-cinq ans qu'on l'a mis en place. L'exploitant a exproprié les terrains et est devenu le plus gros propriétaire du territoire : j'étais opposé à cela. Je défendais l'option que le monde paysan, le monde forestier et les collectivités territoriales pourraient atteindre les objectifs recherchés sans perdre la propriété des terrains. Il y a vingt ans, on le faisait au nom des nitrates. On ne trouve que ce que l'on cherche, et on trouvera de nouvelles substances dans dix ans. Ne soyons pas toujours dans une posture d'accusation, embrassons toujours les nouvelles connaissances et les nouveaux risques.

Dans les Vosges, Nestlé a plaidé coupable, signé un accord et s'est engagé sur différentes solutions. Je salue l'initiative du procureur qui a mis la barre haut et qui surveillera l'application et la mise en oeuvre du plaider coupable. N'oublions pas que nous sommes dans un système concurrentiel, veillons à nos communications et rassurons le consommateur : malgré la tromperie, il n'y a pas eu de problème sanitaire.

Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - Permettez-moi un bémol sur le fait que les questions sanitaires ne se posaient pas pendant cette période. Il y a tout de même eu une demande de surveillance renforcée de la ressource. Or le rapport de l'Anses rappelle qu'en cas de dissimulation de la qualité de la source, les analyses de contrôle qui sont faites ultérieurement n'intègrent pas d'analyses virologiques. En effet, à ce moment-là, il était prévu que si la source était considérée comme pure, on ne réalisait pas d'analyse virologique ; dans le cas contraire, on réalisait des analyses virologiques et bactériologiques. Jusqu'à ce qu'il soit recommandé de réaliser des analyses sanitaires renforcées dans tous les cas, nous aurions donc pu avoir de l'eau présentant éventuellement des problèmes virologiques.

C'est pourquoi je recommande de procéder à ces deux analyses - virologiques et bactériologiques - et de faire monter en compétence les laboratoires. Cela correspond aux recommandations de l'Anses et de la DGS.

Il y a donc eu un petit risque, mais 99,8 % des contrôles montrent l'absence de problème sanitaire. Telle est la réalité de ma réflexion sur le sujet. Néanmoins, ces risques n'existent plus depuis la surveillance renforcée préconisée par l'Anses.

M. Daniel Fargeot. - Appliquer un seuil de 0,8 micron pourrait-il fragiliser économiquement les producteurs ? Le seuil de 0,4 micron pourrait-il être la norme, et non un seuil dérogatoire ?

Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - Oui, cela pourrait mettre en péril des producteurs si certaines eaux étaient polluées. Si on avait été strict sur les contrôles et les autorisations, durant trois ans, il n'y aurait pas eu de bouteilles de Vittel, Perrier, Hépar et Contrex dans les magasins. Cela aurait donc mis en difficulté Nestlé, ainsi que les régions et collectivités où l'entreprise est implantée.

Néanmoins, cela ne mettrait pas en péril tous les industriels. Le filtrage utilisé dépend de la qualité de la ressource. J'ai auditionné des industriels comme Danone, qui n'utilise pas de filtres inférieurs à 0,8 micron. Cela met donc les industriels en difficulté différemment selon la qualité et la profondeur de la ressource - et donc la protection géologique. Une ressource, considérée comme pure il y a trente ans, peut être dégradée.

Sur la question du seuil de 0,4 micron, je ne suis pas une technicienne de la microfiltration ni ingénieure hydrologue. Je ne peux répondre sur les seuils. Les scientifiques estiment qu'à 0,8 micron, on ne modifie pas la qualité microbiologique de l'eau. Le taux de 0,4 micron permet de traiter des impuretés minérales, et non la pollution. Des dérogations sont déjà autorisées par arrêté préfectoral à 0,4 ou 0,45 micron, notamment dans les Vosges où c'est actuellement le cas pour les sources Nestlé Waters.

M. Philippe Grosvalet. - Quelle place devraient occuper les laboratoires publics dans le dispositif de surveillance ? Ces derniers ont été mis à mal - notamment les laboratoires départementaux -, y compris par l'État lui-même, via les ARS, quand elles les ont mis en concurrence avec les laboratoires privés. Je connais de nombreux exemples. J'ai participé à une alliance de laboratoires publics. Rappelez-vous aussi le dossier Lactalis.

Le système français repose à la fois sur un nécessaire autocontrôle par les industriels, et sur la mise en concurrence de laboratoires. Le plus gros laboratoire privé de Nantes, qui paie ses impôts au Luxembourg, a tué la concurrence publique et privée, et a attaqué les laboratoires publics devant l'Union européenne. Il est temps de reconfirmer le rôle indépendant des laboratoires publics sur le terrain pour mener à bien des contrôles, en sus des autocontrôles. Je pense que c'est une dimension qu'il faudrait ajouter à vos recommandations !

Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - Ma recommandation sur les laboratoires concerne trois types de laboratoires : les laboratoires publics - dont le laboratoire d'hydrologie de Nancy de l'Anses -, les laboratoires agréés pour mener ces analyses et les laboratoires propres à l'exploitant qui travaillent sur la qualité des eaux.

Je n'ai pas traité la question des laboratoires publics, sujet qui me semblait en marge du thème du rapport. Mais je demande d'encourager l'accréditation de laboratoires pour les faire monter en compétence sur des paramètres encore peu surveillés. Peut-être cette baisse de compétences est-elle liée à la différence public-privé, mais je ne peux vous répondre sur le sujet. Il faut mener des campagnes d'acquisition de connaissances à destination des laboratoires et des exploitants, afin d'avoir une qualité uniforme.

Mme Micheline Jacques. - Merci pour cette étude très précise. Je n'ai pas entendu de focus sur les outre-mer. Qu'en est-il ? Nous produisons de l'eau en Guadeloupe et en Martinique. En raison du scandale du chlordécone, de l'eau polluée se trouve toujours dans le commerce...

Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - Je n'ai pas fait ce focus car les contrôles menés par l'ARS ne montraient pas spécifiquement de problèmes dans les outre-mer.

M. Jean-Marc Boyer. - Mon département du Puy-de-Dôme est riche de nombreuses sources. Je confirme ce qu'a dit Daniel Gremillet : 99 % des sources ne posent aucun problème. Il faut le redire. Votre rapport concerne essentiellement Nestlé, et il faut tirer les conséquences des mensonges. Mais ne stigmatisons pas toutes les autres sources qui font des efforts considérables pour obtenir une eau de qualité. Une telle affaire crée le doute dans l'esprit du consommateur. Cela va très vite sur les réseaux sociaux, et ensuite il est très difficile de modifier l'image. Je pense notamment aux conséquences subies de plein fouet par Volvic...

Dans les stations thermales, les contrôles sont extrêmement stricts et nombreux. Une station thermale a ainsi été fermée durant toute une saison pour un problème de qualité de l'eau. Cela entraîne des graves conséquences au plan économique. Après réalisation de contrôles et retour à la normale, elle a été rouverte. 99 % des gens font bien leur travail.

Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - Vous avez raison. J'ai rencontré des industriels passionnés par l'eau, qui aiment leur métier et la ressource, et en prennent soin. Ils font attention à garantir sa qualité et prélèvent des quantités qui ne sont pas trop importantes pour assurer le renouvellement des nappes. J'ai rencontré tous les industriels produisant de l'eau. Il y a eu des alertes sur les quatre marques de Nestlé Waters et sur des eaux du groupe Sources Alma, seules eaux pour lesquelles les contrôles des ARS ou de la DGCCRF nous ont amenés à être plus vigilants. Nous avons un secteur de minéraliers d'une grande qualité, d'après mon travail.

M. Daniel Gremillet. - Cela me choque de proposer comme recommandation l'obligation pour l'industriel de laisser immédiatement les agents conduire l'inspection. Cela ne reflète pas la réalité de la plupart des contrôles. Est-il bien nécessaire de le préciser ? En général, un contrôle inopiné se déroule immédiatement. Je ne voudrais pas faire une recommandation à partir d'un cas particulier. Respectons les entreprises.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - La recommandation n° 4 ne fait que rappeler la règle.

M. Philippe Grosvalet. - C'est comme pour les inspecteurs du travail...

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je propose de supprimer la fin de la recommandation n° 4, après « au sein des plans de contrôle des autorités compétentes ». C'est la règle ; elle n'a pas besoin d'être rappelée.

Mme Antoinette Guhl, rapporteure. - J'estime qu'elle aurait pu être rappelée dans les recommandations, mais cela figurera dans le corps du texte du rapport.

Les recommandations, ainsi modifiées, sont adoptées.

La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information ainsi modifié et en autorise la publication.

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