II. L'ORGANISATION INSTITUTIONNELLE DE LA POLYNÉSIE : MIEUX DIFFÉRENCIER DANS LA PROXIMITÉ

L'organisation administrative actuelle de la Polynésie française se caractérise par la faiblesse de l'institution communale, de création récente, par rapport au Pays. Selon la mission, il est important que certaines évolutions interviennent dans l'exercice des compétences locales, qui permettraient une meilleure prise en considération des spécificités polynésiennes.

Certes, le projet de création de fare ora, mis en avant par le président Moetai Brotherson lors de son entretien avec la mission, est un moyen de répondre aux besoins d'accessibilité des habitants aux services administratifs ou de santé essentiels. Des conventions ont, de fait, été signées entre certaines communes et le Pays pour la mise en place de ces guichets uniques, accueillant les services du Pays et de la commune, pour faciliter les démarches administratives et l'accès au droit des populations du territoire et offrir certains services en matière sociale ou médicale.

Il convient cependant d'aller plus loin en confortant les communes polynésiennes dans l'exercice des compétences de proximité et de renforcer la diversification des compétences par le recours renforcé à l'intercommunalité.

A. DES COMMUNES QUI PEINENT À TROUVER LEUR JUSTE PLACE FACE AU PAYS

1. Des collectivités territoriales de base spécifiques par rapport à la métropole
a) Des collectivités récentes dépourvues de clause de compétence générale

La Polynésie française compte 48 communes, tardivement créées par la loi n° 71-1028 du 24 décembre 1971, ainsi réparties :

- 13 communes dans les îles du Vent ;

- 7 communes dans les îles sous-le-Vent ;

- 5 communes dans les îles Australes ;

- 6 communes dans les îles Marquises ;

- 17 communes dans les îles Tuamotu et Gambier.

Qualifiées par l'article 6 de la loi organique du 27 février 2004 de « collectivités territoriales de la République », ces communes relèvent directement de l'article 72 de la Constitution et bénéficient à ce titre des principes constitutionnels de libre administration et de non tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre.

Pour autant, contrairement aux autres communes françaises, les communes de Polynésie ne disposent pas de la clause de compétence générale, mais de compétences spécifiques, limitativement énumérées, que leur octroie l'article 43 de la loi organique statutaire de 2004.

En application du I de cette disposition, les communes sont ainsi compétentes dans neuf matières.

Les compétences obligatoires des communes

1° Police municipale ;

2° Voirie communale ;

3° Cimetières ;

4° Transports communaux ;

5° Constructions, entretien et fonctionnement des écoles de l'enseignement du premier degré ;

6° Distribution d'eau potable, sans préjudice pour la Polynésie française de satisfaire ses propres besoins ;

7° Collecte et traitement des ordures ménagères ;

8° Collecte et traitement des déchets végétaux ;

9° Collecte et traitement des eaux usées.

Le II de l'article 43 de la loi organique statutaire permet par ailleurs aux communes d'exercer des compétences complémentaires, dont la liste a été étendue par la loi organique du 5 juillet 2019, « dans les conditions prévues par des lois du pays et la réglementation édictée par la Polynésie française ».

Compétences complémentaires des communes exerçables dans les conditions prévues par le Pays

1° Développement économique, aides et interventions économiques ;

2° Aide sociale ;

3° Urbanisme et aménagement de l'espace ;

4° Culture et patrimoine local ;

5° Jeunesse et sport ;

6° Protection et mise en valeur de l'environnement et soutien aux actions de maîtrise de l'énergie ;

7° Politique du logement et du cadre de vie ;

8° Politique de la ville.

Après autorisation du Pays et dans les limites de leur circonscription, les communes peuvent également produire et distribuer de l'électricité (article 45 de la loi organique).

À ce jour, néanmoins, et malgré les demandes formulées par certaines communes, à commencer par celles des communes des îles Marquises, seules trois lois du Pays ont autorisé l'exercice d'une partie de ces compétences complémentaires :

les communautés de communes peuvent, depuis une loi du Pays n° 2010-12 du 25 août 2010, intervenir en matière d'aides et d'interventions économiques et d'urbanisme.

Grâce à ce texte, le soin d'élaborer des projets de développement économique peut être confié par la Polynésie française aux communes qui en font la demande, si elles souhaitent se constituer en communauté de communes, le transfert des moyens nécessaires aux communes intéressées étant conditionné à la constitution de la communauté de communes en question. En outre, le Pays peut confier aux communautés de communes, à la demande de leurs organes délibérants, la réalisation d'équipements collectifs ou la gestion de services publics dans le domaine de l'aménagement de l'espace.

Cependant, à ce jour, les arrêtés du président de la Polynésie française pris sur ce fondement se sont bornés à autoriser diverses communes58(*), dans le cadre de leur projet de création d'EPCI, à produire un rapport définissant le projet de développement économique de ce dernier. Aucune convention ultérieure n'a été conclue avec aucune de ces communautés de communes ;

- la loi du Pays n° 2016-10 du 4 avril 2016 autorisant diverses communes à intervenir dans certaines matières relevant des compétences de la Polynésie française pour la mise en oeuvre d'un contrat de redynamisation des sites de défense (CRSD) a permis aux communes d'Arue, Mahina, Papeete, Pirae et Taiarapu-Est, sur l'île de Tahiti, avec le cas échéant une participation financière du Pays, de créer des zones d'activités économiques, de requalifier des zones et aménagements urbains ainsi que de créer des zones d'activités touristiques et de loisirs ;

- dans le contexte exceptionnel de la pandémie de covid-19, la loi du Pays n° 2020-33 du 8 octobre 202059(*) (en matière d'action sociale dans le cadre du covid-19) a permis aux communes, centres communaux et intercommunaux d'action sociale et établissements publics de coopération intercommunale d'intervenir, avec une participation financière du Pays, pour répondre à des besoins de première nécessité via la distribution d'aides alimentaires, d'équipements de protection individuelle de produits sanitaires, de toilette et d'hygiène corporelle ainsi que par la fourniture de certains services d'accompagnement (activités de transport de personnes vers des lieux essentiels, tels que des magasins d'alimentation générale, des centres d'accès à des soins, des pharmacies, etc.).

b) Des communes associées spécifiques

Parmi les 48 communes de Polynésie française, 30 comprennent des communes associées, créées en 1972, formant un total de 98 communes associées sur l'ensemble du territoire.

Certaines d'entre elles sont réparties sur plusieurs îles séparées par plusieurs centaines de kilomètres et plusieurs heures de bateau. D'autres sont peuplées de quelques dizaines d'habitants seulement.

Le régime juridique des communes associées de Polynésie française diffère sensiblement de celui des communes associées de l'hexagone. En premier lieu, elles ne sont pas issues d'une fusion de communes. Par ailleurs, chaque commune associée, qui peut être une île ou la subdivision d'une île, constitue une section électorale, en application de l'article L. 255-1 du code électoral. Le maire délégué de la commune associée remplit les fonctions d'officier d'état civil et d'officier de police judiciaire. Il peut être chargé, dans la commune associée, de l'exécution des lois et règlements de police et recevoir certaines délégations du maire.

Comme l'ont souligné les représentants du Syndicat pour la promotion des communes de Polynésie française (SPCPF), lors de leur audition par la mission, les dispositions du code général des collectivités territoriales applicables aux communes de Polynésie française ne définissent pas suffisamment les compétences des communes associées de Polynésie française, et le statut du maire délégué manque de précisions.

c) La lente croissance de l'intercommunalité

Ainsi que le soulignait la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation en novembre 202360(*), l'intercommunalité reste à ce jour peu développée en Polynésie française. Elle s'y décline essentiellement sous la forme de trois structures : la communauté de communes, le syndicat de communes et le syndicat mixte.

Le territoire compte ainsi à ce jour cinq communautés de communes, dont trois ont été créées il y a moins de cinq ans :

- la communauté de communes des îles Marquises - CODIM. Premier EPCI créée en Polynésie, en novembre 2010, elle est composée des communes des îles Marquises : Fatu Hiva, Hiva Oa, Nuku Hiva, Tahuata, Ua Huka et Ua Pou ;

- la communauté de communes des îles sous-le-Vent - Hava'i. Créée en décembre 2011, elle regroupe les communes de Huahine, Maupiti, Tahaa, Taputapuatea, Tumaraa et Uturoa ;

- la communauté de communes Tereheamanu, sur l'île de Tahiti. Créée en décembre 2020, elle regroupe les communes de Hitiaa o te ra, Papara, Taiarapu Est, Taiarapu Ouest et Teva i Uta ;

- la communauté de communes Teporionu'u, créée en octobre 2023 à Tahiti, et regroupant les communes de Papeete, Pirae et Arue. Cet EPCI a pris en charge à compter du 1er janvier 2024 la collecte et le traitement des eaux usées, ainsi que la collecte et le traitement des déchets végétaux. Cette démarche vise à étendre le réseau d'assainissement collectif des eaux usées de Papeete aux communes de Pirae et de Arue, qui seront ainsi raccordées à la station d'épuration de Papeava à Fare Ute ;

- la très récente communauté de communes Te Tama A Hiro, créée le 1er janvier 2024, regroupant quatre communes des îles Australes : Rapa, Rimatara, Rurutu et Tubuai.

Par ailleurs, le haut-commissaire a signé le 9 juillet 2024 l'arrêté de projet de périmètre de la future communauté de communes des Tuamotu-Gambier ouest, issue d'un projet engagé en 2015, qui concernerait les communes d'Arutua, Fakarava et Rangiroa. Ces dernières doivent désormais rendre un avis sur ce projet et adopter les statuts du futur EPCI. En parallèle et conformément à la loi organique statutaire, l'avis du gouvernement de la Polynésie française a également été sollicité. De ce fait, si les conditions de majorité sont réunies, ce nouvel EPCI pourrait voir le jour avant la fin de l'année, avec effet au 1er janvier 2025.

Six syndicats de communes peuvent également être dénombrés, dont :

- deux syndicats intercommunaux à vocation multiple : le syndicat intercommunal à vocation multiple des Tuamotu-Gambier (SIVMTG) et le syndicat pour la promotion des communes de Polynésie française (SPCPF)61(*).

- quatre syndicats de communes à vocation unique : le syndicat intercommunal pour l'électrification des communes du sud de Tahiti (SECOSUD) ; le syndicat intercommunal d'étude de l'assainissement des eaux usées de Pirae et Arue (SIVU Arue-Pirae) ; le syndicat intercommunal pour la gestion de la fourrière animale (SIGFA) ; le syndicat Te Oropaa, regroupant les communes de Faa'a, Paea et Punaauia.

Enfin, le territoire comporte deux syndicats mixtes : le syndicat mixte ouvert chargé de la gestion du contrat de ville de l'agglomération de Papeete, qui regroupe le Pays et les communes de Arue, Faa'a, Paea, Papeete, Pirae, Mahina et Punaauia ; le syndicat mixte ouvert pour la gestion, la collecte, le traitement et la valorisation des déchets en Polynésie française (Fenua ma), qui regroupe le Pays et l'ensemble des communes des îles du vent à l'exception de Faa'a.

2. Une capacité d'action doublement limitée
a) La faiblesse des ressources propres et une faible appétence pour l'endettement

Les communes de Polynésie française se caractérisent par la faiblesse de leurs ressources propres. En moyenne, la part des dotations perçues par les communes dans les recettes réelles de fonctionnement s'élèvent à 60 %. À l'inverse, environ 20 % de ces recettes proviennent de la fiscalité locale62(*) tandis que 15 % proviennent des redevances.

Il en résulte que l'autonomie financière des communes en Polynésie française est très faible en comparaison des autres communes de France : selon l'Agence française de développement (AFD), elle oscille entre 36 et 38 %, tirée en outre par une minorité de communes, exclusivement situées dans l'archipel de la Société. En comparaison, le taux d'autonomie financière des communes au niveau national est de 70 %.

Les marges de manoeuvre fiscales limitées des communes sont néanmoins compensées par des transferts financiers de l'État et de la Polynésie française tenant compte en particulier de leur éloignement et de leur isolement. Ces transferts financiers sont supérieurs à ceux observés dans l'hexagone et dans les collectivités relevant de l'article 73 de la Constitution. Les dépenses de fonctionnement présentent des écarts importants entre les subdivisions administratives allant, ramenées à la population, du simple au double mais il n'existe pas de déséquilibre structurel dans la situation financière des communes en Polynésie.

Au total, eu égard à ces divers financements, les deux tiers des communes dégagent une capacité d'autofinancement suffisante tandis qu'une dizaine d'entre elles sont dans une situation plus fragile. Elles peuvent toutefois s'appuyer sur le report d'excédents antérieurs.

Cette situation financière très saine s'explique paradoxalement, comme l'a indiqué le président de la chambre territoriale des comptes, Jean-Luc Le Mercier, lors de son audition, par une gestion en « bon père de famille » qui conduit à une forte prévention à l'endettement et au maintien de fonds de roulement d'un montant élevé.

De fait, le recours à l'emprunt et l'endettement des communes sont très limités. Le taux d'endettement moyen en Polynésie française, d'environ 16 %, reste ainsi inférieur aux communes de l'hexagone, des collectivités relevant de l'article 73 de la Constitution et de Nouvelle-Calédonie. Comme le souligne l'AFD, « l'emprunt constitue ainsi une source de financement supplémentaire qui reste encore sous exploité sur le territoire mais qui nécessite pour les communes, de structurer leur vision de l'avenir (définition et pilotage d'un programme pluriannuel d'investissement - PPI). »

b) La question de la fonction publique communale

Créant, à côté de la fonction publique de l'État et de la fonction publique du Pays, une fonction publique propre aux communes de Polynésie française, l'ordonnance n° 2005-10 du 4 janvier 2005 a soumis à un statut homogène les quelque 4 617 fonctionnaires (titulaires ou stagiaires, au 1er septembre 2024), ainsi que les 387 agents contractuels en CDD et 234 agents contractuels en CDI63(*), qui relevaient jusqu'alors du droit privé. Ce statut a été actualisé en 2011 puis par une nouvelle ordonnance du 8 décembre 2021, ratifiée par la loi n° 2022-1137 du 10 août 202264(*).

Ce statut comporte plusieurs particularités, dont au premier chef l'existence de nombreux agents de catégorie D (catégorie disparue dans le reste du territoire national), qui représentent plus de la moitié des effectifs de fonctionnaires. Ainsi, selon le centre de gestion et de formation de la Polynésie française, au 1er septembre 2024, les effectifs relevaient à 4,1 % de la catégorie A, 7,2 % de la catégorie B, 37,5 % de la catégorie C et 51,2 % de la catégorie D. En outre, la grille indiciaire applicable est moins favorable que celle de la fonction publique du Pays, de sorte que la fonction publique communale peine à attirer puis à fidéliser ses personnels les plus compétents, qui peuvent être attirés par des emplois locaux plus rémunérateurs.

Il en découle, d'un constat partagé avec de nombreux acteurs locaux, une difficulté pour un nombre important de communes à bénéficier d'une ingénierie suffisante pour exercer leurs compétences actuelles, en particulier pour mener à bien des projets structurants.


* 58 Arrêté n° 2062 CM du 09 novembre 2010 concernant les communes des Marquises, arrêté n° 2317 CM du 30 décembre 2011 concernant les communes de Tumaraa et Taputapuatea et arrêté n° 1765 CM du 27 novembre 2014 relatif à la communauté de communes de Hava'i.

* 59 Loi du Pays fixant les conditions dans lesquelles les communes, les centres communaux et intercommunaux d'action sociale et les établissements publics de coopération intercommunale peuvent intervenir en matière d'actions sociales à raison des difficultés économiques et sociales engendrées, pour les personnes physiques, par la crise sanitaire liée à la propagation du virus dénommé "SARS-CoV-2" ou "covid-19", et déterminant le concours financier de la Polynésie française à ce titre.

* 60 Rapport n° 123 (2023-2024) de Françoise Gatel et Agnès Canayer, «  Encourager l'intercommunalité en Polynésie française ».

* 61 Le SPCPF devrait se transformer en un syndicat mixte fermé à compter du 1er janvier 2025.

* 62 Constituées de taxes (taxe de séjour, taxe sur l'électricité et taxe sur la publicité) et de centimes additionnels (à la contribution des patentes, à la contribution des licences et à l'impôt foncier sur les propriétés bâties).

* 63 Qui regroupent les agents ayant refusé l'intégration dans la fonction publique communale comme titulaires.

* 64 Voir le rapport n° 435 (2021-2022) de Mathieu Darnaud, au nom de la commission des lois, déposé le 2 février 2022.

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