N° 17

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 octobre 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la situation institutionnelle et administrative et la justice en Polynésie française,

Par Mme Nadine BELLUROT, MM. Jérôme DURAIN et Guy BENARROCHE,

Sénatrice et Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet (2), président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

(2) M. François-Noël Buffet a été nommé membre du Gouvernement le 21 septembre 2024.

L'ESSENTIEL

Le territoire de la Polynésie française est très éloigné de l'hexagone et des autres collectivités d'outre-mer : Papeete se situe ainsi à près de 17 000 km de Paris, à 2 900 km des îles Wallis et Futuna et à 4 100 km de Nouméa.

Composé de cinq archipels, le territoire comprend 118 îles et s'étend sur près de 2 500 000 km2. La population polynésienne, qui s'élève à 278 786 habitants, apparaît inégalement répartie sur l'ensemble du territoire, seules 76 des 118 îles du territoire étant peuplées. 42 îles sont ainsi inhabitées tandis que 88 % de la population se concentrent au sein de l'archipel de la Société. La Polynésie française est, en outre, dotée d'une histoire et d'une culture d'une grande richesse qui la distinguent du reste de la France, qu'il s'agisse de l'hexagone ou des autres collectivités ultramarines.

Aussi le régime juridique et institutionnel de la Polynésie française est-il de longue date empreint de fortes particularités au sein de la République, afin d'épouser les spécificités géographiques, économiques et culturelles de ce vaste territoire.

De fait, la Polynésie française constitue aujourd'hui l'exemple le plus abouti de l'autonomie institutionnelle susceptible d'être conférée à une collectivité d'outre-mer en application de l'article 74 de la Constitution. Pourtant, à certains égards, la Polynésie apparaît comme un modèle « inachevé », qui appelle encore certains ajustements.

Au terme d'un déplacement du 11 au 22 avril 20241(*), qui lui a permis d'aller à la rencontre des élus du Pays et des communes, des représentants de l'État et de ses différentes administrations, ainsi que des acteurs socio-économiques, la commission des lois formule 22 recommandations, qui visent à mieux faire vivre l'autonomie de la Polynésie française et à permettre localement de mieux différencier l'exercice des compétences en fonction de la diversité des situations pour assurer une plus grande proximité de l'action publique.

I. L'AUTONOMIE, CLEF DU DÉVELOPPEMENT HARMONIEUX DU TERRITOIRE POLYNÉSIEN DANS LA RÉPUBLIQUE 

A. UN RÉGIME D'AUTONOMIE TRÈS DÉVELOPPÉ, DE NATURE À ÉPOUSER LES SPÉCIFICITÉS DU TERRITOIRE

L'article 13 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 confère à la Polynésie française une compétence de droit commun pour toutes les affaires du territoire, en attribuant parallèlement à l'État des compétences d'attribution limitativement énumérées, essentiellement dans le domaine régalien, la Polynésie française étant néanmoins habilitée à participer à l'exercice de certaines compétences de l'État.

Malgré le caractère résiduel des compétences quotidiennes exercées par l'État, celui-ci n'assure pas moins un accompagnement majeur du territoire, en donnant en particulier aux institutions locales des moyens financiers et d'ingénierie importants. Au total, les dépenses de l'État en Polynésie française représentent chaque année environ 200 Mds CFP (soit environ 1,7 Md €). En 2023, elles ont représenté 210,3 Mds CFP - soit 1,764 Md € -, en hausse de 5 % par rapport à 2022.

B. DES INSTITUTIONS LOCALES STABILISÉES, QUI ONT PERMIS UNE ALTERNANCE POLITIQUE RÉCENTE

Les modifications institutionnelles opérées en 2004 ont mis en place des organes de délibération et de décision du Pays qui se sont d'abord caractérisés par une forte instabilité politique. Après trois modifications législatives en 2007, 2011 et 2019, les institutions polynésiennes ont retrouvé une stabilité, qui a profité au cours des dernières années aux partis autonomistes. Lors des élections municipales de juin 2020, 40 des 48 maires de Polynésie française ont par ailleurs été élus sous la bannière ou avec le soutien du Tapura Huiraatira, soulignant l'ancrage local des partisans de l'autonomie.

Les élections territoriales d'avril 2023 ont cependant entraîné une alternance à l'assemblée de la Polynésie française en faveur du parti indépendantiste Tavini Huiraatira. Vainqueur des élections avec 44,32 % des suffrages exprimés au second tour, celui-ci détient depuis lors une majorité absolue de 38 sièges sur 57 à l'assemblée qui a élu, le 11 mai 2023, Moetai Brotherson à la présidence de la Polynésie française.

Conséquence de cette alternance, les institutions du Pays expriment aujourd'hui majoritairement une position favorable à l'indépendance du territoire, bien que cette demande d'accession alterne, selon les intéressés, entre l'indépendance immédiate et une indépendance envisagée au terme de dix à quinze ans, voire l'institution d'une « souveraineté partagée » entre la France et le territoire.

C. MIEUX FAIRE VIVRE L'AUTONOMIE DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE DANS LA RÉPUBLIQUE

1. Un nouvel ajustement de compétences entre l'État et le Pays à envisager

Actuellement, il existe une difficulté à établir des frontières incontestables et pertinentes dans la répartition des compétences entre l'État et le Pays. La mission estime que la répartition des compétences pourrait être réexaminée en privilégiant davantage une logique de « blocs de compétences », dans une démarche de simplification et d'effectivité de l'action publique, souhaitée par les différents acteurs des politiques publiques ainsi que les acteurs socio-économiques.

Cette logique de blocs permettrait notamment de consolider la compétence internationale de la Polynésie française, pour ce qui concerne son environnement régional. De même, la compétence « médicaments » pourrait être rattachée plus largement à la compétence « santé » exercée par la collectivité.

2. Une nécessaire clarification du droit applicable

La difficulté à connaître précisément le droit applicable en Polynésie française est réelle.

D'une part, l'applicabilité de la loi nationale est une question particulièrement complexe, compte tenu de l'application du principe de spécialité législative pour les matières qui relèvent de la compétence de l'État, et de la nécessité d'une mention d'applicabilité expresse qui se concrétise par l'utilisation du « compteur Lifou ».

D'autre part, la « cristallisation » des textes nationaux relevant d'une matière transférée à la Polynésie française à la date de la publication de la loi organique statutaire, le 2 mars 2004, - qui sont donc figés à cette date tant qu'ils n'ont pas été modifiés par les autorités locales - rend complexe la détermination du droit en vigueur en l'absence de codification.

Cette codification est d'autant moins évidente que, par exemple, les dispositions relevant du code civil national ne relèvent pas dans leur totalité du droit local. Il importe donc que le Pays mène un travail global de clarification, par le biais d'une codification, matière par matière, du droit effectivement applicable.

En outre, sans remettre en cause le principe de la spécialité législative, il convient de revoir l'exigence du « compteur Lifou », qui ne conduirait plus à inscrire dans la loi elle-même la date de la version d'une loi applicable, mais à permettre que cette mention soit portée, par exemple directement et automatiquement sur les textes applicables par le site Légifrance.

À plus long terme, doit se poser la question de la pertinence de l'inversion du système actuel de spécialité législative, en retenant le principe d'une application de plein droit, sans mention expresse, de la norme nationale en Polynésie française, sous réserve d'adaptations et sauf exceptions. Cette évolution apparaîtrait d'autant plus pertinente que l'essentiel des compétences conservées par l'État en Polynésie française relève du domaine régalien, qui postule par principe une application de ses règles sur l'ensemble du territoire national.

3. L'action de l'État en Polynésie, garante du bon exercice de l'autonomie
a) Mieux adapter l'action de l'État dans l'exercice de ses compétences

Les dépenses de l'État en Polynésie française, pour l'exercice de ses propres compétences, ont atteint 520 M€ en 2023, en faisant abstraction du poste relatif aux pensions civiles et militaires. Ces sommes permettent à l'État d'exercer son action dans des conditions satisfaisantes. Toutefois, certains ajustements peuvent être apportés pour améliorer davantage les conditions d'exercice de ses missions.

(1) Une sécurité quotidienne assurée, malgré le fléau des violences intrafamiliales

La Polynésie française connaît une délinquance générale relativement faible, avec une tendance à la baisse. Elle se caractérise néanmoins par une très forte prévalence des violences intrafamiliales (VIF), qui représentent plus de la moitié des faits de violences constatés et constituent un enjeu de politique pénale majeur dans un territoire qui, en volume, est le deuxième plus concerné de France par ce phénomène, avec 383 mis en cause pour 100 000 habitants.

Il est donc important que tous les acteurs intéressés à la politique de lutte contre les violences intrafamiliales, qu'il s'agisse de la prévention, de l'accompagnement ou de la répression, travaillent de concert de façon structurée. Cela est d'autant plus essentiel dans une matière où les compétences sont réparties entre les communes, le Pays et l'État.

(2) Endiguer l'inquiétant développement du trafic de stupéfiants

Il est généralement admis qu'une forte proportion de la population polynésienne est traditionnellement consommatrice de drogue, notamment de pakalolo, appellation locale du cannabis. Ainsi, plus de 40 % des jeunes polynésiens consommeraient de manière ponctuelle ou régulière ce produit stupéfiant.

La présence de plus en plus massive de métamphétamine, connue sous le nom d'« ice », au cours des dernières années est devenue un véritable fléau, aujourd'hui consommée par plus de 10 000 personnes, essentiellement concentrées dans les îles de l'archipel de la Société, singulièrement Tahiti. Plus de 30 % des personnes détenues au sein des centres pénitentiaires de Nuutania et de Tatutu le seraient pour trafic d'ice.

Le risque est de voir le « marché » polynésien submergé par cette métamphétamine dans les prochaines années. La crainte est qu'à l'ice s'ajoute dans un futur proche l'importation de fentanyl, opioïde de synthèse très présent sur la côte ouest des États-Unis.

Face à l'essor du trafic de stupéfiants, il convient donc d'adapter les moyens de prévention et de lutte à tous les échelons de l'action publique, notamment en renforçant les capacités d'action du parquet et les moyens opérationnels des forces de sécurité intérieure.

Dans la lutte contre la consommation et la détention de substances illicites ou pour d'autres délits, notamment routiers, il serait en outre pertinent de rendre effectif en Polynésie française le mécanisme de l'amende forfaitaire délictuelle avec la mise en place du procès-verbal électronique (PVe).

(3) Prendre davantage en compte les spécificités géographiques de la Polynésie française

L'action de l'État en Polynésie française doit prendre en compte les effets induits sur la société par une faible densité de population, de multiples insularités et des distances majeures entre ses territoires, qui les rendent peu accessibles, malgré le maillage aérien et maritime existant. Du fait de ces caractéristiques, l'accès à la justice - qu'elle soit judiciaire ou administrative - est bien plus long, complexe et coûteux qu'en d'autres endroits du territoire national.

C'est ce qui justifie que le taux de l'aide juridictionnelle et les conditions de remboursement des frais fassent l'objet d'une adaptation en Polynésie française pour prendre en compte les contraintes de l'exercice professionnel des avocats, qui peuvent parfois se trouver dans l'obligation de rester plusieurs jours sur une île en cas d'audience foraine, en l'absence de toute liaison quotidienne pour revenir à Papeete.

Par ailleurs, la question de la durée d'affectation des magistrats en Polynésie doit être posée. La mission considère nécessaire de prendre en considération l'étroitesse du ressort juridictionnel, a fortiori lorsque ce dernier est identique en première instance et en appel, et d'envisager dans cette hypothèse une règle de mobilité spécifique, applicable aux magistrats du parquet comme aux magistrats du siège, sans que cela remette en cause le principe constitutionnel d'inamovibilité des juges, puisque celle-ci serait justifiée par des considérations de bonne administration de la justice.

b) Renforcer l'aide technique et opérationnelle de l'État au profit du Pays et des communes

Face aux besoins d'accompagnement des communes et, dans une moindre mesure, du Pays, l'attention de la mission a été attirée sur la pertinence que pourrait avoir l'intervention du Cerema et de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) en soutien technique et opérationnel des projets.

Or, il n'est à ce jour pas juridiquement permis aux collectivités régies par l'article 74 de la Constitution - dont la Polynésie française - d'adhérer au Cerema pour bénéficier de son expertise dans la conduite de leurs projets, ce qui entrave le recours aux prestations de l'établissement public. Des obstacles juridiques se posent aussi à l'intervention complète de l'Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT) en Polynésie française. Il est donc nécessaire de modifier la loi pour permettre au Pays et aux communes de bénéficier de l'ensemble des prestations offertes par le Cerema et l'ANCT.

4. Faire vivre l'attachement de la République à la Polynésie
a) Prendre au sérieux les tentatives d'influences extérieures

Du fait de sa situation géographique, la Polynésie française est aux confins de plusieurs influences proches : celles de l'Amérique, et au premier chef des États-Unis, et celles de l'Asie, à commencer par la Chine. Plus éloignée du reste de la France que de ces nations, elle est confrontée aux velléités d'expansion culturelle ou économique des États du voisinage.

Néanmoins, plus récemment, certaines puissances étrangères pourtant éloignées géographiquement, entendent véritablement influer sur la situation politique polynésienne et ses relations avec l'État. Des États, à commencer par l'Azerbaïdjan, semblent chercher à jouer un rôle d'aiguillon pour détacher la Polynésie française de la France. Par le biais du « Groupe d'initiative de Bakou contre le colonialisme français », l'Azerbaïdjan entend ainsi apporter un soutien politique et matériel à la démarche indépendantiste en Polynésie.

L'immixtion d'une puissance étrangère dans les affaires du territoire et dans ses relations avec l'hexagone, déjà identifiée en Nouvelle-Calédonie, est préoccupante. Elle doit être prise avec sérieux, et ne doit pas être considérée comme simplement anecdotique pour la Polynésie française. Il faut donc surveiller les tentatives d'influence ou d'ingérence étrangères qui se développent en vue d'attiser un sentiment anti-français en Polynésie française.

b) Mieux associer la Polynésie à la stratégie française pour l'indopacifique

Dans son rapport d'information de janvier 2023 sur la stratégie française pour l'indopacifique, la commission des affaires étrangères du Sénat2(*) relevait l'insuffisante association des collectivités du Pacifique à la stratégie nationale pour l'Indopacifique.

La mission estime elle aussi nécessaire une association effective des autorités du Pays tant à la définition qu'à la mise en oeuvre de la stratégie indopacifique de la République, la Polynésie française en étant, compte tenu de l'importance de son territoire maritime et de son insertion régionale, une pièce-maîtresse de toute action dans l'océan pacifique sud.

c) Soutenir la Polynésie dans sa volonté de développement endogène et régional

Le rôle de l'État est d'accompagner la Polynésie dans son développement, tout autant que de maintenir la présence de la République dans le Pacifique, où elle est en outre le seul État de l'Union européenne présent. Dans ce contexte, l'État doit accompagner la Polynésie dans les défis et les enjeux de développement qui se présentent à elle, même si l'autonomie conférée par le statut de la loi organique de 2004 fait du Pays le principal décisionnaire dans ces matières.

La mission a pu relever trois enjeux majeurs au cours de son déplacement :

- le numérique. Compte tenu de sa centralité dans le Pacifique, la Polynésie française comporte des atouts réels pour devenir un « hub numérique », et en tirer profit pour développer son économie ;

- la mise en valeur des ressources naturelles dans le cadre de l'économie bleue. La Polynésie bénéficie d'atouts exceptionnels, à l'heure actuelle insuffisamment exploités, pour le développement de son économie ;

l'insertion professionnelle des jeunes. Bien que l'emploi et l'insertion professionnelle relèvent de la compétence du Pays, les rapporteurs soulignent que l'État agit dans ce domaine via, notamment, le dispositif du régiment du service militaire adapté (RSMA).

La mission ne peut qu'inciter l'État à accompagner la Polynésie dans ces domaines, et en particulier à veiller, pour le volet insertion professionnelle, à renforcer la capacité d'accueil des compagnies du RSMA et l'adéquation des formations proposées avec le marché de l'emploi local.

Partie intégrante de la France, la Polynésie française n'en a pas moins son centre de gravité politique, économique et culturel au coeur du Pacifique. Aussi la mission est-elle convaincue de la nécessité de développer autant que possible la coopération régionale du territoire avec les États voisins.

L'exécutif de la Polynésie française apparaît parfaitement légitime à représenter le territoire, et partant la France, dans ces échanges, dans le respect des mécanismes prévus par la loi organique statutaire. Et, dans ces relations régionales, tant l'État que le Pays ont tout à gagner à défendre des positions communément partagées, rendant ainsi d'autant plus forte la position du territoire dans les échanges et les projets mis en place. Il importe donc de s'assurer de la cohérence et de la complémentarité des actions menées au niveau de l'État et du Pays, et d'accompagner l'action du Pays au niveau régional, en favorisant une participation de haut niveau de l'État aux travaux des instances régionales, y compris lorsque le Président de la Polynésie y représente sa collectivité.

Collectivité de la République, la Polynésie française est, de ce fait, également une collectivité de l'Union européenne, en tant que Pays et territoire d'outre-mer (PTOM). Si, par nature, l'aide européenne aux PTOM est plus limitée que celle apportée aux régions ultrapériphériques, la Polynésie doit davantage investir les possibilités offertes, en renforçant sa présence auprès des institutions européennes.

En définitive, en soutenant la Polynésie française dans son développement endogène et régional, l'État contribue à faire rayonner les valeurs de la République dans le Pacifique, dans le respect de l'identité propre du fenua.

II. L'ORGANISATION INSTITUTIONNELLE DE LA POLYNÉSIE : MIEUX DIFFÉRENCIER DANS LA PROXIMITÉ

A. DES COMMUNES QUI PEINENT À TROUVER LEUR JUSTE PLACE FACE AU PAYS

La Polynésie française compte 48 communes, créées seulement en 1971 et réparties sur cinq archipels. « Collectivités territoriales de la République », elles relèvent directement de l'article 72 de la Constitution et  bénéficient à ce titre des principes constitutionnels de libre administration et de non tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre. Pour autant, contrairement aux autres communes françaises, elles ne disposent pas de la clause de compétence générale, mais de compétences spécifiques, limitativement énumérées, que leur octroie l'article 43 de la loi organique statutaire de 2004.

Ce même article permet par ailleurs aux communes d'exercer des compétences complémentaires, dont la liste a été étendue par la loi organique du 5 juillet 2019, « dans les conditions prévues par des lois du pays et la réglementation édictée par la Polynésie française ». À ce jour, néanmoins, et malgré les demandes formulées par plusieurs communes, à commencer par celles des îles Marquises, seules trois lois du Pays ont autorisé l'exercice d'une partie de ces compétences complémentaires sur des questions très limitées.

Parmi les 48 communes de Polynésie française, 30 comprennent des communes associées, formant un total de 98 communes associées sur l'ensemble du territoire. Toutefois, les dispositions du code général des collectivités territoriales applicables aux communes de Polynésie française ne définissent pas suffisamment les compétences des communes associées de Polynésie française, et le statut du maire délégué manque de précisions.

L'intercommunalité reste peu développée en Polynésie française. Le territoire compte ainsi à ce jour cinq communautés de communes, dont trois ont été créées il y a moins de cinq ans. Six syndicats de communes peuvent également être dénombrés, ainsi que deux syndicats mixtes.

B. CONFORTER LES COMMUNES POLYNÉSIENNES DANS L'EXERCICE DES COMPÉTENCES DE PROXIMITÉ

1. Favoriser les délégations d'exercice des compétences du Pays vers les communes

Au cours des échanges menés par la mission avec les maires, l'existence d'un « jacobinisme tahitien » a souvent été déplorée. Dans les archipels ou îles éloignés de Tahiti, l'exercice par le Pays de ses prérogatives est souvent jugé trop distant et décidé trop loin des élus et des populations, a fortiori compte tenu de la diversité des situations locales.

Dans ce contexte, la mission ne peut qu'encourager le dialogue entre le Pays et les communes, soulignant que la loi organique statutaire de 2004 prévoit deux mécanismes juridiques de nature à permettre la prise de décisions au plus près des administrés :

- l'article 48, qui permet au Pays de déléguer aux maires ou aux présidents d'EPCI les compétences pour prendre les mesures individuelles d'application des lois du Pays ou de la réglementation édictée par le Pays ;

- l'article 55, qui autorise le Pays, dans les conditions définies par une loi du Pays, à confier, par convention, aux communes ou aux établissements communaux ou de coopération intercommunale la réalisation d'équipements collectifs ou la gestion de services publics relevant de leurs compétences respectives. La convention doit alors prévoir la participation financière des collectivités concernées.

Toutefois, malgré les demandes formulées par certaines communes, ces délégations n'ont pas été mises en oeuvre à ce jour.

La mission appelle donc à recourir à ces mécanismes de dévolution dans une démarche de « petits pas », projet par projet, afin de créer une confiance mutuelle entre les autorités communales et celles du Pays. Pour ce faire, il est important que les conditions financières liées à la mise en oeuvre de ces mesures puissent faire l'objet d'une appréciation raisonnable et non conflictuelle des parties en présence. Dans ce cadre, la mission estime que l'expertise de la chambre territoriale des comptes dans l'évaluation des coûts pourrait utilement être mobilisée, au titre d'un « tiers de confiance ».

2. Ajuster la répartition des compétences entre le Pays et les communes
a) Envisager le retour au Pays de certaines compétences que les communes et leurs EPCI ne sont pas en mesure d'exercer

Les communes ne sont, de fait, pas toujours en capacité effective d'exercer les compétences listées par la loi organique, y compris à l'échelon intercommunal. C'est le cas des compétences en matière d'environnement.

La situation est particulièrement difficile s'agissant de l'exercice de la compétence « assainissement ». Dans ces conditions, se pose la question d'un nouveau report de ce délai de mise en oeuvre de cette compétence par les communes, voire d'envisager des aménagements particuliers pérennes - par le recours à des normes techniques spécifiques, par exemple - pour les communes d'archipels, pour lesquelles les infrastructures à mettre en place sont particulièrement lourdes en termes d'ingénierie et donc de coûts.

Des difficultés similaires de mise en oeuvre de la compétence en matière de traitement des déchets se posent. Alors qu'il s'agit d'une compétence obligatoire des communes, nombreuses sont celles qui peinent à l'assumer dans toute son ampleur, y compris dans le cadre des EPCI qu'elles ont créés.

Cet exercice est d'autant plus complexe dans les communes formées de plusieurs îles, où le coût est mécaniquement fortement renchéri. De plus, dans plusieurs communes, le volume des déchets ne rend pas viable la mise en place d'équipements de traitement effectifs, imposant alors un transfert des déchets hors de la commune. En outre, les communes manquent des moyens financiers et d'ingénierie nécessaires à la mise en place des circuits de traitement et de valorisation efficaces et efficients.

Aussi se pose légitimement la question de la restitution au Pays de la compétence en matière de traitement des déchets. La mission estime que la spécificité des communes polynésiennes et la nécessité d'assurer un traitement des déchets de manière efficace tout en maîtrisant les coûts justifient une redéfinition des compétences actuelles entre les communes et le Pays en vue de conférer à ce dernier la compétence en la matière.

Enfin, l'ordonnance du 15 février 2006 portant actualisation et adaptation du droit applicable en matière de sécurité civile en Polynésie française a prévu la création de l'établissement public d'incendie et de secours de Polynésie française. Pourtant, celui-ci n'a toujours pas vu le jour dix-huit ans après. La mission s'interroge donc sur la pertinence du modèle retenu en 2006, qui transposait, avec quelques modifications, la solution « classique » des SDIS à la Polynésie française. Elle estime que les échanges doivent se poursuivre avec l'État, les communes et le Pays pour déterminer le modèle le plus adapté aux contraintes du territoire.

b) Reconnaître une possibilité d'intervention de plein droit des communes dans certaines matières relevant actuellement de la compétence du Pays

L'article 43 de la loi organique statutaire permet au Pays, dans le cadre d'une loi du pays, de déterminer les conditions d'intervention des communes ou de leurs EPCI dans un certain nombre de matières. Le Sénat, à l'initiative de Lana Tetuanui, avait étendu le champ des matières concernées afin de favoriser l'exercice des compétences au plus près des habitants. Cette extension ne s'est toutefois pas traduite, en pratique, par un accroissement des compétences conférées à celles-ci par le Pays, qui reste à ce jour réticent à mettre en oeuvre cette disposition.

Aussi, la mission estime-t-elle que la procédure prévue actuellement par cet article doit être dépassée afin de reconnaître de plein droit aux communes de Polynésie française l'exercice partagé avec le Pays de certaines compétences, sans que soit nécessaire l'adoption d'une loi du Pays en ce sens. Il ne s'agirait donc pas d'un transfert complet de compétences, mais d'une prérogative d'intervention dans certains domaines, dans une logique d'effectivité et de subsidiarité. Cet exercice pourrait concerner des compétences de proximité que plusieurs communes exercent déjà de facto, sans base juridique, pour pallier l'absence ou la faiblesse de certaines actions menées localement en la matière par le Pays, en particulier : la culture et le patrimoine local ; l'artisanat ; l'aide sociale ; la jeunesse et le sport.

Dans ces matières, la bonne coordination des interventions justifierait néanmoins la conclusion de conventions entre le Pays et chaque commune ou EPCI concernés, qui pourra ainsi non seulement clarifier le périmètre des actions exercées mais aussi, le cas échéant, les moyens financiers que le Pays pourrait apporter à la commune ou l'EPCI concerné pour les actions menées. Cette conclusion serait d'autant plus facile que, dans les domaines précités, le Pays ne met souvent pas concrètement en oeuvre localement les compétences.

3. Clarifier le statut des communes associées et des maires associés

Compte tenu de la configuration du territoire de certaines communes polynésiennes, qui peuvent comporter plusieurs îles distantes de plusieurs dizaines de kilomètres et parfois accessibles seulement par mer, la création de communes associées sui generis a répondu à la volonté d'assurer la présence d'une autorité communale au plus près des populations.

Toutefois, le régime juridique qui leur est applicable est source de difficultés d'organisation et d'incompréhension pour les administrés. Face à une situation complexe, la mission estime que la revalorisation de l'échelon communal implique de redéfinir avec davantage de précision le statut des communes associées, leurs conditions de fonctionnement et les prérogatives que leurs maires délégués peuvent exercer.

4. Fortifier la fonction publique communale

Donner une attractivité suffisante à la fonction publique communale et conforter les compétences de ses membres est un enjeu essentiel pour permettre aux communes de la Polynésie française d'exercer leurs compétences dans des conditions optimales.

Cette attractivité doit surtout concerner les emplois relevant des catégories A et B, que les communes n'ont souvent pas les moyens suffisants de recruter et de fidéliser, et qui, selon plusieurs maires, peuvent avoir une préférence à exercer dans le cadre de la fonction publique du Pays. C'est en effet grâce à des personnels capables de mener à bien des projets d'investissement importants que les communes pourront se développer et offrir à leurs habitants un niveau de services adéquat.

Aussi le rôle du centre de gestion et de formation (CGF) de la Polynésie française, et l'accompagnement qu'il offre pour développer les compétences des agents de la fonction publique communale, apparaissent-ils essentiels. La mission salue l'effort entrepris par le CGF pour la formation des agents des communes. Elle insiste pour poursuivre ces efforts et accompagner encore davantage les communes dans leur recrutement des agents catégorie A et B, et dans la formation professionnelle de l'ensemble de leurs personnels.

5. Favoriser l'utilisation par les communes, pour leurs projets structurants, des terrains qui sont la propriété du Pays

La question foncière est majeure dans la capacité d'action des communes de la Polynésie.

Le legs de l'histoire a conduit à conférer au Pays - héritier de l'État et préexistant aux communes - un domaine privé extrêmement important, sans que la généralisation des communes en Polynésie française en 1971 ait conduit à des transferts des biens immobiliers du domaine privé du Pays vers les communes elles-mêmes. Par ailleurs, l'État conserve à ce jour de larges emprises qui ne sont aujourd'hui plus mises en valeur.

Il en découle des situations où les communes sont totalement dépourvues de terrains d'assiette leur permettant d'exercer librement leurs compétences et de mener des projets structurants. Dans ces conditions, il convient de favoriser, par la vente ou la mise à disposition à titre gratuit par le Pays et l'État, l'utilisation du foncier par les communes et les communautés de communes pour y établir des équipements publics locaux.

C. FAVORISER LA DIFFÉRENCIATION PAR L'INTERCOMMUNALITÉ

La diversité géographique et culturelle des différents territoires de la Polynésie française justifie pleinement des mesures de différenciation renforcées dans les statuts juridiques applicables. L'intercommunalité apparaît comme le vecteur juridique idéal de cette différenciation, en permettant d'adapter les compétences communautaires aux enjeux et besoins des territoires concernés.

La mission a pu constater, à cet égard, le volontarisme de certaines communautés de communes pour valoriser leur territoire, en fonction de leurs particularismes. Elle a notamment pu rencontrer les élus de Terehçamanu, sur l'île de Tahiti, qui portent une ambition exigeante et souligne l'intérêt de la création annoncée de la communauté de communes des Tuamotu-Gambier ouest, qui permettra de mieux traiter les problématiques locales au niveau intercommunal. 

Dans ce contexte, les élus marquisiens défendent de longue date la reconnaissance de leur éloignement et de leur identité culturelle par un statut juridique sui generis au sein de la Polynésie française en proposant de transformer l'archipel et ses six communes en une « collectivité territoriale à statut particulier faisant partie de la Polynésie française, et placée à un niveau intermédiaire entre le Pays et les communes marquisiennes », qui prendrait le nom de Communaute' d'archipel des i^les Marquises (CODAM).

La mission souligne que la situation des îles Marquises justifie pleinement l'exercice de certaines compétences au plus près de la population, selon un principe de subsidiarité qui gagnerait à être pleinement mis en oeuvre en Polynésie française.

De fait, les Marquisiens sont très en pointe sur des projets majeurs en matière de préservation de leur environnement ainsi que de promotion de leur patrimoine naturel et culturel et doivent disposer d'une capacité d'action effective en la matière. Compte tenu de l'éloignement, il apparaît également plus que légitime que les questions relatives à l'artisanat, aux zones de mouillage, à certains aménagements touristiques ou aux denrées servies dans les cantines collectives relèvent des compétences locales, afin de répondre au mieux aux besoins de l'archipel et de sa population.

Pour autant, la création d'une nouvelle catégorie de collectivité risquerait de complexifier le paysage institutionnel polynésien, alors même que l'intercommunalité est un instrument juridique suffisamment malléable pour apporter à l'archipel des Marquises des réponses appropriées et adaptées.

La mission considère donc l'EPCI comme la solution institutionnelle la plus adéquate pour renforcer et autonomiser l'action locale en Polynésie. Il importe donc de promouvoir l'intercommunalité auprès des élus locaux, afin de mieux mettre en exergue son intérêt et les opportunités qu'elle peut apporter pour le développement des territoires communaux, notamment en matière d'infrastructures et de services offerts aux populations. Pour autant, si l'architecture juridique actuelle de l'EPCI n'est pas à même de permettre l'exercice de certaines compétences locales, ils estiment que plutôt que de créer une nouvelle forme d'EPCI, il conviendrait de modifier les compétences susceptibles d'être exercées par les EPCI actuels de la Polynésie française.

LISTE DES RECOMMANDATIONS

L'AUTONOMIE, CLEF DU DÉVELOPPEMENT HARMONIEUX DU TERRITOIRE POLYNÉSIEN DANS LA RÉPUBLIQUE

Proposition n° 1 : Engager une réflexion pour affiner la répartition des compétences entre l'État et le Pays dans une logique de blocs de compétences.

Proposition n° 2 : Améliorer l'accessibilité du droit applicable en Polynésie française par un travail de codification et par une évolution de la technique dite du « compteur Lifou ».

Proposition n° 3 : Engager une réflexion sur la fin du régime de spécialité en Polynésie française, pour retenir le principe d'une application de plein droit, sans mention expresse, de la norme nationale sur le territoire polynésien, avec deux tempéraments :

- l'adaptation toujours possible de la norme à la situation de la Polynésie française, pour prendre en compte ses spécificités ;

- la possibilité d'exclure expressément l'application de la norme nationale sur le territoire polynésien.

Proposition n° 4 : Intensifier la structuration de la coopération des différents acteurs chargés de la lutte contre les violences intrafamiliales.

Proposition n° 5 : Face à l'essor du trafic de stupéfiants, adapter les moyens de prévention et de lutte à tous les échelons de l'action publique, notamment en renforçant les capacités d'action du parquet et les moyens opérationnels, y compris d'interception en mer, des forces de sécurité intérieure.

Proposition n° 6 : Rendre effectifs en Polynésie française le mécanisme de l'amende forfaitaire délictuelle et la mise en place du procès-verbal électronique (PVe).

Proposition n° 7 : Adapter le taux de l'aide juridictionnelle et le montant des remboursements de frais des avocats aux contraintes spécifiques liées à l'organisation judiciaire en Polynésie française.

Proposition n° 8 : Instituer des règles de mobilité spécifiques pour les magistrats du siège et du parquet exerçant dans des ressorts juridictionnels très étroits, comme en Polynésie française, en limitant l'exercice de leurs fonctions sur place à cinq années.

Proposition n° 9 : Permettre au Pays et aux communes de bénéficier de l'ensemble des prestations offertes par le Cerema et l'Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT).

Proposition n° 10 : Surveiller les tentatives d'influence ou d'ingérence étrangères qui se développent en vue d'attiser un sentiment anti-français en Polynésie française.

Proposition n° 11 : Associer de manière effective les autorités de la Polynésie française à la définition ainsi qu'à la mise en oeuvre de la stratégie indopacifique de la République.

Proposition n° 12 : Poursuivre le développement de la capacité d'accueil du régiment du service militaire adapté (RSMA) en Polynésie française et l'adéquation des formations proposées au regard des besoins locaux.

Proposition n° 13 : S'assurer de la cohérence et de la complémentarité des actions menées par l'État et le Pays en matière de relations internationales, et accompagner l'action du Pays en favorisant une participation de haut niveau de l'État aux travaux des instances régionales.

L'ORGANISATION INSTITUTIONNELLE DE LA POLYNÉSIE :
MIEUX DIFFÉRENCIER DANS LA PROXIMITÉ

Proposition n° 14 : Pour exercer une action locale au plus près des Polynésiens, mettre en oeuvre, dans une démarche pragmatique, les lois du Pays du 3 mars 2023 permettant la délégation de compétences ou la réalisation de projets aux communes et intercommunalités, en mobilisant l'expertise de la chambre territoriale des comptes pour l'évaluation des coûts induits.

Proposition n° 15 : Face à l'impossibilité matérielle dans laquelle sont placées les communes de Polynésie en matière de distribution d'eau potable et d'assainissement, envisager un nouveau report de la date de l'obligation de fournir ces services, voire des aménagements particuliers pérennes pour les communes d'archipels.

Proposition n° 16 : Rétrocéder la compétence en matière de traitement des déchets des communes au Pays.

Proposition n° 17 : Dans le cadre du comité polynésien de sécurité civile, poursuivre les échanges pour s'assurer que le modèle d'un établissement public d'incendie et de secours de Polynésie française, décidé en 2006, est adapté aux besoins du territoire.

Proposition n° 18 : Pour pallier l'absence ou l'insuffisance de certaines actions menées localement par le Pays, reconnaître aux communes de Polynésie française, sans que soit nécessaire l'adoption d'une loi du Pays en ce sens, une compétence partagée avec le Pays, en particulier en matière de culture et de patrimoine local, d'artisanat, d'aide sociale, de jeunesse et de sport.

Proposition n° 19 : Redéfinir le statut juridique des communes associées, leurs conditions de fonctionnement et les prérogatives que leurs maires délégués peuvent exercer.

Proposition n° 20 : Accompagner encore davantage les communes dans leur recrutement des agents de catégorie A et B, et dans la formation professionnelle de l'ensemble de leurs personnels.

Proposition n° 21 : Favoriser, par la vente ou la mise à disposition à titre gratuit par le Pays et l'État, l'utilisation du foncier par les communes et les communautés de communes pour y établir des équipements publics locaux.

Proposition n° 22 : Utiliser davantage l'intercommunalité pour mieux différencier l'exercice de l'action locale en Polynésie française, le cas échéant en complétant les compétences qu'elles sont susceptibles d'exercer.

AVANT PROPOS

Le territoire de la Polynésie française est très éloigné de l'hexagone et des autres collectivités d'outre-mer. Papeete, siège de la collectivité, se situe ainsi à près de 17 000 km de Paris, à 2 900 km des îles Wallis et Futuna et à 4 100 km de Nouméa.

Composé de cinq archipels - les archipels de la Société3(*), des Tuamotu, des Gambier, des Marquises et des Australes -, le territoire comprend 118 îles et s'étend sur près de 2 500 000 km2. Aussi 1 400 km séparent-ils les îles Marquises des îles du Vent.

Si les terres émergées polynésiennes ne correspondent qu'à la superficie d'un département métropolitain (soit environ 4 000 km2), la Polynésie française dispose toutefois d'une zone économique exclusive (ZEE) de 5 500 000 km2, qui représente près de la moitié de la ZEE française et couvre une surface supérieure à celle de l'Union européenne (4 200 000 km2).

Source : Syndicat pour la promotion des communes de la Polynésie française.

La population polynésienne, qui s'élevait à 278 786 habitants en 20224(*), est inégalement répartie sur l'ensemble du territoire, seules 76 des 118 îles du territoire étant peuplées. Compte tenu de leur spécificité géologique - des hautes îles montagneuses aux atolls inhabités car faiblement émergés -, 42 îles sont ainsi inhabitées.

88 % de la population se concentrent par ailleurs au sein de l'archipel de la Société (75 % sur les Îles-du-Vent, spécialement à Tahiti et Moorea, 13 % sur les Îles Sous-le-Vent) et 12 % résident dans les autres archipels (Marquises, Tuamotu, Gambier et Australes).

Répartition de la population de la Polynésie française

Source : Haut-commissariat de la Polynésie française.

Seules 20 des 48 communes de Polynésie française comptent une population qui dépasse 3 500 habitants, parfois répartis sur plusieurs îles.

Outre cette disparité notable entre les différents archipels, la population est au surplus inégalement répartie sur l'île de Tahiti, qui compte 191 532 habitants. En 2022, 71 % de la population de Tahiti vivait en effet dans la zone urbaine située au nord-est de l'île (Arue, Faa'a, Mahina, Paea, Papeete, Pirae, Punaauia). Le reste de l'île comporte à l'inverse des territoires faiblement peuplés.

La Polynésie française est, en outre, dotée d'une histoire et d'une culture propre d'une grande richesse qui la distinguent du reste de la France, qu'il s'agisse de l'hexagone ou des autres collectivités ultramarines.

*

Aussi le régime juridique et institutionnel de la Polynésie française est-il de longue date empreint de fortes particularités au sein de la République, afin d'épouser les spécificités géographiques, économiques et culturelles de ce vaste territoire.

De fait, la Polynésie française constitue aujourd'hui l'exemple le plus abouti de l'autonomie institutionnelle susceptible d'être conférée à une collectivité d'outre-mer en application de l'article 74 de la Constitution. Elle apparaît ainsi comme un « modèle » pour certains territoires en quête de compétences plus développées par rapport à l'État, notamment les collectivités guyanaise et antillaises, aujourd'hui régies par l'article 73 de la Constitution. Pourtant, à certains égards, la Polynésie apparaît comme un modèle « inachevé », qui appelle encore certains ajustements.

Alors que les dernières modifications statutaires sont intervenues en 2019, et que la dernière mission d'information menée par la commission des lois date de 20175(*), celle-ci a souhaité porter une attention particulière à ce territoire, marqué lors des élections territoriales de 2023 par une alternance au profit du parti indépendantiste, le Tavini huiraatira, désormais majoritaire à l'assemblée de la Polynésie française et dont le président de la collectivité et le gouvernement sont directement issus.

Pour ce faire, une délégation transpartisane de la commission des lois, conduite par son président, François-Noël Buffet6(*), s'est rendue en Polynésie française du 11 au 22 avril 2024, à la rencontre des élus du Pays et des communes, des représentants de l'État et de ses différentes administrations, ainsi que des acteurs socio-économiques.

Au terme de ces travaux, la commission des lois formule 22 recommandations, qui visent à mieux faire vivre l'autonomie de la Polynésie française et à permettre localement de mieux différencier l'exercice des compétences en fonction de la diversité des situations pour assurer une plus grande proximité de l'action publique.

I. L'AUTONOMIE, CLEF DU DÉVELOPPEMENT HARMONIEUX DU TERRITOIRE POLYNÉSIEN DANS LA RÉPUBLIQUE

La Polynésie française bénéficie d'un régime d'autonomie qui n'a cessé de croître depuis 1984. Pleinement justifié par les spécificités du territoire, il est la clef de son développement harmonieux dans la République.

A. UN RÉGIME D'AUTONOMIE TRÈS DÉVELOPPÉ, DE NATURE À ÉPOUSER LES SPÉCIFICITÉS DU TERRITOIRE

La loi n° 84-820 du 6 septembre 1984 affirme pour la première fois l'autonomie de la Polynésie française, « territoire d'outre-mer doté de l'autonomie interne dans le cadre de la République ». Des compétences propres lui sont reconnues, qui vont s'accroître ensuite continument par l'effet des lois du 12 juillet 1990 et du 20 février 1995, puis surtout de la loi organique n° 96-312 du 12 avril 1996, qui octroie au territoire d'outre-mer de nouvelles compétences exclusives7(*) mais également des compétences partagées avec l'État8(*), y compris dans le domaine des relations internationales9(*).

Parachevant ce processus, la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004, modifiée en 200710(*), 201111(*) et 201912(*), dote la Polynésie française d'un régime d'autonomie en application de l'article 74 de la Constitution, fraîchement modifié par la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République, régime toujours en vigueur.

1. Une large autonomie permise par un statut ad hoc : la loi organique statutaire du 27 février 2004
a) Une compétence de principe des institutions du Pays

L'article 13 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 confère à la Polynésie française une compétence de droit commun pour toutes les affaires du territoire, en attribuant parallèlement à l'État comme aux communes des compétences d'attribution limitativement énumérées.

Il est donc loisible aux institutions du Pays d'adopter dans l'essentiel des matières, et tant dans le domaine de la loi que du règlement, des règles propres, applicables au territoire. Lorsqu'elles interviennent dans le domaine de la loi, ces règles sont qualifiées de « lois du pays », quoiqu'elles constituent des actes administratifs et demeurent soumises au contrôle juridictionnel du Conseil d'État.

La Polynésie française est en outre associée à la mise en oeuvre de certaines compétences de l'État, au premier rang desquelles les relations internationales, l'enseignement supérieur ou la recherche.

Des difficultés d'interprétation découlent cependant parfois de cet enchevêtrement des compétences du Pays, des communes de Polynésie et de l'État. Des dispositions organiques prévoient en conséquence des mécanismes qui permettent à la Polynésie française de clarifier voire de préserver ses compétences propres par rapport à celles de l'État.

Le président de la Polynésie française ou le président de l'assemblée de la Polynésie française peut ainsi saisir le tribunal administratif, à titre préventif, d'une demande d'avis relative à la répartition des compétences entre le Pays, l'État ou les communes, sur le domaine des « lois du pays » ou sur la répartition des compétences entre les institutions polynésiennes. Cette demande, transmise sans délai au Conseil d'État, permet ainsi de lever des incertitudes. En outre, un contrôle juridictionnel spécifique des lois du Pays est opéré par le Conseil d'État, qui est également de nature à lever certaines ambiguïtés dans la répartition et les conditions d'exercice des compétences respectives du Pays et de l'État.

Le Conseil constitutionnel peut, en outre, être saisi en application de l'article 12 de la loi organique pour constater un éventuel empiètement de l'État sur une compétence locale et permettre la modification et l'abrogation de la loi concernée par l'assemblée de la Polynésie française. Sur ce fondement, le Conseil a ainsi rendu 14 décisions depuis 2007, dont 13 depuis 2014 et 3 depuis 2017, consacrant le plus souvent la compétence du Pays.

b) Une compétence de l'État résiduelle
(1) Un périmètre de compétence limité à certaines matières régaliennes

L'article 14 de la loi organique n° 2004-192 détermine la compétence d'attribution - essentiellement dans le domaine régalien - de l'État en Polynésie française.

Les matières relevant de la compétence de l'État

1° Nationalité ; droits civiques ; droit électoral ; droits civils, état et capacité des personnes, notamment actes de l'état civil, absence, mariage, divorce, filiation ; autorité parentale ; régimes matrimoniaux, successions et libéralités ;

2° Garantie des libertés publiques ; justice : organisation judiciaire, aide juridictionnelle, organisation de la profession d'avocat, à l'exclusion de toute autre profession juridique ou judiciaire, droit pénal, procédure pénale, commissions d'office, service public pénitentiaire, services et établissements d'accueil des mineurs délinquants sur décision judiciaire, procédure administrative contentieuse, frais de justice pénale et administrative (1) ;

3° Politique étrangère ;

4° Défense ; importation, commerce et exportation de matériel militaire, d'armes et de munitions de toutes catégories ; matières premières stratégiques telles qu'elles sont définies pour l'ensemble du territoire de la République, à l'exception des hydrocarbures liquides et gazeux ; liaisons et communications gouvernementales de défense ou de sécurité en matière de postes et télécommunications ;

5° Entrée et séjour des étrangers, à l'exception de l'accès au travail des étrangers ;

6° Sécurité et ordre publics, notamment maintien de l'ordre ; prohibitions à l'importation et à l'exportation qui relèvent de l'ordre public et des engagements internationaux ratifiés par la France ; réglementation des fréquences radioélectriques ; préparation des mesures de sauvegarde, élaboration et mise en oeuvre des plans opérationnels et des moyens de secours nécessaires pour faire face aux risques majeurs et aux catastrophes ; coordination et réquisition des moyens concourant à la sécurité civile ;

7° Monnaie ; crédit ; change ; Trésor ; marchés financiers ; obligations relatives à la lutte contre la circulation illicite et le blanchiment des capitaux ;

8° Autorisation d'exploitation des liaisons aériennes entre la Polynésie française et tout autre point situé sur le territoire de la République, à l'exception de la partie de ces liaisons située entre la Polynésie française et tout point d'escale situé en dehors du territoire national, sans préjudice des dispositions du 6° du I de l'article 21 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ; approbation des programmes d'exploitation et des tarifs correspondants ; police et sécurité concernant l'aviation civile ;

9° Police et sécurité de la circulation maritime ; surveillance de la pêche maritime ; sécurité de la navigation et coordination des moyens de secours en mer ; francisation des navires ; sécurité des navires d'une longueur de référence égale ou supérieure à 24 mètres, sous réserve des navires relevant de la compétence de la Polynésie française à la date d'entrée en vigueur de la loi organique n° 2019-706 du 5 juillet 2019 portant modification du statut d'autonomie de la Polynésie française et de tous les navires destinés au transport des passagers ; mise en oeuvre des ouvrages et installations aéroportuaires d'intérêt national ;

10° Règles relatives à l'administration, à l'organisation et aux compétences des communes, de leurs groupements et de leurs établissements publics ; coopération intercommunale ; contrôle des actes des communes, de leurs groupements et de leurs établissements publics ; régime comptable et financier et contrôle budgétaire de ces collectivités ; fonction publique communale ; domaine public communal ; dénombrement de la population ;

11° Fonction publique civile et militaire de l'État ; statut des autres agents publics de l'État ; domaine public et privé de l'État et de ses établissements publics ; marchés publics et délégations de service public de l'État et de ses établissements publics ;

12° Communication audiovisuelle ;

13° Enseignement universitaire ; recherche ; collation et délivrance des grades, titres et diplômes nationaux ; règles applicables aux personnels habilités des établissements d'enseignement privés liés par contrat à des collectivités publiques pour l'accomplissement de missions d'enseignement en ce qu'elles procèdent à l'extension à ces personnels des dispositions concernant les enseignants titulaires de l'enseignement public, y compris celles relatives aux conditions de service et de cessation d'activité, aux mesures sociales, aux possibilités de formation et aux mesures de promotion et d'avancement.

(2) Une compétence de l'État qui n'est pas exclusive de l'intervention du Pays

Cette compétence déjà restreinte de l'État est par ailleurs tempérée par deux éléments.

D'une part, selon le cas et en vertu de procédures spécifiques, l'assemblée de la Polynésie française ou le gouvernement de la Polynésie française doivent être consultés sur les projets d'actes (projets de loi, propositions de loi, projets d'ordonnances, projets de décret) qui intéressent spécifiquement la Polynésie française13(*).

D'autre part, la Polynésie française est habilitée, en application de l'article 31 de la loi organique statutaire, à participer à l'exercice de certaines compétences de l'État. Dans cinq catégories de matières, des « lois du pays » ou des arrêtés du conseil des ministres de la Polynésie peuvent ainsi être adoptés selon une procédure d'approbation faisant intervenir un décret du Premier ministre.

Matières dans lesquelles le Pays peut participer
à l'exercice des compétences de l'État

1° État et capacité des personnes, autorité parentale, régimes matrimoniaux, successions et libéralités ;

2° Recherche et constatation des infractions ; dispositions de droit pénal en matière de jeux de hasard ;

3° Entrée et séjour des étrangers, à l'exception de l'exercice du droit d'asile, de l'éloignement des étrangers et de la circulation des citoyens de l'Union européenne ;

4° Communication audiovisuelle ;

5° Services financiers des établissements postaux.

En outre, diverses dispositions viennent encadrer les conditions de mise en oeuvre par l'État de ses compétences.

- Les compétences en matière de sécurité

La Polynésie française peut ainsi participer à l'exercice des missions de police relevant de l'État. Des fonctionnaires titulaires des cadres territoriaux sont à cette fin nommés par le président de la Polynésie française après agrément du haut-commissaire de la République et du procureur de la République. Ils doivent également prêter serment devant le tribunal de première instance et sont ensuite placés sous l'autorité du commandant de la gendarmerie ou du directeur de la sécurité publique14(*).

Le haut-commissaire de la République doit en outre informer le président de la Polynésie française des mesures prises en matière de maintien de l'ordre et de sécurité intérieure - et l'associer à la préparation et à la mise en oeuvre des mesures adoptées en matière de sécurité civile15(*).

Le ministre chargé de l'outre-mer ou le haut-commissaire de la République a par ailleurs l'obligation de consulter le conseil des ministres de la Polynésie française quant à la coordination et la réquisition des moyens concourant à la sécurité civile ; il en va de même pour la préparation des plans opérationnels de secours établis pour faire face aux risques majeurs et aux catastrophes16(*).

L'exécutif polynésien doit quant à lui transmettre au haut-commissaire de la République les autorisations ou déclarations adoptées au titre de la réglementation des installations classées pour la protection de l'environnement en raison des dangers ou inconvénients qu'elles peuvent présenter notamment pour la sécurité17(*).

- Les compétences en matière pénale

La Polynésie française dispose également de compétences qui lui permettent de concourir à la politique pénale. Ainsi, elle peut assortir de peines d'amende, y compris forfaitaires, les infractions aux « lois du pays », dès lors qu'elles respectent la classification des contraventions et délits et n'excèdent pas le maximum prévu pour les infractions de même nature18(*). Le Pays peut également prévoir des peines d'emprisonnement pour des infractions aux « lois du pays », à condition que sa délibération soit préalablement homologuée par la loi19(*). Il peut aussi édicter des contraventions de grande voirie pour préserver le domaine public affecté à la collectivité, dans la limite des lois et règlements applicables en la matière20(*).

Au-delà, le statut organique habilite les institutions de la Polynésie française à participer, sous le contrôle de l'État, à l'exercice de certaines de ses compétences, parmi lesquelles figurent la recherche et la constatation des infractions, les dispositions de droit pénal en matière de jeux de hasard et l'entrée et le séjour des étrangers sur le territoire - à l'exception de l'exercice du droit d'asile, de l'éloignement des étrangers et de la circulation des citoyens de l'Union européenne21(*).

- Les compétences en matière de politique étrangère

Enfin, si la politique étrangère relève de la compétence de l'État, et quoique les engagements internationaux de la France soient applicables de plein droit en Polynésie française, la loi organique ménage une place singulière aux autorités de la Polynésie française en la matière.

La Polynésie française peut ainsi disposer de représentations auprès notamment de tout État reconnu par la République française, de tout organisme international auquel cette dernière appartient ou de tout organisme international du Pacifique22(*).

Les autorités de la République peuvent de surcroît autoriser la Polynésie française à être membre, membre associé ou observateur auprès d'organisations internationales ; elle l'est actuellement de 26 organisations ou initiatives régionales, dont le Forum des Îles du Pacifique (FIP) et la Communauté du Pacifique (CPS)23(*).

Le président de la Polynésie française peut par ailleurs conduire les négociations d'accords internationaux dans les domaines de compétence du Pays et, si les autorités de la République les lui confient, dans les domaines de compétence de l'État24(*).

En outre, l'État associe les représentants de la collectivité aux initiatives de la France dans l'espace pacifique. Lors de son déplacement officiel au Vanuatu et en Papouasie Nouvelle-Guinée en juillet 2023, le Président de la République a ainsi pleinement associé le président de la Polynésie française, Moetai Brotherson, aux discussions conduites avec les autorités de ces pays.

2. Un accompagnement majeur de l'État au profit du territoire

Malgré l'étroitesse des compétences quotidiennes exercées par l'État en Polynésie française, celui-ci n'assure pas moins un accompagnement majeur du territoire, en donnant en particulier aux institutions locales des moyens financiers et d'ingénierie importants.

Au total, les dépenses de l'État en Polynésie française représentent ainsi, chaque année, environ 200 Mds CFP (soit environ 1,7 Md €). Ainsi, en 2023, elles ont représenté, selon les chiffres communiqués par les services du haut-commissariat à la mission d'information, 210,3 Mds CFP - soit 1,764 Md € -, en hausse de 5 % par rapport à 2022.

Ces sommes permettent non seulement aux services de l'État d'exercer leurs missions mais également de financer l'exercice de certaines compétences des collectivités polynésiennes - qu'il s'agisse du Pays ou des communes.

a) L'engagement financier au soutien des compétences du Pays

L'État accompagne financièrement le Pays dans l'exercice de ses compétences propres, ce qui permet à ce dernier, en plus du levier fiscal et parafiscal dont il dispose, de disposer de près de 900 M€ de financements chaque année.

Les principaux postes de concours financier de l'État pour l'exercice des compétences du Pays pour 2023

Éducation nationale, jeunesse et vie associative 

603,9 M€

Dotation globale d'autonomie 

90,6 M€

Concours contractualisés pour le financement des investissement prioritaires (3IF) 

40,2 M€

Emploi outre-mer (RSMA, chantiers de développement) 

43,6 M€

Contrat de projet et contrat de développement et de transformation - Pays 

24,3 M€

Source : Haut-commissariat de la Polynésie française.

Comme l'a souligné le haut-commissaire de la République en Polynésie française, Éric Spitz, lors de son entretien avec la mission, la quasi-totalité des compétences exercées par les institutions de la Polynésie font l'objet d'un cofinancement de la part de l'État, qui peut aller de 25 % jusqu'à 200 % pour certains projets ou politiques publiques.

Le premier poste de concours financier de l'État, qui représente les deux tiers en volume, concerne l'éducation nationale, dans la mesure où, si la compétence relative à l'enseignement primaire et secondaire relève du Pays, la rémunération des enseignants est, quant à elle, entièrement prise en charge par l'État.

La fermeture du centre d'expérimentation du Pacifique (CEP) liée à la cessation complète des essais nucléaires en Polynésie française décidée en 1995 a par ailleurs conduit l'État à compenser via des dotations spécifiques les pertes économiques en résultant pour le territoire, l'activité du CEP générant jusqu'à cette date environ 70 % du PIB de la Polynésie. Après avoir évolué à trois reprises, le périmètre des dotations est désormais stabilisé depuis 2019.

De ce fait, la collectivité de Polynésie française bénéficie de la dotation globale d'autonomie (DGA), libre d'emploi, transformée en 2019 en un prélèvement sur recette, d'un montant annuel d'environ 90 M€. S'y ajoute la dotation au titre du troisième instrument financier, dite « 3IF », d'un montant fixé en loi de finances initiale pour 2024 à 51,31 M€ en autorisations d'engagement et 45,17 M€ en crédits de paiement, destinée à financer les investissements prioritaires de la Polynésie française, notamment pour l'amélioration de la desserte routière, maritime et aéroportuaire.

De même, l'intervention de l'État dans de nombreuses politiques sectorielles (éducation, agriculture, culture, environnement, énergie) en Polynésie française est contractualisé par une convention-cadre, le contrat de développement et de transformation (CDT), complétée de conventions sectorielles, avec un principe de financement d'actions à part égale entre l'État et la Polynésie française. Le CDT 2021-2023 a ainsi prévu le versement global de 83 M€ sur la période, à partir du programme budgétaire 123 « conditions de vie outre-mer ».

Dans le cadre du nouveau CDT, signé le 10 juin 2024 et portant sur la période 2024-2027, l'engagement de l'État au titre du même programme, atteindra 89,35 M€. Complété par les financements issus d'autres programmes budgétaires, ce montant atteindra 99,46 M€ pour la période.

Financements apportés par l'État dans le cadre du contrat de développement et de transformation 2024-2027 (volet « Pays »)

Conditions de vie outre-mer (programme 123)

89 350 674 €

Culture

595 000 €

Enseignement supérieur

2 600 000 €

Recherche innovation

704 000 €

Agence nationale pour le sport

1 000 000 €

Ademe (énergie circulaire)

3 075 906 €

Ademe (énergie renouvelable)

2 137 494 €

Total

99 463 074 €

Source : CDT 2024-2027.

Compte tenu du principe de parité du financement État-Pays, 199 M€ seront ainsi mobilisés pour la réalisation d'investissements dans trois domaines que les deux parties ont jugé prioritaires pour le développement de la Polynésie française : le logement social, la santé et le sport, en vue de la préparation des Jeux du Pacifique qui se tiendront en juillet 2027 à Tahiti. Dans ce cadre, la participation de l'État s'élèvera, par principe, à 50 % du coût global TTC des opérations relevant de la maîtrise d'ouvrage du Pays.

b) L'engagement financier au soutien des compétences des communes

L'accompagnement financier de l'État au profit des communes polynésiennes atteint chaque année 121 M€.

Les principaux postes de concours financier de l'État pour l'exercice des compétences des communes pour 2023

Dotation globale de fonctionnement 

85,5 M€

Dotation territoriale pour l'investissement des communes et fonds intercommunal de péréquation 

15,9 M€

Dotation d'équipement des territoires ruraux 

3,9 M€

Programme « Abris de survie » 

1,9 M€

Contrat de projets et contrat de développement et de transformation - communes 

4 M€

Source : Haut-commissariat de la Polynésie française.

La dotation globale de fonctionnement versée aux communes, d'environ 85 M€ chaque année, atteint 33 000 CFP (soit 276,6 €) par habitant en Polynésie, contre seulement 19 000 CFP (159,25 €) en métropole, ce qui souligne l'intensité particulière de l'engagement de la République en leur faveur, mais qui est pleinement justifiée par leur situation.

Les communes bénéficient également d'une dotation territoriale d'investissement (DITC) d'un montant arrêté en loi de finances initiale pour 2024 de 9,05 M€ en autorisations d'engagement et crédits de paiement.

En outre, si les dispositifs financiers de l'État en soutien à l'investissement sont par principe conditionnés à ce que le maître d'ouvrage assure une participation minimale de 20 % et à ce que le montant d'aides publiques ne dépasse pas 80 % du montant hors taxe du projet25(*), par dérogation, certaines modalités de co-financement de l'État en Polynésie conduisent à financer des projets à un taux supérieur à ce maximum de 80 % d'aides publiques et prenant en compte le montant TTC des opérations dans l'assiette de financement et non un montant hors taxes.

Tel est le cas, comme l'ont indiqué les services du haut-commissariat, du fonds intercommunal de péréquation (FIP).

Ce fonds, bien qu'alimenté majoritairement (plus de 90 %) par un prélèvement sur les droits, taxes et impôts perçus au profit du budget général de la Polynésie française, bénéficie d'un versement de l'État sous la forme de la dotation territoriale pour l'investissement des communes (DTIC - article L. 2573-54-1 du CGCT) et d'une quote-part fixe (article 9 de la loi n° 2004-19326(*)).

Les catégories d'opérations éligibles et les taux d'intervention maximum pour les investissements du FIP, dont ceux relevant de la DTIC (article R. 2573-58-1 CGCT) sont déterminés par les membres du comité des finances locales au sein duquel les représentants de l'État ne sont pas majoritaires (8 sur 22 membres dont 10 maires, 2 représentants de la Polynésie française et 2 membres de l'assemblée de Polynésie française).

Les taux d'intervention sont établis sur le montant TTC et non sur le montant HT. Pour certaines catégories, il est prévu des taux d'intervention supérieurs à 80 % : c'est notamment le cas des constructions scolaires du 1er degré (95 %) ou d'acquisition de nouvelles sirènes d'alerte des populations en cas d'événements majeurs (100 %). Certaines de ces opérations (exclusivement des constructions scolaires) sont parfois identifiées comme financées spécifiquement au titre de la DTIC. À titre d'exemple, l'opération DTIC - Travaux de construction de l'école primaire de Faanui, programmée en 2020 et soldée en 2023, a été financée à hauteur de 95 %, correspondant à un montant de subvention de 3,130 M€.

S'agissant des investissements communaux, la convention annexée au CDT 2021-2023 prévoyait des taux d'intervention maximum de l'État et de la Polynésie française pouvant aller de 80 % à 95 %du montant HT de l'opération en fonction de la population des communes, dans le cadre d'opération relevant des services publics environnementaux (AEP, assainissement et déchets). Ainsi, la commune de Pirae a pu bénéficier en 2023 d'une subvention de 915 960,82 € à hauteur de 85 % du montant TTC de l'opération « Rénovation du réseau d'adduction d'eau potable - tranche 3 », subventionnée par l'État à hauteur de 42,5 % du montant TTC et par la Polynésie française à hauteur de 42,5 % du montant TTC.

Sur un dispositif similaire impliquant un financement paritaire de l'État et de la Polynésie française, la convention relative à des bâtiments publics pouvant servir d'abris de survie dans l'archipel des Tuamotu en cas de survenance d'un évènement météorologique majeur sur la période 2021-2025, prévoit le financement d'opérations sous maîtrise d'oeuvre communale avec un montant d'aide publique à hauteur de 95 % du montant TTC des opérations (47,5 % État, 47,5 % Pays) et une participation de la commune à hauteur de 5 % du montant TTC. À titre d'exemple, les travaux de constructions de la maire de Kauehi sur la commune de Fakarava sont financés dans le cadre de cette convention à hauteur de 95 %, pour un montant d'aide publique de 2,428M€ sur un montant total d'opération de 2,556 M€.

Dans le cadre du CDT 2024-2027, l'État s'engage à apporter 29,78 M€ pour accompagner les communes dans leurs investissements dans le champ de leurs compétences environnementales : l'assainissement des eaux usées ; l'alimentation en eau potable ; la gestion des déchets. À cela s'ajoute une contribution spécifique de 10 M€ apportée par l'Office français de la biodiversité (OFB) dans ces mêmes domaines. Au total, avec la mobilisation financière du Pays - également à hauteur de 29,78 M€ -, les communes de Polynésie pourront mobiliser 70 M€ sur trois ans pour leurs projets environnementaux.

c) L'aide à l'ingénierie publique

L'aide de l'État se matérialise également par une aide à l'ingénierie au profit des projets menés en diverses parties du territoire polynésien, pour le compte des communes.

Devant la mission, le haut-commissaire en Polynésie française a expliqué cette situation par un déficit de l'ingénierie privée, cette dernière se concentrant pour l'essentiel sur les îles de Tahiti et Moorea et refusant souvent les missions dans les îles plus éloignées, jugées insuffisamment rentables.

Ainsi, par le biais de la direction de l'ingénierie publique du haut-commissariat, l'État apporte son concours technique au travers des missions d'ingénierie publique en complémentarité des autres intervenants et dans les domaines les plus complexes et stratégiques. Les subdivisions administratives de l'État et la direction des interventions de l'État du haut-commissariat assistent également les communes dans le montage des dossiers de demandes de subvention sur différents dispositifs de financement de droit commun.

Selon les services du haut-commissariat, le déficit constaté au niveau technique se retrouve également, et de façon particulièrement prégnante, sur le suivi et la gestion des opérations financées. Sur ce plan, l'Agence française de développement (AFD) étudie le financement, au titre du fonds outre-mer (FOM), du renforcement de la capacité de communes éloignées, dans les archipels des Australes et des Tuamotu.

Ces dispositifs permettent ainsi d'accompagner notamment les communes dans la réalisation de projets locaux essentiels pour les populations locales.

Exemples récents d'accompagnement des collectivités
par les services du Haut-commissariat

Nature du projet

Collectivité bénéficiaire

Montant

Construction d'un préau pour l'école communale de l'île de Rapa

Commune de Rapa (archipel des Australes)

12 000 €

AMO pour la distribution en eau potable sur l'île de Rapa

Commune de Rapa (archipel des Australes)

42 000 €

AMO - mission de conduite d'opération pour la mise en oeuvre du Plan Municipal de Gestion des Déchets (PMGD).

Commune de Ua Huka (archipel des Marquises)

44 000 €

Source : Haut-commissariat de la Polynésie française.

Par ailleurs, en plus de conseils ou de formations dispensés auprès des agents communaux, l'État participe à des actions de formation et de sensibilisation auprès de différents publics (élus locaux, grand public) ainsi qu'aux réflexions conduites par le Pays pour lever certains obstacles d'ordre réglementaire.

B. DES INSTITUTIONS LOCALES STABILISÉES, QUI ONT PERMIS UNE ALTERNANCE POLITIQUE RÉCENTE

1. Une stabilité institutionnelle durement acquise

Les modifications institutionnelles opérées en 2004 ont mis en place des organes de délibération et de décision du Pays qui se sont d'abord caractérisés par une forte instabilité politique. Pendant les trois premières années de mise en oeuvre du statut, pas moins de cinq gouvernements se sont succédé, faute d'une majorité stable à l'assemblée de la Polynésie française, éclatée entre diverses formations autonomistes, indépendantistes ou représentant les intérêts des différents archipels.

Pour ces raisons, la loi organique n° 2007-1719 du 7 décembre 2007 vint apporter plusieurs modifications à la loi statutaire de 2004.

Afin de renforcer la stabilité des institutions polynésiennes, le mode de scrutin pour l'élection des représentants à l'assemblée de la Polynésie française fut modifié au profit d'une élection au scrutin de liste à deux tours (dans le cadre des circonscriptions établies en 2004), seules les listes ayant obtenu au moins 12,5 % des suffrages exprimés au premier tour étant autorisées à se présenter au premier tour, et seules celles ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés étant autorisées à fusionner.

Par ailleurs, les règles d'adoption d'une motion de défiance à l'encontre du gouvernement furent durcies. En particulier, seule une motion de défiance dite « constructive », comportant le nom de la personne appelée à exercer les fonctions de président de la Polynésie française, fut désormais considérée comme recevable. En cas de rejet d'un projet de budget, le président de la Polynésie française se vit autoriser à déposer un nouveau projet, sur lequel il pourrait engager sa responsabilité.

Ces modifications statutaires ne suffirent toutefois pas à mettre fin à l'instabilité politique en Polynésie française, les gouvernements continuant à se succéder à un rythme accéléré. Le passage au scrutin de liste à deux tours, en particulier, n'avait pas permis de dégager une majorité cohérente et pérenne à l'assemblée de la Polynésie française.

C'est pourquoi le législateur intervint une nouvelle fois, en adoptant la loi organique n° 2011-918 du 1er août 2011 relative au fonctionnement des institutions de la Polynésie française. À l'initiative du Sénat, il fut finalement décidé de réunir les six circonscriptions de la Polynésie française en une circonscription unique divisée en huit sections, avec attribution d'une prime majoritaire à la liste arrivée en tête au niveau de la circonscription, dans le but de garantir une représentation à tous les archipels tout en facilitant l'émergence d'une majorité à l'assemblée.

Les règles relatives au renversement du gouvernement par l'assemblée furent une nouvelle fois durcies. Depuis lors, une motion de défiance ne peut notamment être adoptée qu'à la majorité qualifiée des trois cinquièmes des représentants à l'assemblée de la Polynésie française.

Ces nouveaux équilibres ont permis aux institutions polynésiennes de retrouver une stabilité, les lois organique et ordinaire du 6 juillet 2019 ayant néanmoins apporté quelques ajustements ponctuels complémentaires en :

- prévoyant un renouvellement intégral de l'assemblée de la Polynésie française, dès lors qu'un tiers des sièges y serait devenu vacant pour quelque cause que ce soit, sur le modèle du droit applicable aux conseils municipaux ;

- renforçant les attributions du conseil des ministres pour l'approbation de certaines conventions et nominations ;

- permettant la saisine du Conseil d'État en cas de doute sur la répartition des compétences entre les institutions polynésiennes ou sur le domaine des « lois du pays ».

2. Une alternance politique intervenue en avril 2023

Cette stabilité politique a profité jusqu'aux élections territoriales d'avril 2023 aux partis autonomistes, d'abord sous la présidence de Gaston Flosse puis, après sa démission d'office pour cause d'inéligibilité en septembre 2014, sous celle d'Edouard Fritch, appuyé par son groupe à l'assemblée de la Polynésie française, le Tapura Huiratiraa, allié au groupe autonomiste A ti'a Porinetia, alors présidé par Teva Rohfritsch.

Lors des élections municipales de juin 2020, 40 des 48 maires de Polynésie française ont par ailleurs été élus sous la bannière ou avec le soutien du Tapura, soulignant l'ancrage local des partisans de l'autonomie.

Les élections d'avril 2023 ont cependant entraîné une alternance à l'assemblée liée à une poussée27(*) du vote en faveur du parti indépendantiste Tavini Huiraatira 28(*) et un morcellement des partis autonomistes avec, outre le Tapura Huiratiraa d'Edouard Fritch, la création du parti Ia Ora te Nuna'a par Teva Rohfritsch et Nicole Bouteau, et l'émergence du parti A here ia Porinetia de Nicole Sanquer, le tout sur fond d'une contestation de la gestion de la pandémie de covid-19 par le président Fritch et le gouvernement de la Polynésie française.

Vainqueur des élections avec 44,32 % des suffrages exprimés au second tour29(*), le parti Tavini détient depuis lors, du fait de la prime majoritaire de 50 % prévue par la loi organique, une majorité absolue de 38 sièges sur 5730(*).

Conformément aux annonces d'Oscar Temaru, président du Tavini, pendant la campagne électorale, le groupe a élu Antony Géros à la présidence de l'assemblée de Polynésie française le 11 mai 2023, Moetai Brotherson, alors député, étant élu, avec 66 % des voix, président de la Polynésie française le 12 mai 2023.

Le fait que le Tavini bénéficie, à l'issue des élections, d'une forte majorité à l'assemblée de la Polynésie française de nature à lui permettre d'imposer ses vues sans avoir à négocier avec les autres groupes, alors même qu'il n'a pas recueilli la majorité absolue des suffrages, a suscité certaines critiques sur les règles prévues par le statut de la Polynésie pour la répartition des sièges à l'Assemblée.

Ainsi, Nicole Sanquer et Nuihau Laurey, membres non-inscrits de l'Assemblée issus du parti A here ia Porinetia, ont estimé devant la mission que le seuil de 12,5 % pour l'accès au second tour des élections devrait être abaissé à 5 %, tandis que la prime majoritaire de 50 % devrait être réduite à 25 %, afin d'assurer une plus grande représentativité des courants politiques au sein de l'assemblée.

À l'inverse, Edouard Fritch, président du Tapura, bien que relevant la disproportion entre le nombre de voix recueillies (seulement 8 000 de moins que le Tavini) et le faible nombre de sièges obtenus par sa formation politique (16), a souligné que les règles actuelles devaient être maintenues, car elles avaient fait la preuve de leur efficacité pour stabiliser le fonctionnement des institutions du Pays.

Les rapporteurs partagent le sentiment que rien n'impose de modifier les règles en vigueur, qui ont fortement contribué à stabiliser la vie politique locale et à assurer également les conditions d'une alternance politique qu'il appartiendra aux électeurs de Polynésie de prolonger ou, à l'inverse, de remettre en cause lors des prochaines élections territoriales.

En tout état de cause, depuis les élections, le président de la Polynésie française - Moetai Brotherson - et son gouvernement ont entrepris de « geler », afin d'en réexaminer le bien fondé, les projets en cours de l'ancienne majorité, y compris au niveau des communes. Il a annoncé par ailleurs son objectif de veiller à la réparation des conséquences des essais nucléaires. Le président de l'assemblée de Polynésie française, Antony Géros, a évoqué à cet égard devant la mission un « contentieux moral » avec l'État, l'implantation du centre d'expérimentation du Pacifique ayant, selon lui, non seulement eu des conséquences sanitaires et sur l'environnement majeures, mais également coupé les Polynésiens de leurs racines et de leur culture, engendrant une modification fondamentale de leurs habitudes de vie. Le président Moetai Brotherson a également présenté à la mission d'information son plan pour le développement économique du territoire, fondé notamment sur l'essor du tourisme.

Toutefois, lors de son déplacement, la mission a pu constater des critiques des élus de l'opposition à l'assemblée de Polynésie, de nombreux maires et des représentants du monde économique sur l'attentisme du gouvernement, et sur la pertinence des premières décisions prises par lui, notamment en matière économique.

3. Des demandes plus marquées pour définir un chemin d'indépendance par rapport à la France

Conséquence des résultats des élections territoriales d'avril 2023, les institutions de la Polynésie française expriment aujourd'hui majoritairement une position favorable à l'indépendance du territoire, bien que cette demande d'accession alterne, selon les intéressés, entre l'indépendance immédiate et une indépendance envisagée au terme de dix à quinze ans.

a) L'indépendance immédiate

Lors de son entrevue avec la mission, Antony Géros, président de l'assemblée de la Polynésie française, a ainsi insisté sur le fait que seule la pleine souveraineté du territoire pouvait permettre son développement réel, estimant que le statut actuel d'autonomie ne répondait pas efficacement aux défis de l'éloignement par rapport à l'hexagone, qui s'exprime en particulier dans le phénomène de vie chère et de structures sanitaires insuffisantes. Selon lui, cette pleine souveraineté serait de nature à créer des liens effectifs avec les autres États du Pacifique, sans tutelle de la République, afin de défendre au mieux les seuls intérêts du territoire.

C'est dans cette perspective que le Tavini Huiraatira, à l'initiative de son président, Oscar Temaru, a porté avec succès en mai 2013, la réinscription par l'Organisation des Nations-Unies de la Polynésie française sur la liste des « pays non autonome à décoloniser » au sens de la Charte des Nations-Unies31(*).

S'appuyant sur ce statut retrouvé32(*), il estime que l'État français doit engager un dialogue avec les institutions de la Polynésie pour concrétiser dans les plus brefs délais le droit reconnu par la Charte à l'autodétermination.

L'assemblée de la Polynésie française a d'ailleurs créé en son sein une commission spéciale sur la décolonisation, qui s'est donnée pour objectifs, notamment, d'assurer le suivi de la mise en oeuvre de la résolution de l'Assemblée générale des Nations-Unies, d'apporter toutes informations relatives aux travaux de la commission des questions politiques spéciales et de la décolonisation (Quatrième Commission) de l'ONU qui portent sur des questions intéressant la Polynésie française, et de formuler des recommandations et propositions à l'assemblée de la Polynésie française et au gouvernement de la Polynésie française dans cette perspective. L'État a cependant réitéré devant le comité spécial de la décolonisation des Nations-Unies (comité dit « C 24 »), le 10 juin 2024, « qu'aucun processus entre l'État français et le territoire polynésien ne prévoit un rôle pour les Nations unies. »33(*)

b) L'approfondissement de l'autonomie comme préalable à l'indépendance

Favorable également à la voie de l'indépendance, le président de la Polynésie française, Moetai Brotherson, a défendu devant les membres de la mission une évolution du territoire fondée, dans un premier temps, sur un approfondissement de l'autonomie, via une réforme du statut de 2004, afin de fortifier les institutions du territoire et sa situation économique et sociale, avant de s'engager dans un second temps sur la voie de l'indépendance.

Il a ainsi souhaité que soit consacrée la co-officialité de la langue ainsi qu'une citoyenneté polynésienne sur le modèle de celle existant en Nouvelle-Calédonie, de même que le transfert de nouvelles compétences afin de constituer des blocs de compétences permettant un exercice plus effectif des politiques publiques locales. Il s'est ainsi notamment prononcé en faveur d'un transfert des compétences en matière :

- d'affaires étrangères, pour constituer un ensemble cohérent avec la compétence limitée mais déjà transférée à la collectivité en matière de relations internationales ;

- de délivrance de visas, afin de permettre au Pays de délivrer lui-même des visas à l'entrée sur le territoire, afin de faciliter la venue des touristes étrangers ;

- de mise sur le marché des médicaments, complément jugé indispensable à l'exercice de la compétence, déjà détenue par la collectivité, en matière de santé. Selon Moetai Brotherson, cette compétence permettrait notamment à la collectivité d'accepter localement des traitements anti-diabètes qui ont fait leurs preuves dans d'autres pays depuis plusieurs années, mais qui font face à un refus d'autorisation de mise sur le marché par l'administration nationale, alors que le diabète, du fait de l'obésité d'une partie grandissante de la population polynésienne, est un sujet de santé publique majeur sur le territoire.

À plusieurs reprises, le président Moetai Brotherson s'est ainsi prononcé pour la mise en place d'une consultation référendaire sur l'indépendance de la Polynésie, qui serait organisée dans un délai de dix à quinze ans, dans un dialogue avec les autorités de l'État.

c) L'institution d'une souveraineté partagée

Lors de son entretien avec la mission, Gaston Flosse, ancien président de la Polynésie française et désormais président du parti Amuitahiraa o te nunaa maohi, a salué l'accession à l'autonomie de la Polynésie française, consacrée par le statut organisé par la loi du 27 février 2004, après un cheminement entamé en 1984, et dont il a été l'un des principaux promoteurs.

Pour autant, considérant que « l'autonomie est accomplie et est un exemple de réussite », il juge aujourd'hui souhaitable d'engager une nouvelle évolution statutaire, estimant que « l'autonomie pour nous était le départ d'une nouvelle base de nos relations avec la France, et non son aboutissement ».

Or, il estime que l'État, compte tenu du rôle qu'il exerce en application du statut de 2004, en particulier dans le domaine des investissements internationaux et dans la maîtrise qui est la sienne de l'ensemble de la zone économique exclusive autour du territoire polynésien, empêche désormais le complet développement du territoire.

Aussi, Gaston Flosse défend-il aujourd'hui l'accession de la collectivité de Polynésie française au statut d'un « Pays souverain associé à la France », nouvelle étape avant l'octroi, à un horizon non défini, d'une pleine souveraineté de la Polynésie.

C. MIEUX FAIRE VIVRE L'AUTONOMIE DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE DANS LA RÉPUBLIQUE

1. Un nouvel ajustement de compétences entre l'État et le Pays à envisager

Comme le soulignait un rapport remis au ministre des outre-mer et publié en mars 2022, « les arbitrages nécessaires entre l'État et la Polynésie française lors de l'élaboration des statuts successifs ont produit des résultats qui témoignent de la difficulté d'établir des frontières incontestables et pertinentes dans la répartition des compétences entre les deux entités. Le statut est paradoxalement à la fois indicatif et imprécis car derrière la façade de certains mots tels que “état-civil, enseignement, formation, sécurité, explosifs, etc.” se révèlent des mines inexplorées de partage de compétences dont l'imprécision ou la généralité initiale doivent ensuite trouver une issue pratique parfois grâce à des conventions. »34(*)

Ce constat le conduisait à suggérer que : « Le réexamen des compétences devrait conduire à une réflexion quant à la pertinence de la répartition des compétences et, pour être plus précis, à une nouvelle analyse, seize ans après l'entrée en vigueur du statut d'autonomie, de la pertinence de la liste des compétences d'attribution de l'État énoncées à l'article 14 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut de la Polynésie françaiseL'État qui continuerait naturellement d'exercer sans altération les compétences énoncées à l'article 7 du statut de la collectivité pourrait ne conserver, au titre des attributions énoncées à l'article 14, que les seules compétences dont manifestement l'application ne peut, par nature, être confinée à la seule Polynésie française sans porter préjudice au reste du territoire de la République ou à son unité. »35(*)

Sans nécessairement aller vers une solution aussi drastique, la mission estime que la répartition des compétences pourrait être réexaminée en privilégiant davantage une logique de « blocs de compétences », dans une démarche de simplification et d'effectivité de l'action publique, souhaitée par les différents acteurs des politiques publiques ainsi que les acteurs socio-économiques. Lors de leurs auditions par la délégation de la commission, les représentants du Medef et de la CPME ont en effet évoqué les difficultés occasionnées par « l'imbrication des compétences » entre l'État et le Pays, qui conduisent selon eux à des situations complexes à gérer pour le monde économique, bien que l'essentiel des compétences en matière socio-économique relève du Pays.

Cette logique de blocs permettrait notamment, comme l'envisage le président Moetai Brotherson, de consolider la compétence internationale de la Polynésie française, pour ce qui concerne son environnement régional.

De même, la compétence « médicaments » pourrait être rattachée plus largement à la compétence « santé » exercée par la collectivité, ainsi que l'a évoqué le président de la Polynésie. Pour autant, il serait nécessaire que, parallèlement, le Pays se dote à cette fin d'une capacité d'expertise suffisante pour évaluer les effets induits par les produits de santé concernés avant leur mise sur le marché.

Proposition n° 1 : Engager une réflexion pour affiner la répartition des compétences entre l'État et le Pays dans une logique de « blocs de compétences ».

2. Une nécessaire clarification du droit applicable

À plusieurs reprises au cours des entretiens de la mission, la difficulté à accéder à la connaissance du droit applicable en Polynésie française a été soulevée.

D'une part, l'applicabilité de la loi nationale est une question particulièrement complexe, compte tenu de l'application du principe de spécialité législative en Polynésie française, pour les matières qui relèvent de la compétence de l'État, et de la nécessité d'une mention d'applicabilité expresse qui se concrétise par l'utilisation du « compteur Lifou ».

Les compteurs Lifou

Les « compteurs Lifou » constituent une technique de rédaction des dispositions d'application outre-mer des textes législatifs et réglementaires visant à assurer la traçabilité de l'extension des dispositions normatives et de leurs modifications pour les collectivités soumises au principe de spécialité législative.

En effet, dans sa décision d'assemblée du 9 février 1990, dite « Élections municipales de Lifou », le Conseil d'État a jugé qu'une loi ou qu'un décret modifiant le droit en vigueur dans une collectivité d'outre-mer doit comporter la mention expresse d'application outre-mer. À défaut, le texte antérieur demeure en vigueur dans le territoire concerné.

Cette jurisprudence a fait évoluer les règles d'écriture, induisant des rédactions différentes de cette mention en fonction de l'auteur du texte qui ont engendré des incohérences et incertitudes sur le droit applicable.

Afin d'harmoniser les pratiques, le Conseil d'État, dans un avis du 7 janvier 2016, a proposé au Gouvernement, qui l'a accepté, l'adoption d'une technique de rédaction désignée comme « compteur Lifou », du nom de cette commune française de la Nouvelle-Calédonie.

Désormais, la disposition du texte applicable dans une collectivité soumise au principe de spécialité est signalée par la mention que ce texte est désormais applicable « dans sa rédaction résultant de la loi (ou du décret) n° ...du ... ». Chaque modification ultérieure est opérée par une modification de la référence du texte. Dans les codes figurent désormais un tableau indiquant, en deux colonnes, pour chaque collectivité concernée, les dispositions du code qui sont étendues et la rédaction dans laquelle elles sont applicables.

Source : Rapport n° 390 (2023-2024) de Thani Mohamed Soilihi, déposé le 6 mars 2024 sur le projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2023-389 du 24 mai 2023 modifiant les dispositions
du code général de la propriété des personnes publiques relatives à la Polynésie française.

Les conditions d'application du droit national sont par ailleurs rendues encore plus complexes du fait des dérogations au principe de mention d'applicabilité expresse énoncées par l'article 7 de la loi organique du 27 février 2004, qui prévoit une applicabilité de plein droit des dispositions législatives et réglementaires intervenant dans plusieurs matières36(*).

D'autre part, la « cristallisation » des textes nationaux relevant d'une matière transférée à la Polynésie française à la date de la publication de la loi organique statutaire, le 2 mars 2004, - qui sont donc figés à cette date tant qu'ils n'ont pas été modifiés par les autorités locales - rend complexe la détermination du droit en vigueur en l'absence de codification.

Cette codification est d'autant moins évidente que, par exemple, les dispositions relevant du code civil national ne relèvent pas dans leur totalité du droit local. On considère ainsi, comme l'a souligné devant la mission le premier président de la cour d'appel de Papeete, Thierry Polle, que si environ les deux tiers du code civil relèvent aujourd'hui de la compétence du Pays, un tiers relève toujours du droit national.

De même, Françoise Gatel et Agnès Canayer ont évoqué à juste titre, en novembre 2023, les difficultés d'application en Polynésie française du code général des collectivités territoriales37(*). Lors du déplacement de la mission, les représentants du Medef et de la CPME ont également souligné la complexité du droit applicable aux entreprises, qui constitue un frein à leur investissement et leur bon fonctionnement.

Face à cette situation, Thierry Polle a estimé nécessaire de renforcer les moyens de l'accessibilité du droit en Polynésie.

Si la publication en juin 2022 d'un code d'éditeur, intitulé « Code civil applicable en Polynésie française », constitue une avancée particulièrement utile pour l'accès à la norme, il importe que le Pays mène un travail plus global de clarification formelle, par le biais d'une codification, du droit effectivement applicable sur le territoire, matière par matière.

En outre, sans remettre en cause le principe de la spécialité législative, il convient de revoir l'exigence du « compteur Lifou », qui ne conduirait plus à inscrire dans la loi elle-même la date de la version d'une loi applicable, mais à permettre que cette mention soit portée, par exemple directement et automatiquement sur les textes applicables par le site Légifrance.

Proposition n° 2 : Améliorer l'accessibilité du droit applicable en Polynésie française par un travail de codification et par une évolution de la technique du « compteur Lifou ».

À plus long terme, peut se poser la question de la pertinence de l'inversion du système actuel de spécialité législative, en retenant le principe d'une application de plein droit, sans mention expresse, de la norme nationale en Polynésie française, avec deux tempéraments :

- l'adaptation toujours possible de la norme à la situation de la Polynésie française, pour prendre en compte ses spécificités ;

- la possibilité d'exclure expressément l'application de la norme nationale sur le territoire polynésien.

Cette évolution, évoquée dès 2009 par la commission supérieure de codification38(*), est également suggérée comme une piste de travail dans le rapport précité sur l'accessibilité et l'intelligibilité du droit en Polynésie française, remis à la ministre des outre-mer. Elle apparaîtrait d'autant plus pertinente que l'essentiel des compétences conservées par l'État en Polynésie française relève du domaine régalien, qui postule par principe une application de ses règles sur l'ensemble du territoire national.

La mission souligne néanmoins qu'une évolution en ce domaine impliquerait de raisonner plus largement sur l'ensemble du droit de l'outre-mer, dans le cadre d'une réflexion globale sur la pertinence de la distinction actuellement opérée par les articles 73 et 74 de la Constitution, dont la pierre angulaire est l'application d'un principe d'identité ou, à l'inverse, de spécialité législative, comme l'a suggéré le groupe du travail du Sénat sur la décentralisation en juillet 2023.

Extraits du rapport du groupe de travail du Sénat sur la décentralisation39(*)

« Le cadre constitutionnel actuellement applicable aux outre-mer qui, pour l'essentiel, fait dépendre le statut des territoires des modalités juridiques d'application de la législation et de la réglementation crée un clivage qui peut paraître artificiel entre les territoires régis par les dispositions de l'article 73 et ceux régis par celles de l'article 74 de la Constitution. Or, comme l'a récemment souligné la délégation sénatoriale aux outre-mer, il importe que « le cadre constitutionnel ne soit pas un obstacle aux évolutions souhaitées » par les territoires.

« En conséquence, cette opposition doit aujourd'hui être dépassée, par un cadre constitutionnel rénové, avec pour seul objectif l'adaptation aux besoins de chacun des territoires concernés, en fonction des demandes exprimées par leurs habitants et leurs représentants.

« Sans attendre, une véritable « révolution des méthodes » doit être entreprise pour mieux tenir compte de ces demandes. Ainsi que le souligne la délégation aux outre-mer, une évaluation régulière des politiques publiques concernant ces territoires est indispensable. De même, avant toute initiative législative ou réglementaire, une « culture » de la consultation des outre-mer doit être développée, consistant à saisir les collectivités très en amont, y compris sur les études d'impact, afin de garantir une adaptation réelle des dispositifs aux spécificités des outre mer. »

Proposition n° 3 : Engager une réflexion sur la fin du régime de spécialité en Polynésie française, pour retenir le principe d'une application de plein droit, sans mention expresse, de la norme nationale sur le territoire polynésien, avec deux tempéraments :

- l'adaptation toujours possible de la norme à la situation de la Polynésie française, pour prendre en compte ses spécificités ;

- la possibilité d'exclure expressément l'application de la norme nationale sur le territoire polynésien.

3. L'action de l'État en Polynésie, garante du bon exercice de l'autonomie
a) Mieux adapter l'action de l'État dans l'exercice de ses compétences

Les dépenses de l'État en Polynésie française, pour l'exercice de ses propres compétences, ont atteint 520 M€ en 2023, selon les chiffres communiqués par le haut-commissariat, en faisant abstraction du poste relatif aux pensions civiles et militaires.

Les principaux postes de dépenses de l'État pour l'exercice de ses compétences pour 2023

Pensions de retraite civiles et militaires 

233,1 M€

Dépenses militaires 

167,7 M€

Justice et Chambre territoriale des comptes 

93 M€

Sécurité (gendarmerie et police nationales) 

92,2 M€

Service d'État de l'aviation civile 

39,4 M€

Enseignement supérieur et recherche 

46,1 M€

Administration territoriale de l'État 

26 M€

Source : Haut-commissariat de la Polynésie française.

Ces sommes permettent à l'État d'exercer son action dans des conditions relativement satisfaisantes. Toutefois, le déplacement de la mission a été l'occasion de constater que certains ajustements pouvaient être apportés, de nature à améliorer davantage les conditions d'exercice de ses missions.

(1) Une sécurité quotidienne assurée, malgré le fléau des violences intrafamiliales

La Polynésie française connaît une délinquance générale relativement faible, avec une tendance à la baisse selon les représentants des forces de sécurité intérieure rencontrés par la mission.

Selon la direction territoriale de la police nationale en Polynésie française, 2 395 faits ont été constatés en 2023 dans la zone de compétence de la police nationale40(*), contre 4 800 en 2018, soit une diminution de près de 50 % en cinq ans. Ces faits sont essentiellement caractérisés par des infractions au code de la route (conduites sans permis ou en état alcoolique ou sous stupéfiants), des vols (essentiellement de véhicules 2 roues) ou des cambriolages.

Elle se caractérise néanmoins par une très forte prévalence des violences intrafamiliales (VIF), qui représentent plus de la moitié des faits de violences constatés par les forces de sécurité intérieure ainsi que quatre à six déferrements par semaine ordonnés par le parquet, et constituent un enjeu de politique pénale majeur dans un territoire qui, en volume, est le deuxième plus concerné de France par ce phénomène, avec 383 mis en cause pour 100 000 habitants.

Pour la zone gendarmerie, 1 304 procédures pour VIF ont ainsi été recensées en 2023. Pour faire face à cette situation, la gendarmerie nationale a, depuis 2021, renforcé ses actions. Comme l'a expliqué à la mission le colonel Grégoire Demezon, commandant de la gendarmerie nationale en Polynésie française, une Maison de protection des familles a été mise en place tandis que cinq enquêteurs spécialisés, associés à quatre assistantes sociales, ont été affectés au suivi des dossiers, permettant d'effectuer des mesures de suivi deux mois puis six mois après les faits. Une brigade spécialisée sera créée au 1er janvier 2025.

Ces dispositifs montrent que la problématique a été bien prise en compte par les services de l'État dans l'exercice de ses compétences. Il n'en reste pas moins, comme l'a relevé récemment la Cour des comptes41(*), qu'il est important que tous les acteurs intéressés à la politique de lutte contre les violences intrafamiliales, qu'il s'agisse de la prévention, de l'accompagnement ou de la répression, travaillent de concert de façon structuré. Cela est d'autant plus essentiel dans une matière où les compétences sont réparties entre les communes, le Pays et l'État.

Proposition n° 4 : Intensifier la structuration de la coopération des différents acteurs chargés de la lutte contre les violences intrafamiliales.

(2) Endiguer l'inquiétant développement du trafic de stupéfiants

Comme d'autres territoires, la Polynésie n'échappe pas au développement du trafic de stupéfiants en provenance notamment de la côte ouest des États-Unis. Si elle est placée directement sur la route du trafic international de cocaïne - dont elle constitue une voie secondaire notamment du fait de voiliers faisant escale à Papeete ou aux Marquises -, elle est désormais confrontée à un risque stupéfiants spécifique du fait de l'introduction locale de drogues de synthèse, qui constitue aujourd'hui une question majeure non seulement en termes de santé publique mais aussi de criminalité organisée.

Il est généralement admis qu'une forte proportion de la population polynésienne est traditionnellement consommatrice de drogue, notamment de pakalolo, appellation locale du cannabis. Selon les enquêtes menées localement, plus de 40 % des jeunes polynésiens consommeraient de manière ponctuelle ou régulière du cannabis, chiffre d'ailleurs souvent jugé sous-estimé par les autorités de santé locales et les forces de sécurité intérieure.

Cette situation conduit à une mobilisation importante des forces de sécurité intérieure, avec des opérations intégrant la direction territoriale de la police nationale, le peloton de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG), l'office anti-stupéfiants (OFAST), le groupement interministériel de recherche (GIR) et la douane. La gendarmerie procède ainsi régulièrement à des tests, notamment lors de contrôles routiers. L'année dernière, sur 5 000 tests pratiqués, plus de 10 % étaient positifs. De même, la gendarmerie arrache chaque année entre 35 000 et 40 000 plants de cannabis et procède, comme la police nationale, au démantèlement de points de deals.

À côté du pakalolo, la présence de plus en plus massive de métamphétamine, connue sous le nom d'« ice », au cours des dernières années est devenue un véritable fléau. Cette drogue extrêmement puissante, qui crée un effet d'addiction dès la première prise, est aujourd'hui - selon un chiffre communément admis - consommée par plus de 10 000 personnes, essentiellement concentrées dans les îles de l'archipel de la Société, singulièrement Tahiti. Ainsi, alors que 24 kg d'ice avaient été saisis en 2023, le volume des saisies dépassait déjà 50 kg au premier trimestre 2024 lors du déplacement de la mission. Selon le procureur général de la cour d'appel de Papeete, alors Thomas Pison, les avoirs criminels liés à ce trafic représenteraient environ 1 million d'euros et plus de 30 % des personnes détenues au sein des centres pénitentiaires de Nuutania et de Tatutu le seraient pour trafic d'ice.

Or, le prix de vente de cette drogue en fait un commerce particulièrement lucratif : un gramme d'ice se négocie en effet entre 2 500 et 3 000 €. Mais pour assurer sa diffusion dans la société polynésienne, les trafiquants proposent cette drogue à fumer au prix de 10 € par inhalation, ce qui la rend ainsi très accessible à des populations économiquement fragiles.

Comme l'ont indiqué tant le procureur général que le commandant de la gendarmerie nationale, le colonel Demezon, le risque est de voir le « marché » polynésien submergé par cette métamphétamine dans les prochaines années, compte tenu d'une saturation des marchés les plus proches - à commencer par l'Australie et la Nouvelle-Zélande - qui pourrait conduire à un renforcement de l'offre locale de stupéfiants.

À plusieurs reprises a en outre été évoquée par les interlocuteurs de la mission la crainte qu'à l'ice s'ajoute dans un futur proche l'importation de fentanyl, opioïde de synthèse devenu un fléau majeur sur la côte ouest des États-Unis.

Face à cette situation, Thomas Pison, alors procureur général, a estimé que l'essor de la délinquance associée au trafic de stupéfiants nécessitait un renforcement des effectifs du parquet. Aujourd'hui constitué d'un effectif théorique de 8 magistrats au parquet et de 4 magistrats au parquet général, cet effectif devrait selon lui être renforcé d'un ou deux magistrats supplémentaires.

Compte tenu du caractère international du trafic de stupéfiants, il a par ailleurs jugé nécessaire de rendre encore plus opérationnelle la coopération existant avec les États voisins, notamment en disposant d'officiers et de magistrats de liaison ayant une bonne connaissance de l'anglais et d'une expérience de la lutte contre ce type de délinquance.

Il semble également important de renforcer les moyens d'intervention héliportée de la gendarmerie, qui ne dispose pas d'aéronef propre mais bénéficie seulement d'une mise à disposition, sous réserve de sa disponibilité, d'un aéronef Casa de la Marine nationale.

Il conviendrait aussi d'accroître les moyens d'interception et de contrôle en mer. Ainsi que l'a souligné le haut-commissaire, la Marine nationale assure une mission permanente visant au respect de la zone économique exclusive de la Polynésie française, en dissuadant ou déjouant par la présence de ses bâtiments les incursions de navires de pêche étrangers et, comme l'a souligné le commandant de la gendarmerie, en assurant des missions contre les trafics, notamment de stupéfiants, avec la présence de gendarmes officiers de police judiciaire. La question peut toutefois se poser de donner également à la douane des moyens navals propres permettant de mieux assurer l'exercice des missions de lutte contre les trafics.

En outre, face aux prémices d'une criminalité organisée locale en matière de stupéfiants et de la puissance de corruption liée à ce type de trafic parfaitement documenté par la commission d'enquête du Sénat sur la lutte contre le narcotrafic en France42(*), il est essentiel que les moyens d'investigation puissent être renforcés dans la filière judiciaire - qui, comme dans d'autres parties du territoire national, pâtit d'une réelle désaffection - et d'accroître la sûreté portuaire, afin de mieux détecter les tentatives d'importation de matières stupéfiantes.

Plus généralement, il est essentiel que les institutions du Pays prennent toute la mesure du défi que représente l'essor du trafic de stupéfiants et renforcent encore les mesures d'information et de prévention auprès de la population. Comme l'a récemment souligné également la commission d'enquête du Sénat sur le narcotrafic en France, « au regard du développement rapide et mortifère des drogues de synthèse aux États-Unis et de la croissance du trafic en Polynésie française, il s'agit d'un enjeu majeur de sécurité pour la collectivité ultramarine. »43(*)

Proposition n° 5 : Face à l'essor du trafic de stupéfiants, adapter les moyens de prévention et de lutte à tous les échelons de l'action publique, notamment en renforçant les capacités d'action du parquet et les moyens opérationnels, y compris d'interception en mer, des forces de sécurité intérieure.

Dans ce cadre, la délégation a constaté que le mécanisme de l'amende forfaitaire délictuelle, mis en place en 2019 et pourtant étendu juridiquement à la Polynésie française, n'était pas effective, notamment compte tenu de l'absence de procès-verbal électronique (PVe) qui n'est pas juridiquement applicable sur le territoire. Elle estime que, dans la lutte contre la consommation et la détention de substances illicites ou pour d'autres délits, notamment routiers, il serait pertinent d'assurer le développement de ces mesures en Polynésie française.

Proposition n° 6 : Rendre effectifs en Polynésie française le mécanisme de l'amende forfaitaire délictuelle et la mise en place du procès-verbal électronique (PVe).

(3) Prendre davantage en compte les spécificités géographiques de la Polynésie française

L'action de l'État en Polynésie française doit prendre en compte les effets induits sur la société par une faible densité de population, de multiples insularités et des distances majeures entre ses territoires, qui les rendent peu accessibles, malgré le maillage aérien et maritime existant. Ces caractéristiques impliquent que 62 îles sont aujourd'hui dépourvues d'effectifs de la police ou la gendarmerie nationale, tandis que plusieurs îles n'accueillent des magistrats qu'une fois par an, voire une fois tous les deux ans, dans le cadre d'audiences foraines.

À cet égard, une organisation spécifique a été mise en place, avec trois magistrats du tribunal de première instance exerçant dans les trois sections détachées de Raiatea, compétente pour les îles sous le Vent, de Nuku-Hiva, compétente pour les îles des Marquises, et des Tuamotu-Gambier, créée en août 2023. Il n'en reste pas moins que, avec 76 îles habitées, l'accès à la justice - qu'elle soit judiciaire ou administrative - est bien plus long, complexe et coûteux qu'en d'autres endroits du territoire national.

C'est ce qui justifie, selon tant le premier président de la cour d'appel, Thierry Polle, que le bâtonnier de l'ordre des avocats de Papeete, Dominique Bourion, que le taux de l'aide juridictionnelle et les conditions de remboursement des frais fassent l'objet d'une adaptation en Polynésie française pour prendre en compte les contraintes de l'exercice professionnel des avocats, qui peuvent parfois se trouver dans l'obligation de rester plusieurs jours sur une île en cas d'audience foraine, en l'absence de toute liaison quotidienne pour revenir à Papeete. Ce, alors même qu'environ un tiers des justiciables bénéficie de l'aide juridictionnelle et que la précarisation croissante des requérants ne fait que renforcer le nombre de bénéficiaires potentiels.

La mission soutient pleinement cette évolution, déjà préconisée pour des raisons similaires par la commission des lois en Guadeloupe, dans le cadre de la double insularité du territoire guadeloupéen44(*).

Proposition n° 7 : Adapter le taux de l'aide juridictionnelle et le montant des remboursements de frais des avocats aux contraintes spécifiques liées à l'organisation judiciaire en Polynésie française.

Par ailleurs, la question de la durée d'affectation des magistrats en Polynésie doit être posée.

Dans un ressort juridictionnel aussi restreint, la permanence de certains magistrats en fonction pendant une longue période peut rendre plus difficile la nécessaire distanciation avec les justiciables et les autres acteurs judiciaires. Sur ce point, Thomas Pison, alors procureur général de la cour d'appel de Papeete, a estimé qu'une durée maximale d'environ cinq années d'affectation dans le ressort de la cour d'appel devrait être prévue, rejoignant ainsi une préoccupation plusieurs fois exprimée par la sénatrice Lana Tetuanui au cours des derniers débats sur les textes relatifs à l'organisation judiciaire.

La mission considère en effet nécessaire de prendre en considération l'étroitesse du ressort juridictionnel, a fortiori lorsque ce dernier est identique en première instance et en appel, comme c'est le cas en Polynésie française notamment, et d'envisager dans cette hypothèse une règle de mobilité spécifique, applicable aux magistrats du parquet comme aux magistrats du siège, sans que cela remette en cause le principe constitutionnel d'inamovibilité des juges, puisque celle-ci serait justifiée par des considérations de bonne administration de la justice.

Proposition n° 8 : Instituer des règles de mobilité spécifiques pour les magistrats du siège et du parquet exerçant dans des ressorts juridictionnels très étroits, comme en Polynésie française, en limitant l'exercice de leurs fonctions sur place à cinq années.

Outre sa population globale faible, la nature archipélagique de la Polynésie française produit une multiplicité de micro-sociétés - au niveau d'une île ou de quelques îles rassemblées le cas échéant au sein d'une commune voire d'une division administrative - qui vivent de facto avec une très grande autonomie et où la notion d'appartenance à la communauté insulaire est majeure. Cette situation est renforcée par le fait qu'il n'existe aucune présence d'un membre des forces de sécurité intérieure dans 62 îles de Polynésie française, tandis que celle de représentants de l'administration de l'État - services du haut-commissariat ou magistrats judiciaires - ou du Pays n'est très souvent qu'épisodique en certaines parties des différents archipels, dans le cadre de missions foraines.

Cette situation peut, dans une certaine mesure, expliquer la très forte prévalence des poursuites engagées et des condamnations prononcées à l'encontre des élus locaux du chef de prise illégale d'intérêts, dès lors qu'actuellement la jurisprudence de la Cour de cassation permet de déduire l'élément intentionnel de l'infraction de la seule commission de l'élément matériel, et que l'infraction s'applique également aux conflits d'intérêts publics-publics. À cet égard, certains élus rencontrés au cours de la mission ont fait état de situations dans lesquelles, en l'absence d'autres moyens matériels disponibles, des évacuations sanitaires pouvaient être décidées et effectuées en recourant à des prestations de personnes issues de leur famille, ce qui les plaçaient de facto sous le coup de ce délit, alors même que, ce faisant, ils assuraient pourtant une tâche d'intérêt public.

Sur ce point, la mission ne peut que relever la nécessité d'une évolution de l'incrimination de prise illégale d'intérêts, afin qu'elle ne s'applique qu'en cas de conflit entre un intérêt public et un intérêt privé, et que soit prise en compte l'intensité de l'intérêt en cause. C'est du reste la position affirmée récemment par le Sénat, à l'occasion de l'examen de la proposition de loi portant création du statut de l'élu local, dont l'article 18 prévoit une évolution dans la définition de ce délit45(*).

b) Renforcer l'aide technique et opérationnelle de l'État au profit du Pays et des communes

Face aux besoins d'accompagnement des communes et, dans une moindre mesure, du Pays, l'attention des membres de la mission a été attirée sur la pertinence que pourrait avoir l'intervention du Cerema et de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) en soutien technique et opérationnel des projets.

Le rôle du Cerema, établissement public de l'État, est d'accompagner l'État et les collectivités territoriales pour la transition écologique, l'adaptation au changement climatique et la cohésion des territoires par l'élaboration coopérative, le déploiement et l'évaluation de politiques publiques d'aménagement et de transport. Il conduit ainsi des actions dans six secteurs : l'expertise et l'ingénierie territoriale, le bâtiment, les mobilités, les infrastructures de transport, l'environnement et les risques, la mer et le littoral.

En Polynésie française, le Cerema pourrait apporter son expertise ou proposer sa méthodologie sur la plupart des sujets relevant de son activité, tant le besoin en ingénierie publique de qualité est important. De premières contractualisations de prestations sont d'ores et déjà lancées46(*). Selon les services du haut-commissariat, l'appui apporté par le Cerema serait d'autant plus efficace si ce dernier concrétisait son souhait de s'implanter en Polynésie. De fait, cette implantation s'inscrirait dans une logique régionale, en lien avec la Nouvelle-Calédonie, et pourrait s'appuyer très largement sur les compétences de la direction de l'ingénierie publique du haut-commissariat.

Or, ainsi que la commission des lois avait pu le constater notamment lors de sa mission dans les Antilles en avril 2023, il n'est à ce jour pas juridiquement permis aux collectivités régies par l'article 74 de la Constitution - dont la Polynésie française - d'adhérer au Cerema pour bénéficier de son expertise dans la conduite de leurs projets,47(*) ce qui entrave le recours aux prestations de l'établissement public. Pour la mission, il est donc important qu'une évolution législative sur ce point intervienne rapidement pour que les collectivités de la Polynésie française puissent pleinement recourir au Cerema.

Des obstacles juridiques se posent aussi à l'intervention complète de l'ANCT en Polynésie française. En effet, plusieurs outils de financement des actions de l'ANCT ne sont pas mobilisables en Polynésie française. Il en va ainsi du Fonds national d'aménagement du territoire (FNADT) ainsi que, sauf exception, de la DSIL. De même, les programmes « Action coeur de ville » ou « Petites villes de demain » ne peuvent être opérés sur le territoire, dès lors que certains de leurs partenaires - tels l'Agence nationale pour l'habitat (ANAH) ou Action logement - n'ont pas compétence pour y mener des actions. Enfin, l'accord-cadre d'appui à l'ingénierie sur mesure de l'ANCT ne s'applique pas dans les COM, et donc pas en Polynésien française.

Or, l'intervention de l'ANCT dans la plénitude de ses missions ne pourrait que profiter tant aux communes qu'au Pays lui-même. Ceux-ci pourraient ainsi bénéficier d'une offre en ingénierie publique de qualité pour mener à bien leurs projets. Par exemple, l'ANCT pourrait apporter son appui

à la direction de l'habitat et de la ville ou collaborer avec l'agence d'urbanisme de la Polynésie française. Des évolutions législatives et réglementaires doivent donc être engagées rapidement en ce sens.

Proposition n° 9 : Permettre au Pays et aux communes de bénéficier de l'ensemble des prestations offertes par le Cerema et l'Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT).

Au 31 décembre 2023, selon le rapport du Président à l'assemblée de la Polynésie française pour 2023, les effectifs du Pays s'élevaient à 8 404 agents, dont 7 748 effectifs sur postes budgétaires de la Polynésie française et 656 effectifs hors postes budgétaires. Les agents de catégorie A ou équivalent, sur postes budgétaires, représentent 19 % des emplois, les agents de catégorie D s'élevant quant à eux à 27 % des effectifs.

À la même date, l'administration du Pays accueillait 82 fonctionnaires en service détaché (FEDA), provenant en majorité de l'administration de l'État. À cet égard, la délibération n° 2023-61 APF du 26 octobre 2023 relative au régime applicable aux fonctionnaires détachés au sein de la fonction publique de la Polynésie française a supprimé le régime indemnitaire favorable dérogatoire qui avait été institué en 1998 pour les fonctionnaires de l'État détachés, « dans un contexte où la Polynésie française recherchait à pallier l'absence de savoirs et compétences au sein de son administration »48(*). Cette évolution statutaire découle d'une volonté d'assurer « une équité de traitement entre tous les fonctionnaires détachés au sein de la fonction publique de la Polynésie française de niveau équivalent, quelle que soit leur fonction publique d'origine ; une finalité d'océanisation des cadres avec une préférence donnée, à égalité de compétences, à un fonctionnaire polynésien ; et, avec la transmission des savoirs des FEDA, une montée en compétences des fonctionnaires polynésiens », alors même que « l'évolution de la vie en Polynésie française ne justifie plus le maintien de ces modalités de rémunération, les contraintes liées à l'exercice des fonctions sur le territoire polynésien ayant diminué et la modernisation des moyens de communication ayant réduit le sentiment d'isolement. »

Si les conditions matérielles de détachement décidées il y a 25 ans nécessitaient effectivement une remise à plat, la mission estime que celles-ci doivent pour autant rester suffisamment attractives pour que le Pays continue de trouver les compétences dont il a besoin dans l'administration de l'État, notamment dans certaines fonctions d'expertise ou d'encadrement,49(*) pour la mise en oeuvre des politiques publiques décidées par les autorités du Pays. Ainsi que l'a souligné le haut-commissaire lors du déplacement de la mission, il faudra ainsi faire le bilan, à l'échéance
des contrats de détachement en cours, de l'attractivité du dispositif, en s'assurant qu'il permet bien de répondre aux attentes de la collectivité en matière d'accompagnement de la conduite des politiques publiques.

4. Faire vivre l'attachement de la République à la Polynésie
a) Prendre au sérieux les tentatives d'influences extérieures

Du fait de sa situation géographique, la Polynésie française est aux confins de plusieurs influences proches : celles de l'Amérique, et au premier chef des États-Unis, et celles de l'Asie, à commencer par la Chine. Plus éloignée du reste de la France que de ces nations, elle est confrontée aux velléités d'expansion culturelle ou économique des États du voisinage.

Cette influence est notamment caractérisée par le soft power exercé par les États-Unis et la Chine. Pour cette dernière, on relève une présence renforcée d'évènements culturels chinois, pourtant éloignés de la culture maohi, ainsi qu'au développement des études liées à la Chine à l'université du Pacifique sous l'égide de l'Institut Confucius. L'American way of life se développe aussi dans la société polynésienne, par l'attraction de la côte ouest des États-Unis.

Cette influence peut aussi être de nature économique. Lors de son entretien avec la mission, Gaston Flosse, président du parti Amuitahiraa o te nunaa maohi, a évoqué l'intérêt du développement des investissements étrangers, et notamment chinois, pour la croissance du territoire. Il a fortement contesté l'opposition de l'État à certains investissements chinois en Polynésie, estimant qu'elle prive le territoire des moyens financiers de son développement, évoquant en particulier le projet d'investissement chinois dans la filière aquacole polynésienne, notamment dans la ferme aquacole de Hao, portant sur 150 Mds CFP (soit environ 1,25 Md€), qui aurait selon lui conduit à la création de 800 à 1 000 emplois, avec un objectif d'exportations annuel de 50 000 tonnes de poissons. Cet investissement n'a en effet pas reçu l'autorisation nécessaire de l'État pour être mis en oeuvre, en raison de l'absence de garanties environnementales suffisantes mais aussi de la crainte d'un détournement de l'utilisation de certaines infrastructures.

La Chine entend également développer des relations diplomatiques bilatérales dans le cadre des « Nouvelles routes de la soie maritimes du XXIème siècle » et une politique de soutien financier à des investissements structurants dans la région Pacifique50(*), tandis qu'elle y marque sa présence militaire. Ainsi, certains de ses bâtiments navals sont périodiquement présents dans les eaux polynésiennes, comme le montre l'escale en mai 2024 de « bâtiments d'observation spatiaux », les Yuang Wang, du département chinois de suivi et de contrôle maritime par satellite. Plus récemment, la Chine a procédé en septembre 2024 au tir d'un missile balistique intercontinental « transportant une ogive factice d'entraînement », selon le ministère chinois de la défense, dans les eaux internationales du Pacifique, à la limite de la zone économique exclusive de la Polynésie française.

Néanmoins, plus récemment, certaines puissances étrangères pourtant éloignées géographiquement, entendent véritablement influer sur la situation politique polynésienne et ses relations avec l'État. Des États étrangers, à commencer par l'Azerbaïdjan, semblent chercher à jouer un rôle d'aiguillon pour conduire à l'indépendance de la Polynésie française.

Ainsi que le souligne le récent rapport de la commission d'enquête du Sénat sur les influences étrangères51(*), « du fait des prises de positions françaises sur le conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, le régime de Bakou s'est engagé dans des campagnes de désinformation particulièrement virulentes et des tentatives d'influence visant les Outre-mer et la Corse. » Par le biais du « Groupe d'initiative de Bakou contre le colonialisme français », l'Azerbaïdjan entend ainsi apporter un soutien politique et matériel à la démarche indépendantiste en Polynésie.

Des membres du Tavini ont, de fait, récemment participé en cette qualité à plusieurs travaux conduits par cette instance. Le 30 avril 2024, en marge d'une réunion de l'ONU à Vienne, le Groupe d'initiative de Bakou et le Tavini, représenté par son secrétaire général, Vito Maamaatuaiahutapu, ont signé un mémorandum dans le cadre d'une conférence sur la décolonisation afin, selon l'agence de presse azerbaïdjanaise Azertac, « de prévenir les menaces à l'identité nationale en réduisant les effets de l'assimilation et à obtenir des résultats importants dans le sens de la décolonisation. »

Fin mai 2024, Vito Maamaatuaiahutapu et sept autres élus du parti ont participé à Bakou à une conférence présidée par le vice-président du Parlement d'Azerbaïdjan en vue d'établir « une coopération interparlementaire, économique et humanitaire entre l'Azerbaïdjan et la Polynésie française ». Devant les médias, Vito Maamaatuaiahutapu a ainsi justifié cette participation : « Nous ne sommes pas allés là-bas pour soutenir un régime. Nous sommes allés là-bas parce qu'il y a une ouverture pour nous, pour le Tavini Huiraatira, pour les indépendantistes, de faire évoluer notre combat. L'année dernière, le MNA (Mouvement des non-alignés) était présidé par l'Azerbaïdjan et pour nous, c'était une ouverture. Vous vous rendez compte que ça fait 50 ans que le Tavini Huiraatira se bat dans les institutions selon la procédure onusienne. En 2013, nous avons été réinscrits. Et la procédure voudrait que l'État français se mette autour de la table pour négocier l'accession de ce pays à l'indépendance. Mais ça fait 11 ans que la France pratique la politique de la chaise vide »52(*). La mission souligne néanmoins que le président Moetai Brotherson a publiquement indiqué le 3 juin dernier que les déclarations faites par les participants à cette réunion avaient été exprimées « au nom du Tavini huiraatira et pas de la Polynésie » et n'engageaient pas la « responsabilité du Pays ».

Plus récemment encore, le 17 juillet 2024, Keitapu et Vito Maamaatuaiahutapu étaient présents à une conférence sur le « droit à la décolonisation », organisée à Bakou par le Groupe d'initiative de Bakou, et regroupant également des partisans de l'indépendance de la Guadeloupe, de la Martinique ainsi que de la Corse. Cette conférence a adopté le principe d'un « Front international de libération des colonies françaises ». Elle a annoncé également un soutien financier via le lancement de « bourses d'études » pour poursuivre des études supérieures en Azerbaïdjan.

L'immixtion d'une puissance étrangère dans les affaires du Pays et dans ses relations avec l'hexagone, déjà identifiée en Nouvelle-Calédonie, est préoccupante. Elle doit être prise avec sérieux, et ne doit pas être considérée comme simplement anecdotique pour la Polynésie française.

Proposition n° 10 : Surveiller les tentatives d'influence ou d'ingérence étrangères qui se développent en vue d'attiser un sentiment anti-français en Polynésie française.

b) Mieux associer la Polynésie à la stratégie française pour l'indopacifique

Dans son rapport d'information de janvier 2023 sur la stratégie française pour l'indopacifique, la commission des affaires étrangères du Sénat53(*) relevait que « les élus des DROM-COM ont pu regretter de ne pas avoir été consultés par l'État en amont de l'adoption de la stratégie, ou, plus récemment, des déploiements des forces militaires sur leurs territoires dans le cadre de la stratégie indopacifique française. L'expression de ce manque d'information semble parfois relativement rhétorique, mais elle révèle une profonde remise en cause de la démarche verticale adoptée par le pouvoir exécutif en la matière. La stratégie française pour l'Indopacifique n'a pas été co-élaborée avec les autorités des DCOM-ROM. » Elle en concluait notamment qu'il convenait d'« acclimater la stratégie indopacifique en renforçant sa cogestion avec les territoires ultra-marins français avec la création d'instance de dialogue ad hoc, sous l'impulsion des secrétaires d'État chargés des zones définies au sein de l'Indopacifique. »

Telle est bien, par ailleurs, la position exprimée en mars 2023 par l'assemblée de la Polynésie française dans le cadre de sa mission d'information sur la stratégie indopacifique, dont le sénateur Teva Rohfritsch était l'un des rapporteurs54(*).

La mission d'information partage pleinement cette nécessité d'une association réelle des autorités du Pays tant à la définition qu'à la mise en oeuvre de la stratégie indopacifique de la République, la Polynésie française en étant, compte tenu de l'importance de son territoire maritime et de son insertion régionale, une pièce-maîtresse de toute action dans l'océan pacifique sud.

Proposition n° 11 : Associer de manière effective les autorités de la Polynésie française à la définition ainsi qu'à la mise en oeuvre de la stratégie indopacifique de la République.

c) Soutenir la Polynésie dans sa volonté de développement endogène et régional

La mission rappelle que le rôle de l'État est d'accompagner la Polynésie dans son développement, tout autant que de maintenir la présence de la République dans le Pacifique, où elle est en outre le seul État de l'Union européenne présent.

Cet objectif d'accompagnement de l'État et de contribution au développement du territoire est rappelé en préambule du contrat de développement et de transformation (CDT) 2024-2027, lequel énonce notamment que l'État et le Pays « convergent sur la volonté de bâtir une économie endogène plus résiliente, ancrée dans les valeurs traditionnelles polynésiennes et en capacité de réduire, dans tous les domaines possibles, la dépendance extérieure du Pays » et que, « au service des Polynésiens et des Polynésiennes, ce nouveau contrat de développement et de transformation a vocation à poursuivre et à conforter cet engagement réciproque permettant à la Polynésie française de construire son futur et de se moderniser sur la base d'un développement harmonieux, solidaire et respectueux de l'environnement ».

Dans ce contexte, l'État doit accompagner la Polynésie dans les défis et les enjeux de développement qui se présentent à elle, même si l'autonomie conférée par le statut de la loi organique de 2004 fait du Pays le principal décisionnaire dans ces matières.

(1) Des enjeux majeurs

La mission a pu relever trois enjeux majeurs au cours de son déplacement.

Le premier concerne le numérique. Compte tenu de sa centralité dans le Pacifique, la Polynésie française comporte des atouts réels pour devenir un « hub numérique », et en tirer profit pour développer son économie.

Le Pacifique sud est en effet devenu un lieu de compétition pour le développement d'infrastructures numériques permettant de relier l'Amérique à l'Océanie et, au-delà, l'Asie du Sud-Est.

En janvier 2024, la société Google a confirmé son projet de câble transpacifique entre le Chili et l'Australie via Tahiti, représentant un investissement de 400 millions de dollars pour la première liaison directe entre l'Amérique latine, les pays du Pacifique et, au-delà, l'Asie du Sud-Est, dont la livraison est prévue pour 2026. L'initiative est soutenue par le président Moetai Brotherson, qui y voit à juste titre un instrument de « vitalité économique » de la Polynésie française.

Le territoire dispose déjà, avec le câble Honuta installé en 2010 et le câble Manatua, installé en 2020, d'une connexion internet efficace, mais la création de ce nouveau câble sous-marin permettra de renforcer les flux numériques au profit de la Polynésie. Dans le même temps, un programme de développement du haut-débit dans les îles des archipels des Tuamotu et des Marquises, grâce au câble Natitua, a permis de renforcer la cohésion numérique du territoire et son ouverture à l'international.

Il est important que la Polynésie puisse tirer profit de ces infrastructures majeures pour développer son économie numérique ainsi que ses autres secteurs économiques.

Le second est la mise en valeur des ressources naturelles dans le cadre de l'économie bleue.

Avec ses ressources halieutiques et ses capacités d'élevage perlicole, la Polynésie bénéficie d'atouts exceptionnels, à l'heure actuelle insuffisamment exploités, pour le développement de son économie. Par ailleurs, comme d'autres territoires ultramarins, elle dispose, comme l'expose la délégation sénatoriale aux outre-mer, d'un immense potentiel en termes d'énergies renouvelables, avec de nombreuses ressources naturelles valorisables grâce à l'énergie des vagues et de la houle (houlomoteur), à l'énergie éolienne (offshore notamment) ou à l'énergie thermique des mers (eau froide ou chaude permettant la production d'électricité en continu)55(*).

Le territoire a également l'opportunité d'investir dans la connaissance, la protection et le développement du récif corallien. Il totalise 15 000 km² de récifs et lagons, soit 26 % de la surface totale des récifs coralliens français. Selon l'IFRECOR - Initiative française pour le récif corallien -, les récifs coralliens contribuent chaque année à hauteur de 462 millions d'euros à l'économie locale.

Selon l'Institut de la statistique de Polynésie française (ISPF), en 201956(*) le poids de l'économie bleue en Polynésie française restait néanmoins modeste : il représentait 4,5 % des emplois marchands polynésiens et 5,2 % du PIB. Eu égard aux potentialités offertes par le territoire, ces pourcentages ne pourront que se développer à l'avenir.

Le dernier enjeu concerne l'insertion professionnelle des jeunes.

Dans son « diagnostic territorial 2021 » établi en mars 2022, l'ISPF relevait en particulier, après avoir souligné qu'avec « un taux d'emploi structurellement bas (53 %) et en l'absence de caisse de chômage et d'amortisseurs sociaux, les revenus des Polynésiens sont plus faibles qu'en Métropole et plus dépendants de l'activité économique », que « le niveau d'éducation est une variable discriminante forte pour le taux de pauvreté au sein des ménages polynésiens. Toutes choses égales par ailleurs, les risques de pauvreté sont multipliés par 18 (par rapport aux individus avec éducation supérieure) pour les ménages dont le chef et/ou responsable des achats n'a aucun diplôme. » Aussi les dispositifs d'insertion professionnelle des jeunes en situation de précarité apparaissent-ils d'autant plus nécessaires.

Bien que l'emploi et l'insertion professionnelle relèvent de la compétence du Pays, les rapporteurs soulignent que l'État agit dans ce domaine via, notamment, le dispositif du régiment du service militaire adapté (RSMA).

Implanté sur 4 archipels57(*), le RSMA de la Polynésie française a pour objectif de favoriser l'insertion socio-professionnelle de jeunes volontaires polynésiens, de leur offrir une première expérience professionnelle et, en tant que de besoin, de participer aux plans d'urgence et de secours au sein des forces armées. Il offre ainsi à de jeunes polynésiens en difficulté de 18 à 25 ans, sous statut de volontaires dans les armées, une formation, d'une durée de six à douze mois selon les filières, totalisant :

- 585 places de volontaires stagiaires répartis dans 33 formations professionnelles ;

- 180 places de volontaires techniciens, qui bénéficient d'une première expérience professionnelle au sein des services du régiment ou en qualité d'aide-moniteur dans les filières de formation professionnelle ;

- 60 places de volontaires cadets qui intègrent un dispositif qui vise à les remobiliser, à reprendre confiance en eux et à renouer avec leurs racines et leur culture.

À la compagnie de formation professionnelle d'Hiva Oa, que la mission a pu visiter, les spécialités d'agent d'entretien du bâtiment, d'agent polyvalent de restauration, de petite mécanique et de maraîchage-horticulture sont offertes aux jeunes marquisiens, dans une optique d'adaptation aux besoins de l'économie locale et de maintien des jeunes professionnels dans l'archipel. À cette fin, la compagnie entend également développer des modules en lien avec le travail de bucheronnage et en scierie.

En 2023, l'ensemble du dispositif du RSMA a permis l'insertion professionnelle de plus de 90 % des volontaires (92,4 % des volontaires techniciens et 90,32 % des volontaires stagiaires), preuve de sa réussite. La mission ne peut qu'inciter l'État à poursuivre le développement de la capacité d'accueil des compagnies et l'adéquation des formations proposées, afin de faire bénéficier les jeunes polynésiens, notamment dans les archipels, de ces formations recherchées par les professionnels.

Proposition n° 12 : Poursuivre le développement de la capacité d'accueil du régiment du service militaire adapté (RSMA) en Polynésie française et l'adéquation des formations proposées au regard des besoins locaux.

(2) Favoriser l'action régionale

Partie intégrante de la France, la Polynésie française n'en a pas moins son centre de gravité politique, économique et culturel au coeur du Pacifique. Aussi la mission est-elle convaincue de la nécessité de développer autant que possible la coopération régionale du territoire avec les États voisins.

Dans ce cadre, le Forum des îles du Pacifique (FIP) est une instance de coopération régionale majeure à laquelle la Polynésie participe activement, depuis 2016 en qualité de membre à part entière. Elle offre ainsi aux représentants du Pays, et singulièrement son président, la possibilité d'intervenir sur des problématiques majeures pour le territoire, comme la protection des ressources naturelles, la police des pêches, la lutte contre les trafics, la connectivité digitale, ou encore les liaisons aériennes régionales.

D'autres liens institutionnels sont établis entre la Polynésie française et les autres acteurs étatiques du Pacifique. Ainsi, son président participe régulièrement au Pacific Island Leaders Meeting (PALM), organisé par le Japon. Il est également présent au Sommet des dirigeants Corée du Sud-îles du Pacifique.

L'exécutif de la Polynésie française apparaît parfaitement légitime à représenter le territoire, et partant la France, dans ces échanges, dans le respect des mécanismes prévus par la loi organique statutaire. Et, dans ces relations régionales, tant l'État que le Pays ont tout à gagner à défendre des positions communément partagées, rendant ainsi d'autant plus forte la position du territoire dans les échanges et les projets mis en place.

Il importe de s'assurer de la cohérence et de la complémentarité des actions menées au niveau de l'État et du Pays, et d'accompagner l'action du Pays au niveau régional, en favorisant une participation de haut niveau de l'État aux travaux des instances régionales, y compris lorsque le Président de la Polynésie y représente sa collectivité. À cet égard, la mission se réjouit que l'État dispose d'un ambassadeur, représentant permanent de la France auprès de la Communauté du Pacifique et du Programme régional océanien de l'environnement. Celui-ci doit être le pilier de cette action renforcée de l'État en matière de coopération régionale, au-delà même de ces organisations.

Dans cette perspective, la mission souligne également l'intérêt que pourrait avoir la mobilisation de l'agence française de développement (AFD) dans la conduite d'actions de coopération régionale.

Proposition n° 13 : S'assurer de la cohérence et de la complémentarité des actions menées par l'État et le Pays en matière de relations internationales, et accompagner l'action du Pays en favorisant une participation de haut niveau de l'État aux travaux des instances régionales.

(3) Utiliser pleinement le levier européen

Collectivité de la République, la Polynésie française est, de ce fait, également une collectivité de l'Union européenne, en tant que Pays et territoire d'outre-mer (PTOM).

Le cadre actuel de la coopération de l'UE avec les PTOM du Pacifique est défini par la décision d'association outre-mer incluant le Groenland (appelée DAOG) du 5 octobre 2021. Il a pour objectif essentiel de soutenir ces territoires dans leurs efforts de promotion du développement durable. En Polynésie française, les fonds disponibles à ce titre sont mobilisés - comme dans le cadre des fonds européens de développement (FED) - pour développer la gestion durable de l'eau. Le programme pluriannuel 2021-2027 prévoit ainsi le versement de 31,1 M€ pour accompagner les investissements.

Des programmes régionaux européens permettent de compléter ces efforts financiers. En particulier :

- le 11ème FED régional pour les PTOM du Pacifique « Projet Régional Océanien des Territoires pour la Gestion durable des Écosystèmes (PROTEGE) » promeut un développement économique durable et résilient face au changement climatique en s'appuyant sur la biodiversité et les ressources naturelles renouvelables. Il est financé à hauteur de 36 M€. Démarré en 2018, il s'achèvera fin septembre 2024 ;

- dans le cadre du programme thématique « BEST 2.0 & 2.0+ », qui vise la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité et des services écosystémiques dans les PTOM, quatre projets, principalement orientés sur la préservation, restauration et valorisation d'écosystèmes fragiles, ont été sélectionnés pour la Polynésie Française ;

- le programme régional pour les PTOM du Pacifique 2021-2027 a pour objectif de contribuer au verdissement et bleuissement des systèmes alimentaires en Polynésie française, ainsi qu'en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna. Son démarrage est prévu en 2025.

Si, par nature, l'aide de l'Union européenne aux PTOM est plus limitée que celle apportée aux régions ultrapériphériques, la Polynésie doit davantage investir les possibilités offertes, en renforçant sa présence auprès des institutions européennes. À cet égard, la réouverture d'un bureau de représentation à Bruxelles auprès de l'Union européenne, évoquée par le président Moetai Brotherson devant la mission, semble souhaitable afin de mieux porter les demandes du territoire, avec l'appui de la représentation permanente de la France.

Ainsi, en soutenant la Polynésie française dans son développement endogène et régional, l'État contribue à faire rayonner les valeurs de la République dans le Pacifique, dans le respect de l'identité propre du fenua.

II. L'ORGANISATION INSTITUTIONNELLE DE LA POLYNÉSIE : MIEUX DIFFÉRENCIER DANS LA PROXIMITÉ

L'organisation administrative actuelle de la Polynésie française se caractérise par la faiblesse de l'institution communale, de création récente, par rapport au Pays. Selon la mission, il est important que certaines évolutions interviennent dans l'exercice des compétences locales, qui permettraient une meilleure prise en considération des spécificités polynésiennes.

Certes, le projet de création de fare ora, mis en avant par le président Moetai Brotherson lors de son entretien avec la mission, est un moyen de répondre aux besoins d'accessibilité des habitants aux services administratifs ou de santé essentiels. Des conventions ont, de fait, été signées entre certaines communes et le Pays pour la mise en place de ces guichets uniques, accueillant les services du Pays et de la commune, pour faciliter les démarches administratives et l'accès au droit des populations du territoire et offrir certains services en matière sociale ou médicale.

Il convient cependant d'aller plus loin en confortant les communes polynésiennes dans l'exercice des compétences de proximité et de renforcer la diversification des compétences par le recours renforcé à l'intercommunalité.

A. DES COMMUNES QUI PEINENT À TROUVER LEUR JUSTE PLACE FACE AU PAYS

1. Des collectivités territoriales de base spécifiques par rapport à la métropole
a) Des collectivités récentes dépourvues de clause de compétence générale

La Polynésie française compte 48 communes, tardivement créées par la loi n° 71-1028 du 24 décembre 1971, ainsi réparties :

- 13 communes dans les îles du Vent ;

- 7 communes dans les îles sous-le-Vent ;

- 5 communes dans les îles Australes ;

- 6 communes dans les îles Marquises ;

- 17 communes dans les îles Tuamotu et Gambier.

Qualifiées par l'article 6 de la loi organique du 27 février 2004 de « collectivités territoriales de la République », ces communes relèvent directement de l'article 72 de la Constitution et bénéficient à ce titre des principes constitutionnels de libre administration et de non tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre.

Pour autant, contrairement aux autres communes françaises, les communes de Polynésie ne disposent pas de la clause de compétence générale, mais de compétences spécifiques, limitativement énumérées, que leur octroie l'article 43 de la loi organique statutaire de 2004.

En application du I de cette disposition, les communes sont ainsi compétentes dans neuf matières.

Les compétences obligatoires des communes

1° Police municipale ;

2° Voirie communale ;

3° Cimetières ;

4° Transports communaux ;

5° Constructions, entretien et fonctionnement des écoles de l'enseignement du premier degré ;

6° Distribution d'eau potable, sans préjudice pour la Polynésie française de satisfaire ses propres besoins ;

7° Collecte et traitement des ordures ménagères ;

8° Collecte et traitement des déchets végétaux ;

9° Collecte et traitement des eaux usées.

Le II de l'article 43 de la loi organique statutaire permet par ailleurs aux communes d'exercer des compétences complémentaires, dont la liste a été étendue par la loi organique du 5 juillet 2019, « dans les conditions prévues par des lois du pays et la réglementation édictée par la Polynésie française ».

Compétences complémentaires des communes exerçables dans les conditions prévues par le Pays

1° Développement économique, aides et interventions économiques ;

2° Aide sociale ;

3° Urbanisme et aménagement de l'espace ;

4° Culture et patrimoine local ;

5° Jeunesse et sport ;

6° Protection et mise en valeur de l'environnement et soutien aux actions de maîtrise de l'énergie ;

7° Politique du logement et du cadre de vie ;

8° Politique de la ville.

Après autorisation du Pays et dans les limites de leur circonscription, les communes peuvent également produire et distribuer de l'électricité (article 45 de la loi organique).

À ce jour, néanmoins, et malgré les demandes formulées par certaines communes, à commencer par celles des communes des îles Marquises, seules trois lois du Pays ont autorisé l'exercice d'une partie de ces compétences complémentaires :

les communautés de communes peuvent, depuis une loi du Pays n° 2010-12 du 25 août 2010, intervenir en matière d'aides et d'interventions économiques et d'urbanisme.

Grâce à ce texte, le soin d'élaborer des projets de développement économique peut être confié par la Polynésie française aux communes qui en font la demande, si elles souhaitent se constituer en communauté de communes, le transfert des moyens nécessaires aux communes intéressées étant conditionné à la constitution de la communauté de communes en question. En outre, le Pays peut confier aux communautés de communes, à la demande de leurs organes délibérants, la réalisation d'équipements collectifs ou la gestion de services publics dans le domaine de l'aménagement de l'espace.

Cependant, à ce jour, les arrêtés du président de la Polynésie française pris sur ce fondement se sont bornés à autoriser diverses communes58(*), dans le cadre de leur projet de création d'EPCI, à produire un rapport définissant le projet de développement économique de ce dernier. Aucune convention ultérieure n'a été conclue avec aucune de ces communautés de communes ;

- la loi du Pays n° 2016-10 du 4 avril 2016 autorisant diverses communes à intervenir dans certaines matières relevant des compétences de la Polynésie française pour la mise en oeuvre d'un contrat de redynamisation des sites de défense (CRSD) a permis aux communes d'Arue, Mahina, Papeete, Pirae et Taiarapu-Est, sur l'île de Tahiti, avec le cas échéant une participation financière du Pays, de créer des zones d'activités économiques, de requalifier des zones et aménagements urbains ainsi que de créer des zones d'activités touristiques et de loisirs ;

- dans le contexte exceptionnel de la pandémie de covid-19, la loi du Pays n° 2020-33 du 8 octobre 202059(*) (en matière d'action sociale dans le cadre du covid-19) a permis aux communes, centres communaux et intercommunaux d'action sociale et établissements publics de coopération intercommunale d'intervenir, avec une participation financière du Pays, pour répondre à des besoins de première nécessité via la distribution d'aides alimentaires, d'équipements de protection individuelle de produits sanitaires, de toilette et d'hygiène corporelle ainsi que par la fourniture de certains services d'accompagnement (activités de transport de personnes vers des lieux essentiels, tels que des magasins d'alimentation générale, des centres d'accès à des soins, des pharmacies, etc.).

b) Des communes associées spécifiques

Parmi les 48 communes de Polynésie française, 30 comprennent des communes associées, créées en 1972, formant un total de 98 communes associées sur l'ensemble du territoire.

Certaines d'entre elles sont réparties sur plusieurs îles séparées par plusieurs centaines de kilomètres et plusieurs heures de bateau. D'autres sont peuplées de quelques dizaines d'habitants seulement.

Le régime juridique des communes associées de Polynésie française diffère sensiblement de celui des communes associées de l'hexagone. En premier lieu, elles ne sont pas issues d'une fusion de communes. Par ailleurs, chaque commune associée, qui peut être une île ou la subdivision d'une île, constitue une section électorale, en application de l'article L. 255-1 du code électoral. Le maire délégué de la commune associée remplit les fonctions d'officier d'état civil et d'officier de police judiciaire. Il peut être chargé, dans la commune associée, de l'exécution des lois et règlements de police et recevoir certaines délégations du maire.

Comme l'ont souligné les représentants du Syndicat pour la promotion des communes de Polynésie française (SPCPF), lors de leur audition par la mission, les dispositions du code général des collectivités territoriales applicables aux communes de Polynésie française ne définissent pas suffisamment les compétences des communes associées de Polynésie française, et le statut du maire délégué manque de précisions.

c) La lente croissance de l'intercommunalité

Ainsi que le soulignait la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation en novembre 202360(*), l'intercommunalité reste à ce jour peu développée en Polynésie française. Elle s'y décline essentiellement sous la forme de trois structures : la communauté de communes, le syndicat de communes et le syndicat mixte.

Le territoire compte ainsi à ce jour cinq communautés de communes, dont trois ont été créées il y a moins de cinq ans :

- la communauté de communes des îles Marquises - CODIM. Premier EPCI créée en Polynésie, en novembre 2010, elle est composée des communes des îles Marquises : Fatu Hiva, Hiva Oa, Nuku Hiva, Tahuata, Ua Huka et Ua Pou ;

- la communauté de communes des îles sous-le-Vent - Hava'i. Créée en décembre 2011, elle regroupe les communes de Huahine, Maupiti, Tahaa, Taputapuatea, Tumaraa et Uturoa ;

- la communauté de communes Tereheamanu, sur l'île de Tahiti. Créée en décembre 2020, elle regroupe les communes de Hitiaa o te ra, Papara, Taiarapu Est, Taiarapu Ouest et Teva i Uta ;

- la communauté de communes Teporionu'u, créée en octobre 2023 à Tahiti, et regroupant les communes de Papeete, Pirae et Arue. Cet EPCI a pris en charge à compter du 1er janvier 2024 la collecte et le traitement des eaux usées, ainsi que la collecte et le traitement des déchets végétaux. Cette démarche vise à étendre le réseau d'assainissement collectif des eaux usées de Papeete aux communes de Pirae et de Arue, qui seront ainsi raccordées à la station d'épuration de Papeava à Fare Ute ;

- la très récente communauté de communes Te Tama A Hiro, créée le 1er janvier 2024, regroupant quatre communes des îles Australes : Rapa, Rimatara, Rurutu et Tubuai.

Par ailleurs, le haut-commissaire a signé le 9 juillet 2024 l'arrêté de projet de périmètre de la future communauté de communes des Tuamotu-Gambier ouest, issue d'un projet engagé en 2015, qui concernerait les communes d'Arutua, Fakarava et Rangiroa. Ces dernières doivent désormais rendre un avis sur ce projet et adopter les statuts du futur EPCI. En parallèle et conformément à la loi organique statutaire, l'avis du gouvernement de la Polynésie française a également été sollicité. De ce fait, si les conditions de majorité sont réunies, ce nouvel EPCI pourrait voir le jour avant la fin de l'année, avec effet au 1er janvier 2025.

Six syndicats de communes peuvent également être dénombrés, dont :

- deux syndicats intercommunaux à vocation multiple : le syndicat intercommunal à vocation multiple des Tuamotu-Gambier (SIVMTG) et le syndicat pour la promotion des communes de Polynésie française (SPCPF)61(*).

- quatre syndicats de communes à vocation unique : le syndicat intercommunal pour l'électrification des communes du sud de Tahiti (SECOSUD) ; le syndicat intercommunal d'étude de l'assainissement des eaux usées de Pirae et Arue (SIVU Arue-Pirae) ; le syndicat intercommunal pour la gestion de la fourrière animale (SIGFA) ; le syndicat Te Oropaa, regroupant les communes de Faa'a, Paea et Punaauia.

Enfin, le territoire comporte deux syndicats mixtes : le syndicat mixte ouvert chargé de la gestion du contrat de ville de l'agglomération de Papeete, qui regroupe le Pays et les communes de Arue, Faa'a, Paea, Papeete, Pirae, Mahina et Punaauia ; le syndicat mixte ouvert pour la gestion, la collecte, le traitement et la valorisation des déchets en Polynésie française (Fenua ma), qui regroupe le Pays et l'ensemble des communes des îles du vent à l'exception de Faa'a.

2. Une capacité d'action doublement limitée
a) La faiblesse des ressources propres et une faible appétence pour l'endettement

Les communes de Polynésie française se caractérisent par la faiblesse de leurs ressources propres. En moyenne, la part des dotations perçues par les communes dans les recettes réelles de fonctionnement s'élèvent à 60 %. À l'inverse, environ 20 % de ces recettes proviennent de la fiscalité locale62(*) tandis que 15 % proviennent des redevances.

Il en résulte que l'autonomie financière des communes en Polynésie française est très faible en comparaison des autres communes de France : selon l'Agence française de développement (AFD), elle oscille entre 36 et 38 %, tirée en outre par une minorité de communes, exclusivement situées dans l'archipel de la Société. En comparaison, le taux d'autonomie financière des communes au niveau national est de 70 %.

Les marges de manoeuvre fiscales limitées des communes sont néanmoins compensées par des transferts financiers de l'État et de la Polynésie française tenant compte en particulier de leur éloignement et de leur isolement. Ces transferts financiers sont supérieurs à ceux observés dans l'hexagone et dans les collectivités relevant de l'article 73 de la Constitution. Les dépenses de fonctionnement présentent des écarts importants entre les subdivisions administratives allant, ramenées à la population, du simple au double mais il n'existe pas de déséquilibre structurel dans la situation financière des communes en Polynésie.

Au total, eu égard à ces divers financements, les deux tiers des communes dégagent une capacité d'autofinancement suffisante tandis qu'une dizaine d'entre elles sont dans une situation plus fragile. Elles peuvent toutefois s'appuyer sur le report d'excédents antérieurs.

Cette situation financière très saine s'explique paradoxalement, comme l'a indiqué le président de la chambre territoriale des comptes, Jean-Luc Le Mercier, lors de son audition, par une gestion en « bon père de famille » qui conduit à une forte prévention à l'endettement et au maintien de fonds de roulement d'un montant élevé.

De fait, le recours à l'emprunt et l'endettement des communes sont très limités. Le taux d'endettement moyen en Polynésie française, d'environ 16 %, reste ainsi inférieur aux communes de l'hexagone, des collectivités relevant de l'article 73 de la Constitution et de Nouvelle-Calédonie. Comme le souligne l'AFD, « l'emprunt constitue ainsi une source de financement supplémentaire qui reste encore sous exploité sur le territoire mais qui nécessite pour les communes, de structurer leur vision de l'avenir (définition et pilotage d'un programme pluriannuel d'investissement - PPI). »

b) La question de la fonction publique communale

Créant, à côté de la fonction publique de l'État et de la fonction publique du Pays, une fonction publique propre aux communes de Polynésie française, l'ordonnance n° 2005-10 du 4 janvier 2005 a soumis à un statut homogène les quelque 4 617 fonctionnaires (titulaires ou stagiaires, au 1er septembre 2024), ainsi que les 387 agents contractuels en CDD et 234 agents contractuels en CDI63(*), qui relevaient jusqu'alors du droit privé. Ce statut a été actualisé en 2011 puis par une nouvelle ordonnance du 8 décembre 2021, ratifiée par la loi n° 2022-1137 du 10 août 202264(*).

Ce statut comporte plusieurs particularités, dont au premier chef l'existence de nombreux agents de catégorie D (catégorie disparue dans le reste du territoire national), qui représentent plus de la moitié des effectifs de fonctionnaires. Ainsi, selon le centre de gestion et de formation de la Polynésie française, au 1er septembre 2024, les effectifs relevaient à 4,1 % de la catégorie A, 7,2 % de la catégorie B, 37,5 % de la catégorie C et 51,2 % de la catégorie D. En outre, la grille indiciaire applicable est moins favorable que celle de la fonction publique du Pays, de sorte que la fonction publique communale peine à attirer puis à fidéliser ses personnels les plus compétents, qui peuvent être attirés par des emplois locaux plus rémunérateurs.

Il en découle, d'un constat partagé avec de nombreux acteurs locaux, une difficulté pour un nombre important de communes à bénéficier d'une ingénierie suffisante pour exercer leurs compétences actuelles, en particulier pour mener à bien des projets structurants.

B. CONFORTER LES COMMUNES POLYNÉSIENNES DANS L'EXERCICE DES COMPÉTENCES DE PROXIMITÉ

1. Favoriser les délégations d'exercice des compétences du Pays vers les communes

Au cours des échanges menés par la mission avec les maires, l'existence d'un « jacobinisme tahitien » a souvent été déplorée. Dans les archipels ou îles éloignées de Tahiti, l'exercice par le Pays de ses prérogatives est souvent jugé trop distant, et décidé trop loin des élus et des populations, a fortiori compte tenu de la diversité des situations locales.

Cette critique se fait d'autant plus importante aujourd'hui, compte tenu du positionnement politique différent des tavanas par rapport aux représentants du Pays - puisque 46 maires sur 48 se sont présentés ou ont été soutenus en 2020 par le Tapura tandis que le Tavini détient une large majorité à l'assemblée de la Polynésie française et que le Président de Polynésie appartient à ce dernier. La situation politique actuelle ne facilite donc pas le dialogue et la réalisation de projets qui sont pourtant d'intérêt commun.

En particulier, à son accession au pouvoir en mai 2023, le Tavini a assumé un moratoire sur de nombreux projets d'investissement structurants pour les communes, afin de s'assurer de leur pertinence au regard de ses propres orientations de politiques publiques. Ainsi, lors du déplacement de la mission, des projets portant sur l'aménagement du lagon à Moorea, sur la création du stade nautique de Papeete, sur la restructuration du centre de Punnaiea ou sur la création d'équipements sportifs dans plusieurs communes sont suspendus depuis, alors même que certains étaient sur le point de voir le jour.

S'ajoute également le fait que le gouvernement du Pays a supprimé le régime d'exonération fiscale qui a longtemps permis le développement touristique de certaines îles, ce qui constitue aujourd'hui, selon plusieurs interlocuteurs des milieux socioéconomiques rencontrés, un frein à la concrétisation de projets touristiques, tels que la reprise d'établissements hôteliers à Moorea et à Bora-Bora.

Dans ce cadre, la mission ne peut qu'encourager la reprise d'un dialogue entre le Pays et les communes, soulignant que la loi organique statutaire de 2004 prévoit deux mécanismes juridiques de nature à permettre la prise de décisions relevant de la compétence du Pays au plus près des administrés.

D'une part, l'article 48 de la loi organique du 27 février 2004 permet au Pays de déléguer aux maires ou aux présidents d'EPCI les compétences pour prendre les mesures individuelles d'application des lois du Pays ou de la réglementation édictée par le Pays. Cette délégation est soumise à la double condition, d'une part, de l'accord du conseil municipal de la commune intéressée ou de l'assemblée délibérante de l'établissement public de coopération intercommunale intéressé et, d'autre part, du transfert des moyens nécessaires à l'exercice des pouvoirs qui font l'objet de la délégation.

D'autre part, l'article 55 de la loi du 27 février 2004 autorise le Pays, dans les conditions définies par une loi du Pays, à confier, par convention, aux communes ou aux établissements communaux ou de coopération intercommunale la réalisation d'équipements collectifs ou la gestion de services publics relevant de leurs compétences respectives65(*). La convention doit alors prévoir la participation financière des collectivités concernées.

Près de vingt ans après l'entrée en vigueur du statut d'autonomie, les lois du pays n° 2023-2266(*) et n° 2023-2367(*) du 3 mars 2023 sont venues fixer les principes généraux de mise en oeuvre de ces deux dispositions. Toutefois, malgré les demandes formulées par certaines communes, ces délégations n'ont pas été mises en oeuvre à ce jour.

La mission appelle donc à recourir à ces mécanismes de dévolution dans une démarche de « petits pas », projet par projet, afin de créer une confiance mutuelle entre les autorités communales et celles du Pays. Pour ce faire, il est important que les conditions financières liées à la mise en oeuvre de ces mesures puissent faire l'objet d'une appréciation raisonnable et non conflictuelle des parties en présence. Dans ce cadre, la mission estime que l'expertise de la chambre territoriale des comptes dans l'évaluation des coûts pourrait utilement être mobilisée, au titre d'un « tiers de confiance ».

Proposition n° 14 : Pour exercer une action locale au plus près des Polynésiens, mettre en oeuvre, dans une démarche pragmatique, les lois du Pays du 3 mars 2023 permettant la délégation de compétences ou la réalisation de projets aux communes et intercommunalités, en mobilisant l'expertise de la chambre territoriale des comptes pour l'évaluation des coûts induits.

2. Ajuster la répartition des compétences entre le Pays et les communes

Au cours de ses travaux, la mission a pu constater un certain décalage entre la dévolution des compétences entre le Pays, les communes et les EPCI organisée par les textes juridiques et la réalité de leur mise en oeuvre. Aussi propose-t-elle des évolutions en la matière.

a) Envisager le retour au Pays de certaines compétences que les communes et leurs EPCI ne sont pas en mesure d'exercer

Les compétences des communes listées par la loi organique ne sont, de fait, pas toujours en capacité effective d'être exercées par les communes polynésiennes, y compris à l'échelon intercommunal. C'est le cas des compétences en matière d'environnement.

(1) La question de l'eau potable et de l'assainissement

Aux termes de l'article L. 2573-27 du code général des collectivités territoriales, spécifique aux communes de la Polynésie française, « les communes doivent assurer le service de la distribution d'eau potable et le service de l'assainissement au plus tard le 31 décembre 2024. Les communes présentent un plan prévisionnel d'équipement et de mise à niveau relatif aux services de distribution d'eau potable et d'assainissement au plus tard le 31 décembre 2019. » La date du 31 décembre 2024 résulte déjà d'un report opéré par la loi dite « NOTRe » en 2015, à l'initiative du Sénat, les services de distribution d'eau potable et d'assainissement devant auparavant être exercés par les communes avant respectivement le 31 décembre 2015 et le 31 décembre 2020.

Or, selon les informations recueillies auprès du Syndicat pour la promotion des communes de Polynésie française (SPCPF), nombre de communes ne seront pas en mesure dans ce délai de prendre effectivement en charge ces services, y compris dans le cadre d'EPCI.

S'agissant de la distribution de l'eau potable, la situation est la plus avancée, sans néanmoins permettre de respecter l'échéance légale. Ainsi, selon le SPCPF, 47 des 48 communes sont aujourd'hui dotées d'un schéma directeur d'alimentation en eau potable et le mettent en oeuvre. En 2022, seules 9 communes distribuaient de l'eau potable sur l'ensemble de leur territoire, tandis que 7 autres distribuaient de l'eau potable sur une partie de leur territoire. En termes de contrôle de la qualité de l'eau distribuée sur les réseaux publics de distribution, en 2022, 16 communes avaient réalisé un programme d'autocontrôle sur l'ensemble de leur territoire et 4 sur une partie seulement de leur territoire.

Certaines communes ont mis en place des installations remarquables, dans un contexte de raréfaction de l'eau, par le recours à des osmoseurs, comme à Bora-Bora, commune animée par la volonté de longue date de son maire, Gaston Tong Sang, d'intégrer ces installations avec la protection de l'environnement fragile du lagon. Mais, cette situation exceptionnelle ne saurait masquer la difficulté des autres communes qui tient au fait que la performance d'un service de l'eau repose également sur les moyens humains et organisationnels mis en place, techniquement et administrativement, à commencer par la facturation et le recouvrement. Des progrès devraient intervenir sur ce point, puisqu'en 2024, 46 communes ont voté une délibération fixant la tarification du service de l'eau.

La situation est plus difficile encore s'agissant de l'exercice de la compétence « assainissement ». À ce jour, selon le SPCPF, seuls 25 schémas directeurs d'assainissement des eaux usées sont réalisés ou sont en cours de réalisation.

Concernant l'assainissement collectif public, certaines communes sont dotées des infrastructures principalement en zone urbaine ou touristique : Punaauia et Papeete sur l'île de Tahiti, Moorea (à Haapiti) et Bora Bora (Povai et Faanui)68(*). Concernant l'assainissement autonome, il apparaît que plus de 250 petites stations d'épuration sont en fonctionnement en Polynésie, dont 90 % se trouvent à Tahiti, Papeete concentrant à elle seule la moitié de ces stations. En termes d'efficacité de traitement, plus de la moitié de ces stations présentent des rejets non conformes en raison de dysfonctionnements dont la réparation ou le maintien à niveau génèrent des coûts importants, rarement supportables par les communes ou intercommunalités concernées, attestant des dysfonctionnements dans l'exercice de ces compétences.

S'agissant de l'assainissement individuel, peu de données chiffrées existent à l'échelle de la Polynésie française. Les dernières études sur les villes de Arue et de Pirae révèlent néanmoins une vétusté élevée (90 % des équipements de traitement) et un manque majeur d'entretien (75 % des systèmes de traitement individuel ne sont pas entretenus). Bien que cela relève des compétences des communes69(*), le contrôle des services publics d'assainissement non collectif (SPANC) n'est pas assuré dans la plupart d'entre elles : le contrôle de conformité des équipements au moment de leur installation, lors de l'étape de demande du permis de construire est en fait réalisée par les services du Pays, tandis que le contrôle de qualité des performances des équipements durant toute la durée de leur fonctionnement n'est tout simplement la plupart du temps pas assurée.

Cette impossibilité de mise en oeuvre résulte de la faiblesse des moyens financiers, en l'absence d'un pouvoir fiscal propre, et des moyens en ingénierie juridique et technique des communes. Comme le souligne le SPCPF, cette situation peut notamment s'expliquer par le fait que, depuis que ces compétences ont été attribuées, aucune évaluation concrète des charges induites par la mise en place de ces services n'a été réalisée et que des délais ont été fixés et modifiés sans la connaissance détaillée des prérequis nécessaires à l'échéancier imposé.

Dans ces conditions, se pose la question d'un nouveau report de ce délai de mise en oeuvre de la compétence en matière d'eau potable et d'assainissement par les communes, voire d'envisager des aménagements particuliers pérennes pour les communes d'archipels, pour lesquelles les aménagements techniques nécessaires sont particulièrement lourds en termes d'ingénierie et donc de coûts. À cet égard, une réflexion sur une adaptation des caractéristiques techniques exigées devrait être menée, qui pourrait ainsi faciliter la mise en place d'infrastructures de distribution, de recueil et de traitement des eaux.

Proposition n° 15 : Face à l'impossibilité matérielle dans laquelle sont placées les communes de Polynésie en matière de distribution d'eau potable et d'assainissement, envisager un nouveau report de la date de l'obligation de fournir ces services, voire des aménagements particuliers pérennes pour les communes d'archipels.

(2) La question du traitement des déchets

Des difficultés similaires de mise en oeuvre de la compétence en matière de traitement des déchets se posent. Alors qu'il s'agit d'une compétence obligatoire des communes en application de l'article 43 de la loi organique statutaire, définie par les articles L. 2224-13 et L. 2224-14 du code général des collectivités territoriales, nombreuses sont celles qui peinent à l'assumer dans toute son ampleur, y compris dans le cadre des EPCI qu'elles ont créés.

L'exercice de cette compétence est d'autant plus complexe dans les communes formées de plusieurs îles, où le coût est mécaniquement fortement renchéri. De plus, dans plusieurs communes, le volume des déchets ne rend pas viable la mise en place d'équipements de traitement effectifs, imposant alors un transfert des déchets hors de la commune. Lors du déplacement de la mission, le tavana de Maupiti a ainsi mis en exergue les difficultés rencontrées par sa commune en la matière, notamment faute de foncier disponible.

En outre, les communes manquent là aussi des moyens financiers et d'ingénierie nécessaires à la mise en place des circuits de traitement et valorisation nécessaires, efficaces et efficients. Lors du déplacement, Gaston Tong Sang, tavana de Bora-Bora, a souligné les coûts pour les communes de l'exercice de cette compétence, le coût moyen aidé hors taxe de gestion des déchets étant estimé par le Pays - toutes collectivités confondues - à 15 300 CFP par habitant, nettement plus élevé que la médiane nationale évaluée par l'Ademe à 11 800 CFP par habitant.

Aussi se pose légitimement la question de la restitution au Pays de la compétence en matière de traitement déchets.

Tel est, du reste, l'ambition du gouvernement de la Polynésie française qui envisage d'étudier les possibilités et les conséquences techniques, financières et juridiques d'un tel transfert de compétences. Lors du congrès des communes de Polynésie française tenu en septembre 2023, le président Moetai Brotherson a évoqué ce projet, qui serait conduit pendant une durée d'environ deux ans. Les maires présents ont répondu par 38 voix en faveur du lancement d'études par le Pays en ce sens.

Le projet de schéma territorial de prévention et de gestion des déchets de la Polynésie française, établi en application de l'article LP. 4212-1 du code de l'environnement de la Polynésie française et mis en consultation en 2024, prévoit des études en ce sens.

La mission estime que la spécificité des communes polynésiennes et la nécessité d'assurer un traitement des déchets de manière efficace tout en maîtrisant les coûts justifient une redéfinition des compétences actuelles entre les communes et le Pays en vue de conférer à ce dernier la compétence en la matière. Une modification tant de la loi organique statutaire que du code général des collectivités territoriales sera alors nécessaire.

Proposition n° 16 : Rétrocéder la compétence en matière de traitement des déchets des communes au Pays.

(3) L'exercice de la compétence en matière d'incendie et de secours

L'ordonnance n° 2006-173 du 15 février 2006 portant actualisation et adaptation du droit applicable en matière de sécurité civile en Polynésie française a prévu la création de l'établissement public d'incendie et de secours de Polynésie française.

Pourtant, elle n'a toujours pas vu le jour dix-huit ans après et, de l'avis du SPCPF, n'a jusqu'à récemment jamais fait l'objet de travaux particuliers. Ce n'est qu'à la fin de l'année 2023 qu'un comité polynésien de sécurité civile a été mis en place, réunissant les autorités de l'État, du Pays et des communes. Dans ce cadre, doivent être prochainement abordés :

- les difficultés de gouvernance et de financement du centre de traitement d'appel (CTA) actuellement en place ainsi que l'organisation et le dimensionnement de la future plateforme d'appels (numéros 15/18) qui prendrait la place du CTA ;

- le contenu du décret en Conseil d'État prévue par l'ordonnance susvisée, qui doit rendre effectif le STIS de Polynésie.

De fait, les acteurs locaux continuent de s'interroger sur la pertinence du modèle imposé en 2006, dont l'adaptation à l'espace polynésien n'est pas totalement démontrée, compte tenu de l'émiettement du territoire, de l'éloignement de certaines îles et des problématiques de sécurité particulières pour les îles éloignées de Tahiti (en particulier les atolls des Tuamotu au sein desquels une commune peut compter plusieurs atolls).

Par ailleurs, sa création soulève des difficultés en termes de financement et de gouvernance, alors même que le financement des outils concourant à la sécurité civile et la formation des agents communaux sont des enjeux essentiels.

La mission s'interroge donc sur la pertinence du modèle retenu en 2006, qui transposait, avec quelques modifications, la solution « classique » des SDIS à la Polynésie française. Elle estime que les échanges doivent se poursuivre avec l'État, les communes et le Pays pour déterminer le modèle le plus adapté aux contraintes du territoire.

Proposition n° 17 : Dans le cadre du comité polynésien de sécurité civile, poursuivre les échanges pour s'assurer que le modèle d'un établissement public d'incendie et de secours de Polynésie française, décidé en 2006, est adapté aux besoins du territoire.

b) Reconnaître une possibilité d'intervention de plein droit des communes dans certaines matières relevant aujourd'hui de la compétence du Pays

Le II de l'article 43 de la loi organique statutaire permet au Pays, dans le cadre d'une loi du Pays, de déterminer les conditions d'intervention des communes ou de leurs EPCI dans un certain nombre de matières.

Au cours de l'examen de la loi organique du 5 juin 2019 portant modification du statut d'autonomie de la Polynésie française, le Sénat, à l'initiative de Lana Tetuanui, avait étendu le champ des matières concernées, afin de favoriser l'exercice des compétences au plus près des habitants. Cette extension ne s'est toutefois pas traduite, en pratique, par un accroissement des compétences conférées à celles-ci par le Pays, qui reste à ce jour réticent à mettre en oeuvre cette disposition.

Aussi, les rapporteurs estiment-ils que la procédure prévue par cette disposition doit être dépassée afin de reconnaître de plein droit aux communes de Polynésie française l'exercice partagé avec le Pays de certaines compétences, sans que soit nécessaire l'adoption d'une loi du Pays en ce sens. Il ne s'agirait donc pas d'un transfert complet de compétences, mais d'une prérogative d'intervention dans certains domaines, dans une logique d'effectivité et de subsidiarité, comme y invitait déjà la commission des lois en 201770(*).

Cet exercice pourrait concerner des compétences de proximité que plusieurs communes exercent déjà de facto, sans base juridique, pour pallier l'absence ou la faiblesse de certaines actions menées localement en la matière par le Pays : la culture et le patrimoine local ; l'artisanat ; l'aide sociale ; la jeunesse et le sport.

Dans ces matières, la bonne coordination des interventions nécessiterait néanmoins la conclusion de conventions entre le Pays et chaque commune ou EPCI concernés, qui pourra ainsi assurer la complémentarité des actions exercées mais aussi, le cas échéant, définir les moyens financiers que le Pays pourrait apporter à la commune ou l'EPCI concerné pour les actions menées. Cette conclusion serait d'autant plus facile que, dans les domaines précités, le Pays ne met souvent pas concrètement en oeuvre localement les compétences.

Proposition n° 18 : Pour pallier l'absence ou l'insuffisance de certaines actions menées localement par le Pays, reconnaître aux communes de Polynésie française, sans que soit nécessaire l'adoption d'une loi du Pays en ce sens, une compétence partagée avec le Pays, en particulier en matière de culture et de patrimoine local, d'artisanat, d'aide sociale, de jeunesse et de sport.

3. Clarifier le statut des communes associées et des maires associés

Compte tenu de la configuration du territoire de certaines communes polynésiennes, qui peuvent comporter plusieurs îles distantes de plusieurs dizaines de kilomètres et parfois accessibles seulement par mer, la création de communes associées sui generis en 1972 a répondu à la volonté d'assurer la présence d'une autorité communale au plus près des populations.

Toutefois, comme l'ont indiqué les représentants du Syndicat pour la promotion des communes de Polynésie française (SPCPF), le régime juridique qui leur est applicable est source de difficultés d'organisation et d'incompréhension pour les administrés.

Les maires délégués ont peu de prérogatives pour matière de gestion des effectifs communaux situés sur leur île. La répartition géographique du territoire communal sur plusieurs îles rend nécessaire le dédoublement des effectifs et des équipements (ex : mairies annexes, véhicules, etc.) affectant directement le budget de la commune qui n'identifie pas les crédits affectés à une commune associée.

Selon le SPCPF, avec ce statut particulier, la population n'arrive pas à faire la distinction entre le maire et le maire délégué, et exprime parfois un sentiment d'appartenance plus fort à la commune associée qu'à la commune de plein exercice. Des telles difficultés sont, du reste, également rencontrées dans les « communes nouvelles » de l'hexagone, en dépit de la continuité territoriale inhérente à leur création. De plus, l'actuel régime électoral prévoit que le maire délégué d'une commune associée est élu au sein de la liste arrivée en tête dans la commune associée, ce qui n'a pas totalement résolu les difficultés à constituer une majorité.

Face à cette situation complexe, la mission estime que la revalorisation de l'échelon communal implique de redéfinir avec sans doute davantage de précision le statut des communes associées, leurs conditions de fonctionnement et les prérogatives que leurs maires délégués peuvent exercer.

La question peut aussi se poser de savoir si, compte tenu du contexte géographique et du peuplement de certains territoires communaux, certaines communes associées ne devraient pas « défusionner » pour devenir des communes à part entière de la Polynésie.

Proposition n° 19 : Redéfinir le statut juridique des communes associées, leurs conditions de fonctionnement et les prérogatives que leurs maires délégués peuvent exercer.

4. Fortifier la fonction publique communale

Donner une attractivité suffisante à la fonction publique communale et conforter les compétences de ses membres est un enjeu essentiel pour permettre aux communes de la Polynésie française d'exercer leurs compétences dans des conditions optimales.

S'agissant de l'attractivité, l'actualisation du statut des fonctionnaires communaux, opérée par l'ordonnance du 8 décembre 2021, initiée suite à l'émergence d'un mouvement de grève en mai 2017 et à l'issue d'un important travail préparatoire associant les instances locales, a permis certaines avancées, en reprenant des dispositifs existant dans la fonction publique territoriale nationale, qui donnent plus de souplesse dans les parcours professionnels ainsi que dans les recrutements.

À cette occasion, les dispositions relatives aux régimes indemnitaires des fonctionnaires et agents contractuels ont été modifiées, notamment afin que les agents de catégorie « exécution », mais également les agents de police municipale et les sapeurs-pompiers professionnels, puissent désormais bénéficier d'indemnités71(*).

Il revient aux organes délibérants des collectivités et établissements publics le soin de fixer les régimes indemnitaires applicables. Ces régimes indemnitaires sont fixés dans la limite de ceux des agents de l'État occupant des emplois comparables pour les catégories A, B et C des spécialités « administrative » et « technique ». L'article 43 de l'ordonnance n° 2021-1605 du 8 décembre 2021 obligeait les collectivités à adopter leurs régimes indemnitaires au plus tard le 31 décembre 2023.72(*) Selon le SPCPF, cette obligation a été satisfaite par l'ensemble des communes.

Le régime indemnitaire des fonctionnaires communaux est fixé, comme dans la fonction publique territoriale, « dans la limite de celui des fonctionnaires de l'État occupant des emplois comparables » par l'organe délibérant de chaque commune ou établissement public. Cependant, dans la mesure où la fonction publique communale dispose d'emplois qui n'existent pas dans la fonction publique de l'État (catégorie D, sapeurs-pompiers, policiers municipaux), un arrêté du haut-commissaire en fixe les limites.

Selon les services du haut-commissariat, globalement, la structure du régime indemnitaire est très proche de celle des fonctionnaires hexagonaux. Des adaptations aux spécificités locales ont été prévues marginalement à la demande des membres du Conseil supérieur de la fonction publique communale. Le centre de gestion et de formation, le SPCPF et les services du haut-commissariat ont organisé conjointement douze sessions de formation à destination des employeurs communaux pour les accompagner dans la mise en place du nouveau régime indemnitaire, dont la moitié hors de l'île de Tahiti. 92 % des collectivités et établissements concernés ont pu en bénéficier.

La ratification de cette ordonnance avait donné lieu à l'adoption d'une demande de rapport au Parlement sur la capacité financière des communes à mener à bien certaines politiques en faveur de leurs personnels, en particulier dans le domaine de l'action sociale, du handicap ou du financement des congés avec traitement pour les activités en lien avec l'armée73(*). Ce rapport, rendu en mars 2024, faisait valoir que le coût des mesures indemnitaires décidées par les communes, dans le cadre de leur libre administration, nécessitera, pour éviter qu'il ne dégrade l'équilibre de fonctionnement des communes, « que les gestionnaires soient attentifs à la maîtrise des autres dépenses de fonctionnement ainsi qu'au coût des recrutements nouveaux ».

De fait, selon ce même rapport, les charges de personnel constituent la première dépense des communes, représentant 58,3 % de leurs dépenses de fonctionnement74(*), avec des écarts importants entre les subdivisions. Ainsi, les communes des Iles-sous-le-vent et des Iles-du-Vent ont des dépenses de fonctionnement de 910 € par habitant, dont 530 € de dépenses de personnel, tandis que celles des archipels des Tuamotu-Gambier et des Marquises dépassent 1 500 € par habitant, dont 860 € de dépenses de personnel. Ces écarts peuvent notamment s'expliquer par l'éloignement des archipels et la dispersion de certaines communes entre plusieurs atolls, ainsi que par le recours plus important aux travaux en régie dans certains territoires en raison de la faiblesse du secteur privé.

Selon le SPCPF, les régimes indemnitaires adoptés ainsi que la réévaluation du point d'indice concourront certes à l'amélioration de l'attractivité de la fonction publique communale, mais cette amélioration restera relative, les écarts constatés avec les fonctions publiques de la Polynésie française et de l'État restant patents.

De l'avis du président de la chambre territoriale des comptes, Jean-Luc Le Mercier, la situation financière des communes de Polynésie française est bonne. Elle devrait de ce fait, aux yeux des rapporteurs, pouvoir assumer ces revalorisations nécessaires à l'attractivité de la fonction publique communale.

Néanmoins, la position du SPCPF est à cet égard plus réservée. S'il estime que les coûts induits par l'augmentation du point d'indice et le nouveau régime indemnitaire sont absorbables collectivement grâce aux augmentations successives des dotations non affectées en fonctionnement décidées par les membres du comité des finances locales de Polynésie française en charge du fonds intercommunal de péréquation, il juge que les réserves constituées au sein de ce fonds pour faire face à ces ajustements nécessaires pèseront durablement sur les finances des communes. En outre, à titre individuel, ces augmentations sont difficilement absorbables dans la mesure où les communes polynésiennes ne disposent pour ainsi dire d'aucun levier fiscal. Cette gestion collective du partage de la fiscalité entre le Pays et les communes semblent néanmoins être la seule en mesure de préserver une nécessaire péréquation au profit de l'essentiel des communes polynésiennes.

Pour autant, la mission souligne que cette attractivité doit surtout concerner les emplois relevant des catégories A et B, que les communes n'ont pas les moyens suffisants de recruter et de fidéliser, et qui, selon plusieurs maires, peuvent avoir une préférence à exercer dans le cadre de la fonction publique du Pays. C'est en effet grâce à des personnels capables de mener à bien des projets d'investissement importants que les communes pourront se développer et offrir à leurs habitants un niveau de services adéquat, conformément aux prescriptions du code général des collectivités territoriales.

Or, selon le SPCPF, seules les 11 communes de Polynésie de plus de 10 000 habitants ont aujourd'hui la capacité financière d'attirer à elles, et de conserver, les cadres susceptibles de requérir un processus de mutation. Il sera donc important de faire un bilan d'ici cinq ans de la politique indemnitaire mise en place et de sa capacité à renforcer l'attractivité du recrutement et le maintien dans le poste, en particulier dans les emplois de catégorie A et B.

Aussi le rôle du centre de gestion et de formation (CGF) de la Polynésie française, et l'accompagnement qu'il offre pour développer les compétences des agents de la fonction publique communale, apparaissent-ils essentiels. De fait, de l'avis des personnes rencontrées, le soutien apporté par le CGF pour le développement des compétences des agents à leur champ professionnel est très apprécié. En 2023, 3 989 agents ont ainsi été formés par le centre contre 2 626 en 2022, soit un saut capacitaire majeur de 51 % entre les deux années, avec 356 actions de formation engagées sur l'année. Le coût des formations reste néanmoins très fortement grevé par les coûts de transport, qui en représentent entre 77 % et 83 %.

La mission salue l'effort majeur entrepris par le CGF pour la formation des agents des communes, et sa volonté d'élaborer, sur la période 2024-2028, une stratégie de formation à long terme, tenant compte de l'écart entre les compétences requises pour un poste de travail et les compétences réelles d'un agent, tout en s'efforçant de garantir l'accès le plus important possible à ses dispositifs de formation, via notamment le développement de ses formations en distanciel, ou en format hybride.

Proposition n° 20 : Accompagner encore davantage les communes dans leur recrutement des agents catégorie A et B, et dans la formation professionnelle de l'ensemble de leurs personnels.

5. Favoriser l'utilisation par les communes, pour leurs projets structurants, des terrains qui sont la propriété du Pays

La question foncière est majeure dans la capacité d'action des communes de la Polynésie.

Le legs de l'histoire - et notamment les effets induits par la loi tahitienne du 24 mars 1852 rendant obligatoire l'enregistrement des terres sur un registre, après une procédure d'examen des demandes par une commission dans chaque district (Tomite) - a conduit à conférer au Pays - héritier de l'État et préexistant aux communes - un domaine privé extrêmement important, sans que la généralisation des communes en Polynésie française en 1971 ait conduit à des transferts des biens immobiliers du domaine privé du Pays vers les communes elles-mêmes. De même, l'État conserve encore dans certaines îles des emprises foncières importantes, qui pour certaines ne sont plus valorisées.

Il en découle des situations où les communes sont totalement dépourvues de terrains d'assiette leur permettant d'exercer librement leurs compétences et de mener des projets structurants.

La situation est particulièrement prégnante aux îles Marquises, comme l'ont rappelé les hakaïki lors du déplacement de la mission à Hiva Oa - on estime ainsi que 80 % de l'île de Nuku Hiva relèvent du domaine du Pays -, mais elle se rencontre dans d'autres archipels, comme par exemple à Rimatara aux Australes. Cette situation a également été évoquée par le maire de Maupiti, Woullingson Raufauore, rencontré par la mission, la question foncière étant un obstacle majeur à la création d'un centre de traitement des déchets par la commune.

Proposition n° 21 : Favoriser, par la vente ou la mise à disposition à titre gratuit par le Pays et l'État, l'utilisation du foncier par les communes et les communautés de communes pour y établir des équipements publics locaux.

C. FAVORISER LA DIFFÉRENCIATION PAR L'INTERCOMMUNALITÉ

La diversité géographique et culturelle des différents territoires de la Polynésie française justifie pleinement des mesures de différenciation renforcées dans les statuts juridiques applicables.

Aux yeux de la mission, l'intercommunalité apparaît comme le vecteur juridique idéal de cette différenciation, en permettant d'adapter les compétences communautaires aux enjeux et besoins des territoires concernés.

1. L'intercommunalité polynésienne : un vecteur de différenciation

L'approfondissement de l'intercommunalité est une piste majeure pour l'exercice des compétences, notamment compte tenu de la superficie des territoires concernés.

À cet égard, le régime des compétences obligatoires des communautés de communes de la Polynésie française se différencie de celui des EPCI métropolitains, puisque celles-ci ne concernent, en application de l'article L. 5842-22 du code général des collectivités territoriales qu'au minimum deux des neuf matières suivantes :

- voirie communale ;

- transports communaux ;

- construction, entretien et fonctionnement des écoles de l'enseignement du premier degré ;

- distribution d'eau potable ;

- collecte et traitement des ordures ménagères ;

- collecte et traitement des déchets végétaux ;

- collecte et traitement des eaux usées ;

- dans les communautés de communes dont les communes membres sont dispersées sur plusieurs îles, le transport entre les îles ;

- dans les communautés de communes dont les communes membres sont dispersées sur plusieurs îles, l'assistance à maîtrise d'ouvrage.

À ce jour, les compétences dévolues à ces communautés de communes restent, de ce fait, limitées.

Selon le SPCPF, il s'agit presqu'exclusivement des compétences environnementales (eau potable ; déchets ; assainissement) et pour certaines, transports. Les deux communautés de communes les plus anciennes ont néanmoins des compétences plus développées : Hava'i est ainsi également compétente pour la valorisation du patrimoine historique, le développement de l'agriculture biologique, le développement du tourisme nautique, et la gestion des animaux errants. La CODIM l'est également en principe pour l'aménagement de l'espace et le développement économique, mais en l'absence de transfert de ces compétences par le Pays en application de l'article 43 de la loi organique statutaire, elles n'ont jamais pu être exercées.

La spécificité géographique des communes polynésiennes justifie pleinement que les obligations de prise de compétences par les communautés de communes soient moins nombreuses que dans l'hexagone, pour tenir compte des différences majeures entre territoires. Pour autant, l'exercice au niveau communautaire de certaines compétences s'avère bien plus opérationnel et efficace.

La mission a pu constater, à cet égard, le volontarisme de certaines communautés de communes pour valoriser leur territoire, en fonction de leurs particularismes. Elle a notamment pu rencontrer les élus de Terehçamanu, sur l'île de Tahiti, qui portent une ambition exigeante pour un territoire qui reste en majeure partie rural mais qui peut constituer un pôle d'attraction d'activités de proximité. Elle souligne également l'intérêt de la création annoncée de la communauté de communes des Tuamotu-Gambier ouest, qui permettra de mieux traiter les problématiques locales au niveau intercommunal. 

Les rapporteurs partagent donc l'appréciation de Françoise Gatel, Agnès Canayer et Jean-Michel Houllegate75(*), selon laquelle il importe de promouvoir l'intercommunalité auprès des élus locaux, afin de mieux mettre en exergue son intérêt et les opportunités qu'elle peut apporter pour le développement des territoires communaux, notamment en matière d'infrastructures et de services offerts aux populations.

2. La question spécifique de l'archipel des Marquises

Les élus marquisiens défendent de longue date la reconnaissance de leur éloignement et de leur identité culturelle par un statut juridique sui generis au sein de la Polynésie française.

Il est vrai qu'éloignés de 1 400 km de Tahiti et héritiers d'une culture et d'une histoire qui les distinguent de facto des autres archipels, les Marquisiens ressentent difficilement le fait d'être privés d'un pouvoir d'agir pour mener des politiques publiques locales pleinement adaptées aux spécificités de leur territoire.

Actuellement et depuis 2010, les îles sont regroupées au sein d'un EPCI, la communauté de communes des îles Marquises (CODIM). La montée en puissance de la CODIM a permis la mutualisation de la compétence du service public de l'électricité et de la compétence relative au transport maritime interinsulaire. Mais les hakaïki - maires des communes des Marquises - sollicitent du Pays, depuis plusieurs années, le transfert de compétences relatives à l'agriculture, la pêche, et la gestion de port de pêche.

Aussi les élus marquisiens proposent-ils depuis 2022, ainsi qu'ils l'ont rappelé aux rapporteurs de la mission, de transformer l'archipel et ses six communes en une « collectivité territoriale à statut particulier faisant partie de la Polynésie française, et placée à un niveau intermédiaire entre le Pays et les communes marquisiennes », qui prendrait le nom de Communaute' d'archipel des i^les Marquises (CODAM).

Il s'agirait, non plus d'un simple EPCI, mais d'une collectivité sui generis, bénéficiaire de compétences spécifiques qui lui seraient transférées par le Pays, le cas échéant de manière progressive.

Les compétences de la CODAM telle qu'envisagée par les Hakaïki

« La CODAM disposerait de compétences administratives définies par référence aux compétences des départements et régions d'outre-mer (DROM). Transférées progressivement à un rythme souhaité par les élus marquisiens, elles interviendraient dans les domaines suivants : développement économique et touristique, développement rural et maritime, aménagement, actions sanitaires et sociales, culture et de protection du patrimoine, protection de l'environnement et des milieux marins.

« S'agissant des compétences de gestion, elles porteraient sur le domaine du Pays dans l'archipel, transféré à la CODAM par la loi organique statutaire. Ainsi, seraient notamment concernés le domaine public maritime, tant pour sa partie terrestre (zone des 50 pas du roi) que maritime (jusqu'à la limite des 12 miles nautiques), ainsi que les terres domaniales (ancien domaine privé de l'État, en très grande quantité) dont l'appropriation par l'État puis par le Pays est un sujet de l'époque coloniale encore très douloureux aux Marquises (En ce sens, Catherine VANNIER, « Spoliation foncière aux Îles Marquises ? », Tahiti Pacifique, n°240, avril 2011).

« A l'instar des départements et régions d'outre-mer, la CODAM pourrait disposer d'un pouvoir d'adaptation des textes de l'État et du Pays aux contraintes et caractéristiques de l'archipel. Elle pourrait par ailleurs se voir reconnaître un pouvoir réglementaire d'application des lois du Pays. Ces pouvoirs normatifs délégués pourraient être limités à certains domaines.

« Les ressources de la CODAM seraient prévues par la loi organique statutaire : un financement spécifique du FIP, une part du produit des impôts du Pays correspondant au financement des compétences transférées. On peut également envisager des ressources fiscales propres (taxes, etc.) mais aussi les ressources de son domaine foncier. La CODAM pourrait en outre percevoir des dotations de l'État par référence à celles qu'il verse au profit des collectivités territoriales. »

Source : Audition des Hakaïki par la mission d'information à Hiva Oa, le 13 avril 2024.

La mission estime que la situation des îles Marquises justifie pleinement l'exercice de certaines compétences au plus près de la population, selon un principe de subsidiarité qui gagnerait à être pleinement mis en oeuvre en Polynésie française.

De fait, les Marquisiens sont très en pointe sur des projets majeurs en matière de préservation de leur environnement - tel le projet de Grande aire marine protégée Te tai nui a hau76(*) -, ainsi que de promotion de leur patrimoine naturel et culturel. À cet égard, la mission ne peut que se réjouir que la demande d'inscription comme bien mixte de Te Henua Enata - Îles Marquises au patrimoine mondial de l'Unesco, portée de longue date par les élus marquisiens avec l'appui du Pays et de l'État, ait été enfin accueillie lors de la 46ème session du comité de l'Unesco réunie à New Delhi, le 26 juillet 2024.

Compte tenu de l'éloignement, il apparaît également plus que légitime que les questions relatives à l'artisanat (qui constitue l'essentiel de l'activité économique avec l'agriculture et la pêche), aux zones de mouillage, à certains aménagements touristiques tels que les chemins de randonnées et leur signalisation ou aux denrées servies dans les cantines collectives (pour prendre notamment en considération la viande de chèvre, dont la consommation est très développée localement) relèvent des compétences locales, afin de répondre au mieux aux besoins de l'archipel et de sa population.

Pour autant, la création d'une nouvelle catégorie de collectivité risquerait de complexifier le paysage institutionnel polynésien, alors même que l'intercommunalité est un instrument juridique suffisamment malléable pour apporter à l'archipel des Marquises des réponses appropriées et adaptées. Au surplus, si le précédent de Saint-Barthélemy est souvent cité dans le cadre des échanges avec les élus marquisiens comme un exemple inspirant d'évolution institutionnelle, les rapporteurs soulignent que le contexte singulier qui a rendu l'érection de Saint-Barthélemy en une collectivité autonome viable - en particulier, un territoire autosuffisant financièrement et doté d'un modèle de recettes fiscales tout à fait particulier - n'est pas présent en Polynésie française, quel que soit l'archipel considéré.

C'est pourquoi les rapporteurs rejoignent également la position de Françoise Gatel, Agnès Canayer et Jean-Michel Houllegatte, pour considérer l'EPCI comme la solution institutionnelle la plus adéquate pour renforcer et autonomiser l'action locale en Polynésie.

Pour autant, si l'architecture juridique actuelle de l'EPCI n'est pas à même de permettre l'exercice de compétences locales, ils estiment que plutôt que de créer une nouvelle forme d'EPCI, il conviendrait plus simplement de modifier les compétences susceptibles d'être exercées par les EPCI actuels de la Polynésie française, sur le fondement de l'article L. 5842-22 du code général des collectivités territoriales.

Proposition n° 22 : Utiliser davantage l'intercommunalité pour mieux différencier l'exercice de l'action locale en Polynésie française, le cas échéant en complétant les compétences qu'elles sont susceptibles d'exercer.

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 9 OCTOBRE 2024

M. Christophe-André Frassa, président. -Nous écoutons donc nos deux rapporteurs Nadine Bellurot et Jérôme Durain sur leur rapport d'information issu du déplacement en Polynésie française effectué en avril 2024. Je vous prie d'excuser notre collègue Guy Benarroche, retenu pour des raisons familiales.

Mme Nadine Bellurot, rapporteure. - Cinq d'entre nous ont fait le déplacement en Polynésie française, mais Philippe Bonnecarrère est maintenant député et le président de la commission, François-Noël Buffet, a été nommé ministre.

Nous avons rencontré des élus du Pays et des communes, des représentants de l'État et de ses différentes administrations, ainsi que des acteurs socio-économiques ; nos deux collègues de Polynésie, Lana Tetuanui et Teva Rohfritsch, ont participé à ces échanges - qu'ils en soient chaleureusement remerciés.

Vous le savez, le régime juridique et institutionnel de la Polynésie française est de longue date empreint de fortes particularités au sein de la République, afin d'épouser les spécificités géographiques, économiques et culturelles de ce vaste territoire de 2,5 millions de kilomètres carrés et d'environ 280 000 habitants.

De fait, la Polynésie française constitue aujourd'hui l'exemple le plus abouti de l'autonomie institutionnelle susceptible d'être conférée à une collectivité d'outre-mer en application de l'article 74 de la Constitution. Pourtant, à certains égards, elle apparaît comme un modèle inachevé qui appelle encore certains ajustements.

Tel est l'objet des 22 recommandations que nous vous soumettons aujourd'hui, qui visent à mieux faire vivre l'autonomie de la Polynésie française et à permettre localement de mieux différencier l'exercice des compétences en fonction de la diversité des situations pour assurer une plus grande proximité de l'action publique.

En premier lieu, j'aborderai la question de l'autonomie du territoire. C'est, compte tenu de ce qu'est la Polynésie française, la clef de son développement harmonieux dans la République.

Cette autonomie est extrêmement poussée, puisque les institutions de la Polynésie française détiennent une compétence de droit commun pour toutes les affaires du territoire, tandis que l'État, comme les communes, n'ont que des compétences d'attribution limitativement énumérées - essentiellement dans le domaine régalien pour ce qui concerne l'État.

À la suite des élections territoriales de mai 2023, les institutions locales - assemblée et présidence du Pays - sont aujourd'hui dominées par une majorité indépendantiste après une phase de stabilité politique de plus de dix ans qui avait profité aux partis autonomistes. Malgré l'étroitesse des compétences quotidiennes exercées par l'État, celui-ci n'en assure pas moins un accompagnement majeur du territoire, en donnant en particulier aux institutions locales des moyens financiers et d'ingénierie importants - pas moins de 1,764 milliard d'euros en 2023.

Globalement, la Polynésie française est un territoire qui va bien - surtout en comparaison avec d'autres territoires ultramarins -, même s'il ne s'est pas encore complètement remis de la période covid et qu'il connaît certaines difficultés en matière de travail, de protection sociale ou de santé publique, des domaines relevant de la collectivité.

De nos échanges et constatations sur place résultent douze préconisations qui, selon nous, devraient permettre de mieux faire vivre encore cette autonomie, tout en conservant l'ancrage de ce territoire dans la République.

Actuellement, il existe une difficulté à établir des frontières incontestables et pertinentes dans la répartition des compétences entre l'État et le Pays. La répartition des compétences pourrait donc être réexaminée en privilégiant davantage une logique de blocs de compétences dans une démarche de simplification et d'effectivité de l'action publique.

Cette logique permettrait notamment de consolider la compétence internationale de la Polynésie française concernant son environnement régional. De même, la compétence sur les médicaments pourrait être rattachée plus largement à la compétence santé exercée par la collectivité.

Par ailleurs, la difficulté à connaître précisément le droit applicable en Polynésie française est réelle. Il importe donc que le Pays mène un travail global de codification, matière par matière, du droit effectivement applicable.

En outre, il convient de revoir l'exigence du « compteur Lifou » : la date de la version d'une loi applicable ne serait plus inscrite dans la loi elle-même, mais cette mention pourrait être portée, par exemple, directement et automatiquement sur les textes applicables par le site Légifrance.

À plus long terme, il faut, nous semble-t-il, réfléchir à l'inversion du système actuel de spécialité législative, en retenant le principe d'une application de plein droit sans mention expresse de la norme nationale en Polynésie française, sous réserve d'adaptation et sauf exception. Cette évolution apparaîtrait d'autant plus pertinente que l'essentiel des compétences conservées par l'État en Polynésie française relève du domaine régalien, qui postule par principe une application de ses règles sur l'ensemble du territoire national.

L'État exerce son action dans des conditions satisfaisantes en Polynésie, mais certains ajustements pourraient être apportés. Je pense à la lutte contre les violences intrafamiliales, qui représentent plus de la moitié des faits de violences constatés dans un territoire qui est, en volume, le deuxième plus concerné de France, avec 383 mis en cause pour 100 000 habitants.

Il est donc important que tous les acteurs intéressés à cette politique, qu'il s'agisse de la prévention, de l'accompagnement ou de la répression, travaillent de concert de façon structurée ; c'est d'autant plus essentiel que ces compétences sont réparties entre la commune, le Pays et l'État.

Il en est de même en matière de lutte contre les stupéfiants ; une forte proportion de la population polynésienne est consommatrice de drogue, notamment de pakalolo, appellation locale du cannabis : 40 % des jeunes Polynésiens en consommeraient de manière ponctuelle ou régulière. Mais ce qui inquiète le plus est la présence de plus en plus massive de métamphétamine, connue sous le nom d'ice, aujourd'hui consommée par plus de 10 000 personnes : plus de 30 % des personnes détenues au sein des deux centres pénitentiaires le seraient pour trafic de ce produit.

Pour nos interlocuteurs, le risque est de voir le marché polynésien submergé par cette métamphétamine dans les prochaines années, puis par le fentanyl, devenu un fléau sur la côte ouest des États-Unis. Il convient donc d'adapter les moyens de prévention et de lutte à tous les échelons de l'action publique, notamment en renforçant les capacités d'action du parquet et les moyens opérationnels des forces de sécurité intérieure.

Pour lutter contre la consommation et la détention de substances illicites ou contre d'autres délits, notamment routiers, il serait en outre pertinent de rendre effectif en Polynésie française le mécanisme de l'amende forfaitaire délictuelle par la mise en place du procès-verbal électronique.

L'action de l'État en Polynésie française doit prendre en compte les effets induits sur la société par une faible densité de population, de multiples insularités et des distances majeures entre ses territoires, qui les rendent peu accessibles, malgré le maillage aérien et maritime existant - la Polynésie s'étend sur une surface égale à celle de l'Europe.

Du fait de ces caractéristiques, l'accès à la justice, qu'elle soit judiciaire ou administrative, est bien plus long, complexe et coûteux qu'en d'autres endroits du territoire national. C'est ce qui justifie, selon nous, que le taux de l'aide juridictionnelle et les conditions de remboursement des frais fassent l'objet d'une adaptation pour prendre en compte les contraintes de l'exercice professionnel des avocats.

Par ailleurs, la question de la durée d'affectation des magistrats en Polynésie doit être posée. Il apparaît nécessaire de prendre en considération l'étroitesse du ressort juridictionnel, a fortiori lorsque ce dernier est identique en première instance et en appel, et d'envisager dans cette hypothèse une règle de mobilité spécifique, applicable aux magistrats du parquet comme aux magistrats du siège.

Face aux besoins d'accompagnement des communes et, dans une moindre mesure, du Pays, l'attention des membres de la mission a été attirée sur la pertinence de l'intervention du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) et de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) en soutien technique et opérationnel des projets. Or ce n'est pas possible juridiquement à ce jour. Il est donc nécessaire de modifier la loi pour permettre au Pays et aux communes de bénéficier de l'ensemble des prestations offertes par ces deux opérateurs.

Comme d'autres collectivités ultramarines, la Polynésie française fait face à des tentatives d'ingérence étrangère. Des États cherchent à jouer un rôle d'aiguillon pour détacher la Polynésie française de la France. Par le biais du Groupe d'initiative de Bakou contre le colonialisme français, l'Azerbaïdjan entend ainsi apporter un soutien politique et matériel à la démarche indépendantiste en Polynésie.

L'immixtion d'une puissance étrangère dans les affaires du territoire et dans ses relations avec l'Hexagone, déjà identifiée en Nouvelle-Calédonie, est préoccupante. Elle doit être prise avec sérieux et ne doit pas être considérée comme simplement anecdotique pour la Polynésie française. Il faut donc surveiller les tentatives d'influence ou d'ingérence étrangères visant à attiser un sentiment anti-français en Polynésie française.

Dans son rapport d'information de janvier 2023 sur la stratégie française pour l'Indo-Pacifique, la commission des affaires étrangères du Sénat relevait l'insuffisante association des collectivités du Pacifique. Il faut associer réellement les autorités du Pays tant à sa définition qu'à sa mise en oeuvre : la Polynésie française, compte tenu de l'importance de son territoire maritime et de son insertion régionale, est en effet une pièce maîtresse de toute action dans le Pacifique Sud.

Le rôle de l'État est d'accompagner la Polynésie dans son développement, tout autant que de maintenir la présence de la République dans le Pacifique, où elle est en outre le seul membre de l'Union européenne présent.

Nous avons pu relever trois enjeux majeurs : le numérique ; la mise en valeur des ressources naturelles dans le cadre de l'économie bleue ; l'insertion professionnelle des jeunes.

Il faut donc inciter l'État à accompagner davantage la Polynésie dans ces domaines, notamment en renforçant la capacité d'accueil des compagnies du régiment du service militaire adapté (RSMA) et l'adéquation des formations proposées.

Partie intégrante de la France, la Polynésie française a néanmoins son centre de gravité politique, économique et culturel au coeur du Pacifique. Aussi sommes-nous convaincus de la nécessité de développer autant que possible la coopération régionale du territoire avec les États voisins.

Il importe donc de s'assurer de la cohérence et de la complémentarité des actions menées au niveau de l'État et du Pays et d'accompagner l'action de ce dernier au niveau régional, en favorisant une participation de haut niveau de l'État aux travaux des instances régionales, y compris lorsque le président de la Polynésie y représente sa collectivité.

Collectivité de la République, la Polynésie française est, de ce fait, également une collectivité de l'Union européenne, en tant que Pays et territoire d'outre-mer (PTOM). Si, par nature, l'aide européenne à ces Pays est plus limitée que celle qui est apportée aux régions ultrapériphériques, la Polynésie doit davantage investir les possibilités offertes, en renforçant sa présence auprès des institutions européennes.

En définitive, en soutenant la Polynésie française dans son développement endogène et régional, l'État contribue à faire rayonner les valeurs de la République dans le Pacifique, dans le respect de l'identité propre du fenua.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - J'en viens au second volet de notre rapport : l'organisation institutionnelle de la Polynésie. Nous formulons 10 propositions pour mieux différencier l'action locale et la rapprocher des citoyens.

La Polynésie française compte 48 communes qui ne disposent pas de la clause de compétence générale, mais de compétences spécifiques ; ainsi, 30 de ces communes comprennent des communes associées, formant un total de 98 communes associées sur l'ensemble du territoire.

L'intercommunalité reste peu développée en Polynésie française. Le territoire compte à ce jour cinq communautés de communes, dont trois ont été créées il y a moins de cinq ans. S'ajoutent 6 syndicats de communes, ainsi que 2 syndicats mixtes.

Il ressort de nos échanges que les communes de Polynésie, parce qu'elles sont de création récente, ne disposent pas de clause générale de compétence, ne bénéficient pas de marges de manoeuvre financière importantes et sont dépourvues de foncier. Elles n'ont pas encore trouvé leur place dans l'architecture institutionnelle locale.

Il nous semble donc essentiel de conforter les communes polynésiennes dans l'exercice des compétences de proximité, alors que, bien souvent, l'existence d'un « jacobinisme tahitien » est déplorée localement.

Pourtant, la loi statutaire prévoit deux mécanismes de nature à rapprocher des administrés la prise de décisions : l'un permet au Pays de déléguer aux maires ou aux présidents d'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) les compétences pour prendre les mesures individuelles d'application des lois du Pays ou de la réglementation édictée par le Pays ; l'autre autorise le Pays, dans les conditions définies par une loi du Pays, à confier, par convention, aux communes ou aux établissements communaux ou de coopération intercommunale la réalisation d'équipements collectifs ou la gestion de services publics relevant de leurs compétences respectives.

Toutefois, ces délégations n'ont pas été véritablement mises en oeuvre à ce jour.

Nous appelons donc à recourir à ces mécanismes de dévolution dans une démarche de « petits pas », projet par projet, afin de créer une confiance mutuelle entre les autorités communales et celles du Pays. Dans ce contexte, l'expertise de la chambre territoriale des comptes en matière d'évaluation des coûts pourrait utilement être mobilisée, au titre d'un tiers de confiance.

Les communes ne sont, de fait, pas toujours en capacité effective d'exercer les compétences listées par la loi organique, y compris à l'échelon intercommunal. C'est le cas des compétences en matière d'environnement.

La situation est particulièrement difficile s'agissant de l'exercice de la compétence assainissement. Dans ces conditions, se pose la question d'un nouveau report du délai de mise en oeuvre de cette compétence par les communes, prévu au 31 décembre 2024, voire d'envisager des aménagements particuliers pérennes pour les communes d'archipels ; les besoins en ingénierie, et donc les coûts, sont particulièrement lourds afin d'y mettre en oeuvre les infrastructures nécessaires.

Des difficultés similaires de mise en oeuvre de la compétence se posent en matière de traitement des déchets. Alors qu'il s'agit d'une compétence obligatoire des communes, nombreuses sont celles qui peinent à l'assumer dans toute son ampleur, y compris dans le cadre des EPCI qu'elles ont créés. Aussi la question de la restitution au Pays de la compétence en matière de traitement des déchets est légitime.

Par ailleurs, l'ordonnance du 15 février 2006 portant actualisation et adaptation du droit applicable en matière de sécurité civile en Polynésie française a prévu la création de l'établissement public d'incendie et de secours de Polynésie française. Pourtant, dix-huit ans plus tard, celui-ci n'a toujours pas vu le jour.

On peut donc s'interroger sur la pertinence du modèle retenu en 2006, qui transposait, avec quelques modifications, la solution classique des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis) à la Polynésie française. Nous estimons que les échanges doivent se poursuivre avec l'État, les communes et le Pays pour déterminer le modèle le plus adapté aux contraintes du territoire.

Il nous semble par ailleurs nécessaire de reconnaître une possibilité d'intervention de plein droit des communes dans certaines matières relevant aujourd'hui de la compétence du Pays.

La loi statutaire permet au Pays, par le biais d'une loi du Pays, de déterminer les conditions d'intervention des communes ou de leurs EPCI dans un certain nombre de matières. Le Sénat, à l'initiative de notre collègue Lana Tetuanui, avait étendu le champ des matières concernées, afin de favoriser l'exercice des compétences au plus près des habitants. Cette extension ne s'est toutefois pas traduite, en pratique, par un accroissement des compétences conférées à celles-ci par le Pays, qui reste à ce jour réticent à mettre en oeuvre cette disposition.

Aussi, nous pensons que la procédure actuelle doit être dépassée, afin de reconnaître aux communes de Polynésie française l'exercice partagé avec le Pays de certaines compétences, sans que soit nécessaire l'adoption d'une loi du Pays en ce sens. Il ne s'agirait donc pas d'un transfert complet de compétences, mais d'une prérogative d'intervention dans certains domaines, par le biais d'une compétence partagée, dans une logique d'effectivité et de subsidiarité.

Cet exercice pourrait concerner des compétences de proximité que plusieurs communes exercent déjà de facto, sans base juridique, pour pallier l'absence ou la faiblesse de certaines actions menées localement en la matière par le Pays : la culture et le patrimoine local, l'artisanat, l'aide sociale, la jeunesse et le sport.

Dans ces matières, la bonne coordination des interventions justifierait néanmoins la conclusion de conventions entre le Pays et chaque commune ou EPCI concernés. C'est le moyen de clarifier non seulement le périmètre des actions exercées, mais aussi, le cas échéant, les moyens financiers que le Pays pourrait apporter à la commune ou à l'EPCI. Conclure une telle convention serait d'autant plus facile que, dans les domaines précités, le Pays ne met souvent pas concrètement en oeuvre, localement, les compétences.

Il convient également de clarifier le statut des communes associées et des maires associés.

De même, il est important de donner une attractivité suffisante à la fonction publique communale et de conforter les compétences de ses membres, surtout pour les emplois relevant des catégories A et B, pour permettre aux communes de la Polynésie française d'exercer leurs compétences dans des conditions optimales. C'est en effet grâce à des personnels capables de mener à bien des projets d'investissement importants que les communes pourront se développer et offrir à leurs habitants un niveau de services adéquat. Il faut donc accompagner davantage les communes dans leur recrutement des agents de catégorie A et B, et dans la formation professionnelle de l'ensemble de leurs personnels.

J'en viens à un dernier élément concernant les communes : la question foncière, cruciale dans la capacité d'action des communes de la Polynésie.

Le legs de l'histoire a conduit à conférer au Pays un domaine privé extrêmement important, sans que la généralisation des communes en Polynésie française en 1971 ait conduit à des transferts des biens immobiliers du domaine privé du Pays vers les communes elles-mêmes. Par ailleurs, l'État conserve des emprises importantes, qui ne sont aujourd'hui plus mises en valeur.

Il en découle des situations où les communes sont totalement dépourvues de terrains d'assiette leur permettant d'exercer librement leurs compétences et de mener des projets structurants. Dans ces conditions, il convient de favoriser, par la vente ou par la mise à disposition à titre gratuit par le Pays et l'État, l'utilisation du foncier par les communes et les communautés de communes pour y établir des équipements publics locaux.

Notre dernière recommandation, évoquée récemment par la délégation aux collectivités territoriales, concerne l'intercommunalité.

La diversité géographique et culturelle des différents territoires de la Polynésie française justifie pleinement des mesures de différenciation renforcées dans les statuts juridiques applicables. L'intercommunalité semble être le vecteur juridique idéal de cette différenciation, en permettant d'adapter les compétences communautaires aux enjeux et besoins des territoires concernés.

Dans ce contexte, les élus marquisiens défendent de longue date la reconnaissance de leur éloignement et de leur identité culturelle par un statut juridique sui generis au sein de la Polynésie française.

La situation des îles Marquises justifie pleinement l'exercice de certaines compétences au plus près de la population, selon un principe de subsidiarité qui gagnerait à être pleinement mis en oeuvre en Polynésie française.

De fait, les Marquisiens sont très en pointe sur des projets majeurs en matière de préservation de leur environnement ainsi que de promotion de leur patrimoine naturel et culturel ; ils doivent disposer d'une capacité d'action effective en la matière. Compte tenu de l'éloignement, il semble également plus que légitime que les questions relatives à l'artisanat, aux zones de mouillage, à certains aménagements touristiques ou aux denrées servies dans les cantines collectives relèvent des compétences locales, afin de répondre au mieux aux besoins de l'archipel et de sa population.

Pour autant, la création d'une nouvelle catégorie de collectivité risquerait de complexifier le Paysage institutionnel polynésien, alors même que l'intercommunalité est un instrument juridique suffisamment malléable pour apporter à l'archipel des Marquises des réponses appropriées et adaptées.

Nous considérons donc l'EPCI comme la solution institutionnelle la plus adéquate pour renforcer et autonomiser l'action locale en Polynésie et il importe de promouvoir l'intercommunalité auprès des élus locaux.

Pour autant, si l'architecture juridique actuelle de l'EPCI n'est pas à même de permettre l'exercice de certaines compétences locales, nous estimons que, plutôt que de créer une nouvelle forme d'EPCI, il conviendrait de modifier les compétences susceptibles d'être exercées par les EPCI actuels de la Polynésie française.

Voici donc les constats et réflexions que peut nous inspirer notre déplacement, ainsi que les propositions que nous soumettons à votre approbation dans ce rapport que nous proposons d'intituler Vingt-deux propositions pour conforter l'autonomie et la proximité de l'action publique en Polynésie française.

Mme Lana Tetuanui. - Je suis ravie que mes collègues membres de la mission aient découvert notre territoire, tout comme je me réjouis de la prochaine mission de la délégation aux outre-mer. En effet, partager la réalité du terrain est crucial, car nous votons des textes, à 20 000 kilomètres de notre territoire, qui ne sont pas toujours adaptables. Je ferai un voeu pieux : nos recommandations doivent se traduire dans des propositions de loi. En effet, je ne souhaite pas que, après la présentation d'un énième rapport sur la Polynésie française, rien ne suive. Je sais que je pourrai compter sur l'engagement de mes collègues de la commission des lois du Sénat et du président Larcher, qui a une partie de son coeur en Polynésie.

Par ailleurs, la Nouvelle-Calédonie se trouve à cinq heures de Papeete. La Polynésie, pour le moment, est très calme, mais l'histoire de ces deux collectivités a toujours été liée : quand tout va bien à Papeete, tout va mal à Nouméa ; et quand tout va bien à Nouméa, c'est tout le contraire à Papeete.

De petits détails peuvent tout changer. Teva Rohfritsch, mon collègue de Polynésie, vient de rejoindre notre commission. J'espère que nos propositions et amendements seront soutenus par les membres de la commission des lois, de gauche comme de droite : c'est un véritable cri du coeur que je lance !

M. Francis Szpiner. - Je suis très réticent à l'égard de vos propos sur la diplomatie régionale. Il s'agit d'un vrai problème politique : le président actuel de la Polynésie est un indépendantiste ; le Forum des îles du Pacifique (FIP) n'est pas forcément le meilleur ami de la France ; renforcer le rôle du Pays en matière de diplomatie régionale me semble pour le moins hasardeux.

Manque dans ce rapport un point très important. Dans le cadre de l'autonomie interne, dans de nombreux secteurs, l'assemblée territoriale peut édicter des sanctions pénales. Au-delà d'un certain niveau de peine, ces sanctions pénales doivent faire l'objet d'une homologation préalable de la représentation nationale. Or cela ne fonctionne pas. Il faudrait, pour la Polynésie comme pour la Nouvelle-Calédonie, imposer un examen annuel, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, de lois d'homologation. Si nous voulons que l'autonomie interne fonctionne, il faut régler ce problème.

Mme Nadine Bellurot, rapporteure. - Évidemment, tout ce qui est d'ordre législatif doit être traduit en proposition de loi. Les recommandations de ce rapport ne peuvent rester lettre morte, car la Polynésie a besoin de ces mesures.

Le territoire de la Polynésie française est très particulier, très éloigné : les dispositifs se doivent d'être efficaces et adaptés. Il est également aussi grand que l'Europe.

Lors de notre déplacement, nous n'avons pas été interpellés sur ces questions d'homologation de sanctions pénales. Nous pourrons étudier ce point à part.

M. Jérôme Durain, rapporteur. - De nos échanges ressort le sentiment d'un calme impatient, ou d'une impatience encore calme, à ce que l'on réponde aux problèmes très concrets de la population et du territoire. Ces ajustements, qui ne sont pas proposés pour la première fois, comme Lana Tetuanui l'a dit, nécessitent des dispositions législatives, pour que ce calme demeure et que l'impatience s'apaise.

M. Christophe-André Frassa, président. - Pendant longtemps nous n'avons pas eu que des amis au sein du FIP, mais la situation évolue depuis que la Micronésie a aidé la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie à intégrer le FIP en tant que membres à part entière. Le sentiment vis-à-vis de la France est aujourd'hui plus équilibré qu'avant.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

PROGRAMME DU DÉPLACEMENT

- Vendredi 12 avril -

Papeete

Entretien avec M. Éric Spitz, Haut-Commissaire de la République en Polynésie française, et M. Xavier Marotel, secrétaire général

Entretien avec M. Moetai Brotherson, président de la Polynésie française

Entretien avec M. Antony Géros, président de l'Assemblée de la Polynésie française, Mme Hinamoeura Morgant-Cross, présidente de la commission des institutions, des affaires internationales et des relations avec les communes, et les membres de l'Assemblée de la Polynésie française

Entretien avec M. Dominique Bourion, bâtonnier de l'ordre des avocats de la Polynésie française

Entretien avec M. Xavier Marotel, secrétaire général, et les services du Haut-Commissariat

Dîner de travail à l'invitation de M. Éric Spitz, Haut-Commissaire de la République en Polynésie française

- Samedi 13 avril -

Hiva Oa

Entretien avec les hakaìki - maires des îles Marquises :

- M. Benoit Kautai, président de la Codim (communauté de communes des îles Marquises), maire de Nuku Hiva

- Mme Joëlle Frebault, première vice-présidente de la Codim et maire de Hiva Oa

- M. Joseph Kaiha, maire de Ua Pou

- M. Henri Tuieinui, maire de Fatu Iva

- M. Nestor Ohu, maire de Ua Huka

- M. Félix Barsinas, maire de Tahuata

Visite du site archéologique de Upeke et accueil traditionnel

- Dimanche 14 avril -

Hiva Oa

Visite des centres culturels Gauguin et Brel

Visite du cimetière communal

Entretien avec le capitaine Eric Cevaer, chef du RSMA de Hiva Oa

Maupiti

Diner de travail avec M. Woullingson Raufauore, maire de Maupiti

- Lundi 15 avril -

Maupiti

Entretien avec M. Woullingson Raufauore, maire de Maupiti, et les membres du conseil municipal

Levée des couleurs avec les élèves de l'école primaire de Maupiti

- Mardi 16 avril -

Bora Bora

Visite des installations hydrauliques avec M. Vincent Sturny, responsable du développement des îles et de l'innovation pour la Polynésienne des Eaux

Entretien puis déjeuner avec M. Gaston Tong Sang, maire de Bora Bora

Papeete

Entretien avec M. Cyril Tetuanui, président du syndicat pour la promotion des communes de Polynésie française, maire de Tumaraa, et des maires de la Polynésie :

- Mme Patricia Amaru, maire de Tahaa

- M. Raymond Voirin, maire de Fangatau

- M. Damas Teuira, maire de Mahina

- Mme Joëlle Frébault, maire de Hiva Oa

- M. Simplicio Lissant, maire de Punaauia

- Mercredi 17 avril -

Faa'a

Visite du centre pénitentiaire de Faa'a-Nuutania et entretien avec M. Damien Pellen, directeur

Teva I Uta

Déjeuner de travail avec M. Tearii Te Moana Alpha, maire de Teva I Uta, président de la communauté de communes Tereheamanu, et les maires des communes membres

Papeari

Visite du centre de détention de Tatutu et entretien avec Mme Alice Sene, directrice-adjointe

Diner de travail à l'invitation de M. Edouard Fritch, maire de Pirae

- Jeudi 18 avril -

Papeete

Entretien avec M. Thomas Pison, procureur général de la cour d'appel de Papeete

Entretien avec Mme Nicole Sanquer, présidente, et M. Nuihau Laurey, membre du groupe A Here ia Porinetia à l'Assemblée de la Polynésie française

Entretien avec M. Edouard Fritch, président, et Mme Tepuaraurii Teriitahi, membre du groupe Tapura, à l'Assemblée de la Polynésie française

Entretien avec M. Jean-Luc Le Mercier, président de la Chambre territoriale des comptes

Entretien avec le commissaire Emmanuel Méricam, directeur territorial de la police nationale

Diner de travail à l'invitation de M. Simplicio Lissant, maire de Punaauia

- Vendredi 19 avril -

Papeete

Entretien avec M. Pascal Devillers, président du Tribunal administratif de la Polynésie française

Entretien avec M. Gaston Flosse, président du parti Amuitahiraa o te nunaa maohi, et Mme Pascale Haiti-Flosse, membre de l'assemblée de la Polynésie française

Entretien avec MM. Steeve Hamblin, président, et Yannick Cadet, vice-président, du Medef de la Polynésie française

Entretien avec MM. Christophe Plee, président, et Régis Vignal, vice-président, de la Confédération des PME de la Polynésie française

Entretien avec M. le colonel Grégoire Demezon, commandant de la gendarmerie pour la Polynésie française

- Samedi 20 avril -

Moorea

Accueil par M. Evans Haumani, maire de Moorea-Maiao

Visite de l'usine de jus de fruits de Moorea

Visite de l'écomusée Te Fare natura

Déjeuner avec MM. Evans Haumani, maire de Moorea-Maiao, Moïse Ruta et John Toromona, conseillers municipaux

- Dimanche 21 avril -

Papeete

Entretien avec M. Michel Buillard, maire de Papeete

TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI

N° de la proposition

Proposition

Acteurs concernés

Calendrier prévisionnel

Support

L'AUTONOMIE, CLEF DU DÉVELOPPEMENT HARMONIEUX DU TERRITOIRE POLYNÉSIEN DANS LA RÉPUBLIQUE

1

Engager une réflexion pour affiner la répartition des compétences entre l'État et le Pays dans une logique de blocs de compétences

Ministère des outre-mer ; institutions de la Polynésie française ; Parlement

2025

Loi organique

2

Améliorer l'accessibilité du droit applicable en Polynésie française par un travail de codification et par une évolution de la technique dite du « compteur Lifou »

Ministère des outre-mer ; Secrétariat général du Gouvernement ; Parlement

2026

Circulaire ; loi

3

Engager une réflexion sur la fin du régime de spécialité en Polynésie française, pour retenir le principe d'une application de plein droit, sans mention expresse, de la norme nationale sur le territoire polynésien, avec deux tempéraments :

- l'adaptation toujours possible de la norme à la situation de la Polynésie française, pour prendre en compte ses spécificités ;

- la possibilité d'exclure expressément l'application de la norme nationale sur le territoire polynésien

Ministère des outre-mer ; Secrétariat général du Gouvernement ; Parlement

2025

Loi organique

4

Intensifier la structuration de la coopération des différents acteurs chargés de la lutte contre les violences intrafamiliales

Ministère de la justice ; DTPN ; Commandement de gendarmerie ; institutions de la Polynésie française

2025

Circulaires ; pratique administrative

5

Face à l'essor du trafic de stupéfiants, adapter les moyens de prévention et de lutte à tous les échelons de l'action publique, notamment en renforçant les capacités d'action du parquet et les moyens opérationnels, y compris d'interception en mer, des forces de sécurité intérieure.

Ministère de la justice ; DTPN ; Commandement de gendarmerie ; institutions de la Polynésie française

2025

Circulaires ; pratique administrative

6

Rendre effectifs en Polynésie française le mécanisme de l'amende forfaitaire délictuelle et la mise en place du procès-verbal électronique (PVe).

Ministère de la justice ; Parlement

2025

Loi

7

Adapter le taux de l'aide juridictionnelle et le montant des remboursements de frais des avocats aux contraintes spécifiques liées à l'organisation judiciaire en Polynésie française

Ministère de la justice

2025

Décret ; circulaire

8

Instituer des règles de mobilité spécifiques pour les magistrats du siège et du parquet exerçant dans des ressorts juridictionnels très étroits, comme en Polynésie française, en limitant l'exercice de leurs fonctions sur place à cinq années

Ministère de la justice ; Parlement

2025

Loi ; décret ; circulaire

9

Permettre au Pays et aux communes de bénéficier de l'ensemble des prestations offertes par le Cerema et l'Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT)

Ministère des outre-mer ; Parlement

2025

Loi ; décret

10

Surveiller les tentatives d'influence ou d'ingérence étrangères qui se développent en vue d'attiser un sentiment anti-français en Polynésie française

Ministère de l'intérieur

Mise en oeuvre immédiate

Circulaires ; pratique administrative

11

Associer de manière effective les autorités de la Polynésie française à la définition ainsi qu'à la mise en oeuvre de la stratégie indopacifique de la République

Ministère des armées ; ministère de l'intérieur ; institutions de la Polynésie française

Mise en oeuvre immédiate

Pratique administrative

12

Poursuivre le développement de la capacité d'accueil du régiment du service militaire adapté (RSMA) en Polynésie française et l'adéquation des formations proposées au regard des besoins locaux

Ministère des outre-mer ; Parlement

2025

Loi de finances ; décret

13

S'assurer de la cohérence et de la complémentarité des actions menées par l'État et le Pays en matière de relations internationales, et accompagner l'action du Pays en favorisant une participation de haut niveau de l'État aux travaux des instances régionales

Ministère des affaires étrangères ; ministère des outre-mer ; institutions de la Polynésie française

Mise en oeuvre immédiate

Pratique administrative

L'ORGANISATION INSTITUTIONNELLE DE LA POLYNÉSIE :
MIEUX DIFFÉRENCIER DANS LA PROXIMITÉ

14

Pour exercer une action locale au plus près des Polynésiens, mettre en oeuvre, dans une démarche pragmatique, les lois du Pays du 3 mars 2023 permettant la délégation de compétences ou la réalisation de projets aux communes et intercommunalités, en mobilisant l'expertise de la chambre territoriale des comptes pour l'évaluation des coûts induits

Institutions de la Polynésie française ; communes et intercommunalités de la Polynésie française ; chambre territoriale des comptes

2025

Délibérations ; pratique administrative

15

Face à l'impossibilité matérielle dans laquelle sont placées les communes de Polynésie en matière de distribution d'eau potable et d'assainissement, envisager un nouveau report de la date de l'obligation de fournir ces services, voire des aménagements particuliers pérennes pour les communes d'archipels

Ministère des outre-mer ; institutions de la Polynésie française ; communes et intercommunalités de la Polynésie française ; Parlement

2025

Loi organique ; loi

16

Rétrocéder la compétence en matière de traitement des déchets des communes au Pays

Ministère des outre-mer ; institutions de la Polynésie française ; communes et intercommunalités de la Polynésie française ; Parlement

2026

Loi organique ; loi

17

Dans le cadre du comité polynésien de sécurité civile, poursuivre les échanges pour s'assurer que le modèle d'un établissement public d'incendie et de secours de Polynésie française, décidé en 2006, est adapté aux besoins du territoire

Haut-commissariat de la Polynésie française ; institutions de la Polynésie française ; communes de la Polynésie française

2025

Pratique administrative

18

Pour pallier l'absence ou l'insuffisance de certaines actions menées localement par le Pays, reconnaître aux communes de Polynésie française, sans que soit nécessaire l'adoption d'une loi du Pays en ce sens, une compétence partagée avec le Pays, en particulier en matière de culture et de patrimoine local, d'artisanat, d'aide sociale, de jeunesse et de sport

Ministère des outre-mer ; institutions de la Polynésie française ; communes et intercommunalités de la Polynésie française ; Parlement

2025

Loi organique

19

Redéfinir le statut juridique des communes associées, leurs conditions de fonctionnement et les prérogatives que leurs maires délégués peuvent exercer

Ministère des outre-mer ; Parlement

2025

Loi organique ; loi

20

Accompagner encore davantage les communes dans leur recrutement des agents de catégorie A et B, et dans la formation professionnelle de l'ensemble de leurs personnels

Communes et intercommunalités de la Polynésie française ; centre de formation et de gestion de la Polynésie française

Mise en oeuvre immédiate

Pratique administrative

21

Favoriser, par la vente ou la mise à disposition à titre gratuit par le Pays et l'État, l'utilisation du foncier par les communes et les communautés de communes pour y établir des équipements publics locaux

Institutions de la Polynésie française ; communes et intercommunalités de la Polynésie française

Mise en oeuvre immédiate

Actes et contrats administratifs

22

Utiliser davantage l'intercommunalité pour mieux différencier l'exercice de l'action locale en Polynésie française, le cas échéant en complétant les compétences qu'elles sont susceptibles d'exercer

Ministère des outre-mer ; Parlement ; Communes et intercommunalités de la Polynésie française ;

Mise en oeuvre immédiate ; 2025

Pratique administrative ; loi organique ; loi


* 1 Conduit par François-Noël Buffet (alors président de la commission des lois Les Républicains - Rhône), et auquel ont participé Nadine Bellurot (Les Républicains - Indre), Guy Benarroche (Écologiste, solidarité et territoires - Bouches-du-Rhône), Jérôme Durain (Socialiste écologiste et républicain - Saône-et-Loire) et Philippe Bonnecarrère (alors sénateur Union centriste - Tarn).

* 2 Rapport d'information n° 285 (2022-2023), «  La stratégie française pour l'Indopacifique : des ambitions à la réalité », déposé le 25 janvier 2023.

* 3 Qui comprend les îles du Vent, dont Tahiti, et les îles sous le Vent.

* 4 Selon l'Institut de la statistique de la Polynésie française.

* 5 Rapport d'information n° 165 (2017-2018), «  La Polynésie française : allier autonomie dans la République et subsidiarité dans la collectivité », de Catherine Troendlé et Mathieu Darnaud, déposé le 13 décembre 2017.

* 6 Outre François-Noël Buffet (alors président de la commission des lois Les Républicains - Rhône, nommé ministre des outre-mer le 21 septembre 2024), la délégation était constituée de : Nadine Bellurot (Les Républicains - Indre), Guy Benarroche (Écologiste, solidarité et territoires - Bouches-du-Rhône), Jérôme Durain (Socialiste écologiste et républicain - Saône-et-Loire) et Philippe Bonnecarrère (alors sénateur Union centriste - Tarn, élu député le 7 juillet 2024).

* 7 Les communications, à l'exception des liaisons gouvernementales et de défense ; l'approbation des programmes d'exploitation des vols internationaux ayant pour seule escale en France le territoire de la Polynésie française ; la délivrance des autorisations correspondantes et l'agrément des tarifs aériens internationaux ; le placement des fonds libres de la collectivité en valeurs d'État ou garanties par l'État.

* 8 L'organisation de filières de formation et des services de recherche ; la création d'une société de production et de diffusion d'émissions ; la réglementation relative à la sécurité civile ; la détermination des conditions dans lesquelles les loteries ou autres jeux de hasard peuvent être offerts au public.

* 9 L'État peut ainsi conférer pouvoir au président de négocier et signer des accords dans le domaine de compétence de l'État ou du territoire avec des États, territoires ou organismes régionaux du Pacifique. Le président peut également signer des arrangements administratifs et des accords de coopération décentralisée.

* 10 Loi organique n° 2007-1719 du 7 décembre 2007 tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française.

* 11 Loi organique n° 2011-918 du 1er août 2011 relative au fonctionnement des institutions de la Polynésie française.

* 12 Loi organique n° 2019-706 du 5 juillet 2019 portant modification du statut d'autonomie de la Polynésie française.

* 13 Voir notamment les articles 9 et 10 de la loi organique n° 2004-192.

* 14 Article 34 de la loi organique n° 2004-192.

* 15 Article 68 de la loi organique.

* 16 Article 97 de la loi organique.

* 17 Article 171 de la loi organique.

* 18 Article 20 de la loi organique.

* 19 Article 21 de la loi organique.

* 20 Article 22 de la loi organique.

* 21 Article 31 de la loi organique.

* 22 Article 15 de la loi organique.

* 23 Article 42 de la loi organique.

* 24 Articles 38 et 39 de la loi organique.

* 25 C'est notamment le cas de la DETR (article R. 2334-27 du CGCT), du FEI (article 1er du décret n° 2009-1776), du fonds vert et du FTE.

* 26 Loi du 27 février 2004 complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française. Aux termes de cet article : « L'État contribue aux ressources des communes de la Polynésie française à concurrence de deux quinzièmes du montant de la quote-part versée en 1993 par la Polynésie française au fonds intercommunal de péréquation, dans les conditions prévues chaque année par la loi de finances.

« Cette contribution évolue comme la dotation globale de fonctionnement allouée aux communes à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi. »

* 27 Qui s'était déjà manifestée par l'élection à l'Assemblée nationale de trois députés indépendantistes : Steve Chailloux, Tematai Le Gayic et Moetai Brotherson (remplacé en juin 2023 par Mereana Reid Arbelot).

* 28 Créé en 1977 sous le nom de Front de libération de la Polynésie (FLP), le parti, fondé et dirigé par Oscar Temaru, vise, à terme, l'indépendance de la Polynésie française.

* 29 Le Tapura obtenant quant à lui 38,53 % des suffrages exprimés et A here ia Porinetia 17,16 %.

* 30 Les sièges restant étant répartis entre le Tapura (16 sièges) et A here ia Porinetia (3 sièges).

* 31  Résolution 67/265 de l'Assemblée générale des Nations-Unies du 17 mai 2013.

* 32 La Polynésie française ayant été inscrite sur cette liste de 1946 à 1963.

* 33 Intervention de Nathalie Broadhurst, représentante permanente adjointe de la France auprès des Nations-Unies.

* 34 « L'accessibilité et l'intelligibilité du droit en Polynésie française », rapport de Michel Thénault et Elisabeth Catta à Annick Girardin, ministre des outre-mer, mars 2022, p. 4.

* 35 Ibidem, p. 36.

* 36 Il s'agit, entre autres, des dispositions relatives : à la défense nationale ; au domaine public et privé de l'État et de ses établissements publics ; à la nationalité, à l'état et la capacité des personnes ; aux agents publics de l'État ; à la procédure administrative contentieuse ; aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations de l'État et de ses établissements publics ou avec celles des communes et de leurs établissements publics ; à la lutte contre la circulation illicite et au blanchiment des capitaux, à la lutte contre le financement du terrorisme, aux pouvoirs de recherche et de constatation des infractions et aux procédures contentieuses en matière douanière, au régime des investissements étrangers dans une activité qui participe à l'exercice de l'autorité publique ou relevant d'activités de nature à porter atteinte à l'ordre public, à la sécurité publique, aux intérêts de la défense nationale ou relevant d'activités de recherche, de production ou de commercialisation d'armes, de munitions, de poudres ou de substances explosives, etc.

* 37 Rapport n° 123 (2023-2024) de Françoise Gatel et Agnès Canayer, «  Encourager l'intercommunalité en Polynésie française ».

* 38 Commission supérieure de codification, rapport annuel, 2009, p. 13.

* 39 Groupe de travail sur la décentralisation, «  15 propositions pour rendre aux élus locaux leur pouvoir d'agir », 6 juillet 2023, pp. 45-46.

* 40 Située sur le territoire des communes de Tahiti et Pirae, et couvrant une population d'environ 44 000 personnes.

* 41 Cour des comptes, La lutte contre les violences faites aux femmes en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, rapport public thématique, avril 2024.

* 42 Voir le rapport n° 588 (2023-2024), «  Un nécessaire sursaut : sortir du piège du narcotrafic », d'Étienne Blanc au nom de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France, présidée par Jérôme Durain, déposé le 7 mai 2024.

* 43 Idem.

* 44 Rapport d'information n° 878 (2022-2023), «  Guadeloupe, Martinique, Saint-Barthélemy et Saint-Martin : 4 territoires de la République dans la Caraïbe », de François-Noël Buffet, Philippe Bonnecarrère, Cécile Cukierman, Marie-Pierre de La Gontrie et Henri Leroy, déposé le 12 juillet 2023.

* 45 Texte n° 78 (2023-2024) adopté par le Sénat le 7 mars 2024. Voir le rapport n° 366 (2023-2024) de Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel et Éric Kerrouche, au nom de la commission des lois, déposé le 28 février 2024. Voir également le rapport du groupe de travail du Sénat précité.

* 46 Audit d'ouvrages d'art pour le Pays ; assistance à la révision du plan général d'aménagement de la commune de Punaauia (Tahiti).

* 47 Rapport d'information n° 878 (2022-2023), «  Guadeloupe, Martinique, Saint-Barthélemy et Saint-Martin : 4 territoires de la République dans la Caraïbe », de François-Noël Buffet, Philippe Bonnecarrère, Marie-Pierre de La Gontrie, Cécile Cukierman et Henri Leroy, déposé le 12 juillet 2023.

* 48 Comme l'indique le rapport présenté au nom de la commission de l'économie, des finances, du budget et de la fonction publique de l'assemblée de la Polynésie française par Heinui Le Caill et Élise Vanaa le 18 octobre 2023 sur le projet délibération relative au régime applicable aux fonctionnaires détachés au sein de la fonction publique de la Polynésie française.

* 49 Au demeurant restreintes en volume au regard des effectifs globaux de l'administration locale et à la durée d'exercice très limitée : deux années, renouvelable une seule fois, un délai de carence de quatre années étant, en outre, appliqué pour tout détachement ultérieur en Polynésie française.

* 50 La Chine est ainsi le quatrième pays donateur dans la zone, via des subventions et des prêts, selon le rapport annuel 2023 du think tank Lowy Institute Pacific Aid Map.

* 51 Rapport n° 739 (2023-2024), «  Lutte contre les influences étrangères malveillantes. Pour une mobilisation de toute la Nation face à la néo-guerre froide » de Richard Temal, au nom de la commission d'enquête sur les politiques publiques face aux opérations d'influences étrangères, présidée par Dominique de Legge, déposé le 23 juillet 2024.

* 52 TNTV News, Journal du 7 juin 2024.

* 53 Rapport d'information n° 285 (2022-2023), «  La stratégie française pour l'Indopacifique : des ambitions à la réalité », déposé le 25 janvier 2023.

* 54 Rapport de la mission d'information portant sur l'impact des stratégies de la France dans l'espace indo-pacifique, sur les collectivités françaises du Pacifique, disponible à l'adresse suivante : http://www.assemblee.pf/pratique/publications.

* 55 Rapport d'information n° 546 (2021-2022), «  Les outre-mer au coeur de la stratégie maritime nationale » de Philippe Folliot, Annick Petrus et Marie-Laure Phinera-Horth, déposé le 24 février 2022.

* 56 Dernière année connue.

* 57 À Tahiti se trouve le commandement du RSMA ainsi que deux compagnies de formation professionnelle. Hiva Oa, aux Marquises, Tubai, dans les Australes, et Hao, dans l'archipel des Tuamotu, accueillent chacun une compagnie de formation.

* 58 Arrêté n° 2062 CM du 09 novembre 2010 concernant les communes des Marquises, arrêté n° 2317 CM du 30 décembre 2011 concernant les communes de Tumaraa et Taputapuatea et arrêté n° 1765 CM du 27 novembre 2014 relatif à la communauté de communes de Hava'i.

* 59 Loi du Pays fixant les conditions dans lesquelles les communes, les centres communaux et intercommunaux d'action sociale et les établissements publics de coopération intercommunale peuvent intervenir en matière d'actions sociales à raison des difficultés économiques et sociales engendrées, pour les personnes physiques, par la crise sanitaire liée à la propagation du virus dénommé "SARS-CoV-2" ou "covid-19", et déterminant le concours financier de la Polynésie française à ce titre.

* 60 Rapport n° 123 (2023-2024) de Françoise Gatel et Agnès Canayer, «  Encourager l'intercommunalité en Polynésie française ».

* 61 Le SPCPF devrait se transformer en un syndicat mixte fermé à compter du 1er janvier 2025.

* 62 Constituées de taxes (taxe de séjour, taxe sur l'électricité et taxe sur la publicité) et de centimes additionnels (à la contribution des patentes, à la contribution des licences et à l'impôt foncier sur les propriétés bâties).

* 63 Qui regroupent les agents ayant refusé l'intégration dans la fonction publique communale comme titulaires.

* 64 Voir le rapport n° 435 (2021-2022) de Mathieu Darnaud, au nom de la commission des lois, déposé le 2 février 2022.

* 65 À l'inverse, cette disposition permet aux communes ou à leurs groupements de confier, par convention, à la Polynésie française, la réalisation d'équipements collectifs ou la gestion de services publics relevant de leurs compétences.

* 66 Cette loi du Pays est disponible sur le site LEXPOL.

* 67 Cette loi du Pays disponible sur le site LEXPOL.

* 68 En termes d'équipements, cela correspond à 5 stations d'épuration collectives, 5 émissaires de rejet, des dizaines de kilomètres de réseaux et le traitement de près de 8 000 m3 /j d'eaux usées produites par 9 % de la population.

* 69 Avis du Conseil d'État (section des travaux publics) n°405376 du 20 juillet 2022.

* 70 Rapport d'information n° 165 (2017-2018), «  La Polynésie française : allier autonomie dans la République et subsidiarité dans la collectivité », de Catherine Troendlé et Mathieu Darnaud, fait au nom de la commission des lois, déposé le 13 décembre 2017.

* 71 Dont les montants maximums sont fixés par arrêté du haut-commissaire de la République en Polynésie française, après avis du Conseil supérieur de la fonction publique des communes de la Polynésie française.

* 72 Article 62 de l'ordonnance n° 2005-10 du 4 janvier 2005 portant statut général des fonctionnaires des communes et des groupements de communes de Polynésie française.

* 73 Article 20 de la loi n° 2022-1137 du 10 août 2022ratifiant l'ordonnance n° 2021-1605 du 8 décembre 2021 étendant et adaptant à la fonction publique des communes de Polynésie française certaines dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale.

* 74 À titre de comparaison, ces dépenses s'élèvent, dans l'hexagone, à 49,8 % dans les communes de moins de 10 000 habitants et à 61 % dans les communes de plus de 10 000 habitants (hors Paris).

* 75 Proposition n° 1 du rapport d'information précité.

* 76 D'une surface totale envisagée de 430 000 km2, cette aire marine protégée deviendrait la plus grande zone de protection de Polynésie française et contiendrait : une zone de pêche artisanale exclusive pour préserver les pêcheurs côtiers d'une concurrence inéquitable, ainsi qu'une zone de protection stricte au large dans la zone de reproduction du thon obèse, pour permettre de maintenir le renouvellement des stocks de cette espèce menacée. Le reste des eaux des Marquises serait une zone d'activité maritime durable autorisée à la pêche palangrière, pour soutenir le développement économique des îles Marquises.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page