C. FAVORISER LA DIFFÉRENCIATION PAR L'INTERCOMMUNALITÉ

La diversité géographique et culturelle des différents territoires de la Polynésie française justifie pleinement des mesures de différenciation renforcées dans les statuts juridiques applicables.

Aux yeux de la mission, l'intercommunalité apparaît comme le vecteur juridique idéal de cette différenciation, en permettant d'adapter les compétences communautaires aux enjeux et besoins des territoires concernés.

1. L'intercommunalité polynésienne : un vecteur de différenciation

L'approfondissement de l'intercommunalité est une piste majeure pour l'exercice des compétences, notamment compte tenu de la superficie des territoires concernés.

À cet égard, le régime des compétences obligatoires des communautés de communes de la Polynésie française se différencie de celui des EPCI métropolitains, puisque celles-ci ne concernent, en application de l'article L. 5842-22 du code général des collectivités territoriales qu'au minimum deux des neuf matières suivantes :

- voirie communale ;

- transports communaux ;

- construction, entretien et fonctionnement des écoles de l'enseignement du premier degré ;

- distribution d'eau potable ;

- collecte et traitement des ordures ménagères ;

- collecte et traitement des déchets végétaux ;

- collecte et traitement des eaux usées ;

- dans les communautés de communes dont les communes membres sont dispersées sur plusieurs îles, le transport entre les îles ;

- dans les communautés de communes dont les communes membres sont dispersées sur plusieurs îles, l'assistance à maîtrise d'ouvrage.

À ce jour, les compétences dévolues à ces communautés de communes restent, de ce fait, limitées.

Selon le SPCPF, il s'agit presqu'exclusivement des compétences environnementales (eau potable ; déchets ; assainissement) et pour certaines, transports. Les deux communautés de communes les plus anciennes ont néanmoins des compétences plus développées : Hava'i est ainsi également compétente pour la valorisation du patrimoine historique, le développement de l'agriculture biologique, le développement du tourisme nautique, et la gestion des animaux errants. La CODIM l'est également en principe pour l'aménagement de l'espace et le développement économique, mais en l'absence de transfert de ces compétences par le Pays en application de l'article 43 de la loi organique statutaire, elles n'ont jamais pu être exercées.

La spécificité géographique des communes polynésiennes justifie pleinement que les obligations de prise de compétences par les communautés de communes soient moins nombreuses que dans l'hexagone, pour tenir compte des différences majeures entre territoires. Pour autant, l'exercice au niveau communautaire de certaines compétences s'avère bien plus opérationnel et efficace.

La mission a pu constater, à cet égard, le volontarisme de certaines communautés de communes pour valoriser leur territoire, en fonction de leurs particularismes. Elle a notamment pu rencontrer les élus de Terehçamanu, sur l'île de Tahiti, qui portent une ambition exigeante pour un territoire qui reste en majeure partie rural mais qui peut constituer un pôle d'attraction d'activités de proximité. Elle souligne également l'intérêt de la création annoncée de la communauté de communes des Tuamotu-Gambier ouest, qui permettra de mieux traiter les problématiques locales au niveau intercommunal. 

Les rapporteurs partagent donc l'appréciation de Françoise Gatel, Agnès Canayer et Jean-Michel Houllegate75(*), selon laquelle il importe de promouvoir l'intercommunalité auprès des élus locaux, afin de mieux mettre en exergue son intérêt et les opportunités qu'elle peut apporter pour le développement des territoires communaux, notamment en matière d'infrastructures et de services offerts aux populations.

2. La question spécifique de l'archipel des Marquises

Les élus marquisiens défendent de longue date la reconnaissance de leur éloignement et de leur identité culturelle par un statut juridique sui generis au sein de la Polynésie française.

Il est vrai qu'éloignés de 1 400 km de Tahiti et héritiers d'une culture et d'une histoire qui les distinguent de facto des autres archipels, les Marquisiens ressentent difficilement le fait d'être privés d'un pouvoir d'agir pour mener des politiques publiques locales pleinement adaptées aux spécificités de leur territoire.

Actuellement et depuis 2010, les îles sont regroupées au sein d'un EPCI, la communauté de communes des îles Marquises (CODIM). La montée en puissance de la CODIM a permis la mutualisation de la compétence du service public de l'électricité et de la compétence relative au transport maritime interinsulaire. Mais les hakaïki - maires des communes des Marquises - sollicitent du Pays, depuis plusieurs années, le transfert de compétences relatives à l'agriculture, la pêche, et la gestion de port de pêche.

Aussi les élus marquisiens proposent-ils depuis 2022, ainsi qu'ils l'ont rappelé aux rapporteurs de la mission, de transformer l'archipel et ses six communes en une « collectivité territoriale à statut particulier faisant partie de la Polynésie française, et placée à un niveau intermédiaire entre le Pays et les communes marquisiennes », qui prendrait le nom de Communaute' d'archipel des i^les Marquises (CODAM).

Il s'agirait, non plus d'un simple EPCI, mais d'une collectivité sui generis, bénéficiaire de compétences spécifiques qui lui seraient transférées par le Pays, le cas échéant de manière progressive.

Les compétences de la CODAM telle qu'envisagée par les Hakaïki

« La CODAM disposerait de compétences administratives définies par référence aux compétences des départements et régions d'outre-mer (DROM). Transférées progressivement à un rythme souhaité par les élus marquisiens, elles interviendraient dans les domaines suivants : développement économique et touristique, développement rural et maritime, aménagement, actions sanitaires et sociales, culture et de protection du patrimoine, protection de l'environnement et des milieux marins.

« S'agissant des compétences de gestion, elles porteraient sur le domaine du Pays dans l'archipel, transféré à la CODAM par la loi organique statutaire. Ainsi, seraient notamment concernés le domaine public maritime, tant pour sa partie terrestre (zone des 50 pas du roi) que maritime (jusqu'à la limite des 12 miles nautiques), ainsi que les terres domaniales (ancien domaine privé de l'État, en très grande quantité) dont l'appropriation par l'État puis par le Pays est un sujet de l'époque coloniale encore très douloureux aux Marquises (En ce sens, Catherine VANNIER, « Spoliation foncière aux Îles Marquises ? », Tahiti Pacifique, n°240, avril 2011).

« A l'instar des départements et régions d'outre-mer, la CODAM pourrait disposer d'un pouvoir d'adaptation des textes de l'État et du Pays aux contraintes et caractéristiques de l'archipel. Elle pourrait par ailleurs se voir reconnaître un pouvoir réglementaire d'application des lois du Pays. Ces pouvoirs normatifs délégués pourraient être limités à certains domaines.

« Les ressources de la CODAM seraient prévues par la loi organique statutaire : un financement spécifique du FIP, une part du produit des impôts du Pays correspondant au financement des compétences transférées. On peut également envisager des ressources fiscales propres (taxes, etc.) mais aussi les ressources de son domaine foncier. La CODAM pourrait en outre percevoir des dotations de l'État par référence à celles qu'il verse au profit des collectivités territoriales. »

Source : Audition des Hakaïki par la mission d'information à Hiva Oa, le 13 avril 2024.

La mission estime que la situation des îles Marquises justifie pleinement l'exercice de certaines compétences au plus près de la population, selon un principe de subsidiarité qui gagnerait à être pleinement mis en oeuvre en Polynésie française.

De fait, les Marquisiens sont très en pointe sur des projets majeurs en matière de préservation de leur environnement - tel le projet de Grande aire marine protégée Te tai nui a hau76(*) -, ainsi que de promotion de leur patrimoine naturel et culturel. À cet égard, la mission ne peut que se réjouir que la demande d'inscription comme bien mixte de Te Henua Enata - Îles Marquises au patrimoine mondial de l'Unesco, portée de longue date par les élus marquisiens avec l'appui du Pays et de l'État, ait été enfin accueillie lors de la 46ème session du comité de l'Unesco réunie à New Delhi, le 26 juillet 2024.

Compte tenu de l'éloignement, il apparaît également plus que légitime que les questions relatives à l'artisanat (qui constitue l'essentiel de l'activité économique avec l'agriculture et la pêche), aux zones de mouillage, à certains aménagements touristiques tels que les chemins de randonnées et leur signalisation ou aux denrées servies dans les cantines collectives (pour prendre notamment en considération la viande de chèvre, dont la consommation est très développée localement) relèvent des compétences locales, afin de répondre au mieux aux besoins de l'archipel et de sa population.

Pour autant, la création d'une nouvelle catégorie de collectivité risquerait de complexifier le paysage institutionnel polynésien, alors même que l'intercommunalité est un instrument juridique suffisamment malléable pour apporter à l'archipel des Marquises des réponses appropriées et adaptées. Au surplus, si le précédent de Saint-Barthélemy est souvent cité dans le cadre des échanges avec les élus marquisiens comme un exemple inspirant d'évolution institutionnelle, les rapporteurs soulignent que le contexte singulier qui a rendu l'érection de Saint-Barthélemy en une collectivité autonome viable - en particulier, un territoire autosuffisant financièrement et doté d'un modèle de recettes fiscales tout à fait particulier - n'est pas présent en Polynésie française, quel que soit l'archipel considéré.

C'est pourquoi les rapporteurs rejoignent également la position de Françoise Gatel, Agnès Canayer et Jean-Michel Houllegatte, pour considérer l'EPCI comme la solution institutionnelle la plus adéquate pour renforcer et autonomiser l'action locale en Polynésie.

Pour autant, si l'architecture juridique actuelle de l'EPCI n'est pas à même de permettre l'exercice de compétences locales, ils estiment que plutôt que de créer une nouvelle forme d'EPCI, il conviendrait plus simplement de modifier les compétences susceptibles d'être exercées par les EPCI actuels de la Polynésie française, sur le fondement de l'article L. 5842-22 du code général des collectivités territoriales.

Proposition n° 22 : Utiliser davantage l'intercommunalité pour mieux différencier l'exercice de l'action locale en Polynésie française, le cas échéant en complétant les compétences qu'elles sont susceptibles d'exercer.


* 75 Proposition n° 1 du rapport d'information précité.

* 76 D'une surface totale envisagée de 430 000 km2, cette aire marine protégée deviendrait la plus grande zone de protection de Polynésie française et contiendrait : une zone de pêche artisanale exclusive pour préserver les pêcheurs côtiers d'une concurrence inéquitable, ainsi qu'une zone de protection stricte au large dans la zone de reproduction du thon obèse, pour permettre de maintenir le renouvellement des stocks de cette espèce menacée. Le reste des eaux des Marquises serait une zone d'activité maritime durable autorisée à la pêche palangrière, pour soutenir le développement économique des îles Marquises.

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