B. DES COÛTS ÉLEVÉS SANS VRAIES CONTREPARTIES EN TERMES DE PERFORMANCE

1. Un effet inflationniste sur les charges de personnel de la DGAC

La principale résultante de la succession de ces dix protocoles sociaux a été une inflation constante et rapide des charges de personnel de la DGAC. Les revalorisations systématiques des régimes indemnitaires, les créations de nouvelles primes et les réévaluations des grilles indiciaires qui se sont succédées au fil des protocoles a conduit à une divergence notable des rémunérations perçues par les personnels de la DGAC d'avec le reste de la fonction publique. Aujourd'hui, il est incontestable qu'à qualifications équivalentes, les agents de la DGAC bénéficient de conditions de rémunérations nettement plus avantageuses que celles en vigueur ailleurs dans l'administration française.

Depuis le début des années 2000, au gré de différents rapports, la Cour des comptes a très sévèrement critiqué le caractère déséquilibré de la pratique des protocoles sociaux à la DGAC, l'inflation constante des dépenses de personnel qui en a résulté et la façon dont les rémunérations en vigueur au sein de cette institution se sont écartées de celles qui prévalent dans le reste de la fonction publique.

Le jugement très sévère de la Cour des comptes
sur les premiers protocoles sociaux de la DGAC

Rapport de la Cour des comptes sur le contrôle de la navigation aérienne de novembre 2002 :

Dès 2002, la Cour des comptes se montrait extrêmement critique de la pratique des protocoles sociaux à la DGAC qu'elle qualifiait de « mode de relations sociales particulièrement coûteux ». Son appréciation de ce modèle atypique était très sévère : « les protocoles triennaux sont les outils d'un dialogue social déséquilibré aux conséquences financières très lourdes. Ils ne sont pas nés de la volonté d'une administration novatrice de promouvoir un dialogue social fondé sur des contrats d'objectifs en contrepartie desquels des avancées seraient consenties mais doivent leur institution et leur pérennisation à la possibilité pour les contrôleurs aériens d'empêcher la circulation aérienne au-dessus du pays et ont eu pour vocation implicite essentielle de maintenir la paix sociale au sein de la DGAC. Ces accords frappent par leur caractère unilatéral, les contreparties aux mesures en faveur des agents apparaissant extrêmement ténues. Leur durée brève et leur caractère pérenne crée aussi un climat de négociation et de surenchère permanents. Aucune évaluation d'impact, aucun bilan global de ces accords n'est produit ».

Elle dénonçait alors sans ménagement les quatre premiers accords qui avaient déjà été conclus à cette date : « les quatre protocoles suivants, de 1991, 1994, 1997 et 2000 ont constitué une accumulation de mesures tout à fait impressionnante, sans équivalent dans la fonction publique : refonte constante des statuts, création de nombreux emplois budgétaires, progression substantielle des rémunérations principales et accessoires, auxquelles ne répondent guère de contreparties en termes d'organisation du travail. De surcroît, ces mesures, ciblées au départ sur les corps spécifiques du contrôle aérien, ont généré un « effet de contagion » sur les autres corps de la DGAC ».

Au total, elle considérait alors que « les protocoles ont eu un impact considérable sur l'évolution des dépenses de personnel de la DGAC : au cours de la période 1994-2000, ils ont représenté un coût de 95,74 millions d'euros pour une progression globale des crédits votés de 184,46 millions d'euros et ont entraîné à eux seuls 52 % de l'augmentation des charges de personnel de la DGAC ».

Rapport public annuel 2010 de la Cour des comptes, février 2010 :

Dans son rapport public annuel de 2010, la Cour des comptes se montrait tout aussi critique à l'endroit de cette pratique qui, selon elle, invitait l'ensemble des personnels de la DGAC à la « surenchère » : « l'objet principal des protocoles demeure d'accorder des revalorisations statutaires et indemnitaires aux agents de la DGAC, et notamment aux personnels techniques. Les mesures obtenues par les contrôleurs aériens sont progressivement étendues aux autres agents, notamment techniques, de la DGAC ». Elle notait alors qu'au fil des protocoles « s'ajoute à l'augmentation incessante des avantages statutaires des corps techniques une croissance ininterrompue des primes accordées à l'ensemble des personnels de la DGAC (...). Si la surenchère en matière statutaire ne concerne que les corps techniques, en revanche le régime indemnitaire très favorable des contrôleurs aériens nourrit les revendications de l'ensemble des personnels de la DGAC ».

La Cour des comptes observait en 2010 que le protocole 2007-2009 ainsi que « l'accord licence » (voir supra) qui lui était associé avaient coûté à eux deux plus de 54 millions d'euros : « ce coût est notamment lié à des mesures indemnitaires très généreuses, en augmentation de 62,5 % par rapport au protocole précédent. Les années 2007 - 2009 ont ainsi été les plus coûteuses depuis l'origine des protocoles, en termes de mesures catégorielles ».

Source : rapports de la Cour des comptes

Dans son rapport de 2021 précité10(*), la Cour des comptes soulignait « les dépenses de personnel importantes » de la DGAC liées à des « rémunérations élevées ». Elle relevait que les protocoles sociaux sont tout sauf étranger à ce constat : « les grilles indiciaires et les dispositifs de primes diverses offrent aux agents de la DGAC des niveaux de rémunération élevés par comparaison au reste de la fonction publique et régulièrement accrus par les protocoles sociaux successifs ».

Depuis dix ans, les charges de personnel de la DGAC ont ainsi augmenté de 14 % tandis que le coût par équivalent temps plein annuel travaillé (ETPT) progressait de 20 % sur la même période.

Évolution des charges de personnel de la DGAC (2013-2023)11(*)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les rapports annuels de performances du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » (BACEA)

Évolution du coût par ETPT12(*) de la DGAC (2013-2023)13(*)

(en euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les rapports annuels de performances du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » (BACEA)

Dans son rapport précité de 2021, la Cour des comptes soulignait à quel point les niveaux de rémunérations des personnels de la DGAC étaient élevés en comparaison de la fonction publique en général ou du ministère de la transition écologique en particulier. La Cour des comptes estimait alors que l'ampleur de cet écart ne pouvait se justifier ni par l'âge des personnels, ni par les astreintes qu'ils supportent.

Comparaison de la rémunération annuelle moyenne14(*) des personnels de la DGAC
avec celle du ministère de la transition écologique et de la fonction publique
(2017)

(en euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après le rapport de 2021 de la Cour des comptes consacré à la politique des ressources humaines de la DGAC

2. Un paysage indemnitaire complexifié par les protocoles

Les rapports publiés par la Cour des comptes ont mis en évidence de façon récurrente le coût, la complexité et le caractère parfois irrégulier des régimes indemnitaires pratiqués par la DGAC. Elle a démontré que cette situation résultait très largement des mesures adoptées dans le cadre des protocoles sociaux qui « conduisent à une augmentation continue des avantages statutaires et indemnitaires »15(*).

En 2018, la Cour des comptes recensait 137 primes différentes à la DGAC contre 126 en 2010. Entre 2013 et 2018, le montant des primes versées aux personnels de la DGAC avait progressé de 10 % pour atteindre 412 millions d'euros, représentant en moyenne 35 % de leur coût salarial brut et plus de 50 % s'agissant des contrôleurs aériens.

Depuis 2017, la mise en oeuvre du régime indemnitaire des fonctionnaires de l'État (RIFSEEP) et, pour les personnels dits techniques (les ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne, les ingénieurs électroniciens des systèmes de la sécurité aérienne, les ingénieurs des études et de l'exploitation de l'aviation civile et les techniciens supérieurs des études et de l'exploitation de l'aviation civile), du régime indemnitaire simplifié technique (RIST)16(*), la DGAC a engagé un effort de simplification de son maquis indemnitaire, le rendant un peu plus lisible. Dans un rapport d'information qu'il a présenté en 201817(*), le rapporteur avait salué la mise en place de ce nouveau régime simplifié.

Les régimes indemnitaires en vigueur demeurent cependant encore largement perfectibles et le rapporteur encourage la DGAC à poursuivre et amplifier cette démarche de simplification, notamment en supprimant des dispositifs non indispensables.

3. Des protocoles très onéreux

L'essentiel des mesures catégorielles prévues par les protocoles, qualifiées de « soclées » par la DGAC se traduisent par des augmentations structurelles permanentes de ses charges de personnel. Ainsi, le coût de chaque protocole constitue une marche supplémentaire de hausse des dépenses de fonctionnement de la DGAC. Les coûts des différents protocoles se cumulent les uns les autres au fil des années.

Une analyse similaire peut être réalisée pour chaque protocole en particulier. En effet, les mesures catégorielles prévues par un protocole ne sont jamais déployées toutes en même temps et dans leur intégralité dès la première année d'application de l'accord. Elles sont mises en oeuvre progressivement au fil des exercices budgétaires couverts par le protocole en question et elles n'atteignent leur amplitude maximale structurelle qu'à l'issue de la période d'application de l'accord. La présentation que fait généralement la DGAC des coûts de leurs protocoles sociaux peut ainsi induire le lecteur en erreur puisqu'elle ne présente que les coûts supplémentaires annuels qui résultent du déploiement progressif des mesures prévues par ces accords. Ainsi, pour connaître le coût réel structurel d'un protocole social convient-il de cumuler année après année, les augmentations de coûts qu'il génère, là encore dans une logique de franchissement de marches successives en termes de hausses des charges de personnel de la DGAC.

L'étude du coût structurel total (c'est-à-dire à l'issue de leur déploiement complet) des trois derniers protocoles révèle une tendance inflationniste très marquée. En effet, alors que l'augmentation permanente des charges de personnel annuelles de la DGAC résultant du protocole 2010-2012 s'était établie à 7,1 millions d'euros, elle a atteint 23,7 millions d'euros pour l'accord 2013-201518(*) puis 47,5 millions d'euros pour le protocole 2016-2019.

Surcoûts annuels liés aux mesures du protocole social 2010-2012

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les réponses de la DGAC au questionnaire du rapporteur

Surcoûts annuels liés aux mesures du protocole social 2013-2015

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les réponses de la DGAC au questionnaire du rapporteur

Surcoûts annuels liés aux mesures du protocole social 2016-2019

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les réponses de la DGAC au questionnaire du rapporteur

Cependant, comme indiqué supra, l'analyse des seuls surcoûts annuels générés par les protocoles est insuffisante et ce n'est qu'en cumulant les surcoûts annuels générés par chaque accord que l'on peut estimer leur coût réel. Ainsi, comme l'illustre le graphique ci-après, les trois derniers protocoles se sont-ils traduits globalement par une augmentation annuelle pérenne des charges de personnel de la DGAC de près de 80 millions d'euros.

Coût annuel récurrent des huitième, neuvième et dixième protocoles sociaux

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les réponses de la DGAC au questionnaire du rapporteur

Le rapporteur a pu constater avec étonnement que la DGAC n'avait aucune idée précise du coût des accords antérieurs à 2010, c'est-à-dire des sept premiers protocoles ainsi que de l'accord dit « licence ». En effet, elle lui a signalé ne pas disposer de données relatives aux coûts de ces protocoles. Bien que difficilement justifiable, cette lacune est symptomatique et révélatrice de l'absence d'évaluation des protocoles et de la difficulté à faire émerger au sein de l'institution une véritable réflexion quant à l'efficience de cette pratique.

4. Des mesures de performance peu ambitieuses, trop rares et jamais évaluées

Au regard du coût des protocoles sociaux qui se cumulent d'année en année et de leurs multiples mesures catégorielles, les contreparties en matière de performance apparaissent bien maigres au rapporteur. Par ailleurs, si la DGAC a pu les lui lister, elle n'est pas en mesure d'en estimer la réelle efficience. En effet, aucune évaluation sérieuse des protocoles passés n'a jamais été effectuée si ce n'est, pour le dernier, une étude synthétique principalement consacrée aux expérimentations d'assouplissement de l'organisation du travail des contrôleurs aériens.

Comme évoqué supra, le protocole 2004-2007 a ouvert la possibilité d'une vacation complémentaire par an en période de fort trafic compensée sur une autre période de l'année. Les protocoles 2007-2009 et 2016-2019 ont permis d'engager des réorganisations partielles des services de maintenance. Des restructurations d'implantations territoriales ont également été accompagnées par les mesures prévues par les protocoles 2007-2009, 2013-2015 et 2016-2019. Ainsi, d'après la DGAC, le protocole 2013-2015 aurait accompagné la fermeture de dix tours de contrôle de la DSNA19(*) et de onze délégations de la DSAC20(*).

Cependant, les trop rares mesures de productivité incluses dans certains protocoles ainsi que les objectifs qu'ils ont pu contenir n'ont pas toujours été concrètement mis en oeuvre sans que pour autant les mesures catégorielles prévues par les accords ne soient remises en question. Cette situation avait notamment été dénoncée en 2010 par la Cour des comptes21(*) : « les retards dans la mise en oeuvre des contreparties, voire l'absence de leur mise en oeuvre, expliquent que l'objectif de productivité que fixait le protocole 2004 - 2006 n'ait jamais été atteint. Pourtant, l'administration n'a tiré aucune conséquence de ce non-respect des termes du protocole. Elle a appliqué l'ensemble des mesures catégorielles qui étaient prévues et négocié en 2006 un nouveau protocole extrêmement favorable aux agents ».


* 10 Sur la politique des ressources humaines de la DGAC.

* 11 Compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions » inclus.

* 12 Équivalent temps plein annuel travaillé.

* 13 Compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions » inclus.

* 14 Hors charges patronales.

* 15 Rapport de la Cour des comptes sur la politique des ressources humaines de la DGAC, 2021.

* 16 Régi par un décret unique n° 2016-1869 du 26 décembre 2016 fixant le régime indemnitaire applicable aux corps techniques de la direction générale de l'aviation civile.

* 17 Rapport d'information n° 568 (2017-2018) fait par M. Vincent CAPO-CANELLAS au nom de la commission des finances sur la modernisation des services de la navigation aérienne.

* 18 Ce protocole comportait également 4 millions d'euros de dépenses ponctuelles dites « non soclées ».

* 19 Angers, Angoulême, Calais, Cherbourg, Lannion, Le Havre, Le Mans, Mulhouse Habsheim, Valence, Vannes.

* 20 Aquitaine Sud, Auvergne, Basse et Haute-Normandie, Bourgogne-Franche-Comté, Bretagne, Centre, Hautes-Pyrénées et Gers, Languedoc-Roussillon, Lorraine-Champagne-Ardenne, Limousin, Poitou-Charentes.

* 21 Rapport public annuel 2010 de la Cour des comptes, février 2010.

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