B. L'INTÉRÊT D'UNE RÉFORME STRUCTURELLE DE L'ORGANISATION DE LA DSNA AFIN DE LA RENDRE PLUS AUTONOME

1. L'organisation et la gouvernance du contrôle aérien français font figure d'exceptions en Europe

Aujourd'hui, l'organisation et la gouvernance des activités du contrôle de la navigation aérienne en France se distinguent de la plupart de celles en vigueur ailleurs en Europe sur deux aspects majeurs :

- D'une part son prestataire de services de la navigation aérienne (PSNA), en l'occurrence la DSNA, n'est pas une entité juridique distincte de l'État et se trouve être un simple service64(*) intégré à la DGAC.

- D'autre part, la DSNA n'est pas séparée de façon structurelle et juridique de son régulateur économique, la direction du transport aérien (DTA), qui appartient à la même direction générale.

La France est en effet l'un des très rares pays en Europe (avec la Grèce et Chypre) et le seul des principaux pays aériens, dans lesquels les services du contrôle aérien sont exercés directement par une administration d'État n'étant pas juridiquement distincte de celui-ci. Ailleurs, dans le but d'améliorer la performance du contrôle aérien, cette mission est exercée sous le contrôle de l'État par un organisme public (établissement public ou entreprise publique) détenu à 100 % par l'État mais qui dispose d'une personnalité juridique propre.

Dans son rapport d'information présenté en 2018, le rapporteur avait déjà pu constater cette particularité française. Il écrivait alors : « il apparait clairement, au terme de cette brève énumération, que la DSNA est probablement, de tous les grands PSNA, celui qui est le moins indépendant de l'État et dont l'autonomie administrative et financière est la plus faible ».

S'agissant des conditions de la distinction entre le PSNA et son régulateur, si les normes européennes65(*), pour garantir l'indépendance de l'autorité nationale de surveillance (ANS), le régulateur au sens du droit européen, posent le principe d'une séparation, celle-ci peut n'être que fonctionnelle et non nécessairement juridique66(*). Afin de préserver l'unité de la DGAC, la France a fait le choix d'une simple distinction fonctionnelle au contraire de ses partenaires européens qui ont décidé de séparer juridiquement et structurellement leur PSNA de son régulateur. Contrairement aux organisations en vigueur ailleurs en Europe, en France un même service d'État, la DGAC est en charge à la fois de l'exploitation du contrôle aérien et, dans le même temps, de la surveillance qui s'exerce sur cette activité.

2. Son mode de régulation économique inadapté freine l'amélioration de la performance du contrôle aérien français

Dans ses rapports d'information précités en 2018 puis en 2023, le rapporteur a pu souligner à quel point la « séparation fonctionnelle à la française » entre le PSNA et son régulateur économique était insatisfaisante et déresponsabilisante.

Dans son rapport d'information de 2018, le rapporteur avait ainsi déjà souligné qu'il était « pour le moins circonspect quant aux garanties d'indépendance qu'offre la direction du transport aérien (DTA), dans l'organisation actuelle de la DGAC, pour opérer une régulation sérieuse de la DSNA ». Ses doutes ne se sont pas résorbés depuis, au contraire. Il considère toujours que les mobilités au sein de la DGAC, qui amènent à ce que des personnes puissent exercer alternativement à la DSNA puis à la DTA, passant ainsi du rôle de régulé à celui du régulateur, « n'offrent pas toutes les garanties d'indépendance et d'impartialité qu'il est permis d'exiger » et qu'elles font peser « des risques d'autocensure ou de complaisance ».

En 2018, il en était arrivé à la conclusion qu'il fallait « considérablement renforcer la séparation fonctionnelle entre les directions de la DGAC et que différents scénarios doivent être étudiés pour qu'une séparation structurelle puisse à terme être envisagée ». Il estimait alors que cette séparation structurelle constituait « la condition sine qua non pour que la DSNA soit véritablement contrôlée et challengée, tant du point de vue économique que de son efficacité pure ».

Cinq ans plus tard, dans son rapport d'information de 2023, le rapporteur pointait également du doigt la responsabilité de l'organisation de la régulation économique de la DSNA en France dans le « fiasco » des programmes de modernisation des outils du contrôle aérien qui ont accumulé au fil des années des délais et des surcoûts considérables. Il soulignait ainsi que « le fait qu'aucune autorité n'ait été en mesure de « tirer le signal d'alarme » plus tôt pour imposer les révisions stratégiques qui s'imposaient constitue un dysfonctionnement évident ». Un véritable régulateur indépendant aurait dû jouer ce rôle et empêcher que ces programmes ne dérivent d'années en années aux dépens des finances publiques et de la performance du contrôle aérien. Le rapporteur indiquait alors avoir « acquis la conviction qu'un véritable régulateur indépendant de la DSNA aurait pu et dû dresser beaucoup plus tôt les constats qui s'imposaient afin de guider les décisions de la DSNA et d'éviter certains des surcoûts, retards, abandons constatés sur les différents programmes. Une régulation indépendante des performances de la navigation aérienne peut être un incitateur puissant à son retour puis à son maintien à un niveau d'excellence. Elle serait en mesure de poser un diagnostic objectif sur d'éventuelles nouvelles dérives ».

Les acteurs du secteur du transport aérien, au premier rang desquels les compagnies, partagent le scepticisme du rapporteur quant à la pertinence de l'organisation atypique de la régulation économique du contrôle aérien en France. Ils ont tendance à considérer que la capacité de la DTA à jouer un véritable rôle d'aiguillon en matière de performance du contrôle de la navigation aérienne est extrêmement fragilisée par le fait qu'elle appartienne à la même entité que la DSNA. De ce fait, la DTA serait naturellement et même inconsciemment plus encline à intégrer les contraintes de la DSNA et à lui fixer des objectifs de performance trop peu ambitieux.

Cette « séparation fonctionnelle à la française » est par ailleurs depuis longtemps « dans le collimateur » des instances européennes et a fait l'objet de fortes réserves tant de la part de la Commission européenne que de la Cour des comptes de l'Union européenne en raison de son insuffisance en matière de régulation de la performance des services du contrôle de la navigation aérienne. Dans un rapport de 201767(*), la Cour des comptes européennes pointait notamment du doigt les fragilités de la régulation à la française : « en France, l'ANS et le PSNA doivent faire rapport au même directeur général et partagent des ressources financières provenant d'un budget commun financé essentiellement par les mêmes redevances de navigation que l'ANS est chargée de surveiller en vertu de la réglementation ».

De façon récurrente, notamment dans ses notes d'exécution budgétaire annuelles, la Cour des comptes pointe les limites relatives à « une séparation fonctionnelle largement inachevée entre les fonctions de régulateur et d'opérateur ». Elle a dans le passé prôné « une réorganisation d'ensemble de la DGAC », consistant en une distinction entre d'une part ses activités de nature régalienne, c'est-à-dire essentiellement les missions de régulation économique et de surveillance exercées par la DTA et la DSAC, et d'autre part ses activités de prestations de services, c'est-à-dire l'exploitation du contrôle aérien opérée par la DSNA. Elle a également préconisé par le passé la « mise en place d'une structure distincte et bien identifiée qui exercerait la mission de contrôle aérien »68(*).

Le rapporteur a désormais acquis la ferme conviction que seule une séparation juridique entre la DSNA et son régulateur économique, la DTA, pourra permettre la remise à niveau de la performance du contrôle aérien français et prévenir la répétition de ses dérives passées, notamment s'agissant de ses grands programmes de modernisation technologique.

Deux options principales pourraient permettre de rendre effective cette séparation juridique :

soit rendre autonome, en dehors de la DGAC, les activités de régulation économique exercées aujourd'hui au sein de la DTA et, par cohérence la DSAC tout en maintenant à la DSNA son statut d'administration d'État dépourvue de personnalité juridique propre ;

soit, à l'instar du choix qui a été fait dans la quasi-totalité des autres pays en Europe et même dans le monde69(*), de faire de la DSNA une entité juridique propre, extérieure à la DGAC, sous la forme d'un établissement public voire d'une entreprise publique intégralement détenue par l'État.

Afin de mener à bien de façon plus efficace et plus efficiente les réformes profondes nécessaires pour significativement relever le niveau de performance des services du contrôle de la navigation aérienne en France, le rapporteur a le sentiment que l'autonomisation de la DSNA constitue, à terme, la voie à suivre. Cette perspective est selon lui dans l'intérêt du contrôle aérien comme dans celui des contrôleurs.

3. L'autonomie juridique de la DSNA serait dans l'intérêt du contrôle aérien, des contrôleurs et de la DGAC elle-même

Déjà en 2018, le rapporteur considérait que le statut juridique de la DSNA devait être à terme réformé tant « il contribue de toute évidence à l'inefficacité du système ». Il soulignait que ce sujet allait nécessairement se poser « tant le modèle français apparait de plus en plus en décalage avec celui, plus performant, de nos partenaires européens ».

La création d'une DSNA autonome qui disposerait de la personnalité juridique permettrait notamment d'aligner la gouvernance du contrôle aérien en France sur celle qui prévaut chez nos voisins, à savoir une véritable gouvernance technique, industrielle et stratégique plutôt qu'une gouvernance politique. Cette nouvelle gouvernance permettrait notamment de transformer la culture du contrôle aérien en France en franchissant une première étape préalable indispensable : la reconnaissance que le contrôle aérien relève d'une activité de production de services industriels de haute technologie.

Parce qu'elle seule permettrait réellement de reconnaître leurs spécificités, le rapporteur a en effet acquis la conviction que l'autonomisation de la DSNA serait dans l'intérêt du contrôle aérien et des contrôleurs eux-mêmes. Celle-ci permettrait notamment de réduire les lourdeurs de décision inutiles et propres au fonctionnement de la DGAC et à son statut d'administration centrale directement soumise à l'autorité hiérarchique de son ministre.

L'autonomie de la DSNA permettrait d'installer avec les contrôleurs et leurs organisations syndicales un dialogue plus fin, plus technique, plus proche de leurs préoccupations, de leurs besoins et de leurs aspirations. Ce dialogue exclusivement centré sur les enjeux du contrôle aérien, ne serait plus parasité par des considérations et des intérêts qui lui sont extérieurs. L'efficacité de ce dialogue serait améliorée par une simplification des circuits de décision qui ne conduiraient plus, comme c'est trop souvent le cas aujourd'hui, à ce que les tutelles interministérielles voire même le cabinet du premier ministre aient à statuer sur des questions éminemment techniques qui n'ont pas vocation à être arbitrées par les décideurs politiques.

En corrigeant ces défauts inhérents au fonctionnement de l'organisation actuelle, l'autonomisation de la DSNA lui ouvrirait de nouvelles perspectives en matière de performance.

Une telle autonomie serait dans l'intérêt des contrôleurs aériens et de leur pouvoir d'achat dans la mesure où, libérée du « coût de l'unité » de la DGAC, la DSNA disposerait de marges de manoeuvre beaucoup plus larges, y compris budgétaires. Aujourd'hui noyés dans la DGAC, le contrôle aérien et les contrôleurs feraient l'objet, comme ailleurs en Europe, d'un cadre et d'un traitement permettant de reconnaître pleinement leurs particularités.

Loin d'affaiblir la DGAC, le rapporteur est convaincu qu'une telle réforme aurait vocation à lui redonner un nouveau souffle. En la déchargeant de la gestion quotidienne d'un prestataire de contrôle de la navigation aérienne, une activité de nature purement industrielle et commerciale, elle recentrerait la DGAC sur ce qui constitue sa vraie légitimité, à savoir ses missions régaliennes. Elle lui donnerait l'occasion de réaffirmer ce pouvoir régalien dans toute sa plénitude et dans toute son indépendance. Dans le domaine aérien, la DGAC redeviendrait le véritable bras séculier de l'État régulateur.

Fort de ces convictions, le rapporteur recommande au Gouvernement de créer sans délais une commission dont la lettre de mission serait de se prononcer d'ici à la fin de l'année 2025 sur l'opportunité d'une réforme profonde de la gouvernance de l'aviation civile en France qui viserait à rendre, d'ici à la fin de la décennie, la DSNA structurellement et juridiquement indépendante de l'actuelle DGAC.

La composition de cette commission devra nécessairement être très large pour intégrer à la réflexion l'ensemble des parties prenantes : les administrations d'État concernées, des parlementaires, les organisations syndicales représentatives des personnels de la DGAC ainsi que tous les acteurs de l'économie du transport aérien concernés par une telle réforme.

Recommandation n °3 : créer immédiatement une commission élargie à toutes les composantes de l'État intéressées, au Parlement, aux organisations syndicales ainsi qu'à l'ensemble des acteurs du transport aérien qui aurait pour mission de se prononcer d'ici à la fin de l'année 2025 sur l'opportunité d'une réforme profonde de la gouvernance de l'aviation civile en France qui viserait à rendre, d'ici à la fin de la décennie, la DSNA structurellement et juridiquement indépendante de l'actuelle DGAC.


* 64 Un service à compétence nationale.

* 65 Règlement (CE) n° 550/2004 du Parlement Européen et du Conseil du 10 mars 2004 relatif à la fourniture de services de navigation aérienne dans le ciel unique européen.

* 66 Le règlement précité prévoit ainsi que « les autorités nationales de surveillance sont indépendantes des prestataires de services de navigation aérienne. Cette indépendance est réalisée par une séparation adéquate entre les autorités nationales de surveillance et ces prestataires, au moins au niveau fonctionnel ».

* 67 Rapport spécial n° 18/2017 « Le ciel unique européen : un changement d'ordre culturel, mais pas de véritable unification » (décembre 2017).

* 68 Rapport public thématique sur le contrôle de la navigation aérienne, Cour des comptes, novembre 2002.

* 69 Les Etats-Unis et la France constituant les deux principales exceptions à cette règle.

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