C. LA RÉNOVATION ÉNERGÉTIQUE EN ZONE PROTÉGÉE, UNE OPPORTUNITÉ POUR LE RENFORCEMENT DE LA MISSION DES ABF

Les consultations conduites par la mission d'information ont enfin permis d'aborder de manière approfondie l'épineux sujet de la conciliation entre la protection du bâti patrimonial ancien et les impératifs de la transition écologique, qui est apparu, au fil des auditions et des réponses à la consultation en ligne, comme l'une des préoccupations majeures des élus locaux, des habitants des zones protégées et des différents acteurs du patrimoine.

Si la prise en compte de ces deux objectifs se fait aujourd'hui bien souvent sur le mode de la confrontation et concentre une large part des frictions constatées entre les ABF et les élus locaux, la mission d'information a également pu constater que le traitement de cette question, qui souffre d'un manque criant de ressources et d'expertise technique, constitue un réel besoin pour les pétitionnaires particuliers et les élus, et par là une opportunité majeure pour le renforcement de la mission de conseil et d'accompagnement des ABF.

1. Entre la préservation du patrimoine bâti et la poursuite de la transition énergétique, une aporie à dépasser
a) Deux objectifs également impérieux et apparemment inconciliables

Au terme de ses auditions, la mission d'information estime que la protection du patrimoine bâti des zones protégées et l'accélération de la transition énergétique des logements constituent deux objectifs également impérieux, qui doivent être poursuivis avec la même vigueur au travers de l'action publique. Parce qu'il offre un cadre de vie de grande qualité à nos concitoyens, qu'il permet un accès premier et immédiat à la culture et à l'histoire, et qu'il recèle un important potentiel de développement touristique et donc économique, le patrimoine bâti doit être préservé. Parce que la crise climatique impose de réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre résultant du contrôle de la température des logements, mais aussi parce que de nombreux ménages vivant dans des passoires énergétiques subissent les conséquences de la récente hausse des prix de l'énergie, la rénovation thermique du bâti ancien doit être poursuivie et accélérée, et l'installation de dispositifs de production d'énergies renouvelables en milieu urbain encouragée.

La plupart des membres de la mission ont cependant fait l'expérience directe, au sein de leur circonscription, de la difficile conciliation entre ces deux enjeux dans le cadre des autorisations d'urbanisme sollicitées pour la rénovation des logements situés en zone protégée. Cette intuition première a été largement confirmée par les auditions menées et les déplacements effectués, durant lesquels la question a été presque systématiquement abordée, et les réponses au questionnaire adressé aux élus locaux, un grand nombre de répondants ayant spontanément106(*) abordé le sujet en le plaçant au coeur de leurs tensions avec l'ABF de leur territoire.

Il semble que ces difficultés résultent principalement de trois obstacles, qui découlent en partie de l'action des ABF :

- un obstacle esthétique : l'utilisation de certains matériaux (notamment le PVC pour le remplacement des menuiseries) et de certaines techniques de rénovation (l'isolation par l'extérieur qui, aux termes d'Albéric de Montgolfier, « tue le caractère ancien des bâtiments » en le masquant), dès lors qu'elle touche à l'aspect extérieur des bâtiments, nuit à l'harmonie architecturale des zones protégées et tend à uniformiser les façades, au détriment de la diversité territoriale du patrimoine bâti. De la même façon, l'installation de panneaux photovoltaïques visibles sur les toitures crée une rupture dans l'unité architecturale de ces zones. Les demandes portant sur de telles opérations sont donc régulièrement refusées par les ABF ;

- un obstacle financier : les techniques et matériaux de rénovation respectueux du bâti ancien, préconisés par les ABF dans leurs avis, sont aussi bien souvent les plus coûteux à l'achat (notamment les menuiseries en bois) ou les plus contraignants pour les propriétaires et les occupants (l'isolation par l'intérieur, par exemple, rogne sur la surface des logements). Jean-Philippe Lefèvre, président de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture, a fait part en ces termes de la délicate position des élus locaux devant cette aporie : « Ce qu'un élu local voit, c'est que des personnes n'arrivent pas à se loger et que d'autres ne peuvent plus payer le chauffage parce qu'elles sont dans des passoires énergétiques où les coûts d'adaptation et d'isolation, compte tenu d'un certain nombre de préconisations, sont trop élevés pour le propriétaire bailleur ».

Face à cette difficulté, il n'existe pas de circuit de soutien financier et d'aides ciblées adaptés aux besoins des propriétaires d'édifices protégés ou même classés, qui doivent dès lors intégralement supporter les frais de leur réhabilitation énergétique. Alexandra Proust, juriste au sein de l'association La Demeure historique, a ainsi regretté l'absence de « subventions spécifiques à la restauration des monuments intégrant des circuits de transition énergétique. Les subventions actuelles sont pour la restauration et l'entretien du monument, jusqu'à 40 % maximum pour les inscrits, sans limitation pour les classés, mais avec un cumul possible de subventions publiques allant jusqu'à 100 % - dans les faits, cette proportion n'est jamais atteinte. Il n'y a pas de subventions spécifiques à la restauration énergétique, mais on peut intégrer des solutions de transition énergétique lors de travaux de restauration ; ces solutions sont alors subventionnées alors dans le cadre de l'enveloppe globale. [...] Toutes les solutions possibles sont, pour l'instant, aux frais des propriétaires ».

- un obstacle technique et réglementaire : de nombreux interlocuteurs de la mission ont souligné l'inadéquation de la réglementation applicable en matière de rénovation énergétique aux spécificités du bâti ancien, dont les performances thermiques diffèrent, d'une région à l'autre, selon les techniques de construction et les matériaux utilisés. Or, le diagnostic de performance énergétique (DPE), qui constitue aujourd'hui un outil central de la rénovation thermique des logements et conditionne notamment la possibilité de placer un logement en location, est standardisé sur le modèle des constructions modernes. La fédération Patrimoine-Environnement estime à ce propos que lorsqu'il est « appliqué sans discernement au bâti ancien, le dispositif de normes énergétiques (DPE) est [...] une « catastrophe patrimoniale programmée » - paradoxalement encouragée par des aides publiques - fondée sur une erreur d'appréciation de ce qu'est la nature même de ce patrimoine ».

Deux sujets concentrent l'essentiel des crispations : l'insertion de dispositifs de production d'énergies renouvelables dans le paysage urbain, et notamment l'implantation de panneaux photovoltaïques dans la zone des abords d'un monument historique, d'une part ; la réhabilitation énergétique des édifices situés dans cette zone, notamment lorsque les travaux de rénovation énergétique mis en oeuvre portent sur le remplacement des menuiseries ou une isolation par l'extérieur. Dans les deux cas, les demandes d'autorisation d'installation sont examinées par les ABF, dont les refus suscitent l'incompréhension des pétitionnaires et des élus locaux dans le contexte de la multiplication des messages visant à promouvoir l'écologie des modes de vie.

Le sujet est d'autant plus sensible qu'il s'inscrit au coeur de la vie quotidienne des habitants et propriétaires des zones protégées. François de Mazières, maire de Versailles, l'a exprimé en ces termes devant la mission d'information : « [...] la ville de Versailles, malgré sa protection très particulière, est comme toutes les villes, avec quatre quartiers totalement sociaux, des quartiers pavillonnaires, etc. La plus forte confrontation avec l'ABF se trouve dans les quartiers pavillonnaires, notamment en ce qui concerne les fenêtres en PVC, les couleurs des fenêtres, les panneaux photovoltaïques [...] ».

b) Pour une réhabilitation écologique du bâti patrimonial

• La mission d'information observe que cette apparente contradiction entre transition écologique et maîtrise des dépenses d'une part, et réhabilitation du bâti patrimonial de l'autre, ne résiste cependant pas à un examen plus poussé des situations qui se présentent concrètement sur le terrain.

Sur le plan des performances énergétiques tout d'abord, de nombreuses constructions anciennes, édifiées au moyen de matériaux et de savoir-faire traditionnels, se révèlent particulièrement efficaces pour assurer le confort thermique d'été, qui devient crucial alors que le réchauffement climatique connaît une accélération. Il n'est donc pas souhaitable de porter atteinte aux propriétés du bâti permettant cette inertie thermique, qui permet d'éviter dans certaines régions l'installation de climatiseurs particulièrement énergivores. En ce qui concerne le confort thermique d'hiver, de nombreux savoir-faire traditionnels, telle que la technique de l'enduit à la chaux promue par l'association des Maisons paysannes de France, permettent également de répondre aux nécessités de la transition énergétique sans dénaturer les bâtiments ; reste cependant à les promouvoir et à déployer des aides permettant aux ménages d'y recourir effectivement. La fondation Patrimoine-Environnement souligne ainsi que la transition énergétique doit « [s'appuyer] beaucoup plus, en les encourageant financièrement, sur les matériaux et les savoir-faire patrimoniaux ».

Sur le plan financier ensuite, il apparaît qu'un recours systématique et inadapté aux techniques de rénovation énergétiques « modernes » sur le bâti ancien peut dégrader de manière parfois irréversible les édifices, occasionnant sur le temps long des dépenses bien plus élevées que celles qui auraient résulté d'une réhabilitation respectueuse des propriétés du bâtiment et conduisant à un inacceptable gaspillage d'argent public. Albéric de Montgolfier a ainsi rappelé qu'« une isolation par l'extérieur mal faite, qui enferme de l'humidité, peut conduire à des conséquences dramatiques et irréversibles, notamment pour les maisons avec des pans de bois, dont le développement de mérule, faute de laisser respirer le bâtiment ». L'ABF exerce alors un rôle de premier plan pour décourager les initiatives délétères, voire dangereuses pour le bâti, ainsi que l'a souligné Raphaël Gastebois : « Pour une maison ancienne qui a les pieds dans l'eau [...] avec des échanges gazeux permettant d'évacuer l'humidité vers l'extérieur, faire une isolation par l'extérieur, c'est condamner à mort sa maison sous 15 ou 20 ans. Voir de l'argent public investi, y compris sous forme d'incitations fiscales, ou lancer des injonctions à réaliser ce type de travaux nous semble aberrant. Nous sommes donc ravis quand un ABF émet un avis défavorable au titre de la défiguration de la façade. Cependant, cela crée parfois un malentendu, car la personne ou l'élu local peut croire que l'ABF ne réagit que par rapport à des questions esthétiques. En réalité, il y a un véritable problème technique qui risquerait de survenir si ce type de projet était mené à terme. ». Les coûts supplémentaires induits par les recommandations des ABF sont alors amortis dans le temps.

Certains matériaux et techniques de rénovation contemporains sont par ailleurs moins durables dans le temps que leurs équivalents traditionnels, ce qui oblige à leur remplacement plus fréquent - ce qui est bien sûr dommageable sur le plan financier comme sur le plan écologique. Christophe Leribault a ainsi souligné que « dans le cas des fenêtres, contenir la diffusion du polychlorure de vinyle (PVC) est une grande cause nationale ! Le PVC ne tient pas dans le temps, alors que des fenêtres en bois qui ont été posées au XVIIIe siècle tiennent encore. Sur ce point, patrimoine et écologie se rejoignent ».

Alors qu'une politique du logement respectueuse de l'écologie passera nécessairement par la réhabilitation du parc existant plutôt que par la construction énergivore de nouveaux édifices, ces différents éléments devront être pris en compte par les politiques publiques dans le cadre d'une promotion de la réhabilitation durable des édifices, qui devra permettre de garantir leur confort d'occupation et donc la pérennité de leur habitabilité sur le temps long.

• Il semble au total que les difficultés aujourd'hui constatées sur le terrain dans la rénovation énergétique des logements situés en zone protégée résultent principalement de l'absence d'une véritable prise en compte des propriétés spécifiques du bâti patrimonial dans les différents outils mis en avant par les politiques publiques.

Cette inadaptation des outils et référentiels actuels de la rénovation énergétique, au premier rang desquels le DPE, a été pointée par Sabine Drexler dans le rapport de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport consacré à la rénovation énergétique du bâti patrimonial107(*). Raphaël Gastebois, vice-président de l'association Veilles maisons françaises, a souligné en ces termes l'incohérence de la situation actuelle : « Quelqu'un qui n'a pas fait d'isolation extérieure, qui n'a pas mis de panneaux solaires, qui n'a pas une pompe à chaleur et qui n'a pas de double ou triple vitrage peut néanmoins être vertueux en matière d'écologie. S'il évite de chauffer l'entrée à 20 degrés ou la cage d'escalier à outrance, s'il a une manière traditionnelle d'habiter sa maison, il sera très économe en énergie. De plus, s'il utilise des matériaux traditionnels, qui sont par définition biosourcés, il sera également vertueux. Mais il est très compliqué aujourd'hui de respecter la réglementation tout en ayant une attitude vertueuse envers son patrimoine ». La fondation Patrimoine-Environnement a enfin pointé le caractère aberrant de la structure actuelle des aides financières publiques à la rénovation, qui se focalisent sur des solutions techniques délétères pour le bâti patrimonial.

À l'inverse, le développement de solutions innovantes de rénovation énergétique respectueuses des éléments patrimoniaux des édifices offre des perspectives enthousiasmantes pour l'avenir. Lors de son déplacement à Lyon, la mission d'information a ainsi pu observer la qualité de la rénovation de la cité des États-Unis résultant notamment de l'utilisation d'un enduit aux propriétés isolantes spécifiques, qui a permis de conserver les éléments architecturaux spécifiques du projet initial de Tony Garnier. L'enjeu est donc ici d'assurer une incitation financière permettant de développer le recours à grande échelle à de telles solutions, qui ont aujourd'hui un coût important et sont inaccessibles à la plupart des ménages.

2. La place centrale de l'ABF dans la refondation des politiques de soutien à la rénovation énergétique du bâti ancien

Face à cette situation, le dépassement de l'apparente contradiction entre préservation du patrimoine bâti et poursuite de la transition énergétique suppose avant tout une modification en profondeur des dispositifs de soutien public aux opérations de rénovation et de réhabilitation du bâti ancien.

L'acceptabilité sociale d'une nouvelle norme de réhabilitation durable des édifices situés en zone protégée, fondée sur le recours à des techniques et à des matériaux durables mais souvent coûteux, dépendra par ailleurs largement de la pédagogie qui pourra être déployée sur le terrain par les ABF dans le cadre de leur mission de contrôle d'urbanisme.

À ce titre, l'enjeu de la rénovation énergétique en zone protégée constitue une formidable opportunité pour le développement de la mission de conseil et d'accompagnement des ABF.

a) Les premières mesures prises par l'administration sont encourageantes mais encore insuffisantes

Devant l'urgence de la situation et le caractère aigu des difficultés rencontrées sur le terrain, plusieurs évolutions ont été mises en oeuvre ou sont en cours d'élaboration par les pouvoirs publics.

À l'image du directeur général des patrimoines et de l'architecture, plusieurs interlocuteurs de la mission ont tout d'abord fait part d'un changement profond de leur manière de travailler sur ces sujets, qui appellent à une importante coopération interministérielle. Les administrations rattachées aux ministères de la culture, de la transition énergétique et de la transition écologique et de la cohésion des territoires ont ainsi travaillé ensemble à l'élaboration de l'instruction sur l'insertion paysagère des panneaux solaires précitée. Le guide d'aide à la rédaction de recommandations de travaux pour le DPE et l'audit énergétique, dont la rédaction a été confiée au Cerema, résulte également d'un travail conjoint et comporte un chapitre dédié au bâti ancien élaboré par la DGPA du ministère de la culture. D'une manière générale, le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires et le ministère de la culture ont engagé plusieurs collaborations visant à améliorer la prise en compte des caractéristiques du bâti ancien et patrimonial par les diagnostiqueurs immobiliers, les auditeurs énergétiques et l'ensemble des acteurs de la rénovation énergétique du bâti ancien.

Jean-François Hébert a par ailleurs annoncé la revue prochaine des aides dédiées à la rénovation énergétique du bâti patrimonial, ce qu'a confirmé en ces termes Yannick Pache, chef du bureau de la réhabilitation du parc et des évaluations économiques de la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) : « Nous sommes en discussion pour obtenir des barèmes d'aide qui tiennent compte, à partir de 2025, du bâti ancien en réfléchissant à la coordination entre les dispositifs existants, y compris, par exemple, en incluant le bâti patrimonial relevant de la loi Malraux ».

Plusieurs travaux visant à l'adaptation du DPE aux spécificités du bâti patrimonial ont en outre été signalés par les interlocuteurs de la mission. Sans remettre en cause l'existence même de cet outil108(*), la DGPA du ministère de la culture et la DGALN du ministère de la transition écologique s'accordent pour préconiser l'association au DPE d'un diagnostic architectural préalable : selon la DGALN, « les études du CREBA montrent que chaque configuration de bâtiment ancien est absolument unique, justifiant la réalisation d'un diagnostic architectural et patrimonial spécifique avant chaque rénovation ». Depuis le second semestre 2023, un arrêté109(*) et un décret110(*) prévoient que la formation initiale des diagnostiqueurs immobiliers et des auditeurs énergétiques inclue obligatoirement des études de cas portant sur le bâti ancien. La DGALN travaille par ailleurs à l'amélioration de l'accompagnement des professionnels dans la réalisation des DPE portant sur le bâti ancien.

Les mesures d'accompagnement des professionnels
mises en oeuvre par la DGALN pour la réalisation de DPE sur le bâti ancien

La DGALN a indiqué à la mission d'information qu'un levier d'amélioration de la prise en compte des spécificités du bâti ancien dans le DPE reste l'accompagnement des professionnels sur le sujet. Ainsi, plusieurs actions sont en cours de réalisation dans le cadre de la feuille de route « Améliorer la qualité de réalisation des DPE » :

- limiter la saisie de valeurs par défaut en sensibilisant les propriétaires (fourniture des justificatifs) grâce à la fiche de préparation du DPE distribuée en amont de la visite, ainsi qu'en sensibilisant les diagnostiqueurs sur l'importance des mesures (dont des sondages destructifs) dans ce type de bâti ;

- renforcer la formation des professionnels en imposant au moins une étude de cas bâti ancien lors de la formation initiale, ainsi que l'exigence précise de connaissances sur les spécificités de ce type de bâtiments lors du passage de l'examen initial, dont le contenu a été travaillé avec le ministère de la culture - cette obligation est entrée en vigueur au 1er juillet 2024, dans le cadre de la refonte de l'arrêté encadrant les compétences des professionnels - ;

- compléter le guide d'accompagnement des diagnostiqueurs afin de détailler plus précisément les spécificités de ce type de bâti, et les contraintes à prendre en compte dans leur traitement, non seulement dans les mesures mais aussi dans les recommandations de travaux.

Enfin, plusieurs mesures visant à l'amélioration des opérations de rénovation énergétique du bâti patrimonial sont entrées en application ou en cours de préparation par les ministères. Selon la DGALN, « les deux ministères partagent le constat qu'il est possible de rénover des bâtiments patrimoniaux, et même d'atteindre des niveaux de performance énergétique très satisfaisants dans un grand nombre de cas ». Les actions mises en oeuvre couvrent principalement deux axes :

- l'amélioration de la formation des acteurs de la rénovation énergétique. Des études de cas spécifiques au bâti ancien ont ainsi été intégrées aux modules de formation à la rénovation énergétique FEEBAT destinés aux artisans et aux architectes maîtres d'oeuvre du bâtiment. Un arrêté du 21 décembre 2022 a également prévu que les accompagnateurs à la rénovation (MonAccompagnateurRénov', MAR'), qui ont une position stratégique de prescripteurs de travaux, doivent détenir des compétences concernant les principes constructifs et les pathologies liés au bâti ancien et récent et connaître les règles relatives au confort d'hiver et d'été. La mission d'information estime nécessaire qu'un premier bilan de la mise en oeuvre de ces mesures de formation, y compris celle des diagnostiqueurs, soit établi dès le début de l'année 2025 ;

- la définition et la diffusion de bonnes pratiques pour la rénovation énergétique du bâti patrimonial. En complément aux éléments déjà disponibles sur le site Internet du centre de ressources pour la réhabilitation responsable du bâti ancien (CREBA), le guide consacré à la rénovation énergétique du bâti ancien précité, attendu pour la fin 2024, est en cours de rédaction en étroite collaboration entre les différents ministères compétents. Après le succès de l'expérimentation conduite entre 2020 et 2022, une réflexion est par ailleurs en cours avec l'association Effinergie111(*) pour la création d'un label « Effinergie et patrimoine ».

Si ces premières mesures sont bien entendu indispensables et vont dans le bon sens, la mission d'information ne peut cependant que constater qu'elles devront être poursuivies et approfondies avec détermination afin de faire face à l'urgence des enjeux.

b) Constituer l'ABF en pôle d'expertise au service d'une réhabilitation patrimoniale durable

Surtout, si la définition de lignes directrices et le déploiement d'outils de soutien financier apportent un indispensable cadrage, c'est en pratique à l'ABF qu'il revient de mettre en oeuvre sur le terrain l'équilibre encore introuvable entre protection du patrimoine et transition écologique, dans le cadre de l'examen quotidien des demandes d'autorisation qui lui parviennent et des recommandations qu'il formule à cette occasion.

La conduite de la transition énergétique du patrimoine bâti ne peut en effet s'affranchir du contact direct avec le terrain dont l'ABF est le garant. Ainsi qu'il l'a été rappelé à la mission d'information lors de son déplacement à l'UDAP du Rhône, les enjeux de la transition écologique dans le domaine de l'architecture dépassent la seule maîtrise technique et réglementaire, dont une application mécanique sur l'ensemble du territoire risquerait de conduire à la banalisation et à l'appauvrissement du cadre de vie. Seul le regard de l'architecte, et notamment de l'ABF - dans la mesure où la grande majorité des projets de rénovation sont conduits sans l'appui d'un architecte qualifié -, permet d'assurer l'articulation des contraintes environnementales, économiques et sociétales propres à chaque projet.

Sa position doit dès lors être confortée afin de lui permettre d'accompagner au mieux la transition à venir ; trois orientations ont à ce titre été identifiées par la mission d'information.

• En premier lieu, les préconisations des ABF ne pourront être utilement reçues et appliquées par nos concitoyens qu'à la condition d'être inscrites dans un système global et cohérent de soutien public à la rénovation énergétique du bâti ancien.

En d'autres termes, les préconisations des ABF, plus pertinentes aux plans fonctionnel, esthétique et technique mais souvent plus immédiatement coûteuses que d'autres solutions, ne pourront être appliquées qu'à la condition que les ménages disposent des ressources suffisantes pour ce faire.

Cette évidence a été soulignée de la manière suivante par Julien Lacaze, président de l'association Sites et monuments : « Des démarcheurs vendent des produits onéreux et peu durables. Les ABF peuvent forcer à investir dans des matériaux plus coûteux, mais qui sont plus durables. Ainsi, l'investissement sera rentable. Les ABF empêchent aussi des propriétaires de rendre leur maison ancienne dysfonctionnelle et de ne pas respecter la logique de circulation de l'air et de l'humidité. Mettre du polystyrène sur les murs ou remplacer des portes par des blocs-portes en PVC coûte cher et crée des désordres auxquels il faut ensuite remédier, ce qui est absurde. Si les décisions des ABF entraînent des coûts supplémentaires, ces derniers sont amortis dans le temps ».

La mission d'information estime en conséquence que le chantier de la refonte des aides publiques à la rénovation énergétique doit être mené de manière prioritaire, avec un double objectif : il s'agit non seulement de développer le soutien financier aux techniques de rénovation énergétiques respectueuses du bâti patrimonial, mais également de décourager le recours aux techniques potentiellement délétères sur le bâti ancien.

Recommandation n° 21 : Refonder le dispositif d'aides publiques aux opérations de réhabilitation énergétique des logements de manière à développer le soutien financier aux techniques de rénovation énergétique respectueuses du bâti patrimonial, mais également à décourager le recours aux techniques potentiellement délétères pour le bâti ancien.

Dans la mesure où il oriente en large part les options retenues par les particuliers et les collectivités dans le cadre de leurs travaux de rénovation énergétique, qui peuvent entrer en conflit avec les préconisations des ABF, la mission estime également indispensable d'accélérer les évolutions engagées par la DGALN quant à l'adaptation du DPE aux spécificités du bâti patrimonial ancien, conformément à la première recommandation du rapport précité de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport sur le patrimoine et la transition écologique. Cette accélération doit notamment passer par un enrichissement rapide du guide d'accompagnement utilisé par les diagnostiqueurs, afin qu'y figure l'ensemble des matériaux et techniques pertinents pour la rénovation du bâti ancien.

Recommandation n° 22 : Accélérer l'évolution engagée par le ministère de la transition écologique sur l'adaptation du DPE aux spécificités du bâti patrimonial ancien, notamment en intégrant l'ensemble des matériaux et techniques pertinents pour ce type de bâti dans le guide d'accompagnement des diagnostiqueurs.

• La mission d'information estime en second lieu indispensable de définir la réhabilitation du bâti ancien comme un objectif partagé entre les différents acteurs du secteur de la rénovation.

Cette évolution pourrait en premier lieu passer par une modification de l'article 1er de la loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture112(*), dont le deuxième alinéa définit l'intérêt public attaché à l'exercice de la profession d'architecte. Selon les dispositions actuellement en vigueur, sont considérées comme d'intérêt public la création architecturale, la qualité des constructions, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant, le respect des paysages naturels ou urbains ainsi que du patrimoine. Cette liste pourrait être utilement complétée par la mention de la réhabilitation des constructions existantes.

Selon plusieurs interlocuteurs de la mission d'information, une telle reconnaissance correspondrait à un mouvement de fond déjà enclenché au sein de la profession : tandis qu'Hélène Fernandez, directrice adjointe au directeur général des patrimoines et de l'architecture, a considéré que « la réhabilitation est le nouvel espace de la création architecturale », Hugo Franck, président du Syndicat de l'architecture, a indiqué constater « une demande forte de formation en lien avec le bâti existant, ainsi qu'une demande grandissante de formation sur des techniques constructives qui étaient bien connues et appliquées auparavant, et qui le sont moins aujourd'hui. Nous avons le sentiment que de nombreux architectes révisent leur mode de fonctionnement et leur mode de création. Il existe une appétence forte pour la réhabilitation et pour la ruralité ». Hugo Franck a également relevé que « l'intervention sur le bâti existant est au coeur de l'activité, et elle le sera de plus en plus dans un monde où l'on construira de moins en moins, puisqu'il n'est pas toujours utile de construire lorsqu'il existe tant de bâtiments à réhabiliter. [...] Une prise de conscience des vertus de la réhabilitation est indispensable ».

Une telle évolution, par l'affirmation claire de ce que la réhabilitation du patrimoine bâti relève d'un objectif partagé entre tous les professionnels de l'architecture, permettrait de renforcer la portée des messages diffusés dans les avis et recommandations des ABF et de disposer de nouveaux médiateurs auprès des pétitionnaires et les élus locaux en amont de leurs décisions.

Recommandation n° 23 : Compléter l'article 1er de la loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture pour faire figurer la réhabilitation des constructions parmi les activités architecturales d'intérêt public.

• Le renforcement de la mission de conseil et d'accompagnement des ABF, indispensable au succès de la réhabilitation énergétique des logements situés en zone protégée, suppose en dernier lieu que l'ABF puisse dégager du temps et disposer de ressources dédiées au sein de son administration.

Outre le renforcement des effectifs des UDAP déjà préconisé par la mission, cet objectif suppose un affichage clair de cette priorité au sein de l'administration culturelle, qui pourrait passer par la nomination d'un référent pour la transition énergétique et environnementale dans chaque DRAC.

Recommandation n° 24 : Nommer un référent en matière de transition énergétique et environnementale au sein de chaque DRAC.


* 106 Le questionnaire envoyé ne comportait pas de question portant spécifiquement sur ce sujet, qui a cependant été abordé dans le cadre de réponse libre proposée aux participants. Une analyse statistique a fait apparaître que les mots « panneaux solaires » et « panneaux photovoltaïques » sont ceux qui sont le plus souvent revenus dans ce cadre de réponse.

* 107 Patrimoine et transition écologique : d'une pierre deux coups, Rapport d'information n° 794 (2022-2023), déposé le 28 juin 2023.

* 108 La DGALN estime sur ce point que « le DPE, en tant qu'outil de mesure de la performance thermique, a vocation à rendre compte de façon neutre et indépendante de la performance énergétique des bâtiments, quelles que soient leurs caractéristiques techniques, physiques, architecturales ou patrimoniales. La mise en place d'un DPE « bâti ancien » pourrait laisser penser que l'on cherche à cacher la réalité physique des transferts thermiques présents dans ces bâtiments. »

* 109 Arrêté du 20 juillet 2023 définissant les critères de certification des diagnostiqueurs.

* 110 Décret n° 2023-1219 du 20 décembre 2023 définissant le référentiel de compétences et les modalités de contrôle de ces compétences pour les diagnostiqueurs immobiliers en vue de la réalisation de l'audit énergétique.

* 111 Créée en 2006, le collectif Effinergie est une association d'intérêt général qui oeuvre à la promotion de la construction et de la rénovation de bâtiments à basse consommation d'énergie. Elle développe notamment des labels préfigurateurs permettant de faire émerger des thématiques innovantes et d'anticiper les futures réglementations.

* 112 Loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l'architecture.

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