B. UN COÛT TOTAL DE LA COMMANDE PUBLIQUE UNIVERSITAIRE MÉCONNU MAIS ESTIMÉ À PLUSIEURS MILLIARDS D'EUROS

1. Le montant global de la commande publique universitaire : mal chiffré, important, en forte hausse
a) Faute de données nationales consolidées, un coût budgétaire compris entre 2,5 et 10 milliards d'euros

Cette gouvernance multiple et l'absence de suivi consolidé effectué par le ministère entraînent d'extrêmes difficultés à reconstituer le coût global des achats publics dans l'enseignement supérieur.

La DAE estime à environ 2,5 milliards d'euros le volume annuel des achats des universités et assimilés, auxquels s'ajoutent 1,4 milliard d'euros pour les établissements publics scientifiques et techniques (EPST)5(*). Ce montant n'est qu'une estimation établie « en croisant diverses sources d'information disponibles et en interrogeant ponctuellement des établissements », dès lors que la DAE, pas plus que le ministère de l'enseignement supérieur, n'ont accès au détail des cartographies des achats des établissements publics.

Cette estimation paraît déjà importante, et conduirait à ce que les universités représentent 1,4 % du montant total de la commande publique.

Les montants fournis par la DGESIP, évalués à partir d'une extraction des comptes correspondant à des dépenses relevant de la commande publique, sont cependant d'une toute autre ampleur. L'administration aboutit à un montant total annuel en 2022 et 2023 compris entre 8 milliards d'euros et 10 milliards d'euros pour les seules universités. Cela représenterait 5,6 % du montant total de la commande publique en 2023.

Montant total des achats des universités sur la base des données de la DGESIP

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les données de la DGESIP

Il convient de noter un quasi-doublement du montant total entre 2017 et 2023, sous l'effet d'une hausse régulière accentuée entre 2021 et 2022 du fait de la forte inflation. En effet, le montant transmis pour 2017 serait davantage proche de 5 milliards d'euros, soit une hausse de 63 % en 6 ans.

Les données sont toutefois partielles pour certaines années pour trente universités. En extrapolant à partir des données fournies et en complétant pour les années manquantes, le rapporteur spécial estime que le montant total des achats, si l'on accepte la véracité des données transmises par la DGESIP, serait de 9,5 milliards d'euros en 2023.

Ces estimations doivent être prises avec une extrême prudence. Le rapporteur spécial ne saurait que s'étonner de certaines valeurs paraissant aberrantes dans les données fournies par la DGESIP. Ainsi, les valeurs transmises pour l'université d'Aix-Marseille évoluent d'une année sur l'autre du simple au triple et atteignent, à en croire les données transmises par la DGESIP au rapporteur spécial, plus d'un milliard d'euros certaines années, ce qui est manifestement en décalage avec les dépenses réelles de l'université.

Les montants estimés par l'Observatoire économique de la commande publique sont près de dix fois moins élevés. Ils ne comprennent cependant pas l'ensemble des achats et ne sont pas basés sur les données relatives à l'exécution des marchés, de sorte qu'ils ne constituent pas non plus une référence fiable. En revanche, on remarque que les évolutions tendancielles sont les mêmes que celles observées par la DGESIP, à savoir une forte hausse des montants des achats des universités en 2021 et 2022.

Montants des marchés publics recensés pour les universités
par l'observatoire économique de la commande publique

(en millions d'euros)

Exercice de recensement

Montant des marchés

2019

292,18

2020

436,77

2021

1 072,96

2022

745,72

Source : commission des finances d'après l'observatoire économique de la commande publique

Le principal constat est donc surtout l'absence de connaissance précise et fiable, dès lors que les montants vont du simple au triple selon les administrations interrogées. Au vu de l'importance des montants en jeu, le rapporteur spécial est surpris de l'absence de connaissances plus précises, découlant, comme cela sera développé ci-dessous, de l'absence de système d'information consolidé.

Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche procède néanmoins à des enquêtes. Ainsi, en 2019-2020, un questionnaire avait été adressé à 49 établissements (28 universités et 21 écoles), permettant essentiellement de constater de grandes variations des volumes d'achats déclarés par les établissements.

Ces enquêtes n'ont cependant pas d'impact mécanique en termes budgétaires, ne serait-ce que parce que le ministère ne tient pas directement compte de l'évolution du montant des achats dans le mode de calcul des subventions pour charges de service public (SCSP) des universités. L'administration se borne à indiquer que « dans l'exercice de leurs rôles de tutelle financière et de contrôle budgétaire, la DGESIP et les rectorats s'assurent de la soutenabilité budgétaire des établissements et, de facto, de leurs capacités à honorer ces dépenses potentielles ». Le rapporteur spécial s'interroge néanmoins sur le dimensionnement de ce contrôle, condamné à rester superficiel, faute de transmission automatique des données.

À titre d'exemple, en 2021 et 2022, la DAE et la DGESIP ont conduit des travaux avec 5 universités (Aix-Marseille, Bordeaux, Clermont-Auvergne, Lorraine et Strasbourg) dans le cadre général d'un plan achat de l'État. L'un des deux objectifs de ce plan était de produire des économies budgétaires pour les opérateurs ; l'autre, de développer les achats innovants et responsables. L'analyse préalable de la fonction achats des universités a été confiée aux cabinets McKinsey et EPSA. Cependant, « la deuxième phase d'identification des actions d'économies et de transformation puis la troisième phase de mise en oeuvre ont été repoussées compte tenu de la fin du marché d'accompagnement de la DAE avec les cabinets McKinsey et EPSA »6(*). Il est regrettable de ne pas être parvenu au bout de la démarche, même si cette étude ne portait que sur 5 universités.

En outre, le montant total des achats publics est extrêmement variable selon les universités. D'après les données de la DGESIP, il est ainsi en 2023 de 15 millions d'euros pour l'université de Nîmes, de 22 millions d'euros pour l'université d'Avignon et de 457,4 millions d'euros pour l'université Paris Saclay. Il est également extrêmement variable selon les années, le lancement de gros projets, en particulier immobiliers, entraînant un sursaut ponctuel qui ne reflète pas le niveau moyen des achats. Ainsi, les achats de l'université d'Aix-Marseille (et modulo les réserves énoncées plus haut sur la fiabilité de ces chiffres) s'élèvent en 2023 à 605,4 millions d'euros, contre seulement 239,3 millions d'euros en 2021.

b) Des effets de l'inflation difficiles à mesurer mais qui expliquent partiellement la hausse des dépenses depuis 2021

Deux facteurs principaux contribuent à la hausse des dépenses constatées depuis 2021.

D'une part, les universités ont largement bénéficié de financements supplémentaires dans le cadre des plans de relance et de France 2030. Ainsi, plus d'un milliard d'euros a été prévu afin de financer les investissements dans l'immobilier dans l'enseignement supérieur.

À titre d'exemple, l'université Jean Monnet (UJM) de Saint Etienne signale que l'année 2021 a été marquée par le lancement des marchés de travaux de grosses opérations, y compris de rénovation énergétique, financées pour partie par le plan de relance. En conséquence, le nombre de marchés passés en 2021 par l'UJM est supérieur de près d'un tiers au nombre moyen de marchés constatés en moyenne sur 2022-2023 (119 marchés passés en 2019 contre 54 en 2023).

L'augmentation des dépenses d'achat public entre 2021 et 2022 est également liée à un aspect conjoncturel, à savoir le lancement tardif des investissements prévus par les contrats de plan État-régions (CPER) 2021-2027 du fait de la crise sanitaire.

D'autre part, la forte inflation constatée en 2022 et 2023 a entraîné un renchérissement des achats qui contribue à l'augmentation globale du montant de la commande publique dans les universités. Son impact précis est cependant extrêmement difficile à déterminer, notamment s'agissant de la distinction entre l'effet volume et l'effet prix, une diminution de la consommation d'énergie pouvant par exemple atténuer l'effet de l'inflation. La DGESIP considère que l'effet de l'inflation n'est pas dominant dans la hausse observée depuis 2021, celle-ci résultant majoritairement de la hausse du volume d'achats.

L'examen des indices de révision des prix intégrés dans les marchés constitue un indice de l'inflation. L'agence de mutualisation des universités et établissements (AMUE), qui propose aux établissements une plateforme d'achats mutualisés, a ainsi indiqué au rapporteur spécial avoir fait évoluer en 2023 ses tarifs de maintenance des solutions informatiques qu'elle propose entre 3 % et 9 %. L'AMUE signale notamment que peu des clauses de révision de prix prévues dans les contrats cadres ont été activées, ce qui va dans le sens des éléments transmis par la DGESIP. En outre, l'augmentation du prix des fluides a été partiellement contenue, en particulier du fait de renouvellement tardif de certains marchés d'électricité. La DGESIP signale cependant que d'autres universités ayant adhéré à des marchés de la DAE avec des fournisseurs défaillants ont été amenées à basculer pendant quelques mois sur un marché provisoire conclu au plus fort de la hausse des prix.

Au-delà des enjeux liés à l'énergie, la DGESIP indique au rapporteur spécial ne pas avoir mesuré l'impact de l'inflation sur les achats généraux et les marchés immobiliers des universités. Là encore, au vu du poids des achats liés au parc immobilier des universités et alors que les fournitures de travaux ont été particulièrement exposées à l'inflation, il est regrettable de ne pas disposer de données précises sur ce point. L'indice des coûts de la construction a ainsi progressé de 8,9 % en 2022 et de 3,39 %en 2023. À titre d'exemple, le ministère de la Culture estime pour ses opérateurs une pression inflationniste de l'ordre de 5,3 % pour le fonctionnement courant en 2022 et de 4,9 % en 2023.

2. Un nombre important de marchés concentrés sur les bâtiments

La DGESIP a également procédé à une enquête sur le nombre de marchés passés annuellement par les universités. 34 d'entre elles ont répondu. Le nombre global de marchés conclus dans l'année pour ces 34 universités est d'environ 3 000 au cours des dernières années, auxquels s'ajoutent les marchés mutualisés avec d'autres universités, ceux passés par l'intermédiaire d'une centrale d'achats et au travers des accords-cadres de la DAE.

Nombre total de marchés passés en propre
par les 34 universités ayant répondu à l'enquête de la DGESIP

Note : hors marchés subséquents et centrales d'achats

Source : commission des finances d'après les données de la DGESIP

Les achats de matériels spécifiquement dédiés à la recherche scientifique ne représentent qu'une part extrêmement minoritaire (2 % du montant total) des achats des universités. En revanche, les dépenses liées à l'immobilier représentent plus des deux-tiers des achats (dont 40 % pour la construction, 4 % pour l'achat de terrains et 27 % d'entretien des bâtiments, y compris l'entretien général). Les achats généraux (y compris les services d'entretien, de gardiennage, les déplacements et les achats de consommables, y compris alimentaires) pèsent à hauteur de 40 % du montant total des achats des universités. Les dépenses informatiques et les dépenses énergétiques (fluides) représentent chacune environ 5 % des achats publics des universités.

Répartition des dépenses par familles d'achats sur le montant total des achats effectués par les universités en 2023

Source : commission des finances d'après la DGESIP

Là encore, il convient de prendre ces données avec de grandes précautions. En particulier, il est impossible de déterminer la répartition des dépenses par destination (fonctionnement, enseignement, activités de recherche).

Le nombre de marchés passés est extrêmement variable selon les universités et les années. À titre d'exemple, pour les seules universités situées en région Auvergne-Rhône-Alpes, près de 1 000 marchés ont été passés ou remis en jeu sur la seule année 2023.

Nombre total de marchés des universités d'Auvergne Rhône-Alpes en 2023

Université

Nombre total de marchés passés

Nombre de marchés remis en jeu

Université Claude Bernard Lyon 1

151

nc

Université Clermont Auvergne

185

73

Université Grenoble Alpes

167

82

Université Savoie Mont-Blanc

63

44

Université Jean Monnet (UJM)

54

33

Université Jean Moulin Lyon 3

81

nc

Total

701

232

Note : Les données de l'université Lumière Lyon 2 n'ont pas été transmises- hors marchés subséquents

Source : commission des finances d'après les données de la DGESIP


* 5 Réponses de la DAE au questionnaire du rapporteur spécial.

* 6 Réponses de la DGESIP au questionnaire du rapporteur spécial.

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