N° 726

SÉNAT

2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 juillet 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur l'efficacité de la commande publique dans l'enseignement supérieur,

Par Mme Vanina PAOLI-GAGIN,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur spécial des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur », a présenté les conclusions de ses travaux de contrôle sur la performance économique des achats des universités.

I. UNE COMMANDE PUBLIQUE UNIVERSITAIRE MAL CONNUE MALGRÉ DES MONTANTS CONSÉQUENTS

A. UN PILOTAGE NATIONAL LIMITÉ FACE À DES ÉTABLISSEMENTS D'ENSEIGNEMENT AUTONOMES

La commande publique dans les universités est régie par les règles générales applicables à l'État et ses opérateurs au sein du code de la commande publique. À ce titre, elle est tenue par l'ensemble des principes généraux auxquels sont soumis les acheteurs publics.

Le ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche est responsable de la politique d'achat du ministère en administration centrale et déconcentrée, mais ne l'est pas des achats des opérateurs de son périmètre, universités comme établissements de recherche. Si les textes réglementaires confient au ministère de tutelle un rôle de contrôle de la légalité et de la performance des achats, force est toutefois de constater un écart entre les textes et la réalité. En effet, le secrétariat général commun aux ministères de l'éducation, des sports et de l'enseignement supérieur et de la recherche n'a pas les moyens matériels d'assurer un contrôle sur l'ensemble des opérateurs de l'État dont les trois ministères ont la tutelle (une trentaine d'agents pour les achats des trois ministères).

En outre, s'agissant du cas particulier des universités, la généralisation de l'autonomie des établissements depuis la loi LRU1(*) a été déclinée au travers de la mise en oeuvre, à partir de 2007, du principe d'autonomie budgétaire et financière des universités. Du fait de cette autonomie, le ministère de l'enseignement supérieur n'assume pas de rôle de pilote des achats des universités, chacune étant libre dans la limite des règles de la commande publique. Le ministère ne tient pas directement compte de l'évolution du montant des achats dans le mode de calcul des subventions pour charges de service public (SCSP) des universités.

B. FAUTE DE SYSTÈMES D'INFORMATION ADAPTÉS, L'OPACITÉ ET LA COMPLEXITÉ DE L'ÉVALUATION DE LA PERFORMANCE DES ACHATS PUBLICS DES UNIVERSITÉS

Les textes réglementaires prévoient que les universités dépassant un montant de 10 millions d'euros d'achats rendent compte de leurs résultats à la direction des achats de l'État (DAE) et à leur autorité de tutelle à qui ils transmettent également une programmation pluriannuelle de leurs achats. Pourtant, la DAE indique que sur la programmation 2023 à 2026, un peu moins de 60 % des universités et assimilés soumis à l'obligation de déclaration de la programmation quadriennale de leurs achats ont transmis les éléments demandés. Une situation similaire a été signalée au rapporteur spécial par l'observatoire économique de la commande publique (OECP), rattaché au ministère de l'économie et des finances. Selon eux, près d'un quart des déclarants ne transmettraient pas leurs données, une forte incertitude demeurant sur le nombre et le type de marchés non transmis.

Ces remontées d'informations sont pourtant d'autant plus capitales qu'il n'existe pas de système d'information « achat » commun à tous les établissements et permettant d'agréger leurs données au niveau national.

C. UN COÛT TOTAL DE LA COMMANDE PUBLIQUE UNIVERSITAIRE ESTIMÉ À AU MOINS PLUSIEURS MILLIARDS D'EUROS, MAIS DONT LE MONTANT PRÉCIS RESTE MECONNU

La gouvernance multiple et l'absence de suivi consolidé effectué par le ministère entraînent d'extrêmes difficultés à reconstituer le coût global des achats publics dans l'enseignement supérieur. La DAE estime à environ 2,5 milliards d'euros le volume annuel des achats des universités et assimilés. En outre, le montant total des achats publics est extrêmement variable selon les universités. D'après les données de la DGESIP, il est ainsi en 2023 de 15 millions pour l'université de Nîmes, de 22 millions pour l'université d'Avignon et de 457,4 millions d'euros pour l'université Paris Saclay. Il est également extrêmement variable selon les années, le lancement de gros projets, en particulier immobiliers, entraînant un sursaut ponctuel qui ne reflète pas le niveau moyen des achats.

Répartition des dépenses par familles d'achats en 2023

Source : commission des finances d'après la DGESIP

Les informations transmises par la DGESIP mettent en avant un quasi-doublement du montant total entre 2017 et 2023, sous l'effet une hausse régulière accentuée entre 2021 et 2022. Deux facteurs principaux contribuent à la hausse des dépenses constatée depuis 2021. D'une part, les universités ont largement bénéficié de financements supplémentaires dans le cadre des plans de relance et de France 2030. D'autre part, la forte inflation constatée en 2022 et 2023 a entraîné un renchérissement des achats qui contribue à l'augmentation globale du montant de la commande publique dans les universités. Son impact précis est cependant extrêmement difficile à déterminer.

II. UNE PROFESSIONNALISATION TARDIVE ET INACHEVÉE DE LA FONCTION ACHAT DANS LES UNIVERSITÉS

Une des spécificités de l'achat public des universités est la multiplicité et la diversité des structures internes ordonnatrices, au-delà des seules directions financières ou achats de l'administration des universités. En outre, universités et organismes de recherche sont mêlés au sein des unités mixtes de recherche (UMR). Les UMR ont le choix de recourir à la commande au niveau de l'établissement de recherche ou de l'établissement d'enseignement supérieur, en fonction de leur intérêt.

Cette organisation complexifie le recensement et l'analyse des achats publics. L'université de Bordeaux dénombre environ 200 prescripteurs. Ils sont plus de 250 à l'université de Strasbourg. Celle d'Aix-Marseille compte 100 équivalents temps plein (ETP) prescripteurs et 400 ETP chargés des commandes d'achats. Le total de ces marchés, dont la gestion échappe donc complètement à la direction centrale, est pour l'université de Lorraine de 20 millions d'euros sur les 121 millions d'euros d'achat en 2023 (soit 16 % des achats de l'université).

Seules les universités les plus importantes ont mis en place une direction des achats n'étant ni rattachée aux directions financières, ni aux directions juridiques. Cette organisation a un impact sur la conception de la fonction achats et surtout sur la façon dont les enjeux de maîtrise budgétaire sont plus ou moins pris en compte aux côtés des enjeux juridiques et intégrés en amont de la construction des budgets.

En outre, les directions « achat » des universités ont aujourd'hui davantage de mal à recruter des acheteurs publics. Problématique qui concerne, il est vrai, l'ensemble de la fonction publique. Conséquence de ces problématiques d'attractivité, nombre d'universités ont des postes non pourvus, tandis qu'un fort renouvellement des équipes vient fragiliser l'ensemble des procédures d'achat. Ces tensions salariales apparaissent inquiétantes et ont nécessairement des impacts sur les achats et leur performance.

III. UN RECOURS GÉNÉRALISÉ AUX CENTRALES D'ACHAT

Les universités disposent de quatre modes d'achat : le passage de leurs achats en propre ; le recours aux accords-cadres de la DAE ; la mutualisation de leurs achats avec une ou plusieurs autres universités par le biais de groupements de commandes et enfin le recours à une centrale d'achat. Deux centrales se partagent plus des deux-tiers des achats des universités. La première est l'Union des groupements d'achats publics (UGAP), établissement public à caractère industriel et commercial créé en 1985. Il s'agit d'une centrale d'achat généraliste qui regroupe la moitié des achats passés par les universités. L'UGAP estime que le montant total des achats des universités via sa centrale d'achats s'élève en 2023 à 158 millions d'euros.

Répartition des achats entre plateformes de mutualisation

Source : commission des finances d'après les données de la DGESIP

L'UGAP ne perçoit pas de subvention pour charges de service public. Elle se rémunère par une marge prélevée sur les marchés mis à disposition des opérateurs publics ainsi que par une contribution des fournisseurs. Pour les établissements publics d'enseignement supérieur, ce taux de marge varie en 2023 entre 2,6 % pour les véhicules et 6,3 % pour le mobilier. Le taux moyen était de 4,07 % en 2023, contre 4,56 % en 2021.

L'UGAP estime à environ 12 % du coût total des commandes le bénéfice du recours à sa centrale d'achats, sans que ces chiffres n'apparaissent incontestables. Si l'UGAP simplifie considérablement les procédures, la qualité parfois critiquable des prestations et achats et son manque de transparence sont soulignés par de nombreux acteurs.

Évolution des commandes auprès de l'UGAP dans l'enseignement supérieur

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après les données de l'UGAP

IV. ARTICULER L'AUTONOMIE DES UNIVERSITÉS AVEC UN PILOTAGE NATIONAL AXÉ SUR LA PERFORMANCE DES ACHATS PUBLICS

A. UN RENFORCEMENT DE LA FORMATION À LA PERFORMANCE DE L'ACHAT PUBLIC POUR L'ENSEMBLE DES PERSONNELS DES UNIVERSITÉS

Les enseignants chercheurs sont souvent peu informés des règles et des objectifs liés à la commande publique, alors même que les gestionnaires de laboratoire sont des ordonnateurs. Peu d'universités ont mis en place des actions approfondies de formation à destination de leurs personnels. Les personnels non administratifs semblent ainsi les oubliés de la formation sur la commande publique, alors même qu'ils sont directement concernés.

B. LES CLAUSES ENVIRONNEMENTALES ET SOCIALES : UNE INTÉGRATION EN COURS DANS LES MARCHÉS, À ACCÉLERER ET APPROFONDIR IMPÉRATIVEMENT

Les données fournies, dans la limite des universités ayant déclaré leurs achats auprès de l'observatoire économique de la commande publique (OECP), indiquent un renforcement progressif de la prise en compte des enjeux environnementaux dans les achats des universités. Ainsi, en 2019, 20 % des clauses des marchés passés par les universités avaient un caractère environnemental, contre 32 % en 2022. En volume, les clauses environnementales ne représentent cependant que moins de 30 % des marchés. S'agissant des clauses sociales, elles sont moins présentes dans les marchés que les clauses environnementales. Ainsi, 10,6 % des clauses de marchés passés en 2022 comportaient des obligations ayant trait à la responsabilité sociale des entreprises.

S'agissant plus précisément des marchés fourniture d'énergie, la proportion de marchés contenant au moins une clause liée aux enjeux environnementaux est extrêmement faible (1,5 million d'euros sur les 93,3 millions d'euros déclarés en 2022 auprès de l'OECP).

Part des clauses sociales et environnementales
dans les marchés des universités déclarés auprès de l'OECP

(en %)

 

 

Clauses
sociales

Clauses environnementales

2019

sur le nombre total de clauses

6,7

20,2

sur le montant total

12,6

27,8

2020

sur le nombre total de clauses

7,6

22,0

sur le montant total

15,2

37,1

2021

sur le nombre total de clauses

10,7

29,0

sur le montant total

23,4

43,3

2022

sur le nombre total de clauses

10,6

32,7

sur le montant total

19,8

29,2

Source : commission des finances d'après l'OECP

Les universités sont donc encore loin des objectifs fixés par la DAE aux opérateurs de l'État pour 2024 prévoyant de systématiser la prise en compte des enjeux environnementaux dans les marchés, soit 80 % des marchés de plus de 40 000 euros hors taxe comportant au moins une considération environnementale.

D'après la DAE, 47 % des achats réalisés par les universités le sont auprès de petites et moyennes entreprises (PME). Mais il est impossible, faute de cartographie globale, de déterminer la part des achats réalisés auprès d'entreprises locales.

C. ACCROÎTRE L'IMPLICATION DE L'ÉTAT DANS LE CONTRÔLE DE LA COMMANDE PUBLIQUE DES UNIVERSITÉS

Si l'autonomie est souhaitable en matière pédagogique et de gestion, force est de constater le caractère parfois vague et insuffisamment documenté, faute notamment d'outils informatiques adéquats, du pilotage effectué par le ministère, y compris sur les volets budgétaires. Il semble primordial que la tutelle exerce un contrôle plus approfondi des achats des universités.

Un des objectifs des contrats d'objectifs, de moyens et de performance (COMP) porte sur l'amélioration du pilotage de l'établissement. À ce titre, des engagements peuvent théoriquement être pris. À l'heure actuelle, les contrats d'objectif, de moyens et de performance comportent très peu d'éléments en matière de performance des achats. Ce n'est le cas que dans une seule université et sur un point très spécifique : le contrat de l'université de Clermont-Ferrand prévoit l'intégration d'une clause environnementale dans la plupart des marchés.

Au regard des enjeux financiers et de l'étroitesse marges de manoeuvres budgétaires, cela semble très insuffisant. Les objectifs de performance des achats des universités doivent devenir systématiques dans les COMP. La mise en place d'indicateurs d'économies d'achat devrait ainsi être intégrée dans l'ensemble des contrats, de même que des indicateurs sur les achats responsables ou la mise en place d'une direction des achats ou d'un système d'information achat.


* 1 Loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités.

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