EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 9 juillet 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Éric Jeansannetas, rapporteur spécial, sur le suivi des recommandations du rapport « Jouons collectif pour l'avenir du Stade de France ».

M. Claude Raynal, président. - Nous poursuivons nos travaux avec la communication de M. Éric Jeansannetas, rapporteur spécial de la mission « Sport, jeunesse et vie associative » pour le suivi des recommandations de son rapport Jouons collectif pour l'avenir du Stade de France.

M. Éric Jeansannetas, rapporteur spécial. - En tant que rapporteur spécial de la mission « Sport, jeunesse et vie associative », j'avais choisi en 2019 de mener un contrôle budgétaire sur le Stade de France, qui a donné lieu au rapport susmentionné. Je vous présenterai aujourd'hui le suivi des recommandations que j'y avais formulées. En ce jour de match de l'équipe de France, il est particulièrement opportun que nous nous retrouvions une nouvelle fois à discuter de l'enceinte qui a vu la victoire des Bleus lors de la Coupe du monde de 1998.

Mes travaux avaient vocation à anticiper la fin de la concession du Stade de France, prévue à l'été 2025. Tout l'enjeu était d'éviter de reproduire les erreurs qui avaient été commises au moment de la négociation du contrat de concession, en 1995. Celles-ci s'étaient révélées dommageables pour les finances publiques.

Je vais revenir rapidement sur le contexte. Celui-ci est important pour comprendre le sens des recommandations que j'avais formulées il y a cinq ans.

La Coupe du monde de football de 1998 a été attribuée à la France en 1992. Il était nécessaire de construire en un temps record un stade d'une capacité de 80 000 places. La mission a été confiée à un consortium, composé des entreprises Vinci et Bouygues, qui a accompli une véritable prouesse technique et architecturale en érigeant le Stade en seulement trois ans et qui, en contrepartie, a obtenu l'exploitation de l'enceinte dans le cadre d'une concession d'une période de trente ans, à partir de 1995.

Pour garantir la rentabilité économique de l'infrastructure, l'État s'était engagé à la présence d'un club résident, faute de quoi le contrat stipulait le versement au concessionnaire d'une indemnité compensatrice. Or l'arrivée d'un tel club au Stade de France s'est rapidement révélée une « chimère », pour reprendre une expression de la Cour des comptes. L'État a donc été contraint de verser une indemnité au consortium, jusqu'à ce que celle-ci soit supprimée en 2013.

En fin de compte, elle aura coûté 121,6 millions d'euros aux finances publiques entre 1998 et 2013. Il faut y ajouter 191,2 millions d'euros de subventions versées au moment de la construction. A contrario, le Stade de France n'a pratiquement pas rapporté de recettes nettes à l'État.

Le contrat de concession était manifestement déséquilibré, ce qui a eu également des conséquences juridiques regrettables. En effet, le document a été jugé illégal par le tribunal administratif de Paris en 1996. Une loi de validation a été adoptée rapidement, la même année, afin que cette décision n'empêche pas la construction du Stade. Cette loi a ensuite elle-même été déclarée contraire à la Constitution par le juge constitutionnel, dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité soulevée en 2010. Un avenant a été signé en 2013 pour tenter de régulariser la situation, mais, de l'avis majoritaire, le contrat demeure fragile juridiquement.

Dans le même temps, la Fédération française de rugby et la Fédération française de football ont remis en cause l'économie du contrat. En effet, faute de club résident, les fédérations sont les principaux partenaires du Stade. Ces acteurs estimaient que la répartition des recettes se réalisait à leur détriment. Après une renégociation des conventions qui les liaient au consortium, elles ont néanmoins décidé de rester dans l'enceinte.

Vous comprenez maintenant l'importance des négociations qui se tiennent actuellement sur l'avenir du Stade de France. L'objectif est de concevoir un modèle d'exploitation plus équilibré entre les parties et plus protecteur des finances publiques que celui de 1995.

J'avais ainsi formulé trois recommandations dans mon rapport de 2019. Dans la première, je recommandais de conclure dans les douze mois les conventions de stade pour la Coupe du monde de rugby et pour les Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Dans la seconde, je préconisais de formaliser d'ici à la fin de l'année 2019 un accord concernant les travaux à réaliser pour les Olympiades. Pour rappel, 43 des 48 épreuves d'athlétisme, le tournoi de rugby à sept et la cérémonie de clôture seront organisés au Stade de France.

Concernant les conventions de stade, celle portant sur la Coupe du monde de rugby a été signée dans des délais proches de ceux que je préconisais, et elle n'impliquait pas d'engagement financier de la part de l'État. Quant aux Jeux olympiques et paralympiques, l'accord sur les travaux n'a pas été formalisé à la fin de l'année 2019, mais un peu plus tard, en avril 2020. Les travaux, qui ont été principalement menés par la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo), ont néanmoins été réalisés dans les temps et dans le respect de la maquette budgétaire. La Solideo a fait une nouvelle fois la preuve de sa bonne gestion, que j'avais eu l'occasion de souligner lors de l'examen du dernier projet loi de finances.

Les conventions sur la compensation des pertes d'exploitation et de la mise à disposition du stade ont en revanche été formalisées plus tardivement, en décembre de l'année dernière. Les dispositions de ces accords sont cependant respectueuses des finances publiques. Le coût du loyer et des frais techniques découlant de la mise à disposition se situe dans la moyenne des autres contrats du Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop). En outre, l'État a obtenu de ne pas prendre en charge les pertes d'exploitation, estimées à 15 millions d'euros. En contrepartie, la concession a été prolongée d'un mois, et l'État ne percevra pas le produit de deux redevances. Il est peu probable que le produit de ces deux redevances dépasse les 15 millions d'euros, sachant que depuis 1995, elles ont rapporté à l'État, en cumulé, moins de 3 millions d'euros. Même si cela devait être le cas, il n'aurait pas été raisonnable de prendre un tel risque. Je pense donc que nous pouvons nous satisfaire de cet accord. Dans l'ensemble, je peux affirmer que le Stade de France est prêt pour les Jeux olympiques et paralympiques.

J'en arrive à la troisième recommandation de mon rapport : formaliser d'ici à la fin de l'année 2019 une décision sur l'avenir du Stade de France après 2025, afin que la mise en concurrence puisse être idéalement terminée avant les deux événements internationaux de 2023 et de 2024.

En fin de compte, la décision de mener de façon simultanée une procédure de renouvellement de la concession et une procédure de cession n'a été prise qu'en 2022, la mise en concurrence a été lancée le 30 mars 2023, et le choix du futur exploitant du Stade de France sera postérieur aux Jeux olympiques et paralympiques. Ce retard s'explique notamment par la décision tardive de lancer une procédure de cession en parallèle de la procédure de concession, ce qui a nécessité des expertises complémentaires. La procédure de cession a d'ailleurs finalement été abandonnée, après que le dossier du seul candidat a été déclaré irrecevable.

Dans tous les cas, les délais pour la négociation avec les candidats sont contraints. Une décision plus en amont aurait offert à l'État une plus grande marge de manoeuvre. La direction des sports et la mission d'appui au financement des infrastructures (Fin Infra) m'ont assuré que les dates seraient tenues, et je n'ai rien identifié qui laisserait penser que ce ne serait pas le cas. Il convient toutefois de rester vigilant et de ne pas négliger les intérêts financiers de cette opération pour l'État.

La prise en compte des intérêts de la Fédération française de football (FFF) et de la Fédération française de rugby (FFR) sera par ailleurs indispensable. Faute de club résident, les fédérations sportives sont les seules qui peuvent garantir la rentabilité économique du Stade de France. Mettre en place un modèle d'exploitation qui permette le développement économique de l'enceinte tout en préservant les finances publiques : c'est uniquement de cette manière que le Stade de France pourra demeurer un symbole des ambitions sportives de notre pays.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je vous remercie de ce travail sur le suivi de l'exploitation de cet équipement qui, manifestement, a été construit dans une certaine urgence. Comment expliquez-vous que le Stade de France n'ait jamais accueilli de club résident ? Le sujet est capital : s'il y avait un club résident, il y aurait des recettes et l'équilibre financier serait plus facile à atteindre. Il existe pourtant à Paris des clubs de football et de rugby assez ambitieux, d'où mon interrogation.

M. Thierry Cozic. - La direction du Paris Saint-Germain avait un temps envisagé de racheter le Stade de France avant de se rétracter. En sait-on plus sur les raisons qui l'ont poussée à renoncer ?

Mme Christine Lavarde. - Il y a quelques années, dans le cadre du groupe d'études « Pratiques sportives et grands événements sportifs », nous avions visité les installations du Stade de France. À l'époque se posait déjà la question du club résident et l'hypothèse d'une équipe de e-sport avait été évoquée. Bien qu'elle nécessite des aménagements de l'enceinte, cette hypothèse ne semble pas avoir été écartée. Où en est-on aujourd'hui ?

Par ailleurs, le Stade de France, qui était jusqu'à présent très enclavé, communique désormais directement, grâce à une passerelle, avec la nouvelle piscine olympique. Malgré le fait que ces deux équipements n'ont pas le même propriétaire - État d'un côté, métropole du Grand Paris de l'autre -, des synergies ont-elles été pensées pour un environnement sportif plus général ?

M. Michel Canévet. - Je remercie à mon tour le rapporteur spécial pour la qualité de son rapport. Peut-on dire que cette opération aura été financièrement intéressante pour l'État ? N'aurait-il pas mieux valu que ce dernier construise lui-même le Stade de France ? Quel est le bilan en termes de coûts réels ?

Par ailleurs, les problèmes de sécurité liés à l'accès au Stade de France sont-ils résolus, ou bien reste-t-il en la matière des investissements importants à consentir ?

Enfin, certains clubs de football - à Lyon et prochainement à Brest - construisent eux-mêmes leur stade. Ce modèle est-il appelé à prospérer en France ou vaut-il mieux selon vous suivre celui du Stade de France ?

M. Éric Jeansannetas, rapporteur spécial. - Comme a pu le souligner la Cour des comptes, l'histoire du club résident est une sorte de chimère. Le Racing club, deuxième club professionnel à Paris, ou encore le Red Star, qui reste très attaché à son stade, ont fait partie des nombreux clubs qui ont été sollicités.

Parmi les freins figurent sans doute des difficultés de mobilité et d'acheminement des spectateurs. Quel club en France est en mesure de remplir la jauge, énorme, de 80 000 spectateurs ? À l'époque, pas même le PSG n'y serait parvenu- et le PSG d'aujourd'hui y parviendrait seulement à l'occasion de grands matchs européens, PSG-Real Madrid par exemple, ou de belles affiches du championnat de France comme PSG-Marseille. Il reste que lors des auditions que nous avons menées cette année dans le cadre du renouvellement de la concession, le sujet du club résident n'a même pas été évoqué.

Madame Lavarde, le club de e-sport Team Vitality s'entraîne en effet actuellement au Stade de France et il est qualifié de « club résident », sans pour autant que la condition de présence d'un « club résident » dans le contrat soit juridiquement satisfaite. Comme l'a montré l'audition de M. Coppey, le concessionnaire actuel est très ouvert à tous les types d'activités - concerts, e-sport, etc. - et il témoigne d'un attachement particulier à nos deux équipes de France de rugby et de football.

Sur ce dernier point, les négociations sont en cours. Il est donc difficile d'en parler, mais les fédérations ne décideront d'aller au Stade de France que si elles y trouvent un intérêt économique. Lorsque nous avions auditionné en 2019 le président de la Fédération française de football, la France venait d'organiser l'Euro. De nouveaux stades pouvant accueillir 60 000 spectateurs avaient été construits et Noël Le Graët envisageait de faire voyager l'équipe de France à travers le territoire, en ayant probablement l'idée de faire jouer la concurrence pour bénéficier de conditions de location du Stade de France plus favorables.

Pour Bernard Laporte, alors président de la Fédération française de rugby, l'intérêt du Stade de France résidait dans la rémunération des hospitalités, ces billets très bien payés par les clients VIP. La Fédération française de rugby s'est en effet spécialisée dans ces recettes très importantes.

Les négociations entre la Mairie de Paris et le PSG sur l'acquisition du Parc des princes ayant été rompues, un dossier a été monté pour l'acquisition du Stade de France. Là encore, les travaux s'annonçaient considérables, puisqu'il était question de transformer le Stade de France en s'inspirant du stade de Dortmund. Tout cela a finalement été abandonné et le PSG a retiré son offre d'achat. Le contrat de cession comportait notamment l'obligation d'accueillir pendant vingt-cinq ans les équipes de France et la réalisation de travaux. Or le PSG considérait comme délicat, s'il devenait propriétaire du Stade de France, d'accepter cette contrainte.

Il semblerait que le PSG travaille aujourd'hui sur l'acquisition de terrains en Île-de-France, qui seraient plutôt bien desservis par les transports en commun. Il s'agirait de construire un stade à l'image de ceux des grands clubs européens. En Angleterre et en Allemagne notamment, le stade est non pas seulement une pelouse verte sur laquelle des joueurs courent derrière un ballon, mais un véritable objet économique. Le Stade de France l'est d'ailleurs déjà, puisqu'il accueille de nombreux visiteurs, des séminaires, etc.

Lors de notre visite, nous avons eu l'occasion de découvrir le poste de commandement sécurité du Stade de France, qui compte près de 70 postes de travail équipés de caméras et d'écrans de contrôle. On y voit tout, partout, tout le temps. Il semblerait que depuis les événements dramatiques liés à l'accueil des supporters de Liverpool, les éléments de sécurité aient été bien pris en compte. Certes, les Jeux olympiques sont par nature plus paisibles qu'une rencontre de football. L'enjeu sera toutefois d'assurer la rotation entre la session du matin et la session du soir : 80 000 personnes doivent ainsi laisser place à 80 000 autres, parfois en l'espace de trois heures.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Le jour de la finale de la Ligue des champions, l'équipement de sécurité du Stade de France n'était nullement en cause. Il est clairement avéré - j'ai été membre de la commission d'enquête sur cette question - que les événements qui sont survenus sont imputables non pas à des supporters avinés, anglais ou espagnols, mais à une défaillance dans l'organisation qui n'a rien à voir avec le football. Tout se passait très bien sur ce plan. Les incidents sont liés à un défaut d'organisation et à l'action de malfaisants locaux, qui auraient pu déboucher sur un drame. Le jour de la finale, j'ai moi-même partagé sur l'esplanade un excellent moment de convivialité avec des supporters de Liverpool avant d'entrer dans le stade. Il n'y a donc aucun problème de ce côté-là.

Par ailleurs, il est de notoriété publique que le Paris Saint-Germain, même s'il a déposé un dossier en ce sens, n'a jamais eu l'intention d'acheter le Stade de France. Ce serait une erreur absolue qui lui coûterait une fortune et il ferait mieux, à la place, de se construire un nouveau stade. Il s'agissait simplement d'un élément de pression dans la négociation avec la maire de Paris au sujet du rachat du Parc des princes.

M. Éric Jeansannetas, rapporteur spécial. - En ce qui concerne le modèle, nous avions plutôt préconisé en 2019 un modèle calqué sur celui de l'Aviva Stadium de Dublin, dans lequel les fédérations sont non seulement des utilisatrices, mais des actionnaires du pool. Ce modèle s'approche de celui que décrivait Michel Canévet à Brest et à Lyon : les clubs y construisent un grand stade qui leur garantit certaines recettes. Ce scénario a été écarté.

Le modèle retenu pour le Stade de France a-t-il été intéressant pour l'État ? Une chose est sûre : il serait impossible aujourd'hui de construire un tel stade en France en seulement trois ans, de surcroît sur un site abritant une ancienne usine à gaz. À cet égard, les constructeurs ont réalisé quelques exploits pour construire ce stade dans un temps record.

M. Jean-Raymond Hugonet. - La concession qu'ils allaient signer incitait à l'exploit !

M. Éric Jeansannetas, rapporteur spécial. - Sans doute ! Toujours est-il que tout cela a été renégocié et que la situation est meilleure que dans le contrat initial, depuis la suppression de l'indemnité en 2013, l'État n'a ni gagné ni perdu de l'argent. Les délais de négociation de la nouvelle concession devraient être respectés et la décision sera annoncée dans l'année 2024 ou au premier semestre 2025. C'est tout ce que je suis autorisé à vous dire aujourd'hui.

Enfin, la passerelle vers le Centre aquatique olympique a été intégrée dans les études préparatoires aux travaux du Stade de France qui ont été réalisées par la Solideo. Le projet tient compte de cette passerelle, qui peut en effet contribuer à créer une plateforme sportive intéressante.

La commission a autorisé la publication de la communication du rapporteur spécial sous la forme d'un rapport d'information.

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