N° 697

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 juin 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le financement
de la
recherche spatiale,

Par M. Jean-François RAPIN,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

La politique spatiale poursuit des objectifs à la fois scientifiques, industriels et stratégiques qui sont financés dans le cadre de programmes nationaux et internationaux, en particulier à l'échelle européenne. Cette politique interministérielle mobilise un soutien public à hauteur de 3,2 milliards d'euros en 2023.

M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur », a présenté le 19 juin 2024 les résultats de son contrôle sur le financement de la politique spatiale.

I. LA POLITIQUE SPATIALE EST UN LEVIER DÉTERMINANT DE LA POLITIQUE DE RECHERCHE, DE LA COMPÉTITIVITÉ ET DE L'AUTONOMIE STRATÉGIQUE DE LA FRANCE ET DE L'UNION EUROPÉENNE

A. LA POLITIQUE SPATIALE CONDUITE À L'ÉCHELLE DE LA FRANCE ET DE L'EUROPE DÉFEND NOS INTÉRÊTS SCIENTIFIQUES, INDUSTRIELS ET STRATÉGIQUES

La politique spatiale est par nature une politique interministérielle qui poursuit des objectifs dans trois domaines distincts bien qu'interconnectés : la recherche, l'industrie et la défense. Le rôle de la recherche scientifique, que ce soit dans les domaines des sciences de la Terre ou des sciences de l'univers, a été affirmé dès la structuration de la politique spatiale dans les années 1960.

Les technologies spatiales sont également une composante déterminante de l'autonomie d'appréciation des armées et leur maîtrise est intégrée aux objectifs de notre politique de défense pour garantir notre souveraineté. Alors que l'espace est une dimension ancienne de la politique de défense, son caractère stratégique a été réaffirmé en 2019 par la publication d'une Stratégie spatiale de défense et la création d'un commandement de l'espace (CDE).

Répartition des emplois de l'écosystème spatial français

(en emplois directs)

Source : commission des finances, d'après les données de l'INSEE

Enfin, la politique spatiale est également une politique industrielle en soutien d'un secteur à haute valeur ajoutée qui investit largement dans la recherche et développement (R&D) et oriente plus de 40 % de son activité vers l'exportation. L'intégration de la politique spatiale au portefeuille du ministre chargé de l'économie et des finances depuis juillet 2020 témoigne de l'importance croissante prise par l'enjeu de soutien à la compétitivité des acteurs économiques français dans la stratégie spatiale nationale.

la filière spatiale industrielle française regroupe

réalisant un chiffre
d'affaires de

dont

 
 
 

sociétés

par an

pour des clients étrangers

La mise en oeuvre de la politique spatiale française est largement assurée par un opérateur pivot : le Centre national d'études spatiales (CNES). Placé sous la triple tutelle des ministres chargé de la recherche, de la défense et de l'industrie, le CNES a développé une expertise reconnue depuis sa création en 1961 et il garantit la cohérence des initiatives publiques en matière spatiale.

À l'échelle européenne, des programmes spatiaux communs, au premier rang desquels la série des fusées Ariane, sont mis en oeuvre depuis 1975 par l'Agence spatiale européenne (ESA1(*)), organisation intergouvernementale conventionnelle indépendante de l'Union européenne. Le lancement depuis les années 1990 des programmes de navigation par satellites Galileo et d'observation de la Terre Copernicus a renforcé l'implication de l'Union européenne dont la compétence dans le domaine spatiale a été consacrée par le traité de Lisbonne entré en vigueur en 2009.

B. LES ENTREPRISES DU SPATIAL AFFRONTENT UNE CONCURRENCE CROISSANTE INDUITE PAR LA DIVERSIFICATION DES ACTEURS

Le secteur spatial est transformé depuis plusieurs années par un phénomène d'abaissement de la barrière technologique, en conséquence duquel l'espace devient accessible à nombre croissant d'acteurs économiques et de pays. Si cette « nouvelle aventure spatiale » (New Space) ne remet pas en cause le rôle déterminant des financements publics dans la politique spatiale, elle se traduit en revanche par une réorientation de l'intervention publique pour soutenir les acteurs privés innovants.

Le vol inaugural d'Ariane 6 prévu en juillet 2024 interviendra avec quatre ans de retard sur la programmation initiale.

En Europe, le contexte spatial est également marqué par le retard de quatre ans pris dans le développement du nouveau lanceur lourd Ariane 6 décidé en 2014 et dont le vol inaugural devrait se tenir en juillet 2024. Depuis le lancement de la dernière fusée Ariane 5 en juillet 2023, l'Europe se trouve dans une situation de dépendance en matière de lanceurs spatiaux lourds qui doit être impérativement corrigée pour garantir l'autonomie stratégique du continent.

Dépenses publiques dans le domaine spatial en 2022

Source : commission des finances, d'après les données de Bryce Tech

La réorganisation du secteur spatial induite par l'émergence du New Space se traduit également par la diversification des pays menant des programmes spatiaux, illustrée par la dynamique des programmes spatiaux indien et chinois notamment. Si les États-Unis représentent encore plus de la moitié des dépenses publiques spatiales dans le monde, l'Europe doit maintenir un niveau d'investissement suffisant pour demeurer une puissance spatiale autonome.

II. LA POLITIQUE SPATIALE BÉNÉFICIE DE 3,2 MILLIARDS D'EUROS DE SOUTIEN PUBLIC SELON UN SCHÉMA DE FINANCEMENT COMPLEXE

Le principal vecteur de financement de la politique spatiale est le programme budgétaire 193 « Recherche spatiale », d'un montant de 1 836 millions d'euros2(*) en 2023, qui finance à la fois la subvention annuelle versée au budget du CNES pour la mise en oeuvre de ses programmes et la contribution de la France au budget de l'Agence spatiale européenne (ESA).

Les 193 millions d'euros annulés par décret sur le programme 193 remettent en cause le respect de la trajectoire de la loi de programmation de la recherche en 2024.

La désignation à partir du projet de loi de finances pour 2022 du directeur général des entreprises comme responsable de ce programme a eu pour effet de placer sous l'autorité du ministre des finances les deux tiers des dépenses budgétaires dédiées à la politique spatiale. Le rapporteur relève enfin que l'annulation par décret de 193 millions d'euros sur ce programme en février 2024 fragilise le respect de la trajectoire fixée par la loi de programmation de la recherche.

Le programme 193 est complété, à hauteur de 983 millions d'euros en 2023, par des dépenses publiques financées par quatre autres programmes du budget général dont ceux pilotés par les armées qui représentent près d'un tiers du budget total consacré au secteur spatial. Enfin, pour compléter son estimation de l'effort public en faveur de la politique spatial, le rapporteur spécial intègre une fraction de la contribution française au budget de l'Union à hauteur de 302 millions d'euros et une estimation du coût associé au crédit d'impôt recherche (CIR) dans l'industrie spatiale à hauteur de 57 millions d'euros.

Répartition du soutien public à la politique spatiale en 2023

(en millions d'euros)

Source : commission des finances

III. DIVERSIFIER LE FINANCEMENT ET CLARIFIER LES ORIENTATIONS STRATÉGIQUES DE LA POLITIQUE SPATIALE FRANÇAISE ET EUROPÉENNE

A. L'ADOPTION D'UNE STRATÉGIE GLOBALE ET LA DIVERSIFICATION DU FINANCEMENT RENFORCERAIENT L'EFFICIENCE DE LA POLITIQUE SPATIALE FRANÇAISE

La gouvernance actuelle de la politique spatiale française, fondé sur l'expertise duale du CNES et son positionnement central et interministériel, est robuste. Elle permet notamment de mener à bien la réorientation de la politique spatiale vers le soutien aux acteurs économiques de la filière pour assurer leur compétitivité. Il n'apparait par conséquent pas opportun de créer un acteur institutionnel supplémentaire pour ne pas complexifier la mise en oeuvre de cette politique interministérielle.

Pour autant, l'adoption par le ministre chargé de l'espace, à l'image de plusieurs de nos pays-partenaires, d'une stratégie spatiale nationale couvrant les domaines civils et militaires permettrait de fixer les grandes orientations de notre politique spatiale et d'assurer la cohérence entre les programmes spatiaux pilotés et financés dans des périmètres ministériels distincts. Parallèlement, en dehors des opérateurs de recherche et des armées, trop peu de ministères mobilisent les services spatiaux alors que la commande publique est un vecteur puissant de soutien à la filière spatiale.

La commande publique est un levier déterminant de financement du secteur spatial qui peut répondre aux besoins de nombreux opérateurs de service public.

B. LE RENFORCEMENT DE L'UNION EUROPÉENNE DANS LE DOMAINE SPATIAL SE TRADUIRAIT PAR UN AFFERMISSEMENT DU PILOTAGE STRATÉGIQUE DE CETTE POLITIQUE

À l'échelle européenne, et en prévision de la disponibilité à venir du lanceur lourd Ariane 6, il est impératif de consacrer et d'assurer l'effectivité d'un principe de « préférence européenne » dans le cadre des marchés institutionnels de lancements orbitaux.

Parallèlement, le rapporteur relève que l'Union européenne doit poursuivre sa montée en charge comme financeur de la politique spatiale en cohérence avec l'affirmation récente de l'Union en matière d'autonomie stratégique, qui n'avait pas pu être prise en compte dans l'établissement du cadre financier pluriannuel actuel.

Le prochain cadre financier pluriannuel doit renforcer le financement de la politique spatiale, partie intégrante de l'autonomie stratégique européenne.


* 1 European Space Agency.

* 2 En crédits de paiement (CP).

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page