EXAMEN EN COMMISSION

JEUDI 6 JUIN 2024

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M. Laurent Lafon, président. - Après les discussions que nous avons eues hier sur deux propositions de loi importantes, nous abordons aujourd'hui un point tout aussi essentiel : la conclusion de la mission d'information, créée voilà plusieurs mois, sur la formation des enseignants. Les rapporteurs en sont Annick Billon et Max Brisson.

Je leur laisse la parole afin qu'ils présentent leur rapport et leurs propositions.

M. Max Brisson, rapporteur. - Je remercie tous les commissaires présents ce matin durant cette semaine particulièrement chargée. Je salue également celles et ceux d'entre vous qui ont assisté aux auditions.

Nous avons décidé de coller à l'actualité. Au départ, cette mission portait sur la formation et la place des professeurs dans le système éducatif. Toutefois, certaines déclarations du Président de la République, du Premier ministre, de la ministre de l'éducation nationale nous ont conduits à recentrer nos travaux sur la formation. D'autant que de nouvelles annonces pourraient avoir lieu très bientôt...

Je rappellerai que de nombreuses réformes se sont succédé sur le sujet - je ne reviendrai pas sur nos débats d'hier et sur les expressions de « récurrence » et d'« obsession » -, ce qui prouve qu'aucune n'a permis de répondre aux attentes des professeurs et de la société en matière de formation des professeurs.

Plusieurs raisons expliquent cette situation.

Tout d'abord, cela est dû à l'organisation de la formation des professeurs. Si sa durée, de cinq ans, est comparable à celle qui a été constatée dans la plupart des autres pays européens, la familiarisation au futur métier commence très tardivement. Cela se caractérise en France par l'absence d'un cursus dédié dès la première année de licence.

Alors que le métier de professeur des écoles nécessite des connaissances dans des domaines variés, il existe très peu de licences pluridisciplinaires dans notre système universitaire. Aussi, au moment du choix de leur orientation postbac, nombre de bacheliers candidats au métier de professeur des écoles se retrouvent sans repère.

Cela est d'autant plus paradoxal que le métier d'enseignant reste un métier de vocation. Selon une étude du Centre national d'étude des systèmes scolaires (Cnesco), 60 % des étudiants envisageant de devenir enseignant auraient fait ce choix avant même de passer le baccalauréat. L'absence de voies dédiées peut les conduire à choisir au final un autre métier ou à se tromper d'orientation, optant pour une licence mal adaptée les conduisant à un échec.

Par ailleurs, nous sommes l'un des rares pays européens à avoir adopté un modèle dit « consécutif ». Les premières années se focalisent sur la formation académique ou théorique. La formation didactique et pratique n'intervient qu'en deuxième partie de formation. C'est seulement au moment du master - au plus tôt - que les étudiants sont confrontés à la réalité du métier d'enseignant. Ces deux temps de formation, théorique puis pratique, sont pratiquement hermétiques.

Enfin, le master de l'enseignement, de l'éducation et de la formation (MEEF) créé en 2013 n'a pas obtenu les résultats escomptés. À peine 50 % des lauréats du concours de professorat des écoles en sont issus.

Cette dichotomie entre la formation théorique et la formation professionnelle peut aussi expliquer les difficultés rencontrées. Et aucune réforme n'a été jusqu'au bout sur ce sujet.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Le constat est sans appel sur les faiblesses de cette formation : près de 30 % des professeurs des écoles stagiaires n'ont jamais réalisé de stages d'observation au sein d'une classe avant leur prise de poste. Plus de 50 % des enseignants français expriment un manque de préparation s'agissant de la pédagogie et des pratiques de classe à l'issue de leur formation. Ils entrent dans le métier sans immersion suffisante ou satisfaisante.

Cette formation initiale inadaptée s'ajoute à un bizutage institutionnel dans la nomination lors des premiers postes. Ce sont autant de raisons qui poussent de plus en plus de jeunes enseignants à abandonner rapidement l'éducation nationale : près de la moitié des départs volontaires - démissions ou ruptures conventionnelles - ont lieu pendant les six premières années. Aujourd'hui, 28 % des enseignants stagiaires ne se projettent pas dans leur métier à plus de cinq ans.

Il existe ainsi un consensus de l'ensemble des acteurs, y compris des syndicats enseignants, sur les constats et la nécessité de revoir la formation initiale des professeurs.

L'annonce faite par le Président de la République le 5 avril dernier, en marge d'un déplacement dans une école, a pris tout le monde de court - y compris nous-mêmes : les syndicats tout d'abord, puisque la dernière réunion de travail datait d'octobre, les universités et les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé), mais aussi les services du ministère. D'ailleurs, les textes de mise en oeuvre de la réforme qui doivent entrer partiellement en vigueur dès la rentrée 2024 ne sont pas prêts. C'est au compte-gouttes à travers des pré-projets de texte qui sortent dans la presse que la réforme se dessine avec beaucoup d'hésitations, de flous et de questionnements.

Dans ce contexte d'accélération du calendrier, nous avons fait deux choix : d'une part, celui de recentrer nos travaux sur la formation des enseignants - la portée de notre mission était initialement plus large -, et, d'autre part, de prendre comme point de départ de nos réflexions, les pistes lancées par le Président de la République.

Notre rapport peut être résumé ainsi : comment préciser et améliorer le projet du Gouvernement afin que celui-ci ne soit pas une énième tentative sans réelle amélioration pour notre école ?

M. Max Brisson, rapporteur. - Comment réagir au projet gouvernemental qui n'est pas totalement finalisé, mais à partir duquel nous disposons de quelques lignes essentielles ?

Ce projet du Gouvernement s'articule autour de trois axes.

Premièrement, il est prévu de créer une licence dédiée à la préparation des concours du professorat des écoles.

Deuxièmement, dès la session 2025 est envisagé un déplacement des concours de professeurs du premier et du second degrés, à l'exception de l'agrégation, à la fin de la licence et non plus du master. Le concours interviendra donc en L3.

Troisièmement, seront mises en place deux années de master professionnalisantes au sein d'écoles nationales du professorat, rémunérées à hauteur de 900 euros mensuels en première année - il s'agira d'élèves professeurs - et de 1 800 euros mensuels en deuxième année - pour les fonctionnaires stagiaires ; ce dernier statut est un point important.

À l'issue des discussions et des auditions que nous avons menées, nous pouvons dire que cette réforme va dans le bon sens. Toutefois, pour qu'elle soit réussie, il est indispensable de l'inscrire dans un continuum. Le métier de professeur ne peut être acquis en deux ans ; la formation doit être étalée dans le temps. Elle commencerait par une sensibilisation avant la licence aux réalités du métier en formation postbac. Puis, elle s'intensifierait dans les deux années du master complétées par une période d'approfondissement durant les trois premières années de titularisation par la formation continuée. Enfin, elle se poursuivrait tout au long de la carrière de l'enseignant en formation continue.

Tout d'abord, il nous semble essentiel de mettre à profit les trois années de licence pour une meilleure sensibilisation et confrontation au métier d'enseignant. Pour le premier degré, nous recommandons de prévoir des stages obligatoires, tant en maternelle qu'en élémentaire lors des trois années de la nouvelle licence de professorat des écoles, si possible dans des classes à plusieurs niveaux en zone rurale et dans des classes situées en réseau d'éducation prioritaire (REP). Ces stages doivent refléter la diversité des situations dans lesquelles un professeur du premier degré est amené à exercer.

Pour le second degré, il n'y aura pas de licence dédiée ; le Gouvernement ne l'a pas prévu. Nous proposons de s'appuyer sur des unités d'enseignement spécifiques élaborées dans le cadre des licences disciplinaires classiques et de favoriser l'organisation de stages courts, filés : par exemple, une demi- journée par semaine sur une partie du semestre, afin d'aider à une prise de conscience sur le fonctionnement du système éducatif et les attendus du métier.

Par ailleurs, il nous semble important de tirer les conséquences d'un concours positionné à bac+3.

Des projets de programme de concours commencent à circuler : le positionnement du concours à bac+3 au lieu de bac+5 pour le certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré (Capes), le certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement technique (Capet) et le concours d'accès au corps des professeurs de lycée professionnel (CAPLP) entraîne mécaniquement une formation disciplinaire plus courte. Cela risque de poser des difficultés pour des professeurs appelés à enseigner en classes terminales ou en classes postbac. C'est pourquoi il nous semble indispensable de prévoir dans la maquette de formation post-concours, en master, des modules disciplinaires d'approfondissement, en parallèle des modules de formation professionnelle. Par ailleurs, il est nécessaire d'engager une véritable réflexion - c'est un serpent de mer - sur l'affectation des agrégés. Nous recommandons qu'à terme ils soient affectés en classes de terminale. Quoi qu'il en soit, le concours s'effectuera à bac+5 après le master, tandis que la certification des professeurs aura lieu au niveau de la licence. C'est le choix du Gouvernement, et il nous faut en tirer des conclusions.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Deuxième axe qui nous semble important : il s'agit de garantir une formation de qualité pour tous les lauréats des concours. Le ministère nous a indiqué qu'un lauréat du futur concours titulaire d'un master 2 ne bénéficierait que d'une année de formation.

Pour nous, s'il n'a aucune expérience professionnelle dans le domaine de l'éducation, il est impératif qu'il suive le même parcours de formation qu'un étudiant de L3, soit deux ans de formation post-concours.

Nous avons également une attention particulière pour les lauréats des concours en reconversion professionnelle. Les secondes carrières sont un atout pour l'éducation nationale. Dans certaines académies, elles peuvent représenter jusqu'à la moitié des lauréats du concours de professeur des écoles.

Or un nombre significatif d'entre eux n'ont aucune expérience professionnelle dans le domaine de l'enseignement. Nous estimons qu'ils doivent également suivre les deux années de formation du master. Nous sommes toutefois conscients que cet allongement de la formation peut conduire à un décrochage salarial important. C'est pourquoi nous proposons la mise en place d'une compensation financière permettant de couvrir partiellement ce décrochage.

Un autre point essentiel pour une formation initiale de qualité est de sécuriser le temps de formation par rapport à la mise en responsabilité devant élèves.

Selon les informations qui nous ont été transmises, en deuxième année de master, les lauréats devraient être en responsabilité devant une classe à 50 % de leur temps. Ce ratio théorie/pratique en deuxième année est identique au schéma actuel. Or il conduit l'étudiant de M2 - futur professeur stagiaire dans le projet de réforme - à sacrifier son temps de formation théorique pour préparer ses classes et cours. Pour nous, le rapport idéal entre théorie et pratique doit être de deux tiers-un tiers pendant les deux années de master.

M. Max Brisson, rapporteur. - Cette recommandation me semble importante, sinon l'on se heurtera aux mêmes erreurs d'une formation professionnalisante considérée comme secondaire par rapport à la prise en charge des classes. C'est l'un des échecs du régime actuel.

Troisième axe de notre réflexion : la formation des enseignants doit être pensée sur huit ans. Nous avons repris l'expression de l'« internat », comme en médecine.

Nous soutenons une position constante de notre commission, à savoir une formation continuée obligatoire dans les trois premières années de la titularisation, dans laquelle se poursuit la formation initiale et qui permet à celle-ci de s'appuyer sur un temps plus long pour être mieux organisée et approfondie.

Le rapport Filâtre le soulignait déjà en 2018 : « La formation initiale ne peut pas donner au futur enseignant toutes les connaissances et toutes les compétences nécessaires à l'enseignement confirmé. À vouloir tout mettre dans les programmes, on nuit considérablement à la qualité de la formation. » C'est la concentration des exigences sur un temps très court qui explique notamment l'échec de la formation et des différentes réformes qui se sont succédé. C'est pourquoi nous proposons de penser la formation de la première année de master jusqu'à la troisième année de titularisation. Cela entraîne deux conséquences majeures.

D'une part, les jeunes enseignants doivent bénéficier de journées banalisées dans leur emploi du temps - 10 jours en première année, soit un par mois puis 5 et 3 jours - connues à l'avance et communes à l'échelle du département ou de la circonscription, afin de finaliser leurs formations initiales.

D'autre part, si la formation est pensée comme un continuum entre le master et les trois premières années en poste, il est nécessaire d'avoir une unité de lieu pendant ces cinq ans. Il s'agirait d'une nouveauté majeure pour le second degré.

Deux voies pourraient être envisageables sur ce sujet potentiellement polémique : une régionalisation des concours du second degré - la ministre a indiqué être ouverte à cette proposition -, ou le maintien d'un concours national avec la formulation de voeux académiques et une affectation dans les écoles de formation en fonction d'un classement national, pratique déjà en cours dans de nombreux concours de la fonction publique. Le modèle de l'internat de médecine est relativement similaire.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Le quatrième axe pour garantir une formation de qualité est le renforcement de la formation continue. Nous avons déjà évoqué ce sujet à de nombreuses reprises. L'inscription dans la loi de l'obligation de formation continue en 2019 est restée un objectif purement déclaratoire sans portée réelle. Pire, les taux de sous-consommation des crédits de formation atteignent une envergure inédite : près des deux tiers de ces crédits n'ont pas été consommés en 2023, au point d'être devenus pour le ministère une réserve budgétaire.

Nous proposons d'inclure, dans les ordres réglementaires du service des enseignants du second degré, 18 heures annuelles au titre de la formation continue, comme c'est le cas pour leurs collègues du premier degré. Celles-ci devraient être prises en compte dans le déroulement de carrière.

Là encore, une mobilisation importante du ministère est nécessaire, notamment sur les contenus. Un récent rapport d'inspection dénonçait des formations pensées pour « un professeur virtuel, peu ancré dans le vécu professionnel, qui au final ne s'adresse à personne ».

Cela implique également pour le ministère de reconnaître l'existence de formations organisées en dehors de celles qu'il propose : je pense par exemple aux formations dispensées par des sociétés savantes, des syndicats ou encore des associations d'enseignants disciplinaires.

M. Max Brisson, rapporteur. - Ces formations existent et sont souvent suivies par les enseignants, sans être validées ou valorisées. Les formations dispensées par les associations de spécialistes sont pourtant particulièrement pertinentes et favorisent des rencontres avec le monde universitaire.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Nous pourrions envisager un système de labellisation ou de conventions.

M. Max Brisson, rapporteur. - Enfin, il nous semble indispensable de renforcer le lien organique liant le ministère de l'éducation nationale et les organismes de formation initiale des professeurs. Le ministère de l'éducation nationale doit en effet pouvoir exercer un contrôle spécifique sur ces organismes qui, je le répète, accueilleront en deuxième année des fonctionnaires stagiaires. Après tout, l'État employeur peut exprimer des exigences vis-à-vis de ceux qui sont appelés à le servir ensuite. Voilà pourquoi nous souhaitons, en plaçant les Inspé sous l'autorité des recteurs, que le ministère contrôle la nomination du président de cette instance et le recrutement des intervenants. Bien évidemment, les universités resteront associées à ces écoles, par convention, en particulier pour la délivrance des masters.

L'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (Igésr) doit également être davantage sollicitée. Elle a vocation à piloter et à assurer la cohérence nationale de l'enseignement, il lui reviendrait aussi de veiller à la cohérence de la formation des futurs professeurs. Actuellement, son rôle se limite principalement, dans l'enseignement supérieur, à des enquêtes administratives liées à des dysfonctionnements.

En raison du rôle spécifique des écoles nationales supérieures du professorat (ENSP) dans la formation des futurs enseignants et du statut particulier des étudiants fonctionnaires, l'inspection générale doit pouvoir procéder à des missions d'évaluation, d'expertise, de contrôle et d'appui, au sein des ENSP et auprès de leurs intervenants. Le volet pédagogique doit également être concerné.

Mme Annick Billon, rapporteure. - L'ensemble de ces réflexions nous a conduits à formuler 13 recommandations que nous vous avons en grande partie déjà présentées.

L'inscription de la formation des enseignants dans un parcours pensé sur le temps long et abordant conjointement théorie et pratique est le gage d'une formation de qualité. Il est en effet urgent de sortir de l'illusion selon laquelle un enseignant peut être formé en deux années.

M. Laurent Lafon, président. - Votre démarche est d'autant plus intéressante que l'État peut modifier la formation des enseignants sans recourir à la loi. De ce point de vue, il paraît pertinent de formuler des propositions avant que le Gouvernement ne décline concrètement les annonces du Président de la République. C'est une bonne manière de se placer en interlocuteur du ministère sur ce sujet.

Mme Laure Darcos. - Je remercie les rapporteurs pour leur travail. En préalable, je rappelle que le déficit de candidats persiste : au niveau de mon rectorat, plus de la moitié des postes de professeurs à pourvoir ne seront pas pourvus, alors même que les candidats qui se présentent aux épreuves d'admissibilité seront tous reçus, quel que soit leur niveau.

S'agissant des mathématiques, un cercle vicieux est enclenché : ceux qui se présenteront au concours dans les prochaines années n'auront pas suivi cette discipline dans le tronc commun de première et de terminale. Quid d'un renforcement de l'enseignement de cette matière ?

Au-delà d'un programme de formation que nous avons tendance à alourdir en y ajoutant des sujets variés tels que la sexualité ou l'environnement, les stagiaires de cette année et de l'année dernière s'interrogent : présents toute la semaine en classe, leurs formations sont organisées le mercredi après-midi et les week-ends, d'où des emplois du temps extrêmement chargés.

Enfin, si je suis favorable à la régionalisation, je souhaite m'assurer qu'aucun Inspé ne disparaisse et qu'un maillage territorial équitable soit maintenu dans toutes les académies.

Mme Colombe Brossel. - L'amélioration et la stabilisation de la formation sont nécessaires après un empilement de réformes qui a pu désorienter les jeunes étudiants souhaitant s'engager dans le métier de professeur. Les propositions des rapporteurs sont intéressantes, même si je soulèverai certains points de désaccord.

Parmi les points positifs, favoriser la confrontation avec le métier d'enseignant au travers de stages et de rencontres diverses nous semble intéressant dès lors que ces moments sont organisés sur le temps de travail. De la même manière, nous souscrivons à l'objectif d'une formation de qualité pendant les deux années de master et nous sommes plutôt favorables à l'avancement du concours à la fin de la troisième année de licence. La manière dont vous en tirer les conséquences est intéressante.

Sans prétendre définir scientifiquement la répartition du temps des enseignants, le fait est que 50 % de formation et 50 % de présence devant les élèves ne nous paraît pas être le bon équilibre. Telle pourrait être la proposition du Gouvernement, qui semble avoir d'autres préoccupations, notamment budgétaires. Le ratio de temps que vous proposez nous semble plus adapté pour mieux former et mieux fidéliser les enseignants.

J'ai été frappée, au cours des auditions, par des paroles très fortes sur le fait que l'éducation nationale, en tant qu'employeur, serait « maltraitante » avec les jeunes arrivants dans le métier. Je crois que c'est vrai, et penser la formation - comme vous l'avez fait en pensant une formation continuée particulièrement séduisante - est une démarche très positive.

En revanche, nous sommes fortement opposés à la régionalisation des concours. Nous sommes déjà confrontés à de sérieuses difficultés d'affectations et à un déficit de candidats tel qu'une proposition de ce type pourrait de facto mettre fin à la solidarité nationale. Compte tenu de la situation dramatique dans certaines académies - à commencer par Versailles et Créteil -, cette régionalisation n'est pas envisageable.

Je souscris, cependant, à l'attention portée par Annick Billon à la formation continue, même si je doute que ses propositions soient reprises par le Gouvernement. Néanmoins, je ne suis pas sûre que d'avoir voulu sortir la formation du temps de travail ait contribué à son suivi par les enseignants.

La réelle ligne rouge a trait à vos trois dernières propositions. Bien évidemment, votre proposition ne vise nullement à jeter l'opprobre sur la capacité des universités à proposer des parcours de qualité et des formations à des personnes venant parfois d'horizons très différents. Mais je ne pense pas que la bonne solution consiste à redonner un pouvoir de tutelle au ministère de l'éducation nationale, y compris sur les nominations.

Certes, l'éducation nationale a, en tant qu'employeur, la responsabilité de la formation de ses salariés - de ses agents, en l'espèce - et doit pouvoir veiller à l'organiser, d'autant plus qu'aucune autre administration ne délègue à ce point cette tâche à d'autres : la justice et la police disposent, en comparaison, de leurs propres écoles. Je note cependant que le mouvement à l'oeuvre dans ces secteurs, en termes de formation initiale, tend à s'orienter davantage vers l'université, afin de renforcer la formation et de mieux fidéliser les personnels. Je doute donc que l'évolution que vous proposez, au-delà d'une question de principe sur la place des universités, soit gage d'une plus grande efficacité.

M. Bernard Fialaire. - Ce rapport nous fournit l'opportunité de rappeler que l'enseignement moral et civique (EMC) n'est pas une matière secondaire, mais qu'il doit au contraire redevenir une composante prioritaire de la formation des enseignants. À l'occasion des travaux autour de la proposition de loi tendant à renforcer la culture citoyenne et de la mission d'information consacrée à l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur, nous n'avons pu que constater les conséquences des insuffisances de cet enseignement.

Par ailleurs, l'université n'est pas nécessairement la structure la plus efficace pour favoriser les nécessaires brassages culturels : ma propre expérience d'étudiant en médecine m'a permis de constater que nous ne rencontrions guère les étudiants d'autres filières.

M. Gérard Lahellec. - Merci aux rapporteurs pour cette excellente initiative qui permet de préparer le travail en amont plutôt qu'en réaction. Pour ce qui est de la première partie, vos préconisations me semblent aller dans le bon sens.

Je m'interroge quant aux liens avec les organismes de formation : ne conviendrait-il pas de permettre aux universités de mieux gérer leurs contenus pédagogiques ? Dépositaires d'un certain nombre de responsabilités, elles ne sont en effet pas en mesure de gérer ces contenus, ce qui ne les place pas dans une situation optimale pour répondre aux besoins de formation.

M. Cédric Vial. - L'éducation nationale est au coeur de toutes les problématiques de notre société, d'où l'attention portée à l'enjeu de la formation des enseignants. Pour autant, toute évolution de cette formation est sensible et les responsables politiques peinent à s'emparer du sujet. Je pense pourtant qu'il convient de s'y attaquer afin de modifier le système et d'atteindre les résultats que la société attend de la part du ministère de l'éducation nationale.

Les propositions avancées sont à la fois audacieuses et pertinentes. Nous avons déjà expérimenté le recours à la formation universitaire et j'estime qu'il est temps d'en tirer les conclusions afin d'aller vers un système qui place l'expérience de l'enseignant au coeur du dispositif, sans négliger sa formation académique. L'autre chantier renvoie d'ailleurs à la formation des formateurs, qu'il ne faudra pas négliger. Le groupe Les Républicains soutiendra les propositions des rapporteurs, que je remercie.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Merci pour vos remarques.

Concernant la charge de la formation et les matières enseignées, notre référentiel de formation étalé sur cinq ans prévoit des modules adaptés lorsque les enseignants sont en poste. Notre solution permet de rencontrer et non de « confronter » le métier et les situations d'enseignement, et d'assurer une formation continuée et continue dans le métier.

Rendre la formation attractive et éviter de voir des personnes se détourner du métier durant les cinq premières années constitue une première réponse au déficit de candidats.

Sur le concours à bac+3, nous sommes tous d'accord sur le constat. Nous pourrons nous retrouver sur un modèle permettant d'assurer une meilleure formation, de base et continue, et de faire en sorte que les personnes formées resteront dans la profession.

Nous nous doutions que la régionalisation du concours ne serait pas une proposition partagée par tous. Aucune étude d'impact n'a démontré les conséquences sur telle ou telle académie. Quoi qu'il en soit, nous avons besoin de mettre en avant la réussite à un concours. Le mélange entre un concours national et le classement est adapté, pour mettre en avant les talents et donner le choix par rapport à un travail et des résultats.

Sur les relations avec l'université et l'agilité, il peut y avoir des compétences hors les murs. Utiliser ces compétences peut être une richesse supplémentaire, en prévoyant des formations labellisées par l'éducation nationale, et qui permettraient d'éviter aux enseignants d'être « sclérosés » dans un milieu. Les compétences doivent pouvoir évoluer.

Nous savions qu'il y aurait un désaccord sur la gouvernance.

La recommandation n° 10 prend en compte la formation pour le déroulement de carrière. L'obligation doit induire une compensation, ce que nous prévoyons.

M. Max Brisson, rapporteur. - Les professeurs formateurs sont un sujet essentiel. Il y a quelques années, j'avais souhaité qu'il n'y ait aucun professeur permanent dans les Inspé et que tous continuent d'enseigner dans les classes en même temps.

On ne peut envisager des formateurs dans les Inspé en dehors des disciplines universitaires pour ce qui a trait au contenu disciplinaire. Mais en matière de didactique, il faut obligatoirement que les professeurs formateurs soient en contact avec des élèves - ou ne soient pas restés trop longtemps sans être devant eux - pour ne pas rester dans la théorie, mais être dans le transfert de méthodes didactiques.

Madame Darcos, nous ne proposons qu'une réponse parmi d'autres pour renforcer l'attractivité du métier.

La maltraitance des jeunes professeurs, que je qualifiais auparavant de « bizutage institutionnel », est un point central des problèmes d'attractivité, parmi d'autres comme la rémunération. Nous proposons de réduire fortement ce bizutage, en créant une unité de lieu et de formation pour l'insertion professionnelle. Cela stabiliserait l'entrée dans le métier. C'est parce que l'entrée dans le métier est manquée qu'il y a beaucoup de démissions. L'accompagnement et l'installation dans le métier sont des sujets dont le ministère de l'éducation nationale doit se préoccuper.

Nous commençons à avoir des problèmes d'attractivité dans tous les départements, y compris dans le mien. Cela va s'accroître, puisque 300 000 professeurs en exercice vont partir prochainement à la retraite.

Il faut trouver des solutions urgentes pour augmenter l'attractivité. Nous avons fait des propositions sur le volet formation. Je crois beaucoup à l'accompagnement et à l'unité de lieu dans la formation et l'entrée dans le métier.

Comme Laure Darcos et d'autres, j'ai défendu la régionalisation du concours dans le second degré. Il est déjà régionalisé dans le premier degré, sans que la République en ait été ébranlée. Notre proposition de concours national avec classement est une solution intermédiaire qui peut apaiser les craintes. Vous évoquiez les académies de Créteil et Versailles. La solution, c'est la région académique. Dans celle-ci, il y a Paris, qui est très attractif. Chaque région académique comporte des territoires attractifs. La région académique peut être une réponse à la régionalisation des concours, mais le concours peut demeurer national avec un classement lié aux résultats. Cela s'inscrit dans la tradition républicaine du concours national avec affectation en fonction de ses voeux et du classement. Cela mérite un débat permettant de sortir des postures dogmatiques.

Précédemment, nous avons tous géré la réforme de la formation des professeurs par la place du concours - que ce soit au moment de la réforme Darcos-Chatel ou lors des réformes socialistes - et avec des déterminants également financiers. Il faut entrer dans une approche en continuum de la formation.

Il faut parvenir à un équilibre de la gouvernance. Il y a trente ans, l'éducation nationale était maître chez elle avec les écoles normales et les centres pédagogiques régionaux (CPR). Actuellement, le ministre a beaucoup de mal à se faire entendre, conséquence de l'échec de la réforme Blanquer.

Il faut jeter un pavé dans la mare pour revenir au moins à un certain équilibre. Le fait que ce soit des fonctionnaires stagiaires est un élément déterminant. Certes, la liberté académique est essentielle, mais l'État, qui forme les professeurs, peut formuler ses attentes et déterminer les conditions de la formation.

Nous ne remettons pas en cause la mastérisation, et les masters sont bien délivrés à l'université. Mais nous proposons un cap fort pour rétablir le curseur vers un meilleur équilibre.

Mme Laure Darcos. - Je suis d'accord avec les derniers propos de Max Brisson.

Le communiqué de presse de France Universités montre que l'enseignement supérieur a l'impression d'être totalement exclu des réflexions de la rue de Grenelle. Il faut que l'enseignement supérieur y trouve toute sa place.

Mme Colombe Brossel. - Je vous rappelle que nous nous opposerons aux propositions nos 9, 11, 12 et 13.

M. Gérard Lahellec. - Nous nous abstiendrons sur ces quatre recommandations.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

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