EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 22 mai 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Olivier Paccaud, rapporteur spécial, sur les personnels administratifs du ministère de l'Éducation nationale.
M. Claude Raynal, président. - Nous entendons maintenant une communication de notre collègue Olivier Paccaud, rapporteur spécial de la mission « Enseignement scolaire », sur les personnels administratifs du ministère de l'éducation nationale.
M. Olivier Paccaud, rapporteur spécial. - Au cours de l'examen du dernier projet de loi de finances, vous avez été nombreux à m'interroger sur l'administration de l'éducation nationale. Afin de pouvoir répondre à vos questions sur ce sujet important, j'ai souhaité consacrer mon travail de contrôle budgétaire aux personnels administratifs du ministère de l'éducation nationale.
Le premier constat que je dresse est le suivant : cette administration est peu ou mal connue. Elle est mal connue des élèves et des familles, qui sont peu en contact avec elle, mais parfois aussi des enseignants, qui n'ont de contacts fréquents qu'avec une administration : celle de leur établissement scolaire. Depuis vingt-cinq ans, aucun travail approfondi n'a été produit sur la question : ni rapport parlementaire ni enquête, qu'elle provienne de la Cour des comptes ou d'une inspection générale. Le dernier écrit d'importance consacré à l'administration de l'éducation nationale figure dans le rapport d'une commission d'enquête sénatoriale présidée par Adrien Gouteyron, en 1999. Le rapport que je vous présente fera donc, je l'espère, oeuvre utile.
Il faut d'abord savoir qui compose l'administration et garder en tête la distinction entre personnels administratifs, personnels n'étant pas devant élèves et personnels non-enseignants. L'essentiel des 300 000 personnels non-enseignants sont devant élèves. C'est le cas des personnels de vie scolaire, notamment des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) et des assistants d'éducation (AED). Les personnels administratifs proprement dits ne représentent qu'une part très marginale des personnels du ministère, 4,3 %, soit environ 51 000 emplois. C'est sur eux que se concentre mon rapport. S'ils sont peu nombreux et souvent invisibles, l'éducation nationale ne fonctionnerait pas sans eux.
Ensuite, il faut savoir si ces personnels sont trop nombreux au regard des missions qu'ils doivent accomplir. Il convient de noter que les effectifs des personnels administratifs ont légèrement diminué depuis 2015 et qu'ils ont baissé de 21 % depuis 2007. On constate donc une chute d'un cinquième des effectifs en quinze ans, qui sont passés de 65 000 à 51 000. La hausse du nombre de personnels non-enseignants à laquelle la presse a fait référence est liée quasiment exclusivement à la mise en oeuvre de l'école inclusive. En effet, le nombre d'AESH a triplé depuis 2015 et s'élève désormais à plus de 120 000 emplois.
Pour évaluer la taille de l'administration de l'éducation nationale, la comparaison avec les autres ministères est frappante. La direction du budget a établi un ratio du nombre de gérants pour le nombre de gérés, qui est de six pour mille à l'éducation nationale. Il est cinq fois plus élevé au ministère des armées et trois fois plus au ministère de l'économie. Le nombre de personnels administratifs de l'éducation nationale est donc loin d'être surdimensionné. De plus, il faut prendre en compte l'ampleur des missions à accomplir : gérer 1,2 million de personnels et permettre l'accès à l'éducation pour 12,7 millions d'élèves.
L'administration de l'éducation nationale est peu nombreuse, mais aussi inégalement répartie sur le territoire national, le ratio d'administration variant de un à trois selon les académies. Des redéploiements de personnels sont parfois nécessaires pour limiter ces inégalités territoriales.
L'administration de l'éducation nationale est enfin peu qualifiée. Ainsi, les personnels administratifs comptent 40 % de fonctionnaires de catégorie C, contre 18 % en moyenne dans la fonction publique d'État. Les missions accomplies par les personnels administratifs sont pourtant de plus en plus complexes, ce qui génère des frustrations et un sentiment d'injustice, alors même qu'ils accomplissent des tâches ne relevant pas de leur catégorie statutaire.
Vous me permettrez également d'évoquer le cas particulier des écoles du premier degré, dans lesquelles aucun personnel administratif n'est présent. Les tâches administratives y sont accomplies intégralement par les directeurs d'école, qui bénéficient de peu de décharges dans les petites écoles. L'ampleur des tâches ne relevant pas de la mission pédagogique du directeur, mais simplement de la gestion logistique de l'établissement, engendre un mal-être bien compréhensible. Le directeur d'école doit pouvoir disposer de temps pour piloter son école d'un point de vue pédagogique. Une réflexion devrait être engagée pour mutualiser certaines tâches administratives au sein des directions départementales et mobiliser des inspecteurs de l'éducation nationale.
J'en viens aux enjeux budgétaires. Évidemment, dès qu'il s'agit de l'éducation nationale, les montants en valeur absolue sont impressionnants. Pour 2024, le coût annuel des personnels administratifs de l'éducation nationale s'élève à 2,745 milliards d'euros. Cependant, ce montant ne représente que 3,3 % des dépenses totales de la mission « Enseignement scolaire » et 3,5 % des dépenses de personnel. À titre de comparaison, les rémunérations des AESH devraient coûter près de 5,5 milliards d'euros en 2025.
Depuis la rentrée 2020, les moyens budgétaires inscrits en loi de finances ne prévoient aucune mesure d'emploi pour les personnels administratifs, de sorte que les nouveaux établissements scolaires ne sont pourvus que par redéploiement.
Si les crédits dédiés ont augmenté de 160 millions d'euros entre 2023 et 2024, cette hausse est due pour moitié à des mesures de revalorisation concernant l'ensemble de la fonction publique, notamment aux deux augmentations du point d'indice. Cette hausse est également liée à une politique de revalorisation salariale de ces personnels, qui paraissait nécessaire. Le ministère de l'éducation nationale a admis être « très en retard » par rapport à la moyenne des administrations pour la rémunération de ses personnels administratifs. En moyenne, ces derniers sont payés 360 euros bruts de moins par mois que les agents d'autres administrations. La différence atteint 410 euros bruts par mois pour les personnels de catégorie B.
Cet écart est le résultat d'une sédimentation historique et a commencé à se résorber. Le ministère a mis en place une politique de convergence indemnitaire, financée à hauteur de 57 millions d'euros. Cette mesure aura permis d'augmenter en moyenne les agents de catégorie A de 3 000 euros annuels et celle des catégories B de 2 000 euros. Pour les agents de catégorie C, cette hausse aura entraîné un gain de rémunération de 56 euros par mois, soit 675 euros annuels.
En outre, les grilles de carrière sont très plates : il faut 19 ans d'ancienneté à un agent de catégorie C pour voir sa rémunération brute mensuelle augmenter de 100 euros par rapport à celle qu'il obtenait en début de carrière.
Le ministère a également mis en place un plan de requalification pour la période 2021-2026. L'objectif de ce plan est de réduire de neuf points la proportion d'agents de catégorie C sur cinq ans, ce qui permettra de reconnaître les compétences de ces personnels.
Il n'en demeure pas moins que l'objectif de rattrapage entre le personnel du ministère de l'éducation nationale et les autres ministères est loin d'être atteint et que ce décalage entraîne des difficultés de recrutement. Les inscriptions aux concours administratifs du ministère de l'éducation nationale ont significativement diminué entre les sessions 2018 et 2023, baissant de 35 % en cinq ans. Cette baisse doit également être reliée aux conditions de travail de ces personnels.
Les missions des personnels administratifs sont de plus en plus complexes et diversifiées. Le coeur du métier des personnels administratifs se transforme progressivement, même si les effets concrets de cette réorientation des missions tardent à être perçus par les autres personnels de l'éducation nationale. De plus, de récents développements informatiques ont représenté des sources de frustrations très importantes pour ces personnels. Ainsi, la satisfaction au travail des personnels administratifs de l'éducation nationale est inférieure d'un point par rapport à la moyenne des actifs français. Un meilleur accompagnement doit être assuré par le ministère, qui doit notamment accentuer sa stratégie de conduite du changement.
J'en viens enfin à la question du temps de travail des personnels administratifs de l'éducation nationale, qui a pu faire l'objet de controverses. Il convient de noter que le régime de temps de travail des personnels administratifs est identique à celui des autres personnels de l'éducation nationale. Il est conçu pour adapter le régime légal des 1 607 heures de travail annuelles aux contraintes spécifiques du calendrier scolaire. Les personnels administratifs doivent réaliser davantage d'heures de travail en période scolaire que pendant les congés.
Toutefois, une circulaire de 2002 permet aux personnels de déroger à la règle des 1 607 heures annuelles, notamment en comptant les jours fériés suivis ou précédés de jours travaillés comme des jours de travail. Ces dispositions sont obsolètes, fragiles juridiquement et doivent être abrogées pour aligner l'ensemble du cadre juridique du temps de travail des personnels administratifs sur celui du reste de la population.
Je signalerai toutefois que l'ensemble des personnes que j'ai entendues à ce sujet, au ministère et dans les établissements, ont estimé que les personnels administratifs réalisaient effectivement 1 607 heures de travail annuelles. L'abrogation du cadre juridique obsolète ne permettra pas de diminuer le nombre de personnels administratifs.
Le constat était sans doute un peu long, mais il était nécessaire de présenter ces personnels dans le détail avant d'aborder les recommandations découlant de mes travaux. Celles-ci sont au nombre de dix et je ne les citerai pas toutes. Certaines sont techniques, comme la recommandation, tenant à l'information du Parlement, qui vise à inclure un suivi de ces personnels dans les documents budgétaires. D'autres recommandations correspondent à des cas rencontrés sur le terrain, lors des deux déplacements que j'ai effectués à Créteil et dans l'académie de Nancy-Metz. À titre d'exemple, des missions assurées bénévolement par les personnels administratifs des établissements auraient pu donner lieu à une rémunération supplémentaire, au titre du pacte enseignant mis en place à la rentrée 2023. Or le pacte est réservé aux équipes éducatives et reste inaccessible aux personnels administratifs. Si un agent administratif réalise une mission pouvant être rémunérée au titre du pacte, il serait souhaitable qu'il puisse bénéficier des mêmes avantages que les enseignants. Il s'agit d'une mesure de justice, qui porte sur des cas marginaux. Nous devons également conduire une réflexion sur la place de l'administration dans le premier degré, en apportant un soutien administratif aux directeurs d'école, afin de leur permettre de remplir leur mission de pilotage pédagogique.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Sur cette dernière question, pour bien évaluer les enjeux, il faudrait comparer les charges de travail administratif dans une école de 300 élèves et dans un petit collège situé en territoire rural, qui n'accueille que 200 élèves. Le second bénéficie d'un appui administratif, mais non la première, ce qui pose question. Il faudrait déterminer si un modèle est plus performant que l'autre.
Le rapport permet de mesurer les écarts qui demeurent entre les académies en matière de nombre de personnels administratifs. On constate un ratio de un à trois entre académies les mieux et les moins bien dotées, ce qui pourrait certes être pire, mais dont nous ne pouvons nous satisfaire.
En matière de qualification et de rémunération, nous apprenons que 40 % de ces personnels administratifs sont des agents de catégorie C et qu'il peut leur falloir vingt ans pour progresser de 100 euros sur la grille indiciaire, ce qui paraît d'une autre époque. Ce rapport souligne bien les efforts qui restent à fournir en la matière. Je note aussi qu'un plan de requalification est mis en place, qui doit participer à l'encadrement de l'ensemble de la communauté éducative, y compris des personnels administratifs, souvent mal identifiés par les parents, les enseignants et même les enfants.
Très en amont de nos discussions à venir sur le budget, ce rapport nous permet de développer nos connaissances sur ces agents, qui représentent moins de 5 % des personnels de l'éducation nationale, et de mieux comprendre à quoi correspondent les 25 % de personnels non-enseignants, chiffre que l'on retrouve fréquemment dans le débat public.
M. Stéphane Sautarel. - Je partage les recommandations présentées dans ce rapport, qui a le mérite de donner des chiffres sur un sujet souvent évoqué. Ma remarque portera toutefois non sur les personnels administratifs mais sur les 75 % d'enseignants que compte l'éducation nationale. Cette proportion comprend des enseignants qui ne sont pas devant élèves ; pourrait-on en savoir davantage à leur sujet ?
Mme Christine Lavarde. - Quelles fonctions remplissent ces personnels administratifs ? Quelle part représentent-ils parmi les personnels des directions des services départementaux de l'éducation nationale (DSDEN)= ?
S'agissant du temps de travail, le mot « obsolète » semble effectivement adapté. Pourquoi ces personnels sont-ils soumis au calendrier de l'éducation nationale alors qu'ils ne sont pas tous devant élèves ? Sont-ils tous soumis au régime des 36 semaines scolaires ou peuvent-ils choisir un temps de travail plus classique ? Y a-t-il une durée maximale de temps travaillé par jour ?
M. Arnaud Bazin. - Le rapport réfute l'idée d'une suradministration de l'éducation nationale. Cependant, on peut se poser la question des tâches effectuées par ces agents ; font-elles toutes sens ? Quel est l'impact de la numérisation sur les besoins en personnel et sur les tâches elles-mêmes ?
Mme Florence Blatrix Contat. - Je suis frappée par la sous-rémunération des agents par rapport aux personnels des autres administrations, créant un problème d'attractivité. Les revalorisations relativement faibles pour les catégories C sont aussi sources d'inégalité.
En ce qui concerne l'accompagnement administratif des directeurs d'école que vous proposez, je soulignerai un biais possible : placer des administratifs dans les écoles, pour prendre en charge des tâches qu'il n'est pas toujours simple de différencier des tâches pédagogiques, risque d'aboutir à des regroupements d'écoles et à la disparition de certains établissements dans nos communes rurales.
M. Olivier Paccaud, rapporteur spécial. - Le rapporteur général nous engage à comparer un petit collège à une école. Le premier est dirigé par un principal : il s'agit, non pas d'un personnel administratif, mais d'un personnel de direction, qui est entouré, au minimum, d'un secrétaire et d'un gestionnaire, dénommé « secrétaire général », soit deux personnels administratifs. Au sein de l'école primaire, le directeur est seul et il est plus ou moins déchargé, selon la taille de l'établissement - la décharge est totale uniquement à partir de douze classes ou plus. En la matière, je préconise non pas de placer un personnel administratif dans toutes les écoles, mais éventuellement de réfléchir à la mutualisation de secrétaires volants, qui pourraient venir de l'administration rectorale ou des DSDEN afin d'accompagner les directeurs dans le travail purement administratif.
Quant aux disparités entre académies, elles sont effectivement très fortes et le rapport donne des chiffres précis. Entre Versailles ou Créteil d'une part et la Corse d'autre part, le ratio est bien supérieur à celui de un à trois. Certes, des considérations démographiques entrent en ligne de compte, mais elles n'expliquent pas la totalité de ces disparités. Le redéploiement n'a pas forcément été bien mené et certaines académies sont sur-dotées, comme celle de Limoges.
Monsieur Sautarel, les enseignants qui ne sont pas devant les élèves représentent 1,5 % des enseignants dans le premier degré et ce pourcentage se décompose ainsi : 1,1 % sont en congé de longue maladie et 0,4 % bénéficient d'une décharge syndicale ou sont élus. Dans le second degré, ce taux s'élève à 3,2 % et 1,8 % sont en congé en maladie.
Qui sont ces personnels administratifs ? D'abord, 61 % travaillent dans des établissements publics locaux d'enseignement (EPLE), 20 % au rectorat, 3 % au ministère et d'autres encore au Centre national d'enseignement à distance (Cned), dans le réseau Canopé ou à l'Office national d'information sur les enseignements et les professions (Onisep).
Dans les collèges, ces personnels ont des fonctions de gestion et de secrétariat. Ils accomplissent parfois des tâches auxquelles on ne pense pas. À titre d'exemple, ils peuvent gérer les gratifications des stages en lycée professionnel. Dans les gros établissements, interviennent des agents comptables, qui ont la charge de plusieurs collèges ou lycées. J'ai ainsi rencontré lors d'un déplacement un agent comptable dont l'agence gérait un budget total de 13 millions d'euros.
De nouveaux logiciels informatiques, relativement complexes, ont été mis en place, avec, parfois, des formations lacunaires. Un système de référents a été instauré pour aider à l'appréhension de ces nouveaux logiciels. Certains des outils informatiques sont parfois un peu vieillots. Sur cette question, je signale que le directeur d'école doit payer lui-même une partie de son ordinateur. Il touche désormais une prime à cet effet ; à raison de 150 euros par an, celle-ci est insuffisante pour obtenir du matériel de qualité, que les municipalités fournissent parfois.
Vous avez raison, madame Blatrix Contat, si nous commençons à rencontrer un problème de recrutement, c'est parce que ces personnels ne sont pas très bien payés. Les revalorisations effectuées vont dans le bon sens, mais restent insuffisantes. À titre d'exemple, les personnels de Moselle sont souvent démarchés par le Luxembourg, où ils touchent jusqu'à trois fois plus. On trouve de moins en moins de directeurs d'écoles, parce que le travail est conséquent et la prime de direction relativement ridicule. Des efforts doivent être fournis, que détaillent les recommandations, notamment sur les heures supplémentaires.
S'agissant du temps de travail, ces personnels administratifs accomplissent bien 1 607 heures annuelles, tout le monde en convient. Les personnels administratifs n'ont pas les mêmes vacances que les enseignants, mais travaillent plus en période scolaire, a fortiori ceux, majoritaires, présents dans les établissements scolaires. Le maximum réglementaire est de 40 heures par semaine. Certains font plus, les surcharges de travail étant difficiles à absorber à certains moments de l'année.
La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et a autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.