III. FACE À LA COMPLEXIFICATION DES MISSIONS, UN PILOTAGE DES PERSONNELS ADMINISTRATIFS À MODERNISER
A. LA COMPLEXIFICATION DES MISSIONS ENTRAINE UNE PERCEPTION DÉGRADÉE DES CONDITIONS DE TRAVAIL
1. Un régime de temps de travail historiquement dérogatoire en raison des contraintes propres aux missions des personnels administratifs
a) Un régime de temps de travail adapté aux contraintes particulières d'exercice en établissement scolaire des personnels administratifs
Les personnels administratifs sont soumis au même régime de temps de travail que celui s'appliquant à l'ensemble des personnels de l'éducation nationale. Comme rappelé par la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique30(*), le décompte du temps de travail de tous les agents de l'État, incluant les personnels de l'éducation nationale, est fixé sur la base d'une durée annuelle de travail effectif de 1 607 heures31(*), soit 35 heures par semaine.
Toutefois, au vu des contraintes spécifiques s'appliquant aux personnels exerçant leurs missions en établissement scolaire, l'arrêté du 15 janvier 200232(*) prévoit que la réduction de la durée hebdomadaire du travail doit s'opérer « sur la base de 9 semaines de congés [soit 45 jours] dans les situations de travail les plus courantes ». En effet, dans leurs diverses fonctions en support du système éducatif, les personnels administratifs accomplissent leurs missions dans le cadre du calendrier scolaire, alternant des temps de présence des enseignants devant les élèves et des temps de congés scolaires.
Conformément à la définition de cycles de travail prévus à l'article 4 du décret ARTT du 25 août 200033(*), chaque chef de service organise le temps de travail selon les nécessités du service. L'organisation du temps de travail dit « annualisé » dans les établissements scolaires - et dans une moindre mesure dans les services académiques - est fondée sur le principe d'un temps de travail hebdomadaire supérieur à 35 heures compensé par un surcroît de jours de congés ou de jours dits aménagement et réduction du temps de travail (ARTT). Cette organisation est conforme à l'obligation des 1 607 heures de travail annuel et permet de concilier les nécessités de services et d'accueil des usagers avec l'obligation légale des 35 heures hebdomadaires.
b) Des textes obsolètes mettant en place un régime dérogatoire de temps de travail des personnels administratifs sans réel impact sur le temps de travail effectif
Suite à l'accord-cadre34(*) ministériel du 16 octobre 2001, négocié avec les organisations syndicales, une circulaire35(*) de 2002 formule deux mesures d'adaptation de l'obligation légale annuelle des 1 607 heures, d'une part sur les modalités de comptabilisation de la pause quotidienne réglementaire de 20 minutes, et d'autre part sur la prise en compte des jours fériés.
Concernant la pause quotidienne réglementaire de 20 minutes, le décret ARTT du 25 août 2000 précité dispose que « aucun temps de travail quotidien ne peut atteindre six heures sans que les agents bénéficient d'un temps de pause d'une durée minimale de vingt minutes ». Toutefois, la circulaire précitée de 2002 précise de façon dérogatoire que ce temps de pause est inclus dans les obligations de service quotidiennes des personnels et est dès lors comptabilisé comme du temps de service effectif. Dans son relevé d'observations définitives36(*) portant sur les personnels administratifs des universités, gérés par le secrétariat général commun aux ministères de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur, publié en octobre 2023, la Cour des comptes estime que cette modalité n'est pas conforme aux dispositions juridiques en vigueur.
De plus, la circulaire du 21 janvier 2002 précitée précise que les jours fériés sont décomptés comme du temps de travail effectif lorsqu'ils sont précédés ou suivis d'un jour travaillé. Dans le relevé d'observations définitives précité, la Cour des comptes mentionne « [qu'] aucune disposition légale ou réglementaire ne permet de procéder à une prise en compte des jours fériés pour le calcul du temps de travail ».
Un rapport37(*) de l'Inspection générale des finances (IGF), paru en 2019, recommandait également de supprimer la pratique des « jours de fractionnement », soit des jours de congés supplémentaires prévus pour l'ensemble des fonctionnaires, conformément au décret38(*) du 26 octobre 1984.
L'ensemble des auditionnés a toutefois estimé que les personnels administratifs réalisaient 1 607 heures de travail annuel effectif, voire davantage au vu de la complexification des missions exercées. Ces dispositifs dérogatoires ne semblent pas être appliqués dans la réalité.
En conséquence, la circulaire du 21 janvier 2002 constitue un texte obsolète, fragile en termes juridiques - dans la mesure où il n'est pas possible de déroger à une loi par un texte réglementaire sans disposition spécifique - et dont l'abrogation ne devrait pas entrainer une hausse du temps de travail réel des personnels administratifs.
À noter, il est dans les faits impossible de mesurer le temps de travail effectif des personnels administratifs en EPLE, en l'absence de systèmes de badge permettant de décompter le temps de travail. Ce système est en place uniquement dans certains rectorats, notamment à l'académie de Nancy-Metz. Il serait de toute façon difficile de le généraliser à l'ensemble des EPLE, qui ne comptent parfois que deux emplois administratifs.
La DGRH39(*) a indiqué avoir engagé une réflexion sur le sujet du temps de travail des personnels notamment administratifs, mais indique qu'une telle réforme n'est faisable « qu'en l'accompagnant de mesures de compensation financière ». Un rapport sur le temps de travail des personnels de l'éducation nationale devrait être publié par le Gouvernement à brève échéance. Le rapporteur spécial sera attentif à ses conclusions.
Recommandation n° 9 : abroger le cadre juridique obsolète, en particulier la circulaire de 2002, afin d'aligner le temps de travail effectif et le régime applicable aux personnels administratifs de l'éducation nationale (DGRH).
2. La complexification des missions des personnels administratifs est source de diminution de leur bien-être au travail
a) Les missions des personnels administratifs sont de plus en plus complexes
Les missions des personnels administratifs ont été renouvelées ces dernières années sous l'effet de diverses réformes. En effet, les réformes pédagogiques impliquent souvent une évolution de l'organisation en EPLE : groupes au collège, réforme du lycée, transformation de la voie professionnelle, etc. Le poids de l'ingénierie des réformes repose en partie sur les personnels administratifs.
Ainsi, à titre d'illustration, dans le cadre de la réforme de la voie professionnelle, la mise en place de la gratification des périodes de stage lors du parcours de formations en milieu professionnel (PFMP) a eu des incidences pour les personnels administratifs en lycée professionnel. Depuis la rentrée 2023, à la suite du décret40(*) du 11 août 2023, ces personnels participent à la mise en oeuvre du versement d'une allocation en faveur des lycéens de la voie professionnelle.
On peut également citer la mise en oeuvre du Pacte enseignant : à titre d'exemple, rien n'a été prévu dans les logiciels informatiques pour permettre le paiement des « briques » du Pacte enseignant dans le premier degré.
De même, les modes de recrutement des enseignants ont évolué, notamment du fait de recrutement massif d'enseignants contractuels, impliquant une professionnalisation accrue et rapide des services des rectorats dédiés aux recrutements. La population des AESH a été multipliée par trois entre 2015 et 2022, impliquant une augmentation des tâches liées à la gestion de ces personnels.
Plus fondamentalement, le coeur des missions des personnels administratifs a été rénové : ils ont maintenant dans les textes une véritable mission d'accompagnement des parcours des personnels, impliquant d'assurer la paie, de mettre en oeuvre les avancements d'échelon mais aussi de répondre aux sollicitations de l'ensemble des personnels. Le ministère insiste sur le fait que le métier d'un grand nombre de personnels administratifs comporte une dimension importante de service rendu à l'usager, ce dernier étant dans la plupart des cas un autre personnel du ministère. Cependant, si ces ambitions sont louables, le rapporteur spécial s'interroge sur la concrétisation de cette approche centrée sur l'usager. En réalité, dans bien des cas et comme cela sera développé plus bas, les moyens limités des services académiques limitent les possibilités de mettre en place un traitement individualisé des agents.
En plus des changements de nature des missions de ces personnels, l'évolution des systèmes informatiques a impliqué le déploiement d'applications informatiques nouvelles, dont la prise en main a été difficile pour les personnels administratifs, occasionnant des surcroîts de travail. Deux programmes applicatifs ont particulièrement cristallisé les difficultés des personnels administratifs :
- le programme RenoiRH, application interministérielle, est un système d'information de gestion des ressources humaines et qui a impliqué un changement de métier et d'organisation important pour de nombreux personnels administratifs, en particulier en rectorat.
- le programme Op@le, application développée par Capgemini, sert à la gestion financière et comptable et est déployée essentiellement dans les EPLE. Contrairement au logiciel précédemment utilisé, Op@le durcit l'application des règles de gestion budgétaire et comptable, ce qui avait été recommandé par différents rapports de l'inspection générale des finances (IGF) et de l'inspection générale de l'éducation nationale et de la recherche41(*) (IGAENR). L'application a été déployée par vagues successives dans les EPLE depuis 2022. Un soutien a été mis en place par certains rectorats pour le déploiement de ce logiciel depuis 2023. Ce soutien repose toutefois essentiellement sur un système de tutorat par des personnels administratifs ayant parfois tout juste acquis la connaissance relative à l'utilisation du logiciel.
De façon plus générale, des problèmes d'outils informatiques parfois obsolètes ont été largement évoqués par les auditionnés.
L'ensemble de ces évolutions entraine des enjeux de conduite du changement, afin de préparer les personnels administratifs et de les accompagner dans la mise en oeuvre de ces évolutions, qui gagneraient à être mieux pris en compte et anticipés par les rectorats et par l'administration centrale.
Ces enjeux de conduite de changement sont d'autant plus importants que les personnels administratifs titulaires ont une ancienneté au travail élevée, contrairement aux personnels contractuels. Entre 2015 et 2022, la part de personnels administratifs titulaires avec 20 à 25 ans d'ancienneté a augmenté de 16 %.
Ancienneté au travail des personnels administratifs fonctionnaires
Source : commission des finances du Sénat d'après les chiffres du ministère de l'éducation nationale
Un agent avec une longue expérience du métier constitue un atout pour l'administration de l'éducation nationale, mais implique que les changements majeurs d'exercice des missions doivent faire l'objet d'un accompagnement particulier et spécifique. Les évolutions liées aux logiciels Op@le et RenoiRH ont été sources de frustrations d'autant plus importantes que les personnels avaient une longue habitude des anciennes applications.
b) La complexification des missions des personnels administratifs est source de mal-être au travail
Les enquêtes menées par le ministère de l'éducation nationale sur le ressenti au travail révèlent une insatisfaction au travail des personnels par rapport au reste de la population. Selon la DEPP42(*), l'ensemble des personnels de l'éducation nationale attribuent la note moyenne de 6,1 sur 10 pour évaluer leur satisfaction professionnelle (0 signifiant « pas du tout satisfait », 10 « tout à fait »), alors que la moyenne s'élève à 7,1 sur 10 pour l'ensemble des Français.
Au sein des personnels administratifs, les agents de catégorie A déclarent une satisfaction au travail globalement moins élevée (5,8 sur 10) que les personnels de catégorie B et C (6,4 sur 10).
Le niveau de rémunération, noté 5,2 par les personnels de catégorie A et 3,3 pour les personnels de catégorie B et C, et les perspectives de carrière, notées 4,2 par les personnels de catégorie A et 3,2 pour les personnels de catégorie B et C, constituent des sources d'insatisfaction marquée pour les personnels administratifs exerçant en EPLE. Les personnels administratifs en sont toutefois moins insatisfaits que l'ensemble des personnels de l'éducation nationale, qui évaluent à 3,2 le niveau de rémunération et à 2,8 les perspectives de carrière.
Concernant les améliorations à apporter à leur poste, 55 % des personnels administratifs de catégorie B et C évoquent la rémunération, soit une proportion comparable à celle de l'ensemble des personnels de l'éducation nationale (59 %). Toutefois, on peut noter que 59 % des personnels administratifs de catégorie A estiment que la charge de travail devrait être allégée, alors que seuls 41 % estiment leur rémunération inadaptée. Parmi les personnels de l'ensemble de l'éducation nationale, seuls 44 % évoquent une charge de travail inadaptée. Ainsi, pour les personnels administratifs les plus qualifiés, une part importante de leur mal-être est liée à la charge de travail en hausse constante du fait des évolutions permanentes de leurs missions. Enfin, 32 % des personnels de catégorie A et 35 % des personnels administratifs de catégorie B et C souhaiteraient une amélioration des perspectives de carrière.
Déclarations des personnels sur les
domaines à améliorer prioritairement
pour l'exercice de leur
métier
(en %)
Pouvoir d'achat |
Charge de travail |
Perspectives de carrière |
Santé au travail |
Formation professionnelle et continue |
|
Personnels administratif catégorie A en EPLE |
41 |
59 |
32 |
19 |
23 |
Personnels administratifs de catégorie B et C en EPLE |
55 |
35 |
35 |
20 |
15 |
Ensemble des personnels de l'éducation nationale en EPLE |
59 |
44 |
27 |
15 |
20 |
Note : plusieurs réponses sont possibles pour chaque répondant.
Source : commission des finances d'après la DEPP
L'enquête menée par Georges Fotinos et José Mario Horenstein43(*), intitulée Les personnels d'administration, les invisibles du système administratif, relevait également que 77,5 % des personnels administratifs interrogés évoquaient une augmentation du temps de travail depuis quatre ans. L'inadaptation des outils informatiques était relevée par 45 % des fonctionnaires de catégorie A et par 35 % des fonctionnaires de catégorie C. Près de 4 personnels sur 10 estiment délaisser le coeur de leur métier pour effectuer des tâches de gestion numérique. Les enjeux de conduite du changement en matière numérique sont donc essentiels pour la gestion des personnels administratifs.
Il faut noter toutefois de manière générale que les personnels administratifs apprécient travailler dans leur établissement. Les personnels de catégorie A évaluent à 6,6 sur 10 leur satisfaction et les personnels de catégorie B et C à 7,1, contre 7,2 pour l'ensemble de l'éducation nationale.
Les personnels administratifs sont aussi peu sollicités dans la conception des évolutions pédagogiques. L'idée de les impliquer davantage a ainsi émergé. Le Conseil national de la refondation propose aux EPLE de construire des projets éducatifs en vue d'améliorer la réussite et le bien-être des élèves. Ces projets doivent être le résultat des réflexions de l'ensemble de la communauté éducative, y compris des personnels administratifs. Ils peuvent bénéficier, le cas échéant, du soutien financier des autorités académiques et des crédits du Fonds d'innovation pédagogique. Il s'agit d'une initiative intéressante permettant d'associer les personnels administratifs à des évolutions dont ils accompagnent la mise en oeuvre dans leurs missions.
* 30 Loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.
* 31 Conformément à l'article L. 3121-27 du code du travail.
* 32 Arrêté du 15 janvier 2002 portant application, dans les services déconcentrés et établissements relevant du ministère de l'éducation nationale, du décret n° 2000-815 du 25 août 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'État.
* 33 Décret n°2000-815 du 25 août 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'État et dans la magistrature.
* 34 Accord cadre du 16 octobre 2001 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail pour le personnel IATOSS et d'encadrement - Cadrage national.
* 35 Circulaire n° 2002-007 du 21 janvier 2002.
* 36 Relevé d'observations définitives n° S2023-1127 relatif au temps de travail des personnels non enseignants des universités : suivi des suites du référé du 19 septembre 2019.
* 37 Rapport n°2018-M-096-03 sur les régimes dérogatoires aux 35 heures dans la fonction publique de l'État.
* 38 Décret n° 84-972 du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l'État.
* 39 Audition du directeur général des ressources humaines.
* 40 Décret n° 2023-765 du 11 août 2023 relatif au versement d'une allocation en faveur des lycéens de la voie professionnelle dans le cadre de la valorisation des périodes de formation en milieu professionnel.
* 41 Rapport n°2016-071 de novembre 2016 de l'IGAENR intitulé « L'évolution de la carte comptable : de la croisée des chemins à de nouveaux défis à relever ».
* 42 Rade É, 2024, Bien-être au travail des personnels de l'Éducation nationale : des résultats stables en 2023, note d'information, n° 24.03, DEPP.
* 43 Georges FOTINOS et José Mario HORENSTEIN, Les personnels d'administration, les invisibles du système éducatif, 2022.