II. UN RÉGIME EFFICACE ET NÉCESSAIRE, MAIS QUI PRÉSENTE DES FAIBLESSES EN TERMES DE LISIBILITÉ ET D'ÉQUITÉ

Les effets, parfois difficilement modélisables, du réchauffement climatique sur les catastrophes naturelles accentuent leur imprévisibilité et leur sinistralité, les rendant toujours plus complexes à assurer. Ces phénomènes ont ainsi tendance à renforcer la légitimité du régime CatNat et des principes de solidarité et de mutualisation qu'il emporte. Un régime tel que celui-ci semble aujourd'hui nécessaire pour garantir à tous les assurés, sur l'ensemble du territoire, une couverture économiquement abordable pour les aléas naturels aujourd'hui intégrés dans le dispositif.

Pour qu'un risque puisse être assurable par le secteur privé, il doit être à la fois aléatoire, quantifiable et soutenable économiquement pour les assurés au regard du niveau de prime qu'il suppose. Aujourd'hui, et plus encore en raison des effets du réchauffement climatique, ces critères ne sont pas remplis pour les risques qui font partie du périmètre du régime CatNat.

« Quantifier » un risque revient à lui associer un prix. Or, du fait des conséquences du réchauffement climatique, cet exercice devient de plus en plus complexe et incertain. La volatilité liée au risque d'intensité des catastrophes, très difficile à anticiper, est devenue plus déterminante que le risque associé à la fréquence de ces évènements, beaucoup plus simple à modéliser. Le principal risque tient ainsi désormais au franchissement de certains seuils d'intensité d'évènements extrêmes qui, en raison de la vulnérabilité des constructions, causeraient des dommages incommensurables. Pour illustrer ce risque, il est souvent fait mention de l'exemple de vents de 300 km/h qui pourraient entraîner l'effondrement de gratte-ciels à Manhattan.

À cet égard, le rapport de la mission sur l'assurabilité des risques climatiques, rendu public en avril 202417(*), insiste sur la nécessité de parvenir à prendre en compte des phénomènes susceptibles de démultiplier les conséquences financières des catastrophes naturelles tels que les « points de bascule climatiques ou sociétaux » ainsi que les « évènements uniques extrêmement coûteux » 18(*).

Les conséquences des dérèglements climatiques risquent aussi d'accentuer la fréquence et l'intensité de phénomènes particulièrement complexes à modéliser tels que les combinaisons ou « cascades » de risques qui amplifient sensiblement les dommages constatés et le coût des sinistres à indemniser.

Le principe de solidarité inhérent au régime CatNat permet de réduire la variabilité des primes d'assurance sur le territoire. Selon certaines compagnies d'assurance, sans un modèle de mutualisation tel que le régime CatNat, les primes d'assurance pourraient varier sur une échelle de 1 à 30 selon les localisations. Certains territoires et certains biens ne seraient plus assurables à des tarifs abordables.

Les avantages d'un modèle d'assurance des risques de catastrophes naturelles mutualisé selon le rapport de la mission sur l'assurabilité
des risques climatiques

Le rapport dit « Langreney » souligne le fait que le régime CatNat a permis de rendre accessible la couverture assurantielle sur l'ensemble du territoire national : « la mutualisation entre tous les assurés des périls climatiques couverts par le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles constitue un modèle très protecteur (et donc précieux) pour garantir une couverture assurantielle large, y compris dans les zones les plus exposées aux périls climatiques ». Il ajoute que le modèle CatNat français « a démontré une certaine efficacité pour contenir les risques de non-assurance ou d'intervention de l'État. Ce modèle présente l'avantage de mutualiser, au moins en partie, le niveau des primes pour rendre l'assurance accessible dans les zones les plus exposées aux aléas ».

Source : « Adapter le système assurantiel français face à l'évolution des risques climatiques », Thierry Langreney, Gonéri Le Cozannet, Myriam Mérad, décembre 2023

Les Etats-Unis font à cet égard figure de contre-exemple. En l'absence de mécanismes de solidarité et de mutualisation, chaque assuré paie une prime qui reflète la réalité des risques auxquels ses biens sont exposés. Dans des territoires tels que la Louisiane par exemple il est aujourd'hui extrêmement difficile de s'assurer. Constatant les défaillances manifestes de ce système certains États fédérés ont été contraints de prendre des mesures de soutien afin de se substituer au marché assurantiel privé et à ses insuffisances.

Extrait du rapport « Langreney » relatif aux limites des modèles
assurantiels des catastrophes naturelles fondés sur la liberté de marché

Les exemples de modèles assurantiels fondés sur la liberté de marché, qui se traduisent par une liberté de souscription de l'assuré et une tarification des risques en fonction de l'exposition climatique, peuvent générer un phénomène de non-assurance de nombreux ménages, collectivités et entreprises et une instabilité de l'offre assurantielle. Les limites de ces modèles dans une situation de forte sinistralité se sont traduites par une intervention fréquente des États en dernier ressort, soit pour subventionner l'offre assurantielle, soit pour soutenir l'accès à l'assurance, soit en soutien budgétaire d'urgence post-catastrophe.

Source : rapport « adapter le système assurantiel français face à l'évolution des risques climatiques », décembre 2023.

Si la légitimité du régime CatNat est aujourd'hui quasi unanimement reconnue, son modèle souffre néanmoins d'un certain manque de lisibilité suscitant incompréhensions et frustrations.

Le périmètre du régime fait débat. Des interrogations subsistent au sujet de certains risques qui ne sont pas couvert par le régime ou, au contraire, qui y sont inclus alors que leurs caractéristiques semblent s'écarter des principes originels du modèle français de prise en charge des catastrophes naturelles.

Les risques tempête-grêle-neige sont couverts par un dispositif assurantiel classique à la main des compagnies d'assurance. La CCR estime qu'il n'existe pas à l'heure actuelle de phénomènes d'antisélection sur ce type de risque qui justifieraient leur intégration dans le régime CatNat. S'agissant spécifiquement du risque grêle, il n'est cependant pas exclu qu'à l'avenir cette analyse doit être réévaluée à l'aune de l'évolution des phénomènes extrêmes.

Certains s'interrogent également sur le traitement différencié des risques relatifs à la submersion et au recul du trait de côte. Si le premier est intégré au régime CatNat, le second, du fait de sa cinétique lente et de son caractère plus prévisible, n'en fait pas partie. Cette distinction est parfois contestée dans la mesure notamment où ces deux risques sont bien souvent liés et s'auto-alimentent.

Ce traitement différencié est d'autant moins lisible que le risque relatif au retrait gonflement des argiles (RGA) lui-même à cinétique longue et relativement prévisible est intégré au régime CatNat depuis 1989. En effet, alors que les catastrophes naturelles sont habituellement caractérisées par une cinétique rapide, le RGA est un phénomène qui évolue de manière progressive. Cependant, comme l'a souligné le rapporteur dans son rapport d'information de février 2023 portant sur le financement du risque RGA19(*), le caractère non assurable par le secteur privé de ce risque suppose, au moins dans l'immédiat, de le maintenir au sein du périmètre du régime.

La lisibilité du régime souffre aussi de la complexité de certains de ses paramètres. Comme a pu le souligner le rapporteur dans son rapport d'information de février 2023 précité, les critères de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle relatifs au phénomène de RGA en sont un exemple illustratif.

Ainsi, la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle est conditionnée à deux critères cumulatifs : un critère dit géotechnique destiné à vérifier la présence de plaques argileuses sur le territoire de la commune à partir des données du bureau des recherches géologiques et minières (BRGM) et un critère dit hydrique ou « météorologique » qui concentre les critiques des sinistrés ainsi que des communes dont le dossier de reconnaissance est rejeté. Déterminé par l'opérateur Météo-France, ce dernier critère consiste à calculer la variation de l'indice d'humidité des sols superficiels. Compte-tenu du maillage de ses stations, Météo-France n'est en capacité de mesurer cet indicateur que sur des surfaces de 64 km2, une précision insuffisante pour une approche fine. L'indicateur est calculé chaque mois puis lissé par trimestre. Pour caractériser un phénomène de sécheresse qualifié d'anormal au sens du régime CatNat, le critère météorologique doit démontrer que la variation de l'humidité des sols sur le périmètre concerné est la plus significative ou la deuxième plus significative des relevés effectués sur les cinquante dernières années, soit une « période de retour » de 25 ans. Au-delà de son insuffisante précision, le critère météorologique pêche par une complexité qui le rend peu lisible aux yeux des sinistrés et des communes.

Le fonctionnement du régime CatNat ne va pas sans susciter un sentiment d'iniquité chez certains assurés. Ce sentiment est parfois la conséquence même du principe de mutualisation inhérent au régime. Certains assurés, moins exposés que d'autres à la matérialisation des aléas couverts par le modèle de prise en charge de catastrophes naturelles considèrent ainsi qu'ils ne devraient pas se voir appliquer le même niveau de surprime. Ce sentiment est proportionnel au niveau de surprime, et son relèvement, qui doit intervenir en 2025 pourrait conduire à le rendre plus prégnant encore.

Il se manifeste tout particulièrement pour les assurés professionnels, les immeubles d'entreprises étant souvent, en particulier s'agissant du phénomène de RGA, moins exposés aux aléas couverts par le régime CatNat que ne peuvent l'être les maisons particulières. L'Association pour le management des risques et des assurances de l'entreprise (AMRAE) a notamment exposé ce point de vue auprès du rapporteur. Les entreprises ont le sentiment que le régime CatNat bénéficie significativement plus aux particuliers qu'aux professionnels et elles regrettent que cette question ne fasse pas l'objet d'une transparence suffisante. Le groupe d'assurance SMABTP a également exposé ses craintes à ce sujet au rapporteur. La question se pose de savoir jusqu'à quel niveau de surprime l'acceptabilité du principe de mutualisation intégral du régime restera satisfaisante faute de quoi des dispositifs de modulation pourraient devoir être instaurés. De tels dispositifs conduiraient cependant à fragiliser la logique de solidarité du régime. La Direction générale du Trésor estime ainsi à ce stade qu'il est « raisonnable de continuer de faire porter la solidarité nationale à égalité sur les professionnels et les particuliers car dans le cadre d'évènements exceptionnels, comme par exemple une crue importante de la seine, le risque « entreprises » serait très significatif »20(*).

Du côté des compagnies d'assurance elles-mêmes un sentiment d'iniquité transparaît parfois chez les assureurs fortement présents en zones rurales, davantage exposés aux aléas couverts par le régime CatNat que les assureurs « urbains ». Ces compagnies sont contraintes de pratiquer des formes de péréquations entre leurs contrats au détriment de leur compétitivité sur le marché assurantiel.

Les conditions dans lesquelles sont indemnisées les sinistrés victimes de dommages causés par les aléas couverts par le régime font parfois elles aussi l'objet de contestations. Les plus vives concernent la prise en charge du phénomène de RGA.

Confirmant les analyses exposées par l'Inspection générale des finances (IGF), le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD)21(*) et l'Inspection générale de l'administration (IGA) ou la Cour des comptes22(*), le rapporteur avait, dans son rapport d'information de février 2023 précité, souligné le caractère profondément insatisfaisant des conditions de prise en charge alors en vigueur s'agissant du phénomène de RGA.

En effet, premièrement, de nombreuses communes touchées par la sinistralité sécheresse se voient refuser l'éligibilité au régime CatNat puisqu'en moyenne seules 50 % de celles qui ont déposé une demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle l'obtiennent.

Deuxièmement sur le territoire des communes reconnues en état de catastrophe naturelle au titre du phénomène de RGA, un nouveau filtre diminue drastiquement le périmètre de la couverture des dommages par le régime puisqu'environ la moitié des dossiers d'indemnisation déposés par les personnes victimes d'un sinistre sont classés sans suite par les experts mandatés par les sociétés d'assurance. Cette situation insatisfaisante génère de nombreux contentieux.


* 17 Le rapport a en revanche été transmis aux ministres en décembre 2023.

* 18 Rapport « Adapter le système assurantiel français face à l'évolution des risques climatiques », décembre 2023, page 31.

* 19 Rapport d'information n° 354 (2022-2023) de Mme Christine Lavarde fait au nom de la commission des finances sur le financement du risque de retrait gonflement des argiles et de ses conséquences sur le bâti.

* 20 Réponses de la Direction générale du Trésor au questionnaire du rapport spécial.

* 21 Rapport sur la gestion des dommages liés au retrait-gonflement des argiles sur le bâti existant, IGF, CGEDD, IGA, mars 2021.

* 22 « Sols argileux et catastrophes naturelles », Cour des comptes, février 2022.

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