B. DANS LE CAS CONTRAIRE, S'IL DEVAIT Y AVOIR DES CESSIONS D'ACTIFS, ALORS PLUSIEURS PRÉCAUTIONS DEVRAIENT ÊTRE PRISES

1. Dans tous les cas, préserver coûte que coûte l'emploi et l'outil industriel sur le territoire national

À l'issue de leurs travaux, les rapporteurs sont parvenus à la conclusion que la première valeur ajoutée d'Atos repose sur ses collaborateurs, détenteurs de compétences, de connaissances et de savoir-faire qui permettent à l'entreprise d'être un grand groupe informatique français d'envergure internationale. Paul Saleh, directeur général du groupe, a ainsi rappelé lors de son audition que le groupe compte « 95 000 collaborateurs, dont 80 000 ingénieurs, ce qui explique que nous détenions plus de 2 000 brevets et plus de 400 000 certifications »112(*). Autrement dit, préserver l'emploi c'est aussi préserver des compétences qui font la valeur technologique du groupe.

Les rapporteurs souhaitent ainsi insister sur ce point, car ils ont constaté que les enjeux de préservation de l'emploi sont malheureusement trop souvent absents du débat relatif à l'avenir d'Atos. Or, l'immense majorité des collaborateurs du groupe n'est pas responsable de ses « errements stratégiques » des dernières années. Il ressort des auditions que la restructuration déjà à l'oeuvre de l'entité Tech Foundations, en particulier en Allemagne, a déjà conduit à la suppression de milliers d'emplois. Par exemple, en février 2023, un plan de réduction d'effectifs de 7 500 personnes a été annoncé sur trois ans, dont 2 200 en Allemagne et 800 en France, pour la seule entité Tech Foundations. Cette restructuration se poursuivra dans les prochaines années, avec d'autres milliers d'emplois qui seront supprimés, sans doute de l'ordre de 4 000 à 5 000 postes, permettant plusieurs centaines de millions d'euros d'économies de coûts nécessaires à l'atteinte des objectifs de performance économique et financière ambitieux que le groupe Atos s'est récemment fixé pour Tech Foundations d'ici 2027.

Par conséquent, pour les activités, les branches et les entités du groupe Atos qui pourraient être cédées, les rapporteurs appellent l'ensemble des repreneurs éventuels à accorder une importance particulière à la préservation de l'emploi industriel et de l'appareil productif sur le territoire national et les pouvoirs publics à fixer de façon systématique des garanties de préservation de l'emploi et de l'outil industriel. À cet égard, il ressort des travaux menés par les rapporteurs que l'offre de rachat de Tech Foundations par la société EPEI prévoyait une garantie de préservation de l'emploi pendant deux ans seulement.

Recommandation n° 3 : fixer des obligations pluriannuelles de préservation de l'emploi et de l'outil industriel à l'ensemble des repreneurs intéressés pour racheter tout ou partie des activités du groupe.

2. Assurer la pérennité de la filiale Atos Worldgrid qui joue un rôle stratégique dans le renouvellement du parc nucléaire civil

S'il devait y avoir des cessions d'actifs, les rapporteurs estiment que la situation de la filiale Atos Worldgrid, spécialisée dans le développement de logiciels pour les systèmes de contrôle-commande des centrales nucléaires notamment pour la nouvelle génération d'EPR2 en partenariat avec Schneider Electric, devrait faire l'objet de la plus grande vigilance. La situation financière du groupe ne saurait en aucun cas mettre en péril une activité indispensable au pilotage des centrales nucléaires françaises et au renouvellement de notre parc nucléaire civil qui s'inscrit dans une stratégie de long terme de renouvellement et d'augmentation des capacités nucléaires nationales pour faire face à nos besoins énergétiques toujours plus importants tout en contribuant à la décarbonation de l'économie française.

S'agissant d'une activité très spécifique et unique au sein d'Atos, sa cession pourrait être envisagée à la condition que celle-ci soit réalisée au profit d'un ou plusieurs repreneurs nationaux, éventuellement soutenus par les pouvoirs publics.

Il ressort des auditions menées que des marques d'intérêt sérieuses ont déjà été formulées à l'encontre de cette filiale dont l'activité semble plus facilement détachable du reste des activités d'Eviden que d'autres filiales, d'autant plus que cette filiale est rentable, attractive et a une forte valeur ajoutée, sa valeur ayant pu être estimée entre 200 et 300 M€.

Les rapporteurs estiment que des acteurs comme EDF ou Framatome auraient tout intérêt à se positionner en faveur du rachat d'Atos Worldgrid au regard de la nature de son activité, des synergies technologiques attendues et des fortes compétences et savoir-faire des équipes d'Atos Worldgrid, ce qui plaide une nouvelle fois pour la fixation de garanties pluriannuelles de préservation de l'emploi et des compétences.

Enfin, les rapporteurs n'excluent pas un accompagnement de Bpifrance, qui pourrait par exemple faire partie d'un consortium d'acheteurs nationaux, ce qui serait tout à fait justifié et de nature à faciliter la cession d'une telle filiale.

Recommandation n° 4 : en cas de cession de la filiale Worldgrid, privilégier un repreneur industriel français, souverain, performant et accepté par EDF, ou d'un consortium d'industriels accompagnés par Bpifrance et remplissant les mêmes conditions, afin de préserver une activité nucléaire souveraine et performante.

3. Privilégier une cession de l'intégralité de la branche BDS plutôt qu'un éclatement des activités auprès de multiples repreneurs

S'il devait y avoir d'autres cessions d'actifs, les rapporteurs estiment que la branche Big Data & Security (BDS) devrait plutôt être cédée dans son intégralité, sans redécoupage ni éclatement de ses activités auprès de plusieurs repreneurs, au risque de perdre en pertinence technologique comme en efficacité commerciale.

Il ressort des auditions menées par les rapporteurs que plusieurs marques d'intérêt, plus ou moins formelles et engageantes, ont été formulées pour racheter tout ou partie de cette branche, même si la décision du groupe Airbus, à la suite d'une période de due diligence au début de l'année 2024, de ne finalement pas s'engager dans cette voie semble avoir mis un « coup d'arrêt temporaire » aux perspectives de rachat de BDS.

Les rapporteurs n'excluent pas que le groupe Airbus s'intéresse de nouveau à un rachat d'actifs, sans doute sur un périmètre plus restreint que celui préalablement envisagé, mais ils estiment préférable que la branche BDS soit cédée dans son intégralité. En effet, si des repreneurs potentiels seraient avant tout intéressés par la « partie Cybersécurité » de BDS, d'autres seulement par la « partie HPC » et d'autres seulement sur la « partie Mission critical systems » (MCS) liée aux activités de défense.

Bien que la scission du groupe et la délimitation de ses activités demeurent fortement critiquées, il ressort des auditions, qu'il y aurait une certaine adhérence critique et des synergies avérées, surtout en matière de recherche et développement (R&D), entre toutes les activités aujourd'hui réunies au sein de la branche BDS. Il avait même été envisagé que la branche BDS soit introduite en Bourse en 2019 puis cédée en 2022, mais ces projets ont été refusés par le conseil d'administration d'Atos.

Aujourd'hui, même si les activités de BDS sont inégalement rentables et attractives, il y a un intérêt majeur à mutualiser les efforts de R&D, surtout à l'heure où les maîtrises du traitement massif de données, du calcul intensif et de l'intelligence artificielle sont intrinsèquement imbriquées : découper BDS serait sans doute une grave erreur stratégique en termes de R&D.

Recommandation n° 5 : en cas de cession de BDS, privilégier une cession dans son intégralité auprès d'un repreneur industriel français, ou d'un consortium d'industriels français, afin de mutualiser les efforts de R&D et de développer les synergies technologiques entre les différentes activités de calcul intensif et de cybersécurité.

4. Demeurer ferme et vigilant quant à une éventuelle cession de Tech Foundations

S'il devait y avoir des cessions d'actifs supplémentaires, les rapporteurs appellent à la prudence quant à la cession éventuelle de Tech Foundations, le seul repreneur officiellement connu étant la société EP Equity Investment (EPEI) de Daniel Kretinsky.

En effet, au regard des différentes auditions menées, les rapporteurs sont parvenus à la conclusion qu'il n'y avait aucun consensus quant à l'absence d'adhérence critique et de porosité entre les activités de Tech Foundations et les activités d'Eviden. Par conséquent, des conditions strictes de gouvernance et de cloisonnement de l'information devraient être prises afin d'éviter que le repreneur éventuel de Tech Foundations n'accède à des renseignements et aux décisions prises concernant les activités stratégiques, souveraines et sensibles du groupe Atos.

Les rapporteurs estiment également que des précautions particulières devraient être prises concernant l'éventuel accord de financement qui serait conclu entre Atos et la société EPEI, les termes financiers associés à la première offre ayant été fortement critiqués. Il s'agit à la fois de fixer le juste prix de valorisation et d'éviter un transfert de l'intégralité de la dette résiduelle à « l'entité restante ».

Dans la mesure où l'entité Tech Foundations fait et continuera très certainement de faire l'objet d'importantes restructurations, les rapporteurs souhaitent également qu'une attention particulière soit accordée aux garanties de préservation de l'emploi, et donc de préservation des compétences, et de l'outil industriel sur le territoire national.

Dans l'éventualité où la société EPEI manifesterait de nouveau un intérêt pour le rachat de la branche Tech Foundations, les rapporteurs appellent donc le ministre chargé de l'Économie à faire un usage particulièrement vigilant et resserré du contrôle des investissements étrangers en France (IEF) afin de fixer des critères de gouvernance, de financement et de préservation de l'emploi particulièrement exigeants.

Recommandation n° 6 : effectuer un contrôle vigilant et resserré des investissements étrangers en France dans l'éventualité où Tech Foundations serait rachetée par un investisseur étranger sans oublier d'évaluer les conséquences sur le reste du groupe.

5. Éviter de constituer une entité « orpheline » dont les perspectives de survie seraient compromises par le poids de la dette

Si tout ou partie des cessions d'actifs envisagées étaient amenées à se réaliser dans les mois à venir - soit la cession de l'entité Tech Foundations, de la branche BDS d'Eviden et de la filiale Atos Worldgrid - alors les rapporteurs s'interrogent sur « l'entité résiduelle » qui resterait, soit tout ou partie d'Eviden.

Les rapporteurs estiment en effet qu'il ne serait pas judicieux que cette entité supporte à elle seule le poids de la dette, même restructurée, surtout si des activités fortement intensives en R&D et nécessitant des investissements importants dans la durée sont maintenues dans le périmètre d'Eviden. Sinon, il y aurait un risque que cette entité ne puisse pas se développer avec des marges de manoeuvre financière suffisantes pour poursuivre son activité, au risque de compromettre sa pérennité et l'avenir de ses collaborateurs.

Recommandation n° 7 : exclure la constitution d'une entité « orpheline et résiduelle » qui porterait seule le poids de la dette, même après restructuration, afin de s'assurer que toutes les activités, cédées comme restantes, soient suffisamment valorisées et pérennes.


* 112 Audition du 10 avril 2024 de MM. Jean-Pierre Mustier et Paul Saleh devant le Sénat.

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