D. LE THÈME DE LA MIGRATION ET DE L'ASILE EN CAMPAGNE ÉLECTORALE ET LES CONSÉQUENCES SUR L'ACCUEIL DES MIGRANTS ET LEURS DROITS
1. L'intervention de Mme Marietta Karamanli, au nom du groupe socialiste
Merci, Monsieur le Président.
Il est difficile, chers collègues, Monsieur le rapporteur, d'aborder ce sujet tant il est animé : animé, pour certains acteurs politiques, par une volonté opportuniste d'imputer la responsabilité de différents malheurs à ceux qui sont souvent perçus comme différents ; il est aussi animé pour bien d'autres, mus par la peur et la hantise de déclassement considéré comme allant de soi.
Monsieur le rapporteur a essayé ici, mes chers collègues, de cerner les facteurs qui favorisent les discours discriminants et les règles qui pourraient limiter ces propos.
Il valorise la responsabilité des médias ; celle des partis politiques qui, sans nier les difficultés, tiennent un discours réaliste et positif, relativiste et historique ; celle des citoyens et associations aussi qui bâtissent l'intégration.
Mais le mal est, ne nous le cachons pas, profond !
Il est en effet une part stable de la population des différents États qui s'inquiète de l'immigration vers des pays européens.
En France, cette part a augmenté, même si on peut considérer qu'un quart ou un tiers est franchement opposé aux migrants et réfugiés, l'inquiétude « diffuse », je dirais, dépassant largement cette première strate.
Cette inquiétude ne peut malheureusement être combattue par des arguments scientifiques, par des faits établis par les sciences économiques et sociales. Elle n'est pas de cet ordre mais se situe sur le terrain de la peur du changement, de l'angoisse de ne pas y arriver dans un monde où les inégalités se sont creusées au sein même des pays développés.
Selon de nombreux collègues ici et dans nos parlements nationaux, il nous faut renouer avec des politiques globales, des politiques qui assurent une meilleure redistribution de la richesse en direction des populations ayant de faibles ressources - économiques, culturelles et politiques ; mais aussi des politiques qui « embarquent » avec elles l'ensemble des populations immigrées, récentes ou moins récentes, et dont les effets positifs pour tous seront justement à même de jouer favorablement pour ceux ayant le plus de difficultés, sans effet stigmatisant pour elles et sans sentiment d'exclusion à rebours pour les autres.
Cela renvoie à l'idée que les politiques d'intégration se jouent au niveau de chaque État et doivent aussi articuler des politiques publiques transversales à travers le travail, le logement, l'éducation mais aussi la culture.
Ici, au nom du Groupe des socialistes, démocrates et verts, je souhaite vraiment apporter tout notre soutien à ce rapport qui a été présenté par notre collègue, qui est très complet et qui donne des pistes ; nous souhaitons aussi que cela puisse être une piste à suivre non seulement au sein du Conseil de l'Europe, mais sur l'ensemble des États membres de ce Conseil.
Merci de votre attention.
2. L'intervention de M. Didier Marie
Certains partis politiques agitent la peur d'une immigration massive qui viendrait remettre en cause les identités nationales ou l'accès à l'emploi de nos compatriotes. Cette peur, qui capitalise sur les crises migratoires que l'Europe a connues, est exploitée pour durcir toujours davantage nos législations.
En oubliant parfois nos principes juridiques élémentaires, nos valeurs les plus fondamentales. J'observe avec intérêt le débat en cours au Royaume-Uni. J'ai pour ma part pris une part active au débat que nous avons eu en France. Il correspond malheureusement aux caractéristiques que je viens d'évoquer, le texte final comprenant des dispositions inconstitutionnelles, aux dires mêmes du gouvernement qui demandait à la fois au Parlement de le voter et au Conseil constitutionnel d'en censurer des dispositions. Nous aurons la réponse jeudi.
À l'approche des élections, le thème de l'immigration nous fait malheureusement trop souvent perdre notre boussole. Il ne s'agit pas de remettre en cause le droit des États à réguler et à organiser les entrées de migrants sur leur territoire. Toutefois, ces migrants disposent de droits qui doivent être respectés. Cette question doit également pouvoir être traitée avec objectivité, ce qui n'est pas toujours le cas, notamment lorsque l'on mélange à dessein immigration autorisée et immigration irrégulière.
L'influence des médias est à cet égard importante et je regrette de constater que certains ont choisi de développer une ligne éditoriale ciblant particulièrement l'immigration. Les réseaux sociaux contribuent à propager de fausses informations qui nuisent encore à la qualité du débat public.
Il m'apparaît nécessaire de continuer à dénoncer systématiquement les discours de haine dans le débat public et dans les médias. Sans ignorer les craintes de nos concitoyens, nous devons rappeler que le débat public sur l'immigration ne peut se résumer à des enjeux sécuritaires ou identitaires. En tant que parlementaires, nous devons nous affirmer comme les garants de l'unité de nos sociétés.
Le Conseil de l'Europe doit aussi pleinement jouer son rôle. J'estime que les missions d'observation des élections doivent dénoncer les discours de haine lorsqu'ils sont tenus par des candidats. Je souhaite également que le Comité des Ministres continue de soutenir le travail de la commission européenne contre le racisme et l'intolérance. Enfin, je rappelle que les demandeurs d'asile font partie de nos sociétés et qu'il est nécessaire de mettre en place des mesures efficaces pour les intégrer au mieux, en acceptant une plus grande solidarité entre nos États au niveau de l'Union européenne.
3. L'intervention de M. Alain Milon
Je souscris aux conclusions du rapport de nos collègues, qui visent à condamner l'instrumentalisation des migrants et des demandeurs d'asile dans le discours politique. Certes, les images de presque 10 000 migrants arrivant sur la petite île de Lampedusa sont un levier que les partis populistes n'hésitent pas à utiliser pour accréditer leur thèse, parlant même d'invasion.
Les instituts de recherche peuvent bien expliquer que c'est la concentration de milliers de personnes dans un hotspot créé par l'Union européenne pour accueillir 400 personnes qui crée ce sentiment d'invasion de l'Europe est envahie. L'impact est réel auprès de nos concitoyens et se traduit dans les urnes.
Nous connaissons aussi en France une situation très délicate, à Calais, où de nombreux migrants se massent dans l'espoir de rejoindre le Royaume-Uni, souvent au péril de leur vie. Là encore, on ne peut que constater l'exaspération de nos concitoyens, qu'il serait politiquement dangereux de sous-estimer.
En tant que parlementaires membres de cette Assemblée, nous devons systématiquement corriger les discours de haine visant les migrants, tout en veillant à lutter avec détermination contre les passeurs et les réseaux qui favorisent l'immigration illégale. On doit tenir les deux bouts de la chandelle.
Je voudrais également insister sur la différence entre traitement discriminatoire et traitement différencié. J'estime qu'il y a une discrimination lorsque deux personnes placées dans la même situation administrative ne sont pas traitées de la même manière. En France, nous avons adopté en décembre dernier une loi qui permet de conditionner l'accès à certaines prestations sociales non contributives à une durée minimale de séjour régulier.
Ces mesures de différenciation, qui ont fait l'intense objet de débats, ne sont basées ni sur l'origine ethnique ni sur la religion. Elles ont pour seul but de limiter l'attractivité de la France auprès des migrants, sans remettre nullement en cause le droit d'asile.
Mes chers collègues, vous l'aurez compris, je pense qu'il appartient à chaque État de déterminer les conditions dans lesquelles les migrants sont autorisés à s'installer sur son territoire. Il est aujourd'hui évident que nos économies ont besoin d'une main-d'oeuvre formée pour occuper certains emplois et que l'immigration peut permettre de répondre à ce besoin. Toutefois, celle-ci doit être encadrée et régulée, dans le respect des droits fondamentaux des migrants et du droit d'asile. C'est ce message que nous devons porter auprès de nos populations pour éviter d'alimenter les fantasmes relatifs à une invasion migratoire.
4. L'intervention de M. Christophe Chaillou
Monsieur le Président,
Mes chers collègues,
Nos collègues Pierre-Alain Fridez et Tural Ganjaliyev dénoncent dans ce rapport l'attitude de certains qui n'hésitent pas à promouvoir le racisme et l'intolérance pour accéder au pouvoir. Pour cela, je les remercie.
Si la question de l'immigration peut être un sujet de débat, les droits que nous devons accorder aux migrants, dès lors qu'ils sont sur notre territoire, doivent être garantis. L'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme rappelle l'interdiction des discriminations dans la mise en oeuvre des droits prévus par la Convention, quel que soit le fondement de ces discriminations.
À ce sujet, je regrette que plus de la moitié des États membres de notre Organisation n'aient pas ratifié le protocole 12 à la Convention. Celui-ci prévoit que la jouissance de tout droit prévu par la loi doit être assurée, sans discrimination aucune, élargissant ainsi le champ pour lequel les discriminations sont interdites par notre Convention. J'appelle donc tous les États membres de notre Organisation à ratifier ce protocole.
Nous voyons bien aujourd'hui que l'immigration suscite de nombreuses inquiétudes parmi nos concitoyens. Certains responsables politiques sont tentés d'exploiter les inquiétudes économiques liées à l'immigration, en mettant l'accent sur la concurrence pour les emplois, les services publics et les ressources. Cela peut conduire à des politiques restrictives ou discriminatoires.
En effet, les discours xénophobes tenus par certains responsables politiques commencent à influencer les décisions prises par les gouvernements, que l'on ne peut pourtant pas qualifier d'extrême droite. C'est le cas par exemple au Royaume-Uni, où le débat au Parlement concernant l'instruction au Rwanda des demandes d'asile est vif. C'est également le cas en France, où le débat n'a pas été moins vif, et où nous sommes en attente d'une décision du Conseil constitutionnel, que le gouvernement lui-même a saisi pour censurer des dispositions manifestement contraires à notre Constitution.
J'observe également que l'instrumentalisation de l'immigration contribue aussi à la stigmatisation des descendants d'immigrés, en renforçant des stéréotypes. Cela peut avoir des conséquences importantes sur la cohésion sociale et remettre en cause l'intégration de certains de nos concitoyens.
Face à cette situation, le Conseil de l'Europe me paraît devoir continuer à promouvoir le refus de la discrimination, en s'appuyant notamment sur le travail de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance.
Je voterai le projet de résolution qui nous est proposé.