B. LA MISE EN oeUVRE DE POLITIQUES PUBLIQUES ADAPTÉES AUX FAMILLES MONOPARENTALES

Outre la mise en place de la carte « familles monoparentales » ouvrant la possibilité de mesures spécifiquement dédiées aux familles monoparentales, les rapporteures recommandent la mise en oeuvre de politiques publiques adaptées aux familles monoparentales et aux problématiques spécifiques qu'elles rencontrent. En effet, si elles existent, les politiques publiques à destination des familles monoparentales ne sont plus en adéquation avec ce modèle familial, pas plus qu'avec la diversité de tous les modèles familiaux que nous connaissons aujourd'hui.

1. Faciliter l'activité professionnelle et la conciliation des temps de vie

En matière d'accès à l'emploi et d'insertion professionnelle, les parents de familles monoparentales doivent pouvoir bénéficier de dispositifs adaptés, car la question du travail est au coeur de leur émancipation économique.

Ainsi que le rappelait Clémence Helfter, sociologue, chargée de recherche à la Cnaf, lors de son audition par la délégation le 14 décembre 2023, « les familles monoparentales sont aujourd'hui en première ligne face aux difficultés d'emploi et de conciliation des temps de vie. Les mères qui élèvent seules leurs enfants sont plus souvent au chômage, en CDD et en temps partiel subi. Elles sont surreprésentées dans les emplois peu qualifiés, socialement et financièrement dévalorisés avec des perspectives d'évolution et de formations limitées ».

De même, dans une étude de 2020 sur la situation socio-économique des familles monoparentales, l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a identifié une plus grande fragilité face au chômage des parents isolés et souligné notamment les éléments suivants : « les mères isolées sont davantage au chômage que les mères vivant en couple et elles sont moins nombreuses à être “ au foyer ” ; 40 % du temps partiel des mères isolées est du temps partiel subi contre 22 % pour les mères vivant en couple ; les mères isolées sont davantage concernées par les CDD et moins par les CDI que les autres parents ».

La question de leur insertion professionnelle est donc cruciale et celle de leur accompagnement social également. Or, comme le soulignait devant la délégation, le 14 décembre 2023, Marie-Clémence Le Pape, maîtresse de conférences en sociologie à l'université Lumière Lyon 2, collaboratrice extérieure au Bureau Jeunesse, Famille de la Drees, « alors qu'elles sont sommées de s'insérer sur le marché du travail, les mères seules sont moins souvent orientées vers des accompagnements visant directement l'insertion professionnelle, et plus souvent vers des accompagnements qui visent à travailler leur rapport à la parentalité, pensée comme un préalable à la prise ou à la reprise d'emploi. »

C'est pourquoi les rapporteures plaident pour une plus grande attention portée au développement de dispositifs d'aide à l'insertion professionnelle spécifiquement dédiés aux parents de familles monoparentales.

Dans une étude publiée le 8 mars 2024, la Fédération nationale des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (FNCIDFF), rappelle que « les mères isolées constituent un public particulièrement éloigné de l'emploi » et qu'ainsi « la question de l'accès à l'emploi des parents isolés est une question éminemment genrée. Les pères isolés sont en effet nettement plus souvent en emploi (81 % contre 67 % en 2020) et moins fréquemment au chômage (10 % contre 18 % en 2020) que les mères isolées. Lorsqu'ils sont en emploi, ces pères isolés sont aussi plus souvent cadres que les mères isolées (18 % contre 10 %), et de fait mieux rémunérés. »

Cette étude souligne, en particulier, le fait que « le manque de solutions de garde est le premier frein à l'emploi des femmes et des mères isolées, qui demeurent la variable d'ajustement gratuite des politiques publiques en matière de parentalité et de la petite enfance. Concilier vie professionnelle, vie personnelle et vie familiale s'avère souvent compliqué pour des mères isolées. Or, l'accès à un emploi dignement rémunéré ou à l'entrepreneuriat est la clé de l'autonomie économique des femmes. (...) Les politiques publiques doivent se concentrer sur le déploiement des modes de garde afin de garantir l'autonomie des femmes et de permettre aux mères isolées d'accéder à un emploi dignement rémunéré. »

De même, lors de son audition par les rapporteures le 11 janvier 2024, Laure Skoutelsky, consultante en monoparentalité et créatrice du site Monoparentalités.com, a indiqué que « le taux de chômage des mères seules est deux fois plus élevé que celui des mères en couple. Ce taux est de 11 % pour les premières contre 5 % pour les secondes, en 2020. En outre, lorsqu'elles ont deux enfants ou plus, dont au moins un de moins de trois ans, le fossé se creuse : 26 % des mères seules sont au chômage, contre 5,6 % des mères en couple. »

Au coeur de la problématique de l'insertion professionnelle et de l'accès à l'emploi, se loge celle de la conciliation vie personnelle/vie professionnelle. Comme évoqué précédemment, les rapporteures estiment indispensable le développement des crèches à vocation d'insertion professionnelle (Avip), notamment en direction des mères isolées et éloignées de l'emploi.

Recommandation n° 8 : Faciliter l'accès des familles monoparentales aux dispositifs d'aide à l'insertion professionnelle.

2. Développer l'accès à des logements adaptés et soutenir les initiatives d'habitat partagé

Les familles monoparentales sont aujourd'hui particulièrement touchées par le mal-logement et la précarité locative. Elles accèdent aussi beaucoup plus difficilement à la propriété.

C'est pourquoi la délégation estime qu'en matière de politique du logement, le développement de solutions d'habitats partagés et de logements adaptés aux contraintes de la monoparentalité doit être encouragé.

Les rapporteures ont pu visiter, le 12 février 2024, la première résidence destinée uniquement à un public de familles monoparentales. Cette résidence, installée en région parisienne à Poissy, a vocation à accueillir dans des unités privées des parents isolés avec un ou deux enfants et à mettre à leur disposition des espaces de vie partagés avec des services inclus, destinés à rompre l'isolement des familles monoparentales. La notion d'isolement est fréquemment revenue lors des auditions des différents collectifs de familles monoparentales, ainsi que la nécessité de trouver les moyens de le rompre, dans l'intérêt des parents comme dans celui des enfants.

Les rapporteures estiment que ce type d'habitat a vocation à se développer.

LA PREMIÈRE RÉSIDENCE DE « COLIVING » DESTINÉE EXCLUSIVEMENT AUX FAMILLES MONOPARENTALES : COMMUNE À POISSY

Présentée par ses fondateurs comme une première mondiale en matière d'habitat partagé, ou « coliving », exclusivement destiné aux familles monoparentales, la résidence Commune de Poissy a fait l'objet d'une visite par les rapporteures de la délégation le 12 février 2024.

Inaugurée le 7 décembre 2023, cette résidence comprend treize unités d'habitation pouvant accueillir un parent avec un enfant ou un parent avec deux enfants. À ce jour, huit familles monoparentales sont logées dans cet habitat partagé dont le principe est le suivant : des espaces de vie partagés avec des services inclus (salon, salle à manger, cuisine, salle de jeux pour les enfants, espace de coworking, buanderie, jardin) et des unités d'habitation privées comprenant, au minimum, deux chambres, une « kitchenette » et une salle de bain avec douche. Les locataires bénéficient également de services, tels que le ménage des parties communes, l'abonnement à l'internet haut débit, les abonnements aux services de streaming, une assistance juridique et du soutien scolaire le cas échéant.

Destinée à rompre l'isolement auquel peuvent être confrontés les parents isolés immédiatement après une séparation conjugale, la résidence Commune accueille les familles monoparentales, qui respectent un certain nombre de critères, pour une durée située entre un et trois ans.

Estimant que les familles monoparentales constituent un public à fort risque de précarisation, les fondateurs de Commune ont mis ce projet sur pied en l'espace de deux ans, en procédant à une levée de fonds privés (à hauteur de 800 000 euros), sans bénéficier de subventions publiques. Le projet a également bénéficié d'une aide à la dette de Bpifrance à hauteur de 700 000 euros.

L'objectif du projet est de limiter les conséquences sociales, financières et professionnelles que peut engendrer une séparation et permettre aux familles monoparentales de se loger dans des conditions adaptées à leurs besoins.

Le loyer s'élève à 1 190 euros par mois pour un parent seul avec un enfant et à 1 390 euros par mois pour un parent seul avec deux enfants, hébergement, charges et services compris.

La proportion de mères seules avec enfant est de 80 % au sein de la résidence et celle des pères seuls de l'ordre de 20 %, ce qui correspond globalement au ratio constaté dans la population générale des familles monoparentales.

Une nouvelle résidence Commune devrait être inaugurée à Roubaix (Nord) au printemps 2024 avec des loyers moins élevés. L'objectif de la société par actions simplifiées (SAS) à mission spécifique Commune est d'en ouvrir 500 en dix ans, en France et à l'étranger.

Recommandation n° 9 : Encourager les initiatives d'habitat partagé destinées aux familles monoparentales

3. Déployer des actions de soutien à la parentalité

D'après des études sociologiques récentes, les familles monoparentales expriment une forte demande de dispositifs d'aide à la parentalité.

Dans une étude33(*) d'avril 2021 intitulée Opinion des familles monoparentales sur les politiques sociales : un sentiment de vulnérabilité et une attente forte de soutien à la parentalité, et plus récemment au cours d'une audition par la délégation le 16 janvier 2024, la Drees a mis en avant le fait que « les familles monoparentales souhaitent plus souvent que les parents en couple recevoir un soutien en cas de conflits familiaux et/ou de rupture, dans les relations avec l'école et des conseils sur ce qu'il faut interdire ou permettre à leurs enfants. »

Ainsi, l'aide à la parentalité dans les relations avec l'école, la gestion de l'autorité ou celle des conflits familiaux est aujourd'hui plébiscitée par les parents isolés, plus que par les parents en couple.

Dans son étude précitée, la Drees souligne notamment le fait que d'« être une famille monoparentale augmente spécifiquement le souhait de soutien à la parentalité à niveau de vie, sexe et nombre d'enfants comparables ».

Parmi les parents isolés, 47 % auraient aimé ou aimeraient recevoir une aide dans les relations avec l'école contre 36 % parmi ceux en couple. En outre, une fois les caractéristiques sociodémographiques des enquêtés prises en compte, le souhait d'une aide dans la gestion de l'autorité parmi les familles monoparentales est supérieur de 7 points à celui des couples avec enfants. Enfin, plus de sept familles monoparentales sur dix sollicitent un accompagnement sous forme d'entretiens individuels avec des professionnels pour les questions de conflits familiaux.

Une demande plus soutenue par les parents isolés d'aide à la parentalité
dans les relations avec l'école et la gestion de l'autorité34(*)

Source : Baromètre d'opinion de la DREES, 2014-2016-2018

Les rapporteures estiment donc que des actions directes de soutien à la parentalité doivent être développées et proposées aux familles monoparentales, dans les domaines où elles en expriment plus le besoin, à savoir les relations avec l'école, d'une part, et la gestion de l'autorité, d'autre part. De façon générale, ces dispositifs devraient être soutenus et proposés à tous types de familles, que ce soit l'aide à la parentalité, les relations avec l'école, la gestion de l'autorité ou celle des conflits sociaux.

Les associations et acteurs de la parentalité auditionnés par la délégation ont également fait valoir la nécessité pour les parents de familles monoparentales de disposer de temps de « répit » parental. Pour les familles monoparentales, des solutions de « répit » parental ainsi que les activités en « temps partagé » peuvent apporter un soutien parfois indispensable pour un parent qui élève seul ses enfants.

Ainsi, lors de son audition par la délégation le 14 décembre 2023, Sophie Rigard, chargée de projet au Secours catholique, a fait valoir le besoin de temps de répit de ces familles : « Pour ces parents qui vivent dans la précarité et pour qui c'est un combat du quotidien, la charge mentale et matérielle des enfants nécessite d'autant plus des moments pour souffler en sachant que leurs enfants sont pris en charge dans des endroits dédiés, notamment des accueils de jour. Ils peuvent alors avoir des moments de répit qui leur permettent également de remplir toutes les démarches administratives, auprès de la CAF ou pour chercher un emploi, par exemple. »

À cet effet, le Secours catholique a notamment développé, avec les Apprentis d'Auteuil, des maisons des familles qui sont des lieux ouverts d'accueil de jour qui « mettent en place des activités de partage, des moments de répit pour les parents, des ateliers liés à la parentalité ».

Les rapporteures estiment indispensable de développer ce genre de structures d'accueil, ces « maisons de répit », qui permettent aux parents des familles monoparentales de souffler et de disposer de temps pour eux-mêmes.

À cette fin, le pacte des solidarités identifie d'ailleurs des financements dans la convention d'objectifs et de gestion (COG) de la Cnaf.

Interrogé sur ce point précis par la délégation lors de son audition le 25 janvier 2024, le directeur général de la Cnaf, Nicolas Grivel, a indiqué : « avec nos collègues de la Mutualité sociale agricole (MSA), nous menons également des initiatives de répit familial, d'autant plus importantes quand il y a des enfants handicapés. Ces initiatives sont accompagnées au niveau local par les CAF », précisant toutefois qu'« il n'y a pas d'offre de service homogène sur le territoire national (...) le répit familial s'organise au niveau local. Il faut travailler sur des partenariats et des offres locales, car les situations sont très différentes ; ce ne sont pas les mêmes structures qui prennent en charge de petits enfants ou des adolescents. »

Les rapporteures jugent nécessaire de généraliser ces dispositifs sur l'ensemble du territoire national.

La délégation salue également l'existence de dispositifs d'accompagnement des familles monoparentales mis en oeuvre par la Cnaf et qu'elle recommande de développer.

Ainsi, le « parcours séparation », créé en 2021, propose systématiquement aux parents séparés « un accompagnement social et d'accès aux droits, qui peut être très court avec la délivrance de quelques informations ou plus dense si nécessaire », comme le précisait Nicolas Grivel lors de son audition devant la délégation. À cet égard, il a également indiqué : « nous pouvons ainsi repérer des situations difficiles, de violence par exemple. Nous pouvons également faciliter la mise en place d'une démarche de coparentalité. Tout ce que nous mettons en place de manière apaisée est bienvenu. Nous finançons par exemple des espaces de rencontre, pour que les liens ne soient pas rompus. Quelque 400 000 familles entrent tous les ans dans le parcours séparation. »

Recommandation n° 10 : Développer les dispositifs d'aide à la parentalité et de répit parental.


* 33  Étude n° 1190, avril 2021, de Claudine Pirus pour la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques.

* 34 Lecture du graphique : sur les questions de santé, 46 % des parents isolés souhaiteraient ou auraient souhaité recevoir de l'aide dans l'accompagnement de leur rôle de parent, 8 % sous forme de groupe de parole, 27 % sous forme d'entretiens individuels avec des professionnels et 11 % sous forme d'une mise à disposition d'informations.

Champ : personnes âgées de 25 à 64 ans résidant en France métropolitaine.

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