AVANT-PROPOS

Alertée par les chefs d'entreprises sur les difficultés grandissantes d'accès au foncier qu'ils rencontrent, mettant en péril la création d'entreprise et la croissance des PME et ETI françaises, la délégation sénatoriale aux Entreprises a lancé, en octobre 2023, une mission d'information « flash » confiée aux sénateurs Christian Klinger et Michel Masset.

Les travaux de la délégation mettent en évidence une difficulté croissante des collectivités territoriales et de l'Etat à répondre aux besoins fonciers exprimés par les entreprises, aboutissant à de nombreux abandons de projets. C'est une perte nette pour l'emploi, l'économie et l'aménagement du territoire dans notre pays, car les activités productives sont une source de richesse à de multiples points de vue.

Une réglementation de plus en plus complexe et, parfois, contradictoire, vient encore réduire les chances de faire aboutir les projets, exposant les entreprises à un risque juridique parmi les plus élevés d'Europe et pénalisant particulièrement les petites et moyennes entreprises. Le temps administratif correspond de moins en moins au temps économique.

Pourtant, il n'y aura ni réindustrialisation, ni transition environnementale si les sites de production ne sont pas en mesure de se réorganiser, de se rénover, de se repenser.

À l'issue de leurs travaux, nourris par les témoignages concrets de dizaines d'entreprises, les rapporteurs formulent 15 recommandations visant notamment à accentuer l'accompagnement des projets d'implantation des entreprises, à mieux les intégrer à la planification foncière, à soutenir et financer la transformation des zones d'activité, et à simplifier la réglementation et l'organisation de l'administration.

PREMIÈRE PARTIE
UN FONCIER QUI SE RARÉFIE, DES IMPLANTATIONS DE PLUS EN PLUS DIFFICILES : VA-T-ON VERS UNE « FRANCE SANS USINES » ?

Les grandes transitions numériques et environnementales, ainsi que le besoin renouvelé de souveraineté, bouleversent l'économie mondiale et réorientent les politiques économiques. Dépassé le mythe de la « France sans usines » : le mot d'ordre est la réindustrialisation, et l'objectif est la croissance des PME et ETI françaises, pour renouer avec la production de nos biens stratégiques et rapatrier l'activité et l'emploi.

Si les stratégies économiques des dernières années ont fait la part belle à l'allègement de la fiscalité de production et aux réformes du droit du travail, elles ne se sont pas encore attaquées à un obstacle majeur au développement des entreprises françaises : la difficulté d'accès au foncier économique.

Pour les chefs d'entreprises, il est aujourd'hui de plus en plus difficile de mener à bien un projet d'ouverture de site, de déménagement, voire même d'extension. Avec l'accès aux compétences et la hausse des coûts des matières premières, le manque de foncier est cité parmi les risques les plus importants pesant sur l'activité. Faute de foncier pour implanter les activités économiques, courrons-nous aujourd'hui encore le risque d'une « France sans usines » ?

I. UN FONCIER ÉCONOMIQUE PLUS RARE, EN VOIE D'OBSOLESCENCE ET MOINS ACCESSIBLE : UN OBSTACLE SÉRIEUX AU DÉVELOPPEMENT DE L'ACTIVITÉ ET DE L'EMPLOI

A. LA RARÉFACTION DU FONCIER ÉCONOMIQUE DISPONIBLE

De nombreux territoires français connaissent aujourd'hui une forte tension sur le foncier économique : malgré des variations selon les bassins géographiques, la situation générale se dégrade et les emplacements dédiés à l'activité se raréfient.

Trois facteurs se conjuguent pour expliquer cette tension accrue :

 

Une impulsion réglementaire plus nette en matière de sobriété foncière, notamment par les objectifs de zéro artificialisation nette, ou « ZAN », adoptés en 2021 et qui sont en passe d'être traduits dans chaque territoire, amenant certaines collectivités à reconsidérer les projets d'aménagement de foncier économique ;

 

Les mécanismes de marché, qui orientent le foncier disponible vers des projets jugés plus rentables et moins risqués que les activités productives (logement, activité commerciale, data centers...) ;

 

Des arbitrages politiques moins souvent favorables à l'activité économique, en lien avec les difficultés d'acceptabilité des projets, et l'urgence de la crise du logement.

Entreprises comme élus locaux anticipent une nette aggravation de la situation à court terme, alors que la demande foncière s'accroît dans un contexte propice à la réindustrialisation, que le « ZAN » n'a pas encore produit tous ses effets, et que les gisements de foncier seront progressivement consommés.

La raréfaction des terrains disponibles se traduit déjà par une hausse des prix du foncier économique, parfois amplifiée par des phénomènes de rétention.

« Avec les prix qui montent, on passe d'une compétition entre petits,
arbitrée par les élus locaux, à une guerre des gros »

Dans certains cas, c'est même la réglementation en vigueur qui accentue la hausse des prix.

PAROLES D'ENTREPRISES

Une entreprise industrielle cherche un nouveau terrain sur la zone d'activité où elle est déjà implantée, afin d'étendre son activité. Apprenant la liquidation judiciaire d'une entreprise voisine, elle exprime le souhait d'acquérir le terrain ainsi libéré.

Toutefois, dans le cadre d'une liquidation judiciaire, la vente doit obligatoirement se faire à l'acheteur le plus offrant : une autre offre d'implantation commerciale, au prix supérieur, l'a emporté. L'entreprise n'a pas pu réaliser son projet pourtant cohérent.

L'éviction de l'activité économique en dehors des centres-villes, mais aussi en dehors des zones qui lui étaient auparavant dédiées (zones industrielles, zones commerciales), est déjà à l'oeuvre, et la concurrence des usages joue à plein régime.

L'éviction par la hausse des prix : un phénomène qui touche aussi
le commerce de proximité et l'artisanat

Dans certains centres-villes dynamiques, la densification des centre-ville, tension sur l'offre de locaux et la hausse des prix de l'immobilier a conduit à l'éviction des entreprises commerciales, artisanales ou de services.

Selon CCI France, dans de nombreux secteurs, la croissance des loyers ne permet pas l'installation ou le maintien de l'activité en zone urbaine. CMA France relève aussi que la capacité financière des entreprises artisanales se retrouve en décalage croissant avec les prix pratiqués sur le marché. Selon une enquête de la CMA Centre-Val-de-Loire (2022), un artisan sur dix envisage un déménagement hors du centre-ville dans un avenir proche, dont 33% afin de diminuer le coût du loyer.

Il ne faut pas oublier que certains types d'activités artisanales partagent certaines caractéristiques des activités industrielles (besoin de surface et de hauteur sous plafond, besoin de desserte en poids lourds, éventuels impacts sonores...) qui font qu'ils ne peuvent pas s'implanter au coeur des villes.

Or, dans le même temps, l'offre de foncier dans les zones d'activités se réduit rapidement. La priorité donnée au logement ou aux bureaux dans le cadre de la réalisation d'opérations d'aménagement ou d'extension urbaine ne permet plus aux artisans et commerçants de trouver une offre foncière ou immobilière adaptée à leurs besoins.

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