N° 37
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024
Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 octobre 2023
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur les plans de construction de quinze mille places de détention supplémentaires et de vingt centres éducatifs fermés,
Par M. Antoine LEFÈVRE,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.
L'ESSENTIEL
Reprenant une promesse de campagne du candidat Emmanuel Macron en 2017, le Gouvernement a présenté à l'automne 2018 un plan de création de 15 000 places supplémentaires en établissements pénitentiaires (« plan 15 000 »). Il avait au même moment annoncé le lancement d'un plan de création de 20 centres éducatifs fermés (CEF) dits de « deuxième génération », destinés à la prise en charge des mineurs.
Alors qu'une première tranche de 7 000 places devait être livrée en 2022 et que les premiers CEF devaient être opérationnels à partir de 2021, le rapporteur spécial des crédits de la mission « Justice », M. Antoine Lefèvre a souhaité dresser un bilan d'étape de la mise en oeuvre de ces deux plans d'investissement majeurs pour le ministère de la justice. Réunie le 18 octobre, la commission des finances a examiné les conclusions du rapporteur ainsi que ses propositions pour s'assurer qu'à défaut d'être achevés dans le calendrier et dans le budget initialement prévus, ces programmes immobiliers soient exécutés dans de meilleures conditions.
I. LES PROGRAMMES IMMOBILIERS, UN TRAITEMENT CHRONIQUE MAIS INSUFFISANT DE LA SURPOPULATION CARCÉRALE
La question de l'état et de l'extension du parc immobilier pénitentiaire se pose avec d'autant plus d'acuité que la population carcérale a atteint un niveau inédit en 2023, trois ans après l'actionnement de mécanismes pour limiter les entrées et favoriser les sorties en réponse à l'épidémie de covid-19 et à la crise sanitaire qui en a résulté.
Le nombre de personnes détenues a augmenté de |
Au 1er juillet 2023, |
Au 31 janvier 2022, le taux de densité carcérale1(*) atteignait |
depuis 1980 et de près de 20 % par rapport à 2020. |
personnes étaient détenues en France, un niveau inédit. |
ce qui place la France au 3e rang européen, derrière la Roumanie et Chypre, mais devant la Grèce et la Turquie. |
150 ans de dérogation au principe d'encellulement individuel
Le principe d'encellulement individuel, inscrit dans le code pénal depuis 1875, n'a jamais été respecté. Lors de l'examen de la loi de finances pour 2023, l'obligation d'atteindre un taux d'encellulement individuel de 80 % a une nouvelle fois été repoussé, à 20272(*). La clause dérogatoire au droit à l'encellulement individuel, introduite à titre temporaire « lorsque la distribution intérieure des locaux ou le nombre de personnes détenues présentes ne permet pas son application » (article L. 213-4 du code pénitentiaire), est devenue la norme.
Les taux agrégés d'occupation des établissements pénitentiaires varient selon le type d'établissement. Si, le taux d'encellulement individuel a atteint 78,6 % en 2022 dans les établissements pour peine, il n'était que de 20,1 % dans les maisons d'arrêt. Cette différence s'explique par la part importante du nombre de prévenus, c'est-à-dire de personnes non condamnées, dans le total de la population carcérale - environ 30 %. Les maisons d'arrêt sont de fait davantage confrontées à la problématique de la surpopulation carcérale, avec des taux d'occupation dépassant parfois 200 %.
Ne pas abandonner les détenus et les personnels de l'administration pénitentiaire
En plus de conduire à des conditions indignes de détention, pour lesquelles l'État a déjà été condamné en France comme par la Cour européenne des droits de l'homme, ainsi que de bafouer le droit des détenus à préparer leur réinsertion, la surpopulation carcérale et l'état du parc immobilier pénitentiaire conduisent à des conditions de travail elles aussi difficilement supportables pour les personnels de l'administration pénitentiaire.
Depuis les années 1980, quatre grands programmes immobiliers pénitentiaires ont été lancés par les gouvernements successifs pour tenter d'anticiper la croissance de la population carcérale et remédier à la surpopulation carcérale. Or, comme l'a récemment souligné la Cour des comptes, la population carcérale évolue au même rythme que la création de places nettes dans les établissements pénitentiaires. Surtout, aucun de ces programmes n'a permis d'aboutir dans le calendrier initial au nombre de places annoncées. Le plan 15 000 constitue une nouvelle et cinquième tentative, et l'une des plus ambitieuses de par son ampleur3(*).
Le plan 15 000 prévoit la création de |
Le coût initial du plan 15 000 a été évalué à |
Le plan 15 000 |
places nettes d'ici 2027, avec une première tranche de 7 000 places en 2022. |
en hausse d'un milliard d'euros par rapport aux premières estimations. |
opérations de construction, de rénovation ou mixtes. |
Dans la conception de leurs programmes immobiliers, l'administration pénitentiaire et la direction de la protection judiciaire de la jeunesse doivent concilier deux impératifs qui peuvent s'avérer contradictoires : la nécessité de créer un nombre de places suffisant pour remédier à la saturation des capacités d'accueil et l'innovation dans les modalités de prise en charge, dans l'objectif d'adapter les structures aux parcours des détenus et de favoriser leur réinsertion.
S'agissant des établissements pénitentiaires, le plan 15 000 comprend la construction de 142 places en quartier de semi-liberté, de 1 800 places en structures d'accompagnement vers la sortie (SAS) et de 380 places en structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l'emploi (InSERRE). Le rapporteur a également eu l'occasion de visiter, au sein du centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach, le premier « quartier de confiance ».
S'agissant du plan de création de 20 nouveaux centres éducatifs fermés (CEF), la logique d'adaptation est au coeur même du programme - le taux d'occupation est en effet en moyenne de 65 %, pour des centres pouvant accueillir 12 mineurs. Le plan présenté par le ministère vise donc à créer des CEF dits de « deuxième génération », avec un cahier des charges architectural révisé (aménagement des chambres, maison familiale, davantage d'espaces collectifs et extérieurs) et une localisation plus proche des villes et « bassins de vie ».
Le plan de création de 20 CEF prévoit la livraison de |
L'investissement initial a été évalué à |
Parmi les 20 CEF de deuxième génération, |
places à compter de 2021, chaque CEF disposant de 12 places. |
d'euros et rapidement réévalué à 76,5 millions d'euros. |
relèveraient du secteur associatif habilité et 5 du secteur public. |
II. D'INÉVITABLES ÉCARTS CALENDAIRES ET BUDGÉTAIRES DANS LA LIVRAISON DES 15 000 PLACES DE DÉTENTION SUPPLÉMENTAIRES ET DES 20 CENTRES ÉDUCATIFS FERMÉS DE DEUXIÈME GÉNÉRATION
Si l'engagement du plan 15 000 et du plan de création de 20 CEF est à saluer au regard de l'impératif d'améliorer la prise en charge des détenus et des mineurs ainsi que les conditions de travail des intervenants, la mise en oeuvre des précédents programmes immobiliers du ministère de la justice aurait certainement pu inciter le Gouvernement à faire preuve de prudence. Il a tout d'abord dû préciser que le plan 15 000 serait composé de deux tranches, et que 7 000 places seraient livrées en 2022, les 8 000 autres étant prévues pour 2027. Pour ces 7 000 places, il lui a ensuite fallu ajouter qu'il ne s'agissait pas de « places livrées », mais de places dont les travaux seraient « bien avancés ».
Au 1er juillet 2023, 2 771 nouvelles places ont été livrées. C'est 2,5 fois moins que l'objectif initial de 7 000 places en 2022
Pour les places supplémentaires en établissement pénitentiaire tout comme pour la création des 20 nouveaux CEF, d'importants décalages calendaires et budgétaires sont à attendre. La probabilité que l'ensemble des opérations soit livrée en 2027 apparaît extrêmement faible.
A. LE PLAN 15 000, POUR QUAND ET POUR QUEL COÛT ?
Les opérations du plan 15 000 sont placées, à l'instar de toutes les opérations de grande ampleur du ministère de la justice, sous le pilotage et le contrôle de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ).
· La livraison de la majorité des projets et des places interviendra en 2027...au mieux
Les données obtenues par le rapporteur montrent qu'au fur et à mesure que l'échéance du plan 15 000 se rapproche, le calendrier de livraison se décale, au détriment des personnels de l'administration pénitentiaire et des détenus.
Calendrier de livraison des projets
Calendrier de livraison des places
Source : commission des finances, d'après les données transmises au rapporteur par le ministère de la justice
Moins de la moitié des places du plan 15 000 sera livrée en 2024, avec un retard de plus de deux ans sur le calendrier initial. Les premières places livrées correspondent à des projets lancés avant l'annonce du plan 15 000 et « rattachées » au plan, tandis que certains projets connaissent des retards qui s'apparentent à de véritables dérapages : la livraison des travaux sur la maison d'arrêt de Basse-Terre devrait intervenir avec plus de sept ans de retard, celle du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan avec deux ans et demi de retard.
Par ailleurs, alors que 14 projets ont été livrés, sur les 36 restants, 13 sont encore en phase d'études préalables, laissant craindre que l'échéance de 2027 ne sera pas respectée.
· Le budget total alloué aux opérations sera rehaussé d'un milliard d'euros...au moins
Coût prévisionnel des projets en phase d'études préalables (en millions d'euros) |
Source : commission des finances, d'après les données transmises au rapporteur par le ministère de la justice |
Dès le lancement du plan 15 000, l'enveloppe budgétaire a été revue par rapport aux premières annonces du ministère de la justice, de 3,6 milliards d'euros à 4,3 milliards d'euros. En juin 2022, la direction du budget a procédé à une nouvelle évaluation : le coût total du plan 15 000 s'élèverait désormais à 5,4 milliards d'euros.
Une nouvelle réévaluation du coût total à 5,55 milliards d'euros
Les données analysées par le rapporteur porte cette estimation à 5,55 milliards d'euros (juin 2023), soit 30 % de plus que l'enveloppe initiale. Il est à cet égard frappant de constater que des réévaluations significatives concernent des projets dont les travaux n'ont même pas encore commencé, mais qui sont en phase d'études (cf. graphique supra).
B. L'ENLISEMENT DU PLAN DE CRÉATION DES 20 CEF DE DEUXIÈME GÉNÉRATION
État d'avancement du plan de création de 20 CEF |
Source : commission des finances, d'après les données transmises au rapporteur par le ministère de la justice |
En termes budgétaires, le coût total du plan a connu une forte révision, puisqu'il est passé de 30 millions d'euros (dossier de presse du Gouvernement) à 76,5 millions d'euros (coût initial révisé), et désormais à au moins 110 millions d'euros (coût tel qu'il ressort des données analysées par le rapporteur).
C. DES DÉRAPAGES CALENDAIRES ET BUDGÉTAIRES LIÉS À UNE CONJUGAISON DE FACTEURS STRUCTURELS ET D'ALÉAS CONJONCTURELS
· Des retards et des surcoûts inhérents au pilotage et au contenu des programmes
La volonté, énoncée dans la présentation du programme 15 000, de créer des établissements innovants et de renouveler le cahier des charges architectural, limite la possibilité de standardiser les constructions, même si des programmes « cadre » sont prévus. Le centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach, présenté comme une structure « innovante » par l'APIJ, se compose par exemple de 22 bâtiments, organisés autour de deux voies principales. Seuls deux autres centres pénitentiaires devraient s'inspirer de ce modèle, ceux de Caen et de Troyes. Pour le centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, une dizaine de bâtiments est construite sur une parcelle foncière appartenant au parc de l'établissement et plusieurs bâtiments existants seront détruits et reconstruits, lors de la seconde phase des travaux.
Surtout, au-delà des programmes cadre, l'une des difficultés mises en avant pour expliquer les écarts a trait au fait que les caractéristiques techniques des projets, peu fiabilisées au lancement du plan et en l'absence de retour d'expérience, évoluent constamment, d'année en année, tout comme les coûts réels par rapport aux coûts théoriques. Cette instabilité constitue la principale source des délais et des surcoûts, avant l'inflation et les tensions d'approvisionnement sur les matériaux. De même, pour les nouveaux CEF, les écarts budgétaires sont principalement liés à l'évolution des caractéristiques techniques en matière de sécurisation des bâtiments.
· La mise à disposition d'un foncier de bonne qualité, un enjeu majeur
Dès la présentation du plan 15 000, la contre-expertise effectuée sur ce programme et analysée par le Secrétariat général pour l'investissement public soulignait que l'enjeu foncier représentait un « risque réel » pour sa soutenabilité.
La majorité des opérations du plan 15 000 et les CEF de deuxième génération partagent en effet un objectif commun, privilégier une implantation plus proche des centres urbains afin de limiter les coûts de déplacement, faciliter les visites des familles et favoriser les partenariats favorables à la prise en charge des détenus ou des mineurs et de leur réinsertion. Cet objectif a conduit à d'importants retards dans la localisation des terrains et, surtout, dans la mise à disposition du foncier.
De l'identification du terrain à la livraison de l'établissement pénitentiaire, il faut environ |
La détermination du site d'implantation du nouveau centre pénitentiaire du Gard a duré |
Les travaux d'adaptation du foncier s'élèvent à |
avec, dans certaines situations, des décalages supplémentaires liées à l'adaptation du foncier. |
en raison de circonstances politiques et géographiques (relief accidenté, risques naturels, accessibilité, etc.) |
d'euros pour six CEF. Trois projets de CEF ne disposent encore d'aucun terrain. |
La mise à disposition du foncier ne constitue par ailleurs qu'une première étape ; il faut encore qu'il soit d'une qualité suffisante pour permettre l'implantation d'un établissement pénitentiaire ou d'un centre éducatif fermé. Les exigences du cahier des charges sont à la fois nombreuses et impératives, que ce soit concernant la surface du terrain, l'absence de surplomb, la proximité des réseaux de distribution, la préservation de la biodiversité ou encore l'accessibilité.
· L'inflation et la pénurie des matériaux ont accentué les fragilités structurelles des deux plans
Deux aléas conjoncturels ont accentué les difficultés rencontrées dans l'exécution du plan 15 000 et du plan de création de 20 CEF de deuxième génération : l'inflation, et la hausse du prix des matières premières qui en a découlé, et les tensions d'approvisionnement sur les matériaux.
Pour les marchés de conception-réalisation qui avaient déjà été notifiés, des révisions de prix étaient généralement prévues dans les contrats et certaines indemnisations spécifiques ont été octroyées aux contractants, en accord avec deux circulaires de la Première ministre des 30 mars et 29 septembre 2022. Pour les projets pour lesquels les marchés n'avaient pas encore été notifiés, la hausse des prix a conduit à réviser le montant des travaux. Si le rapporteur n'a pas pu obtenir, en dépit de ses demandes, une évaluation du coût supplémentaire lié à ces deux facteurs, il a eu la confirmation qu'ils n'avaient pas conduit à réviser à la baisse les objectifs des programmes ou les caractéristiques techniques des projets.
III. ANTICIPER, S'ADAPTER ET ÉVALUER, UN TRIPLE IMPÉRATIF POUR FINALISER CORRECTEMENT LES OPÉRATIONS ANNONCÉES EN 2018
À l'issue de ses travaux, le rapporteur spécial formule 12 recommandations.
1. Associer les organisations professionnelles et le secteur associatif habilité à l'élaboration des plans de construction ou de rénovation des établissements pénitentiaires et des centres éducatifs fermés (ministère de la justice).
Deux ans après la livraison du centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach, un devis de 600 000 euros pour changer les châssis des fenêtres
2. Installer des « équipes test » sur chacun des chantiers engagés dans le cadre du plan de création de 15 000 places de détention supplémentaires et de construction de 20 nouveaux centres éducatifs fermés (ministère de la justice).
Il est difficilement admissible qu'un établissement pénitentiaire tout juste livré nécessite de lourds travaux d'aménagement pour remédier à des failles de sécurité ou de fonctionnement, telles que l'installation de fenêtres pouvant être ouvertes en moins de deux minutes à l'aide d'un coupe ongles acheté au supermarché. La possibilité de tester et de vérifier les équipements et les aménagements d'un centre pénitentiaire au fur et à mesure de sa construction est donc essentielle pour éviter des travaux coûteux a posteriori.
Pas d'établissements pénitentiaires pleinement opérationnels sans le recrutement du personnel pénitentiaire adéquat
Taux de vacance des emplois de surveillants pénitentiaires |
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Source : commission des finances, d'après les données transmises au rapporteur par le ministère de la justice |
Les nouveaux établissements ne pourront pas fonctionner sans personnels supplémentaires : alors que le ministère de la justice s'est engagé, avec le soutien du Parlement, dans une trajectoire de revalorisation des métiers de la pénitentiaire et de hausse des recrutements, pour accompagner le plan 15 000, le taux de vacance demeure alarmant.
3. Développer le recrutement d'agents pénitentiaires contractuels en appui des surveillants pénitentiaires, en prévoyant la possibilité d'un recrutement au niveau local (direction de l'administration pénitentiaire).
4. Créer une voie réservée aux agents pénitentiaires pour le concours de surveillants pénitentiaires (École nationale d'administration pénitentiaire).
5. Calculer le nombre de personnels de l'administration pénitentiaire requis par établissement pénitentiaire non plus en fonction de son occupation théorique mais de son occupation réelle, en tenant également compte de sa configuration (direction de l'administration pénitentiaire).
Pour le foncier, convaincre plutôt que contraindre
6. Inclure, dans chacune des évaluations socio-économiques des projets immobiliers pénitentiaires, une estimation des effets attendus en matière de création d'emplois directs et indirects, de flux financiers, de développement économique et commercial local ainsi que d'urbanisme et de sécurité. Produire le même type d'études sur des établissements existants (ministère de la justice, secrétariat général pour l'investissement).
7. Produire un schéma directeur immobilier centré sur le pénitentiaire et lancer les travaux préparatoires à la mise en oeuvre du futur programme immobilier pénitentiaire, sur la base des hypothèses hautes en matière d'évolution de la population carcérale et en tenant compte des évolutions démographiques, de l'objectif d'encellulement individuel, de la diversification des modalités de prise en charge des détenus et des besoins de rénovation des établissements les plus vétustes. Intégrer, dans l'identification des terrains, les contraintes de desserte de transport et d'offre de logement (ministère de la justice et APIJ, en lien avec les collectivités territoriales pour l'identification du foncier potentiellement disponible).
Exemples d'erreurs de conception : des boutons « sécurité incendie » ouvrant toutes les portes et accessibles à tous dans un CEF ; l'absence de barreaux aux fenêtres des parloirs d'un centre pénitentiaire avec un accès direct au toit
8. Accélérer le traitement par l'APIJ des demandes « hors programme » lorsqu'il s'agit de remédier à des défauts de conception majeurs. Prévoir, dans le cadre des estimations actualisées du coût total de chacun des projets immobiliers, des « poches de réserves » à allouer à ces demandes (Agence pour l'immobilier de la justice).
Auditer et évaluer, deux impératifs pour des programmes d'investissement de grande ampleur
9. Mettre en place un comité d'audit auprès de l'APIJ ainsi qu'un comité de suivi des investissements du ministère de la justice, composé de membres des directions du budget, de l'immobilier de l'État, de l'administration pénitentiaire ainsi que de professionnels de l'immobilier (ministère de la justice).
10. Transmettre, dans les documents budgétaires, un tableau permettant, pour chacun des projets du plan de construction de 15 000 places de détention supplémentaires et du plan de création de 20 nouveaux centres éducatifs fermés, de disposer du calendrier initial et actualisé du projet ainsi que du coût initial et actualisé des travaux, depuis la phase d'études (ministère de la justice et direction du budget).
11. Avancer la clause de revoyure des crédits budgétaires alloués au plan de construction de 15 000 places de détention supplémentaires de 2026 à 2025, afin de disposer d'une prévision actualisée du coût total permettant plus spécifiquement de tenir compte de l'inflation et intégrant des réserves pour répondre aux demandes hors programme (ministère de la justice et direction du budget).
12. Finaliser l'outil de suivi du parcours des mineurs d'ici 2024, en le rendant accessible au secteur associatif habilité, et produire des évaluations sur la récidive et la réitération des mineurs pour mesurer l'efficacité des mesures de placement (ministère de la justice).
Le rapporteur conclut de ses travaux qu'à l'instar des précédents programmes immobiliers, et en dépit de son ambition initiale, le plan 15 000 ne permettra pas seul de remédier durablement à la dégradation des conditions de détention et de travail pour les personnels de l'administration pénitentiaire. Même si le plan venait à être achevé en 2027, ce qui apparaît peu probable, les capacités du parc pénitentiaire seraient déjà saturées : alors qu'il a été conçu sur la base d'une projection d'une population carcérale de 75 000 personnes en 2027, ce seuil a déjà été atteint en 2023. La politique pénitentiaire ne peut pas se résumer à une politique immobilière.
* 1 Conseil de l'Europe, juin 2023. Le taux de densité carcérale correspond au nombre de détenus pour 100 places de détention.
* 2 Article 190 de la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023.
* 3 La liste détaillée des 50 projets, avec le nombre de places, le calendrier prévisionnel et le coût prévisionnel (initial et révisé) est reprise dans le rapport d'information.