D. UN SERVICE DE SANTÉ TAILLÉ AU PLUS JUSTE, ENCORE LOIN DU NIVEAU REQUIS POUR SOUTENIR UN ENGAGEMENT MAJEUR DES FORCES ARMÉES
1. Un service sous tension
Le SSA est aujourd'hui taillé au plus juste pour la réalisation de son contrat opérationnel. Les auditions conduites par le rapporteur spécial ont cependant permis de s'assurer que jamais une opération n'a été abandonnée ou même repoussée faute de capacité à intégrer le soutien santé.
Néanmoins, un tel résultat n'est obtenu qu'au prix d'arbitrages à l'origine de nombreuses carences de postes, notamment dans les centres médicaux des armées (voir supra). Aussi, les sous-effectifs et les délais d'obtention de rendez-vous constituent les principaux irritants ressortant des enquêtes de satisfaction menées auprès des militaires.
Plus généralement, la médecine des forces est structurellement confrontée à un « effet ciseaux » entre la déflation de ses ressources humaines et la croissance globale des effectifs des forces à l'oeuvre depuis 2015.
Doit également être mentionnée à cet égard la forte hausse des effectifs de la gendarmerie. Ces derniers représentent aujourd'hui près de 30 % de l'activité de la médecine des forces, appelant un renouvellement du cadre de coopération avec le ministère de l'intérieur, prenant la forme d'une annexe à la délégation de gestion cadre (DGC) rédigée en 2008 suite au rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l'intérieur, qui n'a pas été actualisée depuis 2015.
2. L'importance du soutien santé dans un contexte de haute intensité
Pour autant le SSA, encore loin d'être en mesure de soutenir un engagement majeur, n'est pas en phase avec les évolutions du contexte géostratégique, pourtant identifiées de longue date.
En 2022, le SSA n'a pas été en mesure d'honorer son contrat opérationnel au titre de la fonction stratégique « intervention »6(*). L'objectif de performance n° 4.1 « Capacité des armées à intervenir dans une situation mettant en jeu la sécurité de la France » du programme n° 178 « préparation et emploi des forces » n'est rempli qu'à hauteur de 90 %. En effet, la cible de réalisation des équipes chirurgicales (fixée à 55) n'a pas été atteinte en exécution (49)7(*).
La guerre russo-ukrainienne a rappelé l'importance capitale des soutiens, et en particulier de la chaîne santé dans un contexte de haute intensité, impliquant une capacité à soigner un volume de blessés important puis à prendre en charge les soins de suite en aval.
Par ailleurs, l'impact d'un soutien santé à toute épreuve sur les forces morales des combattants engagés dans un conflit de haute intensité ne doit pas être sous-estimé.
S'il ne peut être assimilé à une mesure précise du volume de forces que les armées françaises pourraient projeter dans le cadre d'un engagement majeur l'exercice Orion conduit en 2023 a confirmé la sous-préparation du SSA à cet égard : alors qu'il faudrait être en mesure de traiter plusieurs centaines de blessés par jour, la chaîne santé déployée dans le cadre de l'exercice était capable d'en traiter 20.
L'exercice Orion 23
Pour répondre à l'évolution du contexte international, l'état-major des armées a décidé, dès 2020, d'organiser un nouveau cycle d'exercices triennal dont Orion constituera le premier échelon en 2023. L'objectif est d'entraîner les armées françaises dans un cadre interarmées et multinational, selon un scénario réaliste et exigeant, qui prend en compte les différents milieux (terre, mer, air, espace) et champs de conflictualité (cyber, informationnel et électromagnétique).
Ainsi, Orion 23 vise à :
- recentrer l'entraînement des armées sur l'hypothèse de réactivité à tout type d'événement ;via un entraînement multi-milieux et multi-champs (M2MC) à grande échelle ;
- évaluer les capacités internes à assumer une opération d'envergure majeure des armées ;
- renforcer l'interopérabilité avec nos alliés ;
- éprouver de nouvelles capacités.
L'exercice entend se déployer sur une échelle inédite dans la planification (expertise de haut niveau dans la planification opérative), sur le terrain (entraînement politico-militaire, manoeuvres de niveau division et de niveau corps d'armée, manoeuvres, entrée en premier depuis la métropole pour acquisition et maintien de la supériorité aérienne dans un espace contesté et manoeuvre aérienne globale de conduite d'opérations aéroportées majeures) et dans le soutien (homme, logistique, santé...).
L'entraînement revêt une dimension interarmées, interministérielle et internationale, et figure une situation de crise sollicitant toutes les composantes de la Nation. Il entend prendre en compte tous les domaines et champs de conflictualité (guerre informationnelle, cyber, fonds marins, extra-atmosphérique...).
Il prend la forme d'un scénario fictif mais se voulant crédible : l'État Mercure souhaite rétablir son influence régionale sur l'État Arnland. Pour ce faire, Mercure apporte un soutien matériel et financier à la milice Tantale, qui déstabilise le sud de Arnland et déploie des forces importantes aux frontières et dans les approches maritimes, tout en employant des modes d'action dits « non cinétiques » (perturbations des systèmes de communication, désinformation...). L'État Arnland se retrouve affaibli. Afin d'éviter toute dégradation de la situation, après une phase de planification (Phase 1), la France déploie son échelon national d'urgence interarmées (Phase 2). S'ensuit une phase politico-militaire de gestion de crise d'ampleur (Phase 3) avant de décider de se déployer massivement au sein d'une coalition contre Mercure (Phase 4) dans le cadre d'une opération sous mandat ONU et OTAN.
Source : ministère des armées
* 6 Pour mémoire, cinq fonctions stratégiques sont traditionnellement conférées aux armées françaises : connaissance-anticipation, prévention, protection, intervention, dissuasion.
* 7 Rapport annuel de performances de la mission « Défense » annexé au projet de loi de règlement 2022.