PARTIE I :
LA NÉCESSITÉ D'UN BILAN OBJECTIF ET COMPLET DES RÉUSSITES ET DES ÉCHECS DE L'ACCORD DE NOUMÉA

Il existe un consensus sur la nécessité de dresser le bilan du cycle politique ouvert par la signature des accords de Matignon-Oudinot en 1988. Il apparaît essentiel, pour construire la nouvelle architecture institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, de renforcer les acquis et de s'interroger sur le bilan de l'accord de Nouméa du 5 mai 1998, point d'orgue de ce processus qui trouve sa traduction juridique dans la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

Un groupe de travail, composé du haut-commissaire de la République et de représentants des groupes politiques au Congrès, a ainsi été créé pour définir le cahier des charges du bilan de l'accord de Nouméa confié au consortium CMI-DME. Les conclusions de ce rapport ont été rendues publiques le 30 mai 2023 et ont permis d'alimenter utilement ce nouveau cycle de négociations.

Si la nécessité de ce retour d'expérience ne fait pas débat, les rapporteurs regrettent, au regard du contenu du travail produit, que cette mission stratégique ait été confiée à des cabinets de conseil plutôt qu'aux services compétents de l'État et de la Nouvelle-Calédonie.

I. LES PROMESSES TENUES PAR CHACUNE DES PARTIES DOIVENT ÊTRE SALUÉES

Dresser le bilan de l'accord de Nouméa passe, en premier lieu, par la reconnaissance des promesses tenues depuis vingt-cinq ans par chacune des parties signataires, condition nécessaire à l'établissement d'un lien de confiance dans le cadre des négociations portant sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

A. L'ÉTAT A CONTINUÉ DE REMPLIR SES MISSIONS TOUT EN ACCOMPAGNANT LES ACTEURS LOCAUX DANS LEUR AUTONOMISATION

Comme il s'y était engagé, l'État a transféré de manière progressive, effective et irréversible de nombreuses compétences au territoire, telles que l'enseignement primaire (2000) et secondaire (2012), le commerce extérieur et les douanes (2000), le droit du travail (2000) ou encore la sécurité civile (2014).

Toutes les compétences dont le transfert était prévu par l'accord de Nouméa sont désormais effectivement exercées par les provinces ou la Nouvelle-Calédonie. L'État a mobilisé les moyens financiers, fourni l'assistance technique et humaine nécessaires pour garantir l'exercice effectif de ces compétences et accompagné les acteurs locaux dans la maîtrise de ce nouveau statut institutionnel.

Demeure la question du transfert optionnel des compétences mentionnées à l'article 27 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie : les règles relatives à l'administration, au contrôle de légalité et au régime comptable et financier des collectivités publiques et de leurs établissements publics, l'enseignement supérieur et la communication audiovisuelle. Comme l'ont relevé les rapporteurs lors de leurs auditions, le transfert de ces compétences ne fait pas l'objet d'un consensus entre les parties locales indépendantistes et non-indépendantistes. Toutefois, partageant une analyse déjà avancée par Ferdinand Mélin-Soucramanien et Édouard Courtial en 2018, ils considèrent que « dès lors qu'elles n'auraient pas été transférées, [les compétences de l'article 27] échapperaient donc au périmètre d'irréversibilité »4(*) prévu expressément par l'article 77 de la Constitution5(*).

En parallèle, l'État a continué de s'acquitter, de manière satisfaisante, de ses missions régaliennes sur le territoire, et ce, en associant étroitement les autorités calédoniennes à l'exercice de ces compétences régaliennes lorsque cela était prévu par l'accord.

Des compétences régaliennes exercées
en associant étroitement les autorités calédoniennes

De même que les institutions calédoniennes ont recours à lui pour
l'exercice de leurs propres compétences notamment en matière pénale6(*), l'État est aussi tenu d'associer les autorités calédoniennes à l'exercice de certaines de ses compétences. Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie doit ainsi être :

- consulté sur la réglementation relative à l'entrée et au séjour des étrangers ;

- consulté et informé des décisions relatives à la délivrance des visas pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois ;

- informé des mesures prises en matière de maintien de l'ordre ;

- consulté en matière de communication audiovisuelle ;

- associé à l'élaboration des contrats d'établissement entre l'État et les établissements universitaires intervenant en Nouvelle-Calédonie et consulté sur les projets de contrat entre l'État et les organismes de recherche établis en Nouvelle-Calédonie ;

- consulté sur les programmes de l'enseignement du second degré, après le transfert effectif de cette compétence.

En outre, les institutions calédoniennes peuvent intervenir, avec l'accord de l'État, dans le domaine des relations extérieures pour favoriser la coopération régionale. Le président du gouvernement peut ainsi négocier et signer des accords internationaux ou être associé ou membre de la délégation française participant à ces négociations ou à la signature d'accords.

De manière volontaire, la Nouvelle-Calédonie a souhaité disposer d'agents auprès d'États voisins de l'archipel (Nouvelle-Zélande, Australie, Vanuatu, Papouasie Nouvelle-Guinée, Fidji). Cette décision a été formalisée dans une convention signée avec l'État en janvier 2012 : un délégué de la Nouvelle-Calédonie bénéficiant de la protection et des facilités du personnel inscrit sur la liste diplomatique est placé sous l'autorité de l'ambassadeur de France accrédité auprès des autorités de ces cinq pays.

En outre, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie présidé par Louis Mapou a multiplié les échanges avec le Vanuatu et la Nouvelle-Zélande, allant jusqu'à signer ensemble des déclarations d'intention, préludes à de prochains accords de coopération, pour l'installation d'un second câble sous-marin entre les deux premiers archipels et pour développer les échanges économiques et commerciaux, invoquant dans la presse un premier pas vers un accord « de libre échange »7(*).

Enfin, comme l'y autorise l'article 32 de la loi organique du 19 mars 1999, la Nouvelle-Calédonie est membre, à côté de la France, de la Communauté du Pacifique, organisation internationale à vocation régionale qui a son siège à Nouméa. S'agissant du Forum des îles du Pacifique, autre organisation régionale créée en 1971, la Nouvelle-Calédonie a été intégrée comme membre associé sans parvenir à ce jour à accéder au statut de membre.

Corollaire de ces transferts, l'État a maintenu les services déconcentrés qui relèvent encore de sa responsabilité unique, pour les missions régaliennes, ou partagée, telles que les relations internationales et régionales, la réglementation relative à l'entrée et au séjour des étrangers, la réglementation minière.

L'État a également tenu sa promesse d'accompagner l'exercice du droit à l'autodétermination jusqu'au terme du processus politique défini par l'accord de Nouméa. Il a ainsi organisé les trois consultations d'autodétermination de 2018, 2020 et 2021 à la demande du Congrès. Afin de garantir la régularité et la sincérité du scrutin, il a dépêché sur place 270 délégués sous l'égide de la commission de contrôle de l'organisation et du déroulement de la consultation sur l'accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté. Lors du dernier référendum, il a également déployé plus de 1 400 gendarmes sur le territoire afin de garantir la sécurité de la population.

Au-delà de la réforme institutionnelle, l'accord de Nouméa prévoyait une meilleure prise en compte de l'identité kanak dans l'organisation politique et sociale de la Nouvelle-Calédonie. En signant cet accord, l'État a reconnu les « ombres de la période coloniale » et s'est engagé à « restituer au peuple kanak son identité confisquée »8(*). Cette mention marque un tournant dans l'attitude de l'État qui ne reconnaissait pas, jusqu'alors, l'existence juridique d'autres peuples que celle du peuple français9(*).

Sur la question de la gestion du nickel, l'État a également montré à de nombreuses reprises sa capacité à soutenir financièrement cette filière stratégique pour le développement économique de la Nouvelle-Calédonie et dont la rentabilité est mise à mal par la volatilité du cours des matières premières et les fragilités intrinsèques et structurelles du modèle économique de cette exploitation.


* 4 Rapport au Premier ministre de Jean Courtial et Ferdinand Mélin-Soucamanien, « Réflexions sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie », remis le 11 octobre 2013 et publié avec la contribution du ministère des outre-mer, p. 24, consultable à l'adresse suivante : https://www.vie-publique.fr/rapport/33578-reflexions-sur-lavenir-institutionnel-de-la-nouvelle-caledonie.

* 5 L'article 77 de la Constitution prévoit expressément que les transferts de compétence de l'État vers la Nouvelle-Calédonie sont effectués « de façon définitive ».

* 6 Le dispositif d'homologation des peines applicable en Nouvelle-Calédonie est, sur ce point, éclairant.

* 7 « Premier acte d'une coopération renforcée avec le Vanuatu », communiqué de presse du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie du 4 août 2022, consultable à l'adresse suivante : https://gouv.nc/actualites/04-08-2022/premier-acte-dune-cooperation-renforcee-avec-le-vanuatu.

* 8 Préambule de l'accord de Nouméa.

* 9 Dans sa décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991, le Conseil constitutionnel a déclaré non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 1er de la loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse au motif que celles-ci mentionnaient le « peuple corse » alors que le peuple français doit être considéré comme « une catégorie unitaire insusceptible de toute subdivision en vertu de la loi ».