AVANT-PROPOS
Ce rapport s'attache à dresser le bilan du mode de financement des organismes et fonds financés par les régimes obligatoires de base de sécurité sociale, que l'on propose de désigner par l'acronyme « Offrob ».
Ceux-ci sont visés par les 2.b (pour les organismes)1(*) et 2.c (pour les fonds)2(*) de l'article L.O. 111-4-1 du code de la sécurité sociale, qui prévoit qu'ils font l'objet d'une annexe au projet de loi de financement de la sécurité sociale de l'année (PLFSS).
Les quinze Offrob répertoriés à l'annexe 2 du PLFSS pour 2023, qui concernent tous le domaine de la santé, ont perçu en 2022 des subventions de 6,7 milliards d'euros des branches maladie, accidents du travail et maladies professionnelles et autonomie, soit un montant supérieur de moitié aux crédits de la mission « Culture » du budget général. Les deux principales subventions en 2022 ont concerné Santé publique France (4,0 milliards d'euros) et le Fonds pour la modernisation et l'investissement en santé (Fmis) (1,1 milliard d'euros).
Hors subventions exceptionnelles liées à la crise sanitaire (3,8 milliards d'euros dans le cas de Santé publique France) et à l'Agence du numérique en santé (ANS)3(*), ces subventions ont atteint 2,6 milliards d'euros en 2022. Les organismes et fonds ayant bénéficié des subventions de régimes de base de sécurité sociale pérennes les plus élevées ont été le Fmis (1,1 milliard d'euros), le fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (327 millions d'euros) et le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (220 millions d'euros).
Si la subvention de la sécurité sociale représente, dans la majorité des cas, une part prépondérante des ressources des établissements concernés, l'Établissement français du sang (EFS) fait exception, son modèle de financement reposant principalement sur la cession de produits sanguins labiles.
L'information et le contrôle parlementaires sur l'affectation et l'utilisation des fonds publics sont une garantie démocratique majeure, mais ceux-ci se révèlent moins exigeants pour les subventions de la sécurité sociale que pour les crédits budgétaires de l'État. En effet, onze des quinze subventions aux Offrob ne font pas l'objet d'un vote explicite en LFSS et peuvent être modifiées par voie réglementaire ; par ailleurs, les crédits des LFSS ne sont pas limitatifs, contrairement à ceux votés en loi de finances. Ainsi, en 2020, la subvention à Santé Publique France (ne faisant pas l'objet d'un vote explicite en LFSS) a été accrue par voie réglementaire de plusieurs milliards d'euros, dans un contexte de crise sanitaire mettant fortement sous tension les finances de l'agence.
Dans ce contexte, les transferts de sept
subventions auparavant portées par l'État à la
sécurité sociale depuis 2015 (dont certains sont
discutables en leur principe, comme dans les cas de l'École des hautes
études en santé publique
et, surtout, en 2020 avant la crise
sanitaire, de Santé publique France, auquel s'était
opposée la commission des affaires sociales du Sénat)
entraînent un affaiblissement de la portée de
l'autorisation parlementaire sur le montant des subventions publiques
aux Offrob en exécution et sur l'usage qui en est fait.
La loi organique du 14 mars 2022 prévoit toutefois, à l'initiative du Sénat, que, dans le cas des Offrob autres que les fonds, en cas de dépassement de plus de 10 % en cours d'exercice du montant inscrit en LFSS, les commissions des affaires sociales en sont « informées sans délai »4(*).
Le présent rapport propose de renforcer la portée de l'autorisation et l'information parlementaires, et d'adapter la gestion des Offrob pour davantage d'efficacité.
Un panorama organisme par organisme est fourni en annexe, afin d'évoquer, pour chaque Offrob, ses enjeux spécifiques, sa situation financière et ses perspectives.
Chaque organisme a été auditionné ou a transmis une contribution écrite, à l'exception de l'Agence du numérique en santé (ANS), qui a refusé de répondre aux sollicitations de la mission5(*).
I. LES OFFROB : UN ENSEMBLE HÉTÉROCLITE DONT LE FINANCEMENT A CONNU UN MOUVEMENT DE SOCIALISATION INACHEVÉ
A. LA SÉCURITÉ SOCIALE, PAR SES BRANCHES MALADIE, AT-MP ET AUTONOMIE, A UN RÔLE DE FINANCEMENT DES ORGANISMES SANITAIRES
1. Les critères d'appartenance aux organismes et fonds financés par les régimes obligatoires de base
Les organismes et fonds financés par les régimes obligatoires de base (Offrob), mentionnés à l'article L.O. 111-4-1 du code de la sécurité sociale, sont répertoriés à l'annexe 2 (ex-annexe 86(*)) « Les comptes du FSV, de la Cades, du FRR et des organismes ou fonds financés par des régimes obligatoires de base » aux projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
Selon les critères retenus par la direction de la sécurité sociale (DSS) pour l'élaboration de cette annexe, il s'agit d'organismes ou de fonds répondant à deux caractéristiques principales :
· une gestion externe aux caisses de sécurité sociale ;
· la perception d'une subvention versée par les régimes obligatoires de base, quelle que soit sa proportion dans les recettes de l'organisme ou du fonds.
Ainsi, des fonds dépourvus de personnalité juridique, comme le Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Fcaata) ou le Fonds pour la modernisation et l'investissement en santé (Fmis), sont intégrés dans la liste des Offrob car leur gestion est déléguée à la Caisse des dépôts et consignations, un opérateur externe. Au contraire, les fonds sans personnalité juridique et adossés aux services d'une caisse ne font pas partie des Offrob, à l'instar du fonds d'indemnisation des victimes de pesticides (FIVP) adossé à la caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA), laquelle en a délégué la gestion à la MSA Mayenne Orne Sarthe.
De ces caractéristiques principales découle une relative unité dans le cadre juridique organique et législatif applicable au financement des Offrob : les crédits qui leur sont attribués par la sécurité sociale ne sont, par exemple, pas limitatifs ; mais ils constituent bien des objectifs de dépenses, qu'il est possible de dépasser en gestion sans nécessiter de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Les justifications à apporter sur l'utilisation des crédits, le degré d'information parlementaire ou encore la procédure applicable à la détermination des montants de subvention forgent également une homologie entre les différents organismes et fonds financés par les régimes obligatoires de base.
Au titre du PLFSS pour 2023, cette annexe recensait 15 organismes et fonds : l'Agence de la biomédecine (ABM), l'Agence du numérique en santé (ANS), l'Agence nationale d'appui à la performance (Anap), l'Agence nationale de santé publique (Santé publique France), l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), l'Agence nationale du développement professionnel continu (ANDPC), l'Agence technique de l'information sur l'hospitalisation (Atih), le Centre national de gestion (CNG), l'École des hautes études en santé publique (EHESP), l'Établissement français du sang (EFS), le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva), le Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Fcaata), le Fonds pour la modernisation et l'investissement en santé (Fmis), la Haute Autorité de santé (HAS) et l'Office national d'indemnisation des victimes d'accidents médicaux (Oniam).
2. La notion d'Offrob recouvre des organismes aux missions, statuts juridiques et ampleur hétéroclites
Par construction, la notion d'Offrob recouvre des réalités hétéroclites.
Les statuts juridiques des Offrob sont très divers : si la plupart, à l'image de Santé publique France ou de l'Oniam, sont des établissements publics administratifs (EPA), le Fmis et le Fcaata sont des fonds dépourvus de personnalité juridique, l'ANS, l'Anap et l'ANDPC sont des groupements d'intérêt public (GIP), tandis que l'EHESP est un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP). La HAS est, quant à elle, une autorité publique indépendante, un statut original au sein des Offrob.
Ces statuts ont toutefois en commun de préserver l'autonomie de chacun des organismes et fonds concernés, et de leur conférer une souplesse d'organisation.
Dans sa contribution à la mission, la DSS avance que « la composition des conseils d'administration de ces Offrob et les contrats pluriannuels d'objectifs et de performance encadrant leur gestion et leurs orientations mettent en évidence leur autonomie et la priorité donnée à l'aboutissement de leur mission en gestion concertée, toutes deux cohérentes avec leur financement par les branches ».
Les missions dévolues aux Offrob sont également protéiformes, bien que tous soient entièrement dédiés à des volets spécifiques de la mise en oeuvre de la politique de santé dans une logique de séparation entre les fonctions de pilotage stratégique et de mise en oeuvre des politiques. Cela se traduit par des structures de dépenses très variables :
· certains, comme le Fiva, l'Oniam ou le Fcaata, sont des outils d'indemnisation ou de transfert aux victimes de décisions sanitaires ou d'erreurs médicales. Leurs dépenses sont donc majoritairement des dépenses d'intervention consistant en des transferts directs aux ménages ;
· d'autres, comme le Fmis ou l'ANDPC, ont vocation à financer ou cofinancer les dépenses des professionnels de santé ou des établissements de santé en faveur de la qualité des soins présente et future. Ils se caractérisent également par des dépenses de guichet, consistant économiquement en des transferts aux établissements ou professionnels de santé ;
· l'ABM et l'EFS ont notamment la charge de se procurer et de gérer, à l'échelle nationale, certaines ressources biologiques, leur disponibilité et leur sécurité sanitaire. L'ABM est compétente dans les domaines du prélèvement, de l'acquisition et de la greffe d'organes, de tissus et de cellule, tandis que l'EFS dispose du monopole de la collecte, de la préparation et de la qualification des produits sanguins labiles ;
· la HAS et l'ANSM sont des établissements d'expertise chargés de garantir la sécurité sanitaire, dont la structure de dépenses est axée sur le titre 2 ;
· Santé publique France est chargée de l'amélioration et de la protection de la santé des populations par la préparation et la réponse aux menaces sanitaires, la surveillance de l'état de santé des populations, la veille sur les risques sanitaires et la promotion de la santé ;
· l'EHESP et le CNG sont associés dans la construction du parcours de carrière des personnels de la fonction publique hospitalière : l'EHESP, en plus de ses missions de formation initiale et continue, forme les directeurs des soins, les directeurs d'hôpitaux et les directeurs d'établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux, tandis que le CNG a la charge de l'organisation de concours médicaux et administratifs, et de la gestion des carrières des directeurs et praticiens en établissement de santé ;
· l'Atih et l'Anap sont des agences oeuvrant à développer la performance des hôpitaux et des établissements sociaux et médico-sociaux ; l'Atih par le biais des études qu'elle mène, incluant notamment les études nationales de coûts, ainsi que des données qu'elle collecte, traite et analyse sur l'activité des établissements ; et l'Anap au travers de son action pour l'amélioration du service rendu au patient et aux usagers.
Les budgets des différents Offrob n'apportent pas plus d'unité à cette notion : les charges des Offrob en 2022 s'échelonnent de 20 millions d'euros pour l'Anap à 3,1 milliards d'euros pour Santé publique France, dans un contexte certes marqué par les dotations exceptionnelles perçues au titre de l'épidémie de covid-19.
Une annexe au présent rapport détaille la présentation de chaque Offrob.
Statut, principales missions et budget 2022 des Offrob
Organisme |
Statut |
Principales missions |
Budget 2022 |
Agence de la biomédecine (ABM) |
EPA |
• encadrement de l'activité de
prélèvement et de greffe d'organes, de tissus, de cellules ;
|
79,5 M€ |
Agence nationale d'appui à la performance (Anap) |
GIP |
• accompagnement des établissements de santé pour améliorer le service rendu par la diffusion de recommandations et d'outils. |
20,2 M€ |
Agence du numérique en santé (ANS) |
GIP |
• accompagnement de la transformation
numérique du système de santé ;
|
252,0 M€ |
Agence nationale de santé publique (Santé publique France) |
EPA |
• observation épidémiologique et
surveillance de l'état de santé des populations ;
|
3104,0 M€ |
Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) |
EPA |
• évaluation du rapport
bénéfices / risques des produits de santé
destinés à l'Homme tout au long de leur cycle de
vie ; |
143,6 M€ |
Agence nationale du développement professionnel continu (ANDPC) |
GIP |
• pilotage du dispositif de développement
professionnel continu pour l'ensemble des professionnels de
santé ; |
204,8 M€ |
Agence technique de l'information sur l'hospitalisation (Atih) |
EPA |
• pilotage, mise en oeuvre et accessibilité
aux tiers du dispositif de recueil de l'activité
médico-économique et des données des établissements
de santé, ainsi que du traitement de ces
informations ; |
36,4 M€ |
Centre national de gestion (CNG) |
EPA |
• gestion des carrières des directeurs,
praticiens hospitaliers et personnels enseignants et hospitaliers ;
|
35,3 M€ |
École des hautes études en santé publique (EHESP) |
EPSCP |
• formation des personnes ayant à exercer
des fonctions de direction, de gestion, d'inspection et de contrôle dans
les domaines sanitaires, sociaux ou médico-sociaux ;
|
61,4 M€ |
Établissement français du sang (EFS) |
EPA |
• collecte, qualification et préparation
des produits sanguins labiles ; |
1038,7 M€ |
Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva) |
EPA |
• assurer la réparation intégrale de l'ensemble des préjudices subis par les victimes de pathologies consécutives à une exposition à l'amiante et par leurs ayants droit. |
322,6 M€ |
Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Fcaata) |
Fonds dépourvu de personnalité juridique |
• financement de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante. |
373,2 M€ |
Fonds pour la modernisation et l'investissement en santé (Fmis) |
Fonds dépourvu de personnalité juridique |
• financement des dépenses d'investissement
des établissements de santé ; |
909,5 M€ |
Haute Autorité de santé (HAS) |
API |
• évaluation des actes et des produits de
santé ; |
73,7 M€ |
Office national d'indemnisation des victimes d'accidents médicaux (Oniam) |
EPA |
• indemnisation amiable des victimes de dommages occasionnés par la survenue d'un accident médical, d'une affection iatrogène, d'une infection nosocomiale ou de dommages relatifs à des mesures de police sanitaire |
213,7 M€ |
Source : Commission des affaires sociales du Sénat d'après l'annexe 2 au PLFSS pour 2023 et l'annexe 7 au Placss pour 2022
Note : Le budget est le budget exécuté en charges 2022 en comptabilité générale, à l'exception du Fmis, pour lequel, faute de données, le budget est le budget prévisionnel en charges 2022 en comptabilité générale.
3. Seules les branches maladie, AT-MP et autonomie contribuent au financement des Offrob
Les Offrob concourant tous à la politique sanitaire et sociale, toutes les branches de la sécurité sociale ne contribuent pas à part égale à leur financement.
La branche maladie est la plus sollicitée pour concourir au financement des Offrob, dès lors qu'elle participe au financement de treize des quinze Offrob. Dans dix cas sur treize, la branche maladie est la seule branche portant une subvention.
La branche accidents du travail - maladies professionnelles (AT-MP) porte, seule, la subvention des régimes obligatoires de base au bénéfice de deux Offrob : le Fiva et le Fcaata, deux fonds assurant l'indemnisation des victimes de l'amiante et la prise en charge de leur cessation d'activité anticipée.
La branche autonomie, quant à elle, cofinance le Fmis, l'Atih et l'Anap, pour des montants moindres que ceux portés par la branche maladie, cofinanceuse.
Les branches famille et retraite ne contribuent pas au financement des Offrob.
* 1 Qui mentionne les « organismes financés par des régimes obligatoires de base ».
* 2 Qui mentionne les « fonds comptables retraçant le financement de dépenses spécifiques relevant d'un régime obligatoire de base ».
* 3 Subvention exceptionnelle de 264 millions d'euros en 2022.
* 4 Article L.O. 111-9-2-2 du code de la sécurité sociale : « Lorsque, en cours d'exercice, le montant de la dotation mentionnée au b du 2° de l'article L.O. 111-4-1 affectée à un organisme fait l'objet d'une augmentation de plus de 10 %, les commissions parlementaires saisies au fond des projets de loi de financement de la sécurité sociale en sont informées sans délai ».
* 5 La mission n'a pas non plus obtenu de contribution écrite de la part du Fonds pour la modernisation et l'investissement en santé (Fmis). Toutefois il n'a pas la personnalité juridique et n'est donc pas un organisme.
* 6 La numérotation des annexes aux PLFSS a été modifiée à partir du PLFSS 2023, en conséquence de la loi organique du 14 mars 2022 (un tableau de correspondance figure dans le rapport d'Élisabeth Doineau pour la commission des affaires sociales du Sénat sur le Placss 2022, n° 789, 2022-2023, page 26). Par ailleurs, des éléments sur la situation des Offrob sont fournis dans l'annexe 7 « Comptes définitifs du FSV, de la CADES, du FRR et des organismes ou fonds financés par les régimes obligatoires de base » des projets de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss).