B. LA PRÉFIGURATION D'UN ESPACE NUMÉRIQUE DE SANTÉ
1. La préfiguration de l'espace numérique en santé : les travaux de 2018
· Face aux difficultés persistantes de déploiement d'un dossier patient numérique, en septembre 2018, le rapport « Accélérer le virage numérique » de Dominique Pon et Annelaure Coury111(*) dresse plusieurs constats alarmants sur le numérique en santé :
- l'usager est trop longtemps resté « oublié » dans le développement du numérique en santé et les services auxquels il a accès restent très limités ;
- les professionnels de santé sont confrontés à une offre morcelée et peu interopérable, rendant les usages complexes dans la pratique quotidienne ;
- il n'existe pas de « socle de base » de référentiels et d'outils de premier niveau partagés, susceptibles d'assurer la cohérence de l'offre et d'encourager l'innovation.
· En réponse à ce constat, le rapport propose de créer, dès la naissance et pour chaque usager, un Espace numérique de santé (ENS) sécurisé et personnalisé permettant à chaque usager de gérer l'ensemble de ses données personnelles et lui donnant accès à un ensemble de services et d'applications de santé référencés. Plusieurs objectifs seraient assignés à ce nouvel espace :
- faire de l'usager un acteur de son parcours de santé et lui permettre de disposer et de gérer ses données et services numériques de santé ;
- accroître la confiance des usagers comme des professionnels dans les services numériques en santé, en fixant un cadre cohérent basé sur des principes éthiques et techniques portés par la puissance publique ;
- stimuler l'innovation et l'investissement des acteurs privés ;
- améliorer la qualité et l'efficience de notre système de santé.
· Décrit comme un outil d'interaction entre l'usager et le système de santé, d'éducation, de prévention et de suivi, l'ENS devait comprendre notamment un dossier de santé comprenant le DMP, un agenda de santé, une messagerie sécurisée, les données de remboursement de l'Assurance maladie, ainsi qu'un magasin numérique (ou « store ») réunissant les applications et objets référencés et autorisés à échanger des données avec l'ENS.
Contenu envisagé de l'espace numérique de santé
Source : Rapport Accélérer le virage numérique précité
· Le rapport envisageait également la mise en place d'un bouquet de services aux professionnels et établissements de santé, visant à mieux articuler les multiples outils disparates proposés par les acteurs publics (État, ses opérateurs, Assurance maladie) comme privés, autour de services socles (DMP, e-prescription, messagerie de l'ENS) et d'un accès unifié.
Cette simplification passait, notamment, par la mise en place d'un dispositif d'identification unifié des professionnels de santé.
2. La feuille de route du numérique en santé 2019-2022
Affirmant que « le numérique en santé doit donner lieu à un grand programme de niveau national », la ministre de la santé Agnès Buzyn a présenté, le 25 avril 2019, une feuille de route du numérique en santé pour la période 2019-2022112(*). Les actions proposées y sont structurées autour de cinq axes, et reprennent largement les conclusions du rapport de 2018.
· Le premier axe vise à renforcer la gouvernance du numérique en santé, par la création d'une délégation ministérielle du numérique en santé (DNS). Rattachée directement au ministre de la santé113(*), celle-ci doit notamment être chargée de définir la politique du numérique en santé, d'en superviser le pilotage et de coordonner l'ensemble des acteurs institutionnels nationaux et régionaux.
Un Conseil du numérique en santé, piloté par la DNS et composé de représentants des différentes parties prenantes, est chargé de proposer les grandes orientations de cette politique et les principes éthiques sur lesquels elle se fonde.
· La feuille de route vise, ensuite, à intensifier la sécurité et l'interopérabilité des systèmes d'information en santé par :
- la généralisation du système d'identification numérique des professionnels ;
- la dématérialisation des moyens d'authentification et la mise en place de « pro santé connect » pour l'identification des acteurs de santé ;
- la généralisation de l'identifiant national de santé (INS) pour l'ensemble des patients en janvier 2021 ;
- le déploiement de l'application carte Vitale, destinée à permettre aux patients de s'identifier et de bénéficier de services en ligne ;
- la mise en place d'un service national de cyber-surveillance en santé dès 2020.
· Le déploiement des services numériques socles doit, par ailleurs, être accéléré et coordonné, dans une logique d'urbanisation du numérique en santé. Ceux-ci comprennent :
- le DMP, pour lequel la feuille de route prévoit une refonte de l'ergonomie, ainsi que l'intégration d'un carnet de vaccination et l'interfaçage avec des applications ou objets connectés à compter de 2020 ;
- les messageries de santé pour sécuriser l'échange d'informations entre professionnels, devant être généralisées « en activant tous les leviers »114(*) ;
- la e-prescription, chargée de simplifier et sécuriser le circuit de transmission des ordonnances, dont la généralisation en ville et en établissements de santé est envisagée dès 2020, puis l'extension à la biologie et aux actes infirmiers dès 2021 ;
- les services numériques territoriaux de coordination des parcours, complémentaires des autres services socles (réseau social professionnel, agenda partagé) et permettant d'articuler au niveau territorial médecine de ville, médico-social et hôpital.
· La mise en place de plateformes numériques de santé, au niveau national, constitue le quatrième axe et doit recevoir les applications développées par les acteurs publics comme privés « tout en conservant une souveraineté par la maitrise des règles d'urbanisation, d'interopérabilité, de sécurité et d'éthique »115(*). Celles-ci comprennent notamment :
- un Espace numérique en santé (ENS), devant permettre à chaque citoyen de choisir et d'accéder à des services numériques de santé développés par des acteurs publics et privés dans un cadre sécurisé, dont le lancement est prévu en janvier 2022 ;
- le bouquet de services communicants, devant réunir dans une même plateforme de niveau national - sans qu'il soit nécessaire aux professionnels de santé de se ré-identifier pour accéder aux services numériques qui leur sont destinés - et améliorer leur interopérabilité, dont la mise à disposition était prévue pour la fin de l'année 2022.
· Enfin, pour stimuler l'innovation et favoriser l'engagement des acteurs, la feuille de route prévoit :
- la mise en place de programmes au soutien de l'amélioration des systèmes d'information hospitaliers (« Hôpital numérique ouvert sur son environnement », ou « HOP'EN ») et des établissements et services sociaux et médico-sociaux (« ESMS numérique ») ;
- la création d'un Lab e-santé au sein de la DNS, chargé d'identifier, de faire émerger et de diffuser de nouveaux concepts, technologies, solutions et usages en matière de santé numérique et d'aider les acteurs à s'orienter dans les dispositifs existants ;
- la mise en place d'ateliers citoyens du numérique en santé à partir de la fin de l'année 2019 et pendant toute la phase de développement de l'ENS.
* 111 Dominique Pon et Annelore Coury, Accélérer le virage numérique. Rapport final, septembre 2018.
* 112 Dossier d'information de la feuille de route « Accélérer le virage numérique », 25 avril 2019.
* 113 Les missions et le positionnement de la DNS sont développés supra, dans la première partie du présent rapport.
* 114 Ibid., p. 18.
* 115 Ibid., p. 7.