II. REDONNER DU POIDS À LA FORMATION CONTINUE : UNE PRISE DE CONSCIENCE PROGRESSIVE MAIS ENCORE INCOMPLÈTE
Il serait faux de dire que le ministère n'a pas conscience des faiblesses de la formation continue, pour importantes qu'elles soient. Au contraire, des efforts de structuration et d'adaptation peuvent être soulignés, sans qu'ils n'aient pour l'heure permis de rattraper le retard accumulé.
A. UNE STRUCTURATION À SALUER DU PILOTAGE NATIONAL ET ACADÉMIQUE
1. Un cadre de formation continue davantage formalisé à toutes les échelles
Si le pilotage de la formation continue a longtemps été partagé entre les différents échelons, la cohérence d'ensemble du dispositif a souvent été perçue comme difficilement lisible et a engendré de grandes disparités entre les académies.
À partir de 2019, le ministère a tenté de structurer son effort de formation continue par la mise en place d'un cahier des charges des plans de formation à toutes les échelles (nationale, académique et de l'établissement), le schéma directeur de la formation continue (SDFC) 2019-2022. Le SDFC constitue le cadre d'orientation et d'impulsion de la formation au niveau national. Il porte à la fois des priorités de formation, des orientations stratégiques quant aux modalités de mise en oeuvre et des éléments d'évaluation des actions menées.
Le schéma directeur de la formation continue 2022-2025 s'articule autour de six axes : incarner, faire vivre et transmettre les valeurs de la République et les principes généraux de l'éducation ; accompagner et former les équipes pédagogiques et éducatives afin de perfectionner les pratiques professionnelles et de favoriser la réussite scolaire de tous ainsi que l'éducation tout au long de la vie ; piloter la mise en oeuvre au niveau territorial des politiques de la jeunesse, de l'engagement, d'éducation populaire et des sports ; accompagner le développement professionnel de l'ensemble des agents et des collectifs de travail par la transformation des politiques RH et de formation, accompagner les encadrants dans l'exercice de leurs responsabilités pédagogiques et managériales ; consolider les connaissances, les compétences et les usages du numérique.
Le programme national de formation (PNF), destiné aux cadres des corps d'inspection, des personnels de direction et des formateurs de formateurs, en constitue le volet annuel (environ 150 séminaires par an). Il est lui-même décliné dans des programmes académiques de formation (PAF), construits dans chaque académie.
La formation continue est donc organisée en plusieurs volets principaux organisés selon trois niveaux d'intervention :
- le niveau national par le programme national de formation (PNF) ;
- le niveau académique par le programme académique de formation (PAF) ;
- les formations d'initiative locale (FIL) à l'échelle des établissements.
Organisation de la formation continue
Source : académie de Nancy-Metz
Cette structuration témoigne d'une réelle volonté de prise en compte des enjeux liés à la formation continue par le ministère, qui ressort également des auditions menées par le rapporteur spécial. Cependant, comme cela sera développé plus bas, le déploiement d'un pilotage descendant ne doit pas empêcher la prise en compte des besoins de formation au niveau des établissements et des enseignants.
2. Des récentes améliorations pour aller vers davantage de proximité
a) Une innovation fondamentale mais encore trop récente pour être évaluée : les écoles académiques de la formation continue
Les écoles académiques de la formation continue (ÉAFC) ont été mises en place par le biais d'une expérimentation en juin 2021, concernant initialement 24 académies. Les six autres académies sont entrées dans le dispositif en 2022. Toutes les académies ont à ce jour installé leur ÉAFC.
L'ÉAFC a pour objectif de centraliser la politique de formation continue dans l'académie, sous forme de « guichet unique » et constitue à ce titre un changement important dans la gouvernance de la formation continue vers davantage de lisibilité. L'ÉAFC concentre notamment les moyens humains et financiers alloués à la formation continue et a également pour avantage de centraliser l'offre de formations sur un portail unique et donc de permettre une meilleure visibilité. À ce titre, les écoles doivent être de réels éléments de pilotage académique de la formation, et doivent également permettre de fluidifier la gestion des ressources humaines s'agissant de la formation continue.
Un dispositif d'évaluation est prévu, comportant, d'une part, les indicateurs nationaux du schéma directeur, et, d'autre part, tout indicateur permettant un suivi quantitatif et qualitatif de la mise en oeuvre de la politique de formation de l'académie. La mise en place des ÉAFC est cependant encore trop récente pour réellement en tirer un bilan, d'autant plus qu'elle vise un changement des pratiques qui doit être abordé sur le temps long. Le ministère devrait bénéficier pour l'évaluation des ÉAFC de l'aide de la Commission européenne au travers d'une mission d'experts en formation professionnelle, sur une période de 18 mois.
Le rapporteur spécial considère toutefois que le déploiement de ces écoles va dans le bon sens, en particulier s'il s'accompagne d'un travail en profondeur sur l'ingénierie de formation et une synergie avec tous les opérateurs de formation.
Toutefois, l'articulation des ÉAFC avec les autres acteurs de terrain, notamment les INSPÉ comme indiqué plus haut, apparaît encore perfectible. Se pose par exemple la question de l'harmonisation avec les conseils académiques des savoirs fondamentaux créés en janvier 2023 pour aménager l'offre de formation du premier degré.
b) Le développement des formations à distance, un atout pour la formation continue ?
Si les formations en présentiel restent majoritaires, les formations hybrides (comportant des séquences ou des ressources en ligne et des sessions en présentiel) représentaient en 2021-2022 près de 40 % des formations dans le premier degré et un quart dans le second degré. Les formations intégralement à distance constituent encore une faible proportion.
Modalité des formations continues suivies par les enseignants en 2021-2022
(en nombre de stagiaires présents)
Premier degré Second degré
Source : commission des finances d'après les données du ministère
Si les formations en distanciel (webinaires, classes virtuelles) ou hybrides représentent désormais une part significative des formations suivies, cette évolution ne peut être entièrement mises sur le compte de la crise sanitaire. Ainsi, 17 % des enseignants de collège déclaraient en 2018 avoir suivi des stages ou cours en ligne. Quant à la baisse de la proportion de formations entre 2013 et 2018 sous forme de stage en présentiel, elle est davantage à mettre en relation avec une diversification des modes de formations qu'avec l'essor des stages en ligne.
Part des enseignants exerçant en collège déclarant avoir participé à différentes activités de formation continue, comparaison entre 2013 et 2018
|
2013 |
2018 |
Cours/séminaires en présentiel |
54 % |
50 % |
Cours/séminaires en ligne |
NC |
17 % |
Conférences pédagogiques avec chercheurs/acteurs de terrain |
20 % |
37 % |
Programme de qualification (diplômant par ex.) |
6 % |
8 % |
Visites d'études dans d'autres établissements |
9 % |
11 % |
Visites d'études au sein d'entreprises/services publics/associations |
5 % |
5 % |
Observation de collègues/auto-observation |
13 % |
20 % |
Réseau d'enseignants axé sur la formation continue |
18 % |
27 % |
Lecture d'ouvrages spécialisés |
NC |
48 % |
Source : commission des finances d'après les données du ministère
Le développement des formations à distance a également été facilité par la typologie des modes de formation des enseignants français. Selon l'enquête Talis 2018, la France se distinguait déjà par une plus forte proportion d'enseignants déclarant avoir participé au cours des 12 derniers mois à des séminaires en ligne (55 % pour les enseignants du premier degré contre 7 % pour la Belgique (Flandre) ou 45 % pour l'Espagne, pays ayant le taux le plus élevé parmi les autres pays européens). S'agissant de la participation à des séminaires en présentiel pour les enseignants du second degré, l'écart entre la France et l'UE s'est creusé entre 2013 et 2018 passant de - 11 points d'écart à - 25 points d'écart.
On note là encore de fortes différences entre premier et second degré, les stages représentant les trois quarts des formations pour le secondaire mais un quart seulement pour le primaire.
Nombre de modules suivis par type de formations
pendant l'année 2021-2022
Premier degré |
Second degré |
|
Réunion |
3,2 % |
5,5 % |
Stage |
25,1 % |
76,5 % |
Séminaire |
0,7 % |
2,3 % |
Groupe de travail |
5,2 % |
6,6 % |
Parcours individualisé |
1,5 % |
1,3 % |
Conférence |
1,6 % |
1,1 % |
Animation |
59,1 % |
2,6 % |
Autres |
1,6 % |
1,9 % |
Autoformation |
1,2 % |
0,4 % |
Tutorat |
0,9 % |
1,9 % |
Source : commission des finances d'après les données du ministère
Les formations à distance, et davantage encore les formations hybrides, comportent un certain nombre d'avantages, notamment budgétaires du fait de moindre frais de déplacement. En outre, elles sont souvent moins consommatrices de temps et permettent de toucher certains enseignants réticents à se déplacer.
Toutefois, l'ensemble des acteurs soulignent la nécessité de ne pas basculer dans une logique où les formations à distance deviendraient le modèle dominant. D'après l'enquête du Cnesco, parmi les enseignants ayant participé à des actions de formation incluant une part de distanciel, environ un tiers ont rencontré des difficultés, pour l'essentiel dues à des problèmes de connexion ou de fonctionnement de la plateforme.