B. UN « NON-ALIGNEMENT » DONT L'ÉQUILIBRE SUBTIL PEUT ÊTRE PERÇU COMME AMBIGU
Lors de son audition, Michèle Ramis, directrice des Amériques et des Caraïbes au ministère de l'Europe et des affaires étrangères a rappelé que la politique étrangère du Brésil continuerait de se traduire par un non-alignement : « le Brésil de 2023 ne s'éloignera pas des fondamentaux passés. Culturellement occidental, ce pays se refuse à un alignement sur l'Europe ou les États-Unis en matière de politique étrangère : il est critique des interventions militaires et des sanctions et cherche une forme de neutralité, par exemple sur le conflit en Ukraine, bien qu'il ait voté les résolutions des Nations unies ».
À certains égards, cet équilibre subtil de la politique étrangère brésilienne peut cependant paraître ambigu.
S'agissant du non-alignement de Brasilia dans la concurrence sino-américaine, si le Brésil continue d'entretenir d'importantes relations économiques avec les États-Unis (3° partenaire économique après la Chine et l'UE), le Président Lula semble marquer une certaine distanciation vis-à-vis de Washington (remise en cause de l'hégémonie du dollar, volonté d'émancipation de l'Amérique latine vis-à-vis de son puissant voisin et de renforcement des liens entre les pays du Sud). À l'inverse, un rapprochement avec Pékin tend progressivement à s'opérer. Outre des relations économiques sino-brésiliennes confinant à une quasi dépendance du Brésil vis-à-vis de la Chine (premier partenaire économique du Brésil, la Chine en est aussi son principal débouché, notamment en ce qui concerne les exportations de minerais et de matières premières), la visite de Lula en Chine en avril 2023 a donné lieu à un communiqué conjoint de 49 articles traitant d'un grand nombre de sujets (développement, paix, réforme des institutions internationales, etc.) ainsi qu'à la conclusion d'une soixantaine d'accords et de contrats. Fin mars 2023, les deux pays sont en outre convenus de commercer dans leur devise nationale.
Surtout, la position du Brésil et de son nouveau Président vis-à-vis du conflit ukrainien a suscité des réactions et des incompréhensions au sein des pays occidentaux.
Dans un entretien accordé au Time Magazine le 22 mai 2022 alors qu'il n'était encore que candidat, Lula a semblé renvoyer dos à dos les Présidents Poutine et Zelensky en indiquant que ce dernier était « aussi responsable de la guerre que Poutine. Car quand il y a une guerre il n'y a pas qu'un coupable. Il souhaitait la guerre, s'il ne l'avait pas voulue, il aurait davantage négocié », ajoutant que, s'il avait indiqué au Président russe que l'invasion de l'Ukraine avait constitué une « erreur », Vladimir Poutine n'était pas le seul coupable du déclenchement de cette guerre, les États-Unis, l'OTAN et l'Union européenne ayant dû rapidement déclarer que l'Ukraine n'avait pas vocation à rejoindre les deux organisations.
S'il refuse d'appliquer des sanctions à l'encontre de la Russie, tant que celles-ci n'auront pas été votées par le Conseil de sécurité de l'ONU - au sein duquel la Russie, membre permanent, dispose d'un droit de veto - ou de livrer des armes à l'Ukraine, le Brésil a cependant voté en faveur de la plupart des résolutions de l'Assemblée générale des Nations unies34(*).
Le Brésil entend par conséquent assumer un rôle de médiateur dans ce conflit. Il propose ainsi la création d'un « club de la paix » réunissant des pays non occidentaux et susceptible de servir d'intermédiaire entre les belligérants.
Cette position est clairement assumée par l'Itamaraty (ministère des affaires étrangères). Maria Laura Rocha, secrétaire générale du ministère des relations extérieures, a ainsi rappelé à la mission que le Brésil ne pourra adhérer aux mécanismes de sanctions que si ceux-ci sont « légitimés » par un vote à l'ONU.
* 34 Des 2 mars 2022 (déplorant « l'agression » commise par la Russie contre l'Ukraine), 24 mars 2022 (exigeant un arrêt « immédiat » des hostilités par la Russie contre l'Ukraine), 12 octobre 2022 (demande à la Russie de revenir sur sa « tentative d'annexion illégale » de quatre régions ukrainiennes) et 23 février 2023 (exigeant de nouveau le retrait des forces russes d'Ukraine). Le Brésil s'est cependant abstenu lors du vote d'une résolution de l'AGNU du 7 avril 2022 suspendant la Russie du Conseil des droits de l'homme.