III. UNE AMBITION INTERNATIONALE RÉAFFIRMÉE

Les premiers mandats du Président Lula ont été marqués par une volonté d'affirmation du pays sur la scène internationale.

Comme le souligne Bruno Meyerfeld29(*), » doté d'un charisme sans égal, le métallo fait du Brésil le leader des “ pays du Sud ”, inaugure des dizaines d'ambassades en Afrique ou en Amérique latine et obtient l'organisation des Jeux olympiques de 2016 ».

Néanmoins, à l'instar de ce qui s'est produit au niveau régional, à l'activisme des années Lula a succédé un certain isolement sous la présidence Bolsonaro, lequel s'est rapproché des États-Unis et des pays dont les dirigeants étaient idéologiquement proches du pouvoir brésilien.

Mathilde Chatin30(*) relève ainsi : « après l'annonce de sa victoire, Bolsonaro a proclamé qu'il allait libérer le ministère des Relations extérieures (MRE) du biais idéologique auquel il avait été assujetti sous les gouvernements de la gauche “ pétéist ”, et renforcer les relations du Brésil avec les pays développés. La politique étrangère du nouveau président est ainsi guidée par la volonté de donner la priorité aux relations avec Washington, et de présenter le Brésil comme l'allié des États-Unis en Amérique du Sud. Bolsonaro a choisi comme ministre des Relations extérieures Ernesto Araújo, lequel a autrefois dirigé son Département pour les États-Unis, le Canada et les Affaires interaméricaines. En mars 2019, pour son premier déplacement international, il s'est rendu aux États-Unis, et non pas en Argentine comme c'est d'ordinaire le cas ».

Le retour de Lula au pouvoir marque, d'ores et déjà, un tournant radical avec la présidence précédente, avant même son investiture, le Président élu ayant fait part de son souhait d'un « retour du Brésil » sur la scène internationale, selon les termes qu'il a employés lors de la COP27 à Charm el-Cheikh en Égypte.

Le choix de Celso Amorim comme conseiller diplomatique, qui fut son ministre des affaires étrangères de 2003 à 2010, et de Mauro Vieira comme ministre des relations extérieures, poste qu'il occupait sous la Présidence de Dilma Rousseff, témoigne de la volonté du nouveau Président de s'inscrire dans la continuité de ses premiers mandats en matière de politique étrangère.

Comme l'a indiqué Caio Renault, chargé d'affaires, lors de la réception donnée à l'ambassade du Brésil en France : « le Brésil veut reprendre un rôle actif et constructif sur la scène internationale, au-delà du domaine environnemental. Nous voulons jouer un rôle clé dans la promotion de l'intégration régionale, du maintien de paix et de l'aide humanitaire. Nous sommes engagés en faveur du multilatéralisme et de l'ordre international fondé sur des règles, et nous continuerons de travailler avec nos partenaires pour relever les défis mondiaux tels que le développement, la sécurité et le changement climatique ».

Au cours de ses premiers mois de mandat, le Président Lula a ainsi multiplié les déplacements à l'étranger, se rendant notamment en Argentine, à Washington, en Chine, aux Émirats arabes unis et en Europe (Portugal, Espagne, Royaume-Uni, Italie, France), et les rencontres bilatérales.

Le retour d'une politique étrangère « ativa et altiva » (active et fière) se manifeste également par un activisme renouvelé au sein de plusieurs instances internationales : retour dans la CELAC, présidence du G20 en 2024 et des BRICS en 2025, ou encore organisation de la COP30 à Belém en 2025.

La volonté du Brésil de voir son rôle renforcé au sein des organisations internationales, ne particulier de l'Organisation des Nations unies (ONU), est historiquement soutenue par la France, qui appuie sa demande d'obtenir un siège de membre permanent au Conseil de sécurité.

A. LA PROMOTION D'UN RÉÉQUILIBRAGE DES RELATIONS INTERNATIONALES EN FAVEUR DES PAYS ÉMERGENTS : LE BRÉSIL PORTE-PAROLE DU « SUD GLOBAL »

Au début de la décennie 2010, sous l'impulsion du Président Lula qui avait fait du renforcement des relations Sud-Sud un axe fort de la politique étrangère brésilienne, le Brésil s'est imposé comme le porte-parole du « Sud Global ».

Ce concept, aux contours flous, rassemble sous un même vocable un ensemble de pays hétérogènes : pays en développement et pays émergents, pays d'Afrique, d'Amérique latine et d'Asie. Au-delà de sa dimension géographique (cet ensemble regroupe des pays situés dans l'hémisphère sud), cette notion doit par conséquent s'entendre par opposition à un Nord plus riche et présentant un niveau de développement plus élevé.

Au cours de ses premiers mandats, Lula a oeuvré pour un renforcement du poids de ce « Sud global » dans les relations internationales. À titre d'exemple, dans un entretien de mai 2005, il déclarait : « je suis convaincu que le 21e siècle, comme le 19e siècle a été le siècle de l'Europe et le 20e siècle celui des États-Unis, je suis convaincu que le 21siècle peut-être le siècle des pays du tiers monde, le siècle des pays qui ont été pauvres au 19e et au 20e siècles »31(*).

Comme le note Selin Dorel32(*), cette volonté s'est traduite par « la formation de coalitions Sud-Sud et l'institutionnalisation des instances de coopération informelles existantes, telles que le G20, les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, puis Afrique du Sud à partir de 2011) ou encore l'IBSA (Inde, Brésil, Afrique du Sud). Cette inclinaison à la coopération Sud-Sud se traduit, particulièrement sur les volets économique, commercial et industriel, par le développement de nombreux partenariats bilatéraux avec les pays en développement, notamment en Amérique latine et en Afrique lusophone (Angola, Mozambique, Guinée-Bissau, etc.). [...] En cela, le Brésil s'illustre tout particulièrement, par l'implication personnelle de son ministre des Affaires étrangères, lors du sommet de l'Organisation mondiale du commerce à Cancun en septembre 2003, lorsque les représentants des États du G21, menés par Amorim, parviennent à bloquer des négociations, jusqu'ici à l'avantage des puissances occidentales (États-Unis et Union européenne en premier lieu), portant sur l'élimination des subventions à l'exportation des produits agricoles. En faisant par-là dérailler le cycle de Doha, entamé au Qatar en 2001, les États du G21 font la démonstration de l'efficacité de la coopération Sud-Sud dans le développement du pouvoir de négociation du Sud global. Malgré l'échec “ général ” des négociations, le Brésil atteint une victoire symbolique en faisant la preuve de la reconnaissance de sa nouvelle stature internationale, qui plus est portée de manière très personnelle par le leadership de Celso Amorim au sein des négociations ».

Cette volonté de rééquilibrage des relations internationales, considérées comme très largement injustes, au profit du « Sud Global » demeure un marqueur fort de la politique étrangère du Gouvernement Lula III.

Dans le domaine économique et monétaire, celle-ci se traduit par un narratif appelant à une « dédollarisation » de l'économie mondiale, à une réforme de l'architecture financière internationale et à un assouplissement des conditions de remboursement des dettes des pays du Sud.

Le discours prononcé le 13 avril 2023 à Shanghai à l'occasion de la nomination de Dilma Rousseff, dont il a soutenu la candidature, à la tête de la Nouvelle banque de développement des BRICS est à cet égard particulièrement éclairant. Le Président Lula a ainsi appelé à « une réforme efficace des Nations unies, du FMI et de la Banque mondiale et pour des changements dans les règles commerciales », estimant que les pays du Sud devaient « faire un usage créatif du G20, que le Brésil présidera en 2024, et des BRICS, que nous dirigerons en 2025, afin de renforcer la place accordée dans l'ordre du jour international aux questions prioritaires pour un monde en développement ». Il a par ailleurs estimé que cette institution permettrait d'éviter « aux pays émergents de se soumettre aux institutions financières traditionnelles qui veulent nous gouverner sans en avoir le mandat », à l'inverse du FMI qui, selon lui, « lorsqu'il prête de l'argent à un pays du tiers-monde, ou toute autre banque, lorsqu'elle prête à un pays du tiers-monde, ils se sentent autorisés à exercer les responsabilités, à gérer les compte du pays, à visiter le pays pour en faire le bilan »33(*). Il s'est enfin livré à une critique de l'hégémonie du dollar dans les échanges internationaux : « chaque soir, je me demande pourquoi tous les pays sont obligés de commercer en dollars. Pourquoi ne pouvons-nous pas commercer dans notre propre monnaie ? Pourquoi n'avons-nous pas la volonté d'innover ? Qui a décidé que le dollar était la monnaie, après que l'or a disparu en tant que parité ? Pourquoi n'était-ce pas le yen ? Pourquoi pas le real ? Pourquoi pas le peso ? Parce que nos monnaies étaient faibles et que nos monnaies n'ont pas de valeur dans les autres pays. La monnaie a donc été choisie sans tenir compte de la nécessité d'avoir une monnaie qui transforme les pays en une situation un peu plus tranquille. Parce qu'aujourd'hui, un pays doit courir après le dollar pour pouvoir exporter, alors qu'il pourrait exporter dans sa propre monnaie, et les banques centrales pourraient certainement s'en charger ».

Cette volonté du Président Lula de porter la voix des pays du Sud et de n'appartenir à aucun « bloc » a cependant pu être perçue comme ambigüe, en particulier dans le contexte de la guerre en Ukraine.


* 29 Bruno Meyerfeld, Cauchemar brésilien, Grasset, 2022, op.cit.

* 30 Mathilde CHatin, « Brésil : la politique étrangère de Jair Bolsonaro », Politique étrangère, vol. , no. 2, 2019.

* 31 http://www1.rfi.fr/actufr/articles/065/article_36119.asp

* 32 Selin Dorel, Quand le Brésil était (presque) une puissance globale : la politique étrangère de Celso Amorim, février 2023.

* 33 https://legrandcontinent.eu/fr/2023/04/26/comment-le-sud-veut-financer-le-sud/